Pour ou contre un signalement national ?

DOI : 10.35562/arabesques.1077

p. 14-15

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Texte

À l’automne 2012, l’ABES a recueilli l’avis de quelques SCD, engagés dans un projet de signalement des ressources pédagogiques, sur la pertinence de l’inscription de celles-ci dans le Sudoc. Réponses mitigées.

L’engouement autour des Moocs (Massive Open Online Courses) dans le monde universitaire anglo‑saxon s’est traduit par l’ouverture et la mise en ligne de très nombreuses plateformes de diffusion ou la création de chaînes YouTube dédiées. Prises par une volonté (une frénésie ?) de diffusion massive, les universités ont adopté une démarche marketing, considérant la ressource pédagogique comme un produit qu’il faut à tout prix imposer dans un univers numérique saturé. Promotion sur les réseaux sociaux, campagne publicitaire de lancement, organisation d’événements : le cours qui vient d’être créé n’a pas de facto une place qui lui revient ; il doit se démarquer des autres pour toucher son public et on le lance comme on lancerait un produit.

Acteurs du monde des bibliothèques, nous avons du mal à concevoir qu’un principe évident ait été négligé : « la meilleure façon de trouver, c’est de chercher ». Pourquoi alors ne propose-t-on pas au public ciblé un véritable outil de recherche, un catalogue pour ces ressources pédagogiques ?

Le catalogue, un costume mal taillé

L’ABES, qui gère le catalogue Sudoc, a souhaité poser la question à quatre établissements documentaires de l’enseignement supérieur : les services communs de documentation des universités de Lille 1, du Maine, de Rennes 1 et de Bordeaux Segalen. Avec un projet de valorisation de leurs ressources pédagogiques plus ou moins avancé, ces établissements se sont forcément interrogés sur la pertinence d’un signalement et sur l’outil le plus adéquat. À Lille 1, comme au Mans, on a vite conclu qu’une interface de recherche devait être proposée, même plusieurs : « Plus les ressources sont visibles à de multiples endroits, plus elles sont consultées et connues des utilisateurs. C’est pourquoi il me semble que nous aurions tout intérêt à faire apparaître rapidement ces ressources dans le Sudoc et dans notre catalogue local ».

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L’intention est là. Au Mans, elle s’est doublée d’une réalisation, avec la création d’un onglet, dans le catalogue de la bibliothèque, qui permet de rechercher des ressources pédagogiques (« la péd@gothèque »1). Pourtant, ces initiatives restent rares. Est-ce un manque d’ambition ou y a-t-il de véritables obstacles au signalement des cours universitaires dans un catalogue ?

Si les ressources pédagogiques sont si peu présentes dans nos catalogues, c’est peut-être parce que ceux‑ci ne sont pas appropriés. Un cours se signale par son sujet, son titre et le nom du professeur, mais aussi par le niveau des étudiants auquel il est destiné, le type d’activités sous lesquelles il se décline (exercices, documents, vidéos d’illustration), son format. Comment mener une recherche sur ces critères, quand on ne propose que les classiques index « sujet - titre - auteur » ? Il faut les créer spécialement, ce qu’a fait le SCD de l’université du Mans : « Des formulaires de recherche ont été créés spécialement […] avec des index tels que : niveau (L, M ou D), type d’activité (exercices, cours, etc.), langue ».

Les établissements documentaires qui ne peuvent assurer de tels développements informatiques pour leur catalogue se retrouvent alors avec un outil inadapté à présenter des ressources dont le signalement est par ailleurs très riche. Le format SupLOMFR prévoit et permet une description pertinente de la ressource, mais nos catalogues de bibliothèques au format Marc échouent à en présenter toute la richesse dans leurs interfaces. Si la seule alternative est un signalement a minima, il n’est pas étonnant que les bibliothèques ne s’engagent pas dans cette voie peu bénéfique.

Un dernier obstacle, non plus technique mais conceptuel cette fois, se dresse lorsqu’il est question du signalement dans un catalogue : qu’est-ce qu’on doit signaler ? La granularité de la ressource pédagogique peut être délicate à cerner : doit-on décrire le cours dans son ensemble ou plutôt chaque partie qui le compose ? La série de QCM ou la vidéo de dissection d’un insecte, hors de leur contexte, peuvent‑elles être l’objet d’une recherche documentaire ? Les besoins des usagers doivent être pris en considération, aussi, lorsqu’on tente de définir ce qu’est une « ressource pédagogique » pour entreprendre son signalement.

Trouver l’outil idéal

Conclure que les catalogues de bibliothèque, qu’ils soient locaux ou nationaux, ne sont pas adaptés oblige donc à rechercher quel autre outil serait légitime et compatible. Pour le SCD de Rennes 1, l’association systématique « signalement = bibliothèque », en l’espèce, ne s’applique plus : « Ces ressources n’appartiennent pas au SCD mais à l’université au sens large ; le catalogue ne nous semble pas adéquat ».

L’outil idéal doit, certes, proposer des interfaces de recherche et de description, mais permettre surtout le dépôt des ressources numériques et en gérer les accès, si le visionnage de certains cours est soumis à authentification. En Bretagne, le choix s’est porté sur ORI-OAI couplé avec l’outil Nuxeo2. Également adopté par d’autres universités, ORI-OAI semble s’imposer comme l’outil le plus pertinent pour signaler et diffuser les ressources pédagogiques numériques. Puisque l’outil existe va‑t-on alors assister à la multiplication des projets de signalement des cours en ligne ? Cet obstacle technique désormais levé, la valorisation de notre patrimoine pédagogique peut‑elle s’inscrire à l’ordre du jour de nos prochains chantiers ?

Être vu sans être trop voyant

Avec réalisme, il faut convenir que les universités françaises n’en sont pas encore là. À l’université de Bordeaux Segalen, le groupe de travail « valorisation de la production pédagogique » constate amèrement que « les enseignants ne sont pas tous prêts à déposer leurs cours sur un outil visible par tous ».

Cette frilosité est révélatrice d’une tradition universitaire encore bien ancrée, qui ne conçoit pas le cours autrement que dans un échange magistral, en présentiel. L’idée perdure que la transmission des connaissances ne peut s’épanouir que dans le face-à-face entre l’enseignant et un groupe d’étudiants. Pourtant, l’évolution des technologies, la mutation des comportements des étudiants, leur degré d’équipement en outils informatiques devraient désarmer cette conception trop classique de la pédagogie universitaire. La résistance au changement dont font preuve certains enseignants s’explique aussi par une méconnaissance du mode de diffusion en ligne. À l’université du Maine, il a été nécessaire d’informer les enseignants, auteurs de ressources numériques, sur leurs droits et leurs devoirs : « Ils signent une charte et font ainsi attention à leurs droits (possibilité de choisir la licence Creative Commons qu’ils souhaitent appliquer à leur ressource) et leurs devoirs (nous informer lorsqu’ils suppriment leurs ressources ou les modifient, respecter le droit d’auteur dans leurs ressources) ».

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Les ressources pédagogiques, en effet, ne sont pas toujours en règle avec le droit d’auteur et le droit de citation. Utiliser un extrait d’œuvre littéraire, analyser un tableau, citer les conclusions d’une expérimentation scientifique se fait couramment et quotidiennement dans nos amphithéâtres. Or, la mise en ligne de ces sources pédagogiques exige de respecter formellement les dispositifs juridiques liés à la diffusion et à la reproduction des œuvres. Alors pour ne pas être pris, mieux vaut parfois ne pas être vu, voire être invisible. Et c’est ainsi que des cours, magistraux au sens premier du terme, se retrouvent non signalés, non diffusés, non valorisés. Il suffirait pourtant que les médiateurs pédagogiques ou les cellules TICE aient les moyens d’exercer le contrôle du respect du droit d’auteur. Comme on le constate à Bordeaux Segalen : « Il faudrait mobiliser des ressources humaines complémentaires pour vérifier les contenus ».

Mais pourquoi ne pas agir auprès des enseignants eux-mêmes ?3 Combler les lacunes juridiques des concepteurs de cours, par une information très claire, favoriserait leur adhésion aux projets de valorisation de leurs ressources. Ce n’est finalement pas tant l’inadéquation de l’outil qui freine, en France, les projets de signalement des ressources pédagogiques qu’un refus, espérons-le provisoire, de se confronter avec une nouvelle compétence, celle de « producteur de ressources numériques ».

Faire évoluer les pratiques pédagogiques universitaires relève des directions d’établissement, de la tutelle ministérielle (la dernière étude nationale sur l’usage des TICE dans la pédagogie universitaire remonte à 20074), mais aussi de la recherche française. Il n’est certes pas trop tôt pour se poser la question du signalement des ressources pédagogiques, mais il faut au préalable initier une vraie réflexion sur la conception et la production de ce type de ressources.

Les textes en italique sont extraits des réponses apportées par les établissements consultés.

1 Voir aussi article sur la péd@gothèque des Pays de la Loire, p.8.

2 Plateforme Open Source de gestion de contenus : https://www.nuxeo.com/fr/

3 Voir l’excellent cours Culture numérique de l'enseignant : droits et obligations / IUFM de l’académie de Lyon, 2012 : http://espe.univ-lyon1.fr/

4 Isaac Henri, L’université numérique, rapport à Madame Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, octobre 2007 :

Notes

1 Voir aussi article sur la péd@gothèque des Pays de la Loire, p.8.

2 Plateforme Open Source de gestion de contenus : https://www.nuxeo.com/fr/

3 Voir l’excellent cours Culture numérique de l'enseignant : droits et obligations / IUFM de l’académie de Lyon, 2012 : http://espe.univ-lyon1.fr/droitsetobligations/

4 Isaac Henri, L’université numérique, rapport à Madame Valérie Pécresse, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, octobre 2007 : http://media.education.gouv.fr/file/2008/08/3/universitenumerique_22083.pdf

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Citer cet article

Référence papier

Laurent Piquemal, « Pour ou contre un signalement national ? », Arabesques, 71 | 2013, 14-15.

Référence électronique

Laurent Piquemal, « Pour ou contre un signalement national ? », Arabesques [En ligne], 71 | 2013, mis en ligne le 27 août 2019, consulté le 18 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=1077

Auteur

Laurent Piquemal

Coordinateur du pôle Formation-Documentation, ABES

piquemal@abes.fr

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