ImaGEO, un consortium au service du géographe

DOI : 10.35562/arabesques.1886

p. 18-19

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Texte

Labellisé en 2012, le consortium ImaGEO s’appuie fortement sur les compétences du SCD de l’Université Bordeaux Montaigne pour son développement.

Quand, en 2011, la TGIR1 Huma-Num propose la création et le financement de consortium d’unités de recherche, par disciplines, pour favoriser l’émergence de pratiques et d’outils communs autour de données de recherche, le SCD de l’Université Bordeaux Montaigne s’associe à quatre unités de recherche pour créer le consortium ImaGEO (pour « Images des GEOgraphes ») autour d’un intérêt commun : la conservation de corpus cartographiques et iconographiques utilisés par les chercheurs. La première labellisation (2012-2016) est suivie par un second volet (2017-2020) qui voit la recomposition du groupe et son élargissement2. Les disciplines couvertes vont de la géographie à la sociologie, en passant par l’archéologie et les géosciences.

Contrairement aux autres consortiums Huma-Num, ImaGEO rassemble moins des chercheurs que des personnels d’appui à la recherche : ingénieurs d’étude et de recherche, documentalistes, géomaticiens et cartothécaires. Ses problématiques sont donc davantage centrées sur la valorisation de corpus documentaires existants, sans lien systématique avec des programmes de recherche. L’enjeu pour ces professionnels de la donnée scientifique est justement d’améliorer la visibilité de corpus conservés depuis plusieurs décennies pour en permettre l’appropriation par les communautés scientifiques.

ImaGEO, quelles données ? : production et documentation iconographique au service du chercheur

Les images produites et utilisées par les géographes ne se limitent pas aux cartes et dessinent un panorama bien plus large de l’iconographie élaborée par et pour la recherche en géographie. Les fonds des différents partenaires rassemblent ainsi des plans et cartes (imprimées ou manuscrites, conçues ou non par ordinateur), des photographies de terrain, des films et des carnets de notes dessinés. Certains remontent jusqu’au XVIIe siècle tandis que d’autres sont issus de la géomatique la plus actuelle. Toutes les régions du monde sont couvertes, avec des zones particulièrement documentées, comme le Moyen-Orient, le Maghreb, Madagascar, l’Amérique du Sud, et l’Europe. Parmi les fonds rares ou remarquables, on peut par exemple noter le fonds du géographe Emmanuel de Martonne (1873-1955) rassemblant photographies et carnets de terrain, le fonds cartographique historique de la Société de géographie de Bordeaux (XVIIe-XIXe siècle), la riche banque d’images de terrain de l’Observatoire Hommes-Milieux Pyrénées, ou encore la collection de topographies de grottes du spéléologue Jacques Choppy (années 1950-années 1980).

S’intéresser à tout le cycle de la donnée iconographique, de la production à la médiation

Les neuf ans de travail collectif ont permis au groupe de mener une grande variété de projets à partir de ces fonds iconographiques et de s’intéresser au temps long du cycle de vie de la donnée scientifique.

Les actions mutualisées vont de tout ce qui concerne la planification et veille, en amont, aux étapes de stockage et préservation à long terme de la donnée, en aval. Le travail de collecte et de production de données (plus de 20 000 documents numérisés), d’indexation et de diffusion est fait individuellement par chaque partenaire, sur sa propre plateforme, mais les expertises et méthodes sont mises en commun, notamment sur les enjeux purement géographiques que sont le géoréférencement et la géolocalisation3, ou le respect de standards d’échange interopérables. Un travail sur les licences d’utilisation à privilégier a été mis en commun pour encourager la libre réutilisation (licences Etalab ou Creative Commons).

À ces cinq étapes scientifiques, il faut ajouter des actions de médiation scientifique autour des documents iconographiques, qui auront occupé les dernières années du consortium, selon un principe de « retour » des données et du savoir scientifique auprès des populations. On peut ainsi relever au titre du consortium des actions « sur le terrain » : séminaires de restitution grand public et expositions de cartes et de photographies (virtuelles ou avec fac-simile). En 2019, plusieurs journées d’animation dans le cadre de la Fête de la science ont permis de diffuser auprès d’un public scolaire les fondamentaux de la lecture de cartes.

La bibliothèque de géographie-cartothèque

La bibliothèque de géographie-cartothèque du SCD de l’Université Bordeaux Montaigne possède un fonds composé d’environ 35 000 cartes, constitué par des achats et des dons qui se poursuivent aujourd’hui. Les régions du monde représentées sont très variées, la France étant l’espace le plus présent, devant l’Afrique et les autres espaces européens. La période couverte va du XIXsiècle à aujourd’hui, avec également quelques cartes plus anciennes. 2378 feuilles ont été numérisées (représentant 1871 notices) et sont consultables sur le site 1886a.

a. https://1886.u-bordeaux-montaigne.fr/

La base Navigae : complément scientifique de bases documentaires

Outre la mutualisation des efforts et la normalisation des bonnes pratiques en matière de gestion de données géographiques, l’un des avantages ayant émergé du travail consortial est de favoriser une approche comparatiste du document iconographique pour le géographe : un même espace peut être saisi à des dates différentes, parfois sous forme de cartes, parfois par des photographies de terrain. Pour favoriser ces comparaisons, un outil nommé Navigae4 a été mis en place, dont le principe est celui d’une recherche par nom de lieu normalisé (selon Geonames), voire en traçant sur la carte une emprise correspondant au terrain qu’il souhaite étudier. Grâce aux modalités d’indexation géographique, Navigae extrait les documents correspondant à la zone sélectionnée, quelle que soit leur date ou leur provenance documentaire. La modalité de recherche s’adapte aux usages du chercheur, qui peut entrer dans ces fonds par son terrain de recherche : une approche de la recherche documentaire par la spatialité, qui constitue bien l’entrée scientifique principale du géographe.

L’interface permet ensuite de comparer en vis-à-vis et par transparence les cartes anciennes avec des fonds de cartes contemporains (National Geographic ou Open Street Map), ce qui permet d’étudier l’évolution des espaces et l’aménagement des territoires sur le temps long.

Port autonome de Bordeaux, 1930. Paris : Les procédés Dorel.

Port autonome de Bordeaux, 1930. Paris : Les procédés Dorel.

Source : 1886 / Université Bordeaux Montaigne

Le bibliothécaire et la donnée de recherche : des pratiques et des savoirs nouveaux

Le Consortium ImaGEO se distingue des autres consortiums Huma-Num par la participation, en tant que partenaire à part entière, d’un SCD possédant une cartothèque. Cette participation active a d’abord permis de mettre en évidence l’écart entre les pratiques bibliothéconomiques traditionnelles et les besoins des chercheurs en termes de réutilisation scientifique des corpus.

En effet, l’approche classique du document par le bibliothécaire universitaire se concentre sur une indexation bibliographique : cataloguées dans le Sudoc, les cartes de la cartothèque se voient attribuer un auteur, une date de production, un éditeur, une cote, l’appartenance à une série éditoriale ou à un atlas, des mots-clés textuels. Or, là où le bibliothécaire se concentre sur un report, « document en main », des informations telles qu’exprimées sur le document, la réutilisation par le chercheur de ces documents suppose d’aller plus loin, notamment en travaillant sur le géoréférencement, qui permet la réutilisation du document dans des systèmes d’informations géographiques, et sur le format des fichiers et métadonnées. On peut aller jusqu’à intégrer les coordonnées issues du géoréférencement dans les fichiers images, pour produire des « geotiff » indispensables pour l’analyse géographique. La carte initiale peut s’en trouver déformée, mais ce qui compte dans ce cas est moins le respect de la matérialité documentaire initiale que la potentialité de réutilisation scientifique. Pour ce qui est des métadonnées, le format d’échange bibliographique Unimarc, utilisé dans les catalogues de bibliothèques, est à la fois trop pauvre, trop rigide et trop spécifique pour une réutilisation scientifique, et les métadonnées ont été converties en Dublin Core qualifié pour garantir une meilleure interopérabilité avec les systèmes d’information courants dans le monde de la recherche.

Il ressort de cette expérience que le partenariat avec des spécialistes de la donnée de recherche (ingénieurs, géomaticiens) ou avec des documentalistes de laboratoire au plus près des besoins des chercheurs est un atout pour les SCD qui veulent se lancer dans la gestion de données de recherche, là où les données des catalogues de bibliothèques ne sont pas toujours adaptées aux usages et aux besoins des chercheurs. Ces partenariats avec des collègues dont les pratiques peuvent différer mais dont les fonctions et objectifs ne sont pas si éloignées constituent une bonne façon d’avancer sur des problématiques souvent complexes.

1 Pour « Très Grand Infrastructure de Recherche », structure nationale de pilotage de la recherche

2 Outre le SCD, les membres actuels sont : PASSAGES, MIGRINTER, EDYTEM, GEODE, Géographie-Cités, la MOM et le RIATE.

3 Le géoréférencement consiste à attribuer des coordonnées géographiques à une carte, en appliquant un système de coordonnées normalisé. La

4 https://www.navigae.fr

Notes

1 Pour « Très Grand Infrastructure de Recherche », structure nationale de pilotage de la recherche

2 Outre le SCD, les membres actuels sont : PASSAGES, MIGRINTER, EDYTEM, GEODE, Géographie-Cités, la MOM et le RIATE.

3 Le géoréférencement consiste à attribuer des coordonnées géographiques à une carte, en appliquant un système de coordonnées normalisé. La géolocalisation consiste à positionner un objet ayant un emplacement unique (par exemple l’emplacement de prise d’une photographie de terrain) sur une carte.

4 https://www.navigae.fr

Illustrations

Port autonome de Bordeaux, 1930. Paris : Les procédés Dorel.

Port autonome de Bordeaux, 1930. Paris : Les procédés Dorel.

Source : 1886 / Université Bordeaux Montaigne

Citer cet article

Référence papier

Julien Baudry, « ImaGEO, un consortium au service du géographe », Arabesques, 98 | 2020, 18-19.

Référence électronique

Julien Baudry, « ImaGEO, un consortium au service du géographe », Arabesques [En ligne], 98 | 2020, mis en ligne le 27 juillet 2020, consulté le 16 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=1886

Auteur

Julien Baudry

Université Bordeaux Montaigne – Service Commun de la Documentation - Responsable des services aux chercheurs

julien.baudry@u-bordeaux-montaigne.fr

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