LibQual, chaînon manquant de l’évaluation ?

DOI : 10.35562/arabesques.2066

p. 16-17

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Récemment, les lacunes des bibliothèques en matière d’évaluation des services furent pointées par certaines instances du contrôle public. Dans son rapport annuel de 2006, la Cour des comptes déplorait que « les besoins réels des usagers des bibliothèques universitaires [n’étaient] pas précisément connus » et pointait « l’absence anormale d’enquêtes nationales de satisfaction ». La Cour préconisait alors de « fixer (...) les exigences minimales qui devraient être attendues des bibliothèques universitaires en ce qui concerne leur capacité à satisfaire les besoins des usagers, lesquels devraient être systématiquement analysés par des enquêtes régulières »1. En 2008, l’Inspection générale des bibliothèques parvenait à la même conclusion dans son rapport annuel : « le préalable est en particulier une analyse méthodique des demandes des diverses catégories d’utilisateurs, et une réponse à ces attentes traduite par la mesure des services rendus »2. La récente introduction de LibQual3 (protocole d’enquête permettant de mesurer la qualité des services d’un organisme documentaire4) en France ne manquera pas de modifier l’approche de l’évaluation des services telle que nous la concevions jusqu’à présent. Quel rôle peut jouer LibQual dans ce débat ?

LibQual comme outil d’évaluation globale

La méconnaissance des attentes des usagers est souvent pointée comme une lacune récurrente des évaluations des bibliothèques ; c’est pourtant un des points forts de LibQual : toute l’enquête se base sur la perception par l’usager de la qualité des services utilisés5. Revenons sur les modalités de réponses de l’enquête. Pour 27 items (qui constituent le cœur du questionnaire), l’usager doit indiquer trois éléments, par une note de 1 à 9 : le niveau de service qu’il juge tolérable de la part d’une bibliothèque, le niveau de service qu’il juge souhaitable et le niveau de service qu’il a observé dans la bibliothèque qu’il fréquente le plus souvent. Les combinaisons entre ces trois notes permettent d’évaluer l’importance de chaque item aux yeux de l’usager (écart entre le niveau de service minimum et le niveau de service souhaité), en d’autres termes, l’échelle de satisfaction propre à un usager. Le niveau observé positionne son expérience par rapport à cette échelle. Néanmoins, l’observation comparée de ces données sur plusieurs établissements met à jour l’extrême versatilité de ces attentes. Elles semblent fluctuer de manière importante en fonction du statut de l’usager (licence, master/doctorat, enseignant/chercheur), de la discipline étudiée mais également, toutes choses égales par ailleurs, de la bibliothèque fréquentée. Ce dernier élément laisse penser que, indépendamment des caractéristiques sociologiques de la population, une bibliothèque coproduit, au fil du temps, les exigences de ses publics par l’image qu’elle donne à voir – par sa communication, son règlement intérieur, l’aménagement des espaces, l’attitude du personnel…

Difficile dans ce cas, d’établir « une analyse méthodique des demandes des diverses catégories d’utilisateurs ».

Si le protocole LibQual dispose d’indéniables qualités pour participer à l’évaluation générale des services documentaires, ses défauts aussi bien structurels que supposés fragilisent une mise en place coordonnée à large échelle.

Le questionnaire comporte une quarantaine de questions avec, nous l’avons vu, plusieurs réponses à fournir. Le temps moyen de passation tourne autour de 15 minutes, ce qui est relativement élevé pour une enquête web auto-administrée6. La stabilité du questionnaire à travers le temps et l’espace est la garantie de la comparabilité des résultats, mais contrarie toute tentative d’adaptation profonde du questionnaire aux contextes locaux. De plus, LibQual produit des indicateurs sur la qualité perçue ; l’absence d’indicateurs d’efficacité ou d’efficience pourrait être rédhibitoire. L’investissement que l’organisation de l’enquête représente en temps et en ressources humaines demande une phase de préparation et d’information auprès des personnels qui assure en partie le succès de l’opération. LibQual nécessite l’attention de l’ensemble du service pour être efficace. Enfin, LibQual est souvent confondu avec l’acception sociologique des enquêtes d’usagers, la plus couramment employée en bibliothèque. Pourtant, LibQual n’est pas une enquête sociologique. Par ses fondements théoriques et son utilisation à travers le monde, LibQual s’apparente à une enquête marketing. Ces deux méthodes (sociologique et marketing), souvent opposées par certains détracteurs, sont au contraire complémentaires, les résultats de l’une venant enrichir les données de l’autre. Les bases marketing et l’origine nord-américaine du questionnaire soulèvent régulièrement des interrogations sur l’orientation et la scientificité de l’enquête. Bien que l’utilisation de LibQual dans le cadre d’une évaluation nationale des organismes documentaires semble délicate, elle prend tout son sens pour le pilotage interne d’un service de documentation.

LibQual comme outil de l’évaluation locale

Si les outils de pilotage d’un organisme documentaire sont souvent basés sur une approche quantitative (indicateurs de moyens, d’efficacité, d’efficience), LibQual apporte un éclairage qualitatif original sur les services proposés et s’intègre aisément dans des dispositifs d’évaluation locale.

Prenons l’exemple de la formation des usagers. L’évaluation quantitative de ce service s’articule souvent autour d’indicateurs tels que le nombre d’heures de formation assurées divisé par la population à desservir, le nombre de stagiaires par séance ou le taux de présence aux formations. Une enquête de satisfaction en sortie de formation permet d’obtenir les premiers éléments qualitatifs (avis sur les conditions matérielles, sur le contenu, etc.).

Exemple d’illustration graphique LibQual

Exemple d’illustration graphique LibQual

LibQual, quant à lui, mesurera l’attente des usagers vis-à-vis de la formation aux outils documentaires et évaluera la qualité globale du service.

Cet exemple peut s’appliquer à l’ensemble des activités d’une bibliothèque d’enseignement supérieur, les items traités dans le questionnaire sont assez variés pour cela : accueil des publics, signalétique, site web, catalogue informatisé, salle de travail, documentation disponible, etc.

La direction de la bibliothèque et les responsables de section ou de services transversaux gagneront à s’emparer des résultats LibQual afin d’enrichir le pilotage de leur activité. Les représentations graphiques des résultats constituent plus que de simples illustrations ; elles représentent de véritables outils d’aide à la décision. Plus lisibles que les données chiffrées, elles peuvent être avantageusement utilisées lors de présentations aux équipes dirigeantes.

Certaines expériences ont placé au cœur de la politique d’amélioration des services. Les Library Summits7 consistent à réunir, à plusieurs occasions, tous les acteurs des bibliothèques (personnel, étudiants, enseignants, membres des conseils de l’université) afin de discuter des données produites par l’enquête LibQual et d’établir des propositions sur les points les plus faibles de l’établissement. Les propositions d’amélioration sont ensuite discutées en interne par les personnels de la bibliothèque, mises en place puis restituées et évaluées lors d’une dernière réunion.

L’analyse des résultats LibQual révèle souvent le besoin d’améliorations à long terme (aménagement d’espaces ou réorganisation de l’accueil des usagers).

Ces actions, coûteuses et lourdes en termes d’organisation, peuvent légitimement être intégrées au sein d’un contrat quadriennal. Dans ce cas, l’enquête LibQual, répétée régulièrement, sert aussi bien à déterminer les attentes des usagers, à dégager de nouveaux axes pour les futurs contrats qu’à évaluer l’impact des nouvelles actions.

Si LibQual ne peut intégrer les outils d’évaluation à vocation nationale, il complète, avantageusement, la boîte à outils de l’évaluateur aux côtés des normes ISO, de l’ESGBU, des enquêtes d’usagers et d’usages ou des focus group. La qualité et l’originalité des données produites en font une méthode qui n’a pas encore révélé tout son potentiel.

1 France. Cour des comptes, Rapport au Président de la République suivi des réponses des administrations, Paris, Journaux officiels, (Les éditions du

2 France. Inspection générale des bibliothèques, Rapport d’activité, Paris, Ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la

3 LibQual est une des rares enquêtes à bénéficier d’une présence internationale : 22 pays ont déjà administré le questionnaire, dont 11 pays

4 Pour une explication complète du protocole d’enquête, voir Wolf, Dominique, « LibQual+ en France : », BBF, 2008, n° 3, p. 39-47 [en ligne] <http://

5 « Only customers judge quality. All other judgements are essentially irrelevant » est l’un des slogans de LibQual.

6 Pour répondre à ce problème, l’ARL met en place un questionnaire allégé (LibQual Lite) à partir de janvier 2010. Voir sur ce point : http://www.

7 Sur le concept de Library Summit, voir Heath, Fred, LibQUAL+ and the Library Summit Concept. Présentation donnée le 3 février 2006, http://www.

Notes

1 France. Cour des comptes, Rapport au Président de la République suivi des réponses des administrations, Paris, Journaux officiels, (Les éditions du Journal officiel), 2006

2 France. Inspection générale des bibliothèques, Rapport d’activité, Paris, Ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, Inspection générale des bibliothèques, 2008, http://www.education.gouv.fr/cid236/les-rapports.html (consulté le 14 novembre 2009).

3 LibQual est une des rares enquêtes à bénéficier d’une présence internationale : 22 pays ont déjà administré le questionnaire, dont 11 pays européens. L’introduction de l’enquête en France date de 2004 (bibliothèque d’HEC) mais son réel déploiement fut organisé à partir de 2008 (cinq SCD). Une étape importante fut franchie en 2009 avec la participation de dix nouveaux établissements. L’administration d’un questionnaire quasiment identique permet de produire des données comparables pour une analyse aussi bien synchronique que diachronique au niveau national et/ou international.

4 Pour une explication complète du protocole d’enquête, voir Wolf, Dominique, « LibQual+ en France : », BBF, 2008, n° 3, p. 39-47 [en ligne] <http://bbf.enssib.fr/> Consulté le 12 novembre 2009.

5 « Only customers judge quality. All other judgements are essentially irrelevant » est l’un des slogans de LibQual.

6 Pour répondre à ce problème, l’ARL met en place un questionnaire allégé (LibQual Lite) à partir de janvier 2010. Voir sur ce point : http://www.libqual.org/About/LQLite/index.cfm

7 Sur le concept de Library Summit, voir Heath, Fred, LibQUAL+ and the Library Summit Concept. Présentation donnée le 3 février 2006, http://www.libqual.org/documents/admin/Heath_jan06.ppt (consulté le 15 novembre 2009).

Illustrations

Exemple d’illustration graphique LibQual

Exemple d’illustration graphique LibQual

Citer cet article

Référence papier

Nicolas Alarcon, « LibQual, chaînon manquant de l’évaluation ? », Arabesques, 57 | 2010, 16-17.

Référence électronique

Nicolas Alarcon, « LibQual, chaînon manquant de l’évaluation ? », Arabesques [En ligne], 57 | 2010, mis en ligne le 13 août 2020, consulté le 19 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=2066

Auteur

Nicolas Alarcon

Responsable de l’évaluation, est rédacteur du blog Assessment LibrarianUniversité d’Angerswww.univ.angers.fr SCD

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