Sur quelles bases juridiques s’organisent les flux de notices élaborées par les bibliothèques ?
L’organisme qui les rédige ou les fait rédiger a-t-il des droits sur ces documents ? Peut-il déterminer les conditions dans lesquelles des tiers, entreprises ou organismes publics, vont accéder à ces notices et les réutiliser ? Cette question méritait d’être posée, au moment où l’OCLC redéfinit, sous la pression des bibliothèques, les conditions d’utilisation des notices, et ce quelques mois après l’adhésion de l’ABES à WorldCat.
Qui est propriétaire des notices et sur quel fondement juridique ?
Une bibliothèque peut s’appuyer sur trois règles de droit pour exercer des droits sur les notices qu’elle élabore : le droit d’auteur, le droit sui generis du producteur de bases de données et le droit de réutilisation des données publiques. Ces règles ne sont pas applicables dans tous les cas.
1. Une protection par le droit d’auteur ?
Le droit d’auteur pourrait protéger deux éléments : chaque notice d’une part, et la base des notices d’autre part.
Un droit d’auteur sur une notice ?
Rappelons qu’une création intellectuelle est protégée par le droit d’auteur dès lors qu’elle se traduit par une mise en forme originale. Une notice bibliographique remplit-elle cette condition ?
De toute évidence, non. Le catalogueur ne doit surtout pas faire preuve d’imagination : il est prié de saisir rigoureusement des informations objectives1 dans chaque champ, selon un ordre immuable.
Seules certaines parties de certaines notices pourraient éventuellement être protégées : un résumé (de thèse, par exemple), ou des informations rédigées de façon libre et personnelle (retraçant l’histoire d’un exemplaire ancien ou, comme dans la base Joconde2, celle des propriétaires successifs d’un tableau). Dans ce cas, la partie de la notice protégée par le droit d’auteur (résumé, abstract) ne pourra être utilisée qu’après autorisation de la bibliothèque. Celle-ci doit s’assurer qu’elle-même en détient les droits. Si le rédacteur est un salarié du secteur privé ou un agent public d’un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), ou un thésard, elle doit convenir avec lui des conditions de cession de droit, par contrat. Si le rédacteur est un agent public d’un établissement public administratif (EPA), la bibliothèque est légalement titulaire des droits sur la partie protégée de la notice.
Un droit d’auteur sur l’ensemble des notices ?
La base des notices prises dans leur ensemble peut être protégée par le droit d’auteur si les données qu’elle contient sont choisies ou organisées de façon originale3. Or, le choix et l’organisation des données dans une base bibliographique relèvent d’une pratique non seulement normalisée4, mais largement banalisée (au sens du droit d’auteur)5. Dès lors, une base de notices bibliographiques n’est pas, sauf exception6, protégée par le droit d’auteur.
2. Une protection par le droit sui generis du producteur d’une base de données ?
En revanche, l’organisme privé ou public qui élabore les notices peut invoquer le droit sui generis du producteur de base de données. Pour cela, il suffit à la bibliothèque de prouver qu’elle a investi de façon substantielle dans la constitution, la présentation ou la vérification du contenu de la base. Ce droit sui generis lui permet d’interdire toute extraction ou réutilisation quantitativement ou qualitativement substantielle de la base.
La bibliothèque peut alléguer ce droit pour organiser la vente (ou l’échange) de notices aussi bien à une autre bibliothèque qu’à une entreprise commerciale (un moteur de recherche, un exploitant de base bibliographique commerciale).
3. Le régime de réutilisation des informations publiques ?
Quand un organisme public diffuse les données publiques qu’il a produites ou reçues, il doit en permettre la réutilisation (il peut demander une redevance si la réutilisation est commerciale)7.
Il peut échapper à cette obligation :
- si ces données publiques sont protégées par un droit de propriété intellectuelle détenu par un tiers ; c’est le cas si la base est protégée par le droit sui generis d’un tiers (un éditeur, par exemple) ou si certaines parties des notices sont protégées par le droit d’auteur (résumés de thèses, par exemple) ;
- si l’organisme est un établissement public à caractère industriel ou commercial (EPIC) ou s’il exerce une mission de service public à caractère industriel ou commercial ;
- si l’organisme est un établissement d’enseignement et de recherche, ou un établissement ou service culturel ; dans ce cas, il est libre de fixer lui-même les conditions de réutilisation (commerciale ou non). Les bibliothèques universitaires relèvent de cette dernière exception.
Comment la bibliothèque va-t-elle exercer ces droits ?
Quand la bibliothèque détient tous les droits sur les notices
Si la bibliothèque est l’unique productrice de la base de données, elle dispose de tous les droits sur les notices, et peut organiser librement les conditions de leur réutilisation. Elle peut décider d’en autoriser l’extraction substantielle (voire intégrale) pour une réutilisation non commerciale, en la versant à une base collaborative comme l’Open Library8, ou en en permettant le moissonnage par d’autres bibliothèques (à l’instar de Mashup Australia9) ou par des réservoirs d’archives ouvertes10. Elle peut aussi décider d’autoriser la réutilisation commerciale de sa base à des conditions tarifaires qu’elle aura définies.
Les précautions à prendre
La bibliothèque doit vérifier qu’elle dispose des droits pour tous les usages qu’elle veut accorder. Les notices d’une bibliothèque sont en principe rédigées en son sein, au vu des documents qu’elle a acquis. Elle en détient alors les droits en tant que producteur11. Le catalogue de la Bibliothèque nationale de France (BNF) constitue à cet égard un outil de référence. Cependant, la perspective se dessine de sous-traiter la rédaction d’une partie des notices, voire de les produire à partir des notices d’éditeurs ou d’autres bibliothèques.
La bibliothèque doit alors prêter attention aux conditions contractuelles.
Quand elle sous-traite
Pour que la bibliothèque donneuse d’ordre soit assurée de détenir les droits sur les notices qu’elle a sous-traitées, elle doit insérer, dans le contrat conclu avec le prestataire, une clause lui reconnaissant l’entière propriété sur le résultat du travail confié à ce prestataire.
Quand elle élabore ses notices à partir de notices existantes
La bibliothèque doit s’assurer qu’elle sera entièrement libre d’utiliser et d’exploiter les notices qu’elle élabore à partir des notices « empruntées ». C’est notamment le cas si elle a rédigé ses notices dans un contexte mutualisé, à partir de notices provenant d’une base collaborative (Sudoc, Worldcat). La bibliothèque a-t-elle le droit de transférer ensuite ces notices à des tiers ? Elle s’en assurera en consultant les conditions de son adhésion à la base de données collaborative.
Si la bibliothèque obtient des notices auprès d’éditeurs, elle a intérêt à négocier le droit d’utiliser les notices enrichies et dérivées (quitte à fournir celles-ci en retour à l’éditeur, à des conditions à définir)12.