À qui appartiennent les notices bibliographiques ?

DOI : 10.35562/arabesques.2009

p. 8-9

Plan

Texte

Sur quelles bases juridiques s’organisent les flux de notices élaborées par les bibliothèques ?

L’organisme qui les rédige ou les fait rédiger a-t-il des droits sur ces documents ? Peut-il déterminer les conditions dans lesquelles des tiers, entreprises ou organismes publics, vont accéder à ces notices et les réutiliser ? Cette question méritait d’être posée, au moment où l’OCLC redéfinit, sous la pression des bibliothèques, les conditions d’utilisation des notices, et ce quelques mois après l’adhésion de l’ABES à WorldCat.

Qui est propriétaire des notices et sur quel fondement juridique ?

Une bibliothèque peut s’appuyer sur trois règles de droit pour exercer des droits sur les notices qu’elle élabore : le droit d’auteur, le droit sui generis du producteur de bases de données et le droit de réutilisation des données publiques. Ces règles ne sont pas applicables dans tous les cas.

1. Une protection par le droit d’auteur ?

Le droit d’auteur pourrait protéger deux éléments : chaque notice d’une part, et la base des notices d’autre part.

Un droit d’auteur sur une notice ?

Rappelons qu’une création intellectuelle est protégée par le droit d’auteur dès lors qu’elle se traduit par une mise en forme originale. Une notice bibliographique remplit-elle cette condition ?
De toute évidence, non. Le catalogueur ne doit surtout pas faire preuve d’imagination : il est prié de saisir rigoureusement des informations objectives1 dans chaque champ, selon un ordre immuable.

Seules certaines parties de certaines notices pourraient éventuellement être protégées : un résumé (de thèse, par exemple), ou des informations rédigées de façon libre et personnelle (retraçant l’histoire d’un exemplaire ancien ou, comme dans la base Joconde2, celle des propriétaires successifs d’un tableau). Dans ce cas, la partie de la notice protégée par le droit d’auteur (résumé, abstract) ne pourra être utilisée qu’après autorisation de la bibliothèque. Celle-ci doit s’assurer qu’elle-même en détient les droits. Si le rédacteur est un salarié du secteur privé ou un agent public d’un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC), ou un thésard, elle doit convenir avec lui des conditions de cession de droit, par contrat. Si le rédacteur est un agent public d’un établissement public administratif (EPA), la bibliothèque est légalement titulaire des droits sur la partie protégée de la notice.

Un droit d’auteur sur l’ensemble des notices ?

La base des notices prises dans leur ensemble peut être protégée par le droit d’auteur si les données qu’elle contient sont choisies ou organisées de façon originale3. Or, le choix et l’organisation des données dans une base bibliographique relèvent d’une pratique non seulement normalisée4, mais largement banalisée (au sens du droit d’auteur)5. Dès lors, une base de notices bibliographiques n’est pas, sauf exception6, protégée par le droit d’auteur.

2. Une protection par le droit sui generis du producteur d’une base de données ?

En revanche, l’organisme privé ou public qui élabore les notices peut invoquer le droit sui generis du producteur de base de données. Pour cela, il suffit à la bibliothèque de prouver qu’elle a investi de façon substantielle dans la constitution, la présentation ou la vérification du contenu de la base. Ce droit sui generis lui permet d’interdire toute extraction ou réutilisation quantitativement ou qualitativement substantielle de la base.

La bibliothèque peut alléguer ce droit pour organiser la vente (ou l’échange) de notices aussi bien à une autre bibliothèque qu’à une entreprise commerciale (un moteur de recherche, un exploitant de base bibliographique commerciale).

3. Le régime de réutilisation des informations publiques ?

Quand un organisme public diffuse les données publiques qu’il a produites ou reçues, il doit en permettre la réutilisation (il peut demander une redevance si la réutilisation est commerciale)7.

Il peut échapper à cette obligation :

  • si ces données publiques sont protégées par un droit de propriété intellectuelle détenu par un tiers ; c’est le cas si la base est protégée par le droit sui generis d’un tiers (un éditeur, par exemple) ou si certaines parties des notices sont protégées par le droit d’auteur (résumés de thèses, par exemple) ;
  • si l’organisme est un établissement public à caractère industriel ou commercial (EPIC) ou s’il exerce une mission de service public à caractère industriel ou commercial ;
  • si l’organisme est un établissement d’enseignement et de recherche, ou un établissement ou service culturel ; dans ce cas, il est libre de fixer lui-même les conditions de réutilisation (commerciale ou non). Les bibliothèques universitaires relèvent de cette dernière exception.

Comment la bibliothèque va-t-elle exercer ces droits ?

Quand la bibliothèque détient tous les droits sur les notices

Si la bibliothèque est l’unique productrice de la base de données, elle dispose de tous les droits sur les notices, et peut organiser librement les conditions de leur réutilisation. Elle peut décider d’en autoriser l’extraction substantielle (voire intégrale) pour une réutilisation non commerciale, en la versant à une base collaborative comme l’Open Library8, ou en en permettant le moissonnage par d’autres bibliothèques (à l’instar de Mashup Australia9) ou par des réservoirs d’archives ouvertes10. Elle peut aussi décider d’autoriser la réutilisation commerciale de sa base à des conditions tarifaires qu’elle aura définies.

Les précautions à prendre

La bibliothèque doit vérifier qu’elle dispose des droits pour tous les usages qu’elle veut accorder. Les notices d’une bibliothèque sont en principe rédigées en son sein, au vu des documents qu’elle a acquis. Elle en détient alors les droits en tant que producteur11. Le catalogue de la Bibliothèque nationale de France (BNF) constitue à cet égard un outil de référence. Cependant, la perspective se dessine de sous-traiter la rédaction d’une partie des notices, voire de les produire à partir des notices d’éditeurs ou d’autres bibliothèques.

La bibliothèque doit alors prêter attention aux conditions contractuelles.

Quand elle sous-traite

Pour que la bibliothèque donneuse d’ordre soit assurée de détenir les droits sur les notices qu’elle a sous-traitées, elle doit insérer, dans le contrat conclu avec le prestataire, une clause lui reconnaissant l’entière propriété sur le résultat du travail confié à ce prestataire.

Quand elle élabore ses notices à partir de notices existantes

La bibliothèque doit s’assurer qu’elle sera entièrement libre d’utiliser et d’exploiter les notices qu’elle élabore à partir des notices « empruntées ». C’est notamment le cas si elle a rédigé ses notices dans un contexte mutualisé, à partir de notices provenant d’une base collaborative (Sudoc, Worldcat). La bibliothèque a-t-elle le droit de transférer ensuite ces notices à des tiers ? Elle s’en assurera en consultant les conditions de son adhésion à la base de données collaborative.

Si la bibliothèque obtient des notices auprès d’éditeurs, elle a intérêt à négocier le droit d’utiliser les notices enrichies et dérivées (quitte à fournir celles-ci en retour à l’éditeur, à des conditions à définir)12.

1 Même le contenu du champ « sujet » n’est pas protégeable. Certes, le référenceur effectue un travail intellectuel en sélectionnant les descripteurs

2 JOCONDE. Catalogue des collections des musées de France http://www.culture.gouv.fr/documentation/joconde/fr/pres.htm

3 Cf. Art. L112‑3 du Code de propriété intellectuelle http://www.legifrance.gouv.fr

4 Cf. les normes AFNOR FD Z44‑073 (Avril 2005) et FD Z44‑050 (Avril 2005)

5 Cf. les règles de l’ISBD, UNIMARC et Dublin Core. Rappelons aussi l’existence de la norme internationale ISO 690 : 1987 (Afnor Z44‑005‑2). « 

6 Le Conseil d’État a considéré que la base de données SIRENE de l’INSEE était protégée par le droit d’auteur en qualité d’œuvre collective, mais

7 C’est ce que définit la loi nº 78‑753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public

8 www.openlibrary.org

9 http://research.nla.gov.au/

10 On peut aussi évoquer un outil comme Zotero : ce n’est pas un réservoir d’archives ouvertes mais il permet de déposer sur un serveur des données

11 Sous réserve d’avoir obtenu les droits d’auteur du référenceur, pour les parties protégées des notices, le cas échéant.

12 La même précaution s’impose lorsque la bibliothèque souhaite reprendre les notices proposées par les distributeurs, libraires en ligne et

Bibliographie

Etude sur le catalogue SUDOC et la propriété des notices, Laurence Tellier-Loniewski

Présentation PDF à l’ABES, 27 mai 2009 http://www.abes.fr/abes/documents/reseau/journees_reseau/Laurence_Tellier-Loniewski_propriete_des_notices_OK_diffusion.pdf

Transfert de notices en ligne, BNF http://www.bnf.fr/PAGES/infopro/produits/pb-transfert.htm

Notes

1 Même le contenu du champ « sujet » n’est pas protégeable. Certes, le référenceur effectue un travail intellectuel en sélectionnant les descripteurs ou en élaborant l’indice de classification (CDU, Dewey, Rameau), mais il ne réalise pas un travail de création : il suit les consignes d’indexation fixées par le langage documentaire utilisé.

2 JOCONDE. Catalogue des collections des musées de France http://www.culture.gouv.fr/documentation/joconde/fr/pres.htm

3 Cf. Art. L112‑3 du Code de propriété intellectuelle http://www.legifrance.gouv.fr

4 Cf. les normes AFNOR FD Z44‑073 (Avril 2005) et FD Z44‑050 (Avril 2005)

5 Cf. les règles de l’ISBD, UNIMARC et Dublin Core. Rappelons aussi l’existence de la norme internationale ISO 690 : 1987 (Afnor Z44‑005‑2). « Documentation-Références bibliographiques - Contenu, forme et structure », qui prescrit « les éléments à mentionner dans les références bibliographiques » et détermine « un ordre obligatoire pour les éléments de la référence » ; cette norme s’applique au référencement de documents cités dans d’autres documents ; elle n’a donc pas vocation à s’appliquer au catalogage. Constatons que la description de documents relève de règles et de conventions communes à l’ensemble des « référenceurs », et ne laisse pas place à l’imagination.

6 Le Conseil d’État a considéré que la base de données SIRENE de l’INSEE était protégée par le droit d’auteur en qualité d’œuvre collective, mais cette base contenait des données que l’INSEE avait choisi d’élaborer, en sus de données existantes (CE, 10 juillet 1996, CEGEDIM-Direct mail Promotion/INSEE). www.legifrance.gouv.fr

7 C’est ce que définit la loi nº 78‑753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public et diverses dispositions d’ordre administratif, social et fiscal (version consolidée) http://www.legifrance.gouv.fr

8 www.openlibrary.org

9 http://research.nla.gov.au/

10 On peut aussi évoquer un outil comme Zotero : ce n’est pas un réservoir d’archives ouvertes mais il permet de déposer sur un serveur des données accessibles à tous.

11 Sous réserve d’avoir obtenu les droits d’auteur du référenceur, pour les parties protégées des notices, le cas échéant.

12 La même précaution s’impose lorsque la bibliothèque souhaite reprendre les notices proposées par les distributeurs, libraires en ligne et exploitants privés de bases de données bibliographiques.

Citer cet article

Référence papier

Michèle Battisti et Anne-Laure Stérin, « À qui appartiennent les notices bibliographiques ? », Arabesques, 58 | 2010, 8-9.

Référence électronique

Michèle Battisti et Anne-Laure Stérin, « À qui appartiennent les notices bibliographiques ? », Arabesques [En ligne], 58 | 2010, mis en ligne le 30 juillet 2020, consulté le 20 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=2009

Auteurs

Michèle Battisti

Responsable de veille juridique à l’ADBS, membre de la commission Droit de l’information de l’ADBS. www.adbs.fr

michele.battisti@adbs.fr

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Anne-Laure Stérin

Chargée de cours à l’Université Paris-Est, membre de la commission Droit de l’information de l’ADBS. www.adbs.fr

sterindroit@free.fr

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