Travailler mieux pour travailler… moins ?

DOI : 10.35562/arabesques.2104

p. 4-5

Texte

Il a été acté, dès les origines du projet Sudoc, que ce futur outil de catalogage et catalogue collectif fonctionnerait sous contrôle d’un fichier d’autorités, destiné à garantir et à faciliter la normalisation et la qualité de ses points d’accès auteurs et sujets. Mais, tandis que le catalogue Sudoc se constituait, d’abord à partir de catalogues collectifs universitaires existants, puis par l’apport convergent du catalogage courant exercé par les membres du réseau, de rétroconversion et de chargement de catalogues supplémentaires, un seul fichier d’autorités, celui fourni par la Bibliothèque nationale de France, a pu être utilisé pour établir un fichier de départ propre au Sudoc. Un programme informatique de reconnaissance de chaînes de caractères mis en œuvre entre notices bibliographiques et notices d’autorité a permis de restituer a posteriori, mais sur une partie seulement du catalogue initialement constitué et avec une certaine marge d’incertitude quant à la pertinence des résultats, des liens entre descriptions bibliographiques et notices d’autorité permettant un contrôle pérenne des premières par les secondes. Le Sudoc a pu ouvrir en production à partir de 1999 avec la problématique suivante, toujours en cours aujourd’hui : comment assurer et garantir la qualité des points d’accès du catalogue en catalogage courant, à la fois en tenant compte des spécificités de ce catalogue et en tirant bénéfice du travail qui est fait ailleurs et par d’autres (en récupérant des notices d’autorité comme on récupère des notices bibliographiques en provenance d’autres catalogues) ?

S’il paraît, en effet, évident de chercher à récupérer, dans un environnement de catalogage donné, le fruit du travail accompli par d’autres réseaux ou institutions sur leurs fichiers d’autorités respectifs, la théorie se heurte rapidement à des limites pratiques : l’essence même d’un fichier d’autorités est d’être un outil de contrôle adapté et dédié à un catalogue, c’est-à-dire à un fonds documentaire, à des règles et formats de description ainsi qu’à un environnement linguistique particuliers.

Le fichier d’autorités n’a pour vocation ni d’être objectif ni d’être exhaustif, ce qui le rend peu adapté à être réutilisé de manière automatisée dans un autre environnement. Il tente simplement de répondre, par son développement courant, aux questions et problèmes d’ambiguïtés posés par « son » catalogue : apport d’éléments distinctifs entre auteurs homonymes, nouvelle forme linguistique, abrégée, variante pseudonymique, de nom d’un auteur, attestée par un nouveau document entrant dans le catalogue, etc. ; tout en visant à permettre la restitution d’une information univoque et adaptée au(x) public(s) du catalogue.

La force des autorités n’est pas tant dans leur contenu que dans l’extension qu’elles constituent du catalogue pour lequel elles sont développées.

Schématiquement, une autorité est décrite en intention, de manière analytique plus ou moins formalisée, dans un enregistrement autonome que l’on dénomme notice d’autorité. Mais elle est décrite en extension par l’ensemble des liens qu’elle entretient avec les notices bibliographiques du catalogue qu’elle contrôle. C’est-à-dire qu’elle est définie par « absorption » d’information, à travers l’accumulation des données bibliographiques descriptives du catalogue. Catalogue dont il peut être par conséquent incohérent, pour sa compréhension, de la détacher. C’est bien en cela que les autorités ne décrivent jamais que des entités bibliographiques et non des entités du monde réel avec lesquelles il est fréquent d’être tenté de les confondre. La plupart des entités décrites dans le fichier d’autorités le sont très succinctement, parfois volontairement dès lors que cela n’apparaît pas nécessaire à la bonne qualité du catalogue à un instant donné, d’autres fois de manière embryonnaire, voire même insuffisante ou artificielle par manque d’informations.

Se pose donc la question toute relative de l’exhaustivité et de la qualité d’une notice d’autorité. Une « bonne » autorité est-elle simplement une autorité suffisante pour le catalogue qu’elle sert ? une autorité suffisante pour servir plusieurs catalogues (mais alors qui la gère) ? une autorité encyclopédique dont le contenu s’affranchit d’une problématique de catalogue(s) – mais est-elle alors encore une notice d’autorité ?

Car c’est là un trait commun à l’ensemble des fichiers d’autorité de par le monde aujourd’hui : outils destinés avant tout à faciliter la production d’un catalogue cohérent dans un contexte où le catalogage est de plus en plus souvent dénoncé comme étant une perte de temps, et d’argent, on ne connaît aucun fichier d’autorités, parmi les trop rares facilement accessibles sur le web aujourd’hui, dont la gestion viserait à en faire une base de connaissance à vocation encyclopédique ou s’affranchissant de ses origines.

Pourtant, avec l’avènement du web sémantique ou l’ouverture sur le monde, envisagée si ce n’est réalisée, des bases de données de toute nature, on croit déceler, dans les fichiers d’autorités, des vertus qu’ils possèdent en réalité très imparfaitement, en voyant en eux une fin là où ils n’ont été jusqu’à présent qu’un moyen. Si les autorités jouent un réel rôle de pivot au sein de leur catalogue (contrôle normatif dans la démarche de production de données par le professionnel, facilitation de l’accès aux données du catalogue par le biais des formes équivalentes pour l’utilisateur final), on perçoit, depuis pas mal de temps, la perplexité qui sous-tend les tentatives de mise en commun de fichiers d’autorités, qui sont gérés d’une manière totalement indépendante les uns des autres, même s’ils se copient mutuellement dans un bon esprit de normalisation internationale, s’ils s’abreuvent volontiers aux mêmes sources pour se documenter et s’appliquent à des catalogues qui se recouvrent partiellement.

Dans le sillage des FRBR, les efforts de modélisation des données d’autorité au niveau international (modèle FRAD : Functional Requirements for Authority Data) montrent bien, si besoin est, que l’intérêt existant pour les données d’autorité est largement partagé par tous ceux qui se penchent sur la manière de fédérer, de manière efficace, l’interrogation des catalogues et sont confrontés au nombre croissant d’auteurs (pour ne parler que d’eux) que rien ne permet d’identifier ou de distinguer avec certitude.

Il semble peu probable de tendre vers une gestion internationalisée de numéro identifiant des autorités personnes physiques à brève échéance.1 Quand bien même une solution verrait le jour, elle ne serait sans doute souhaitable que dans certaines limites, eu égard à la protection légitime de la vie privée des personnes. Et sous un simple aspect pratique, en mélangeant monde « bibliographique » et monde réel, elle ne résoudrait certainement pas en totalité des problématiques, aussi anciennes que les catalogues eux-mêmes, que sont notamment la gestion des pseudonymies et des homonymies.

Alors, si la solution, immédiate ou définitive, n’est pas dans la convergence vers un utopique fichier d’autorités unique (le projet de fichier d’autorités international virtuel VIAF : Virtual International Authority File étant dans cet esprit, évidemment, à suivre avec un grand intérêt) ou dans la numérotation normalisée et systématique des auteurs, elle peut résider à une échelle plus modeste dans la volonté de ne pas multiplier indéfiniment les fichiers d’autorités au rythme de l’apparition de nouveaux catalogues. En ce sens, l’ABES assoit progressivement le fichier d’autorités du Sudoc comme fichier d’autorités des catalogues de l’enseignement supérieur gérés par l’ABES, en faisant en sorte d’articuler les récentes applications CALAMES et STAR sur ce fichier. Et au‑delà, des pistes sont ouvertes vers d’autres bases de données documentaires candidates à l’utilisation et l’alimentation communes d’un fichier d’autorités unique – plateformes de ressources pédagogiques, archives ouvertes...

Ce n’est pas sans lancer des défis d’importance. D’une période de mise en place d’une production cohérente par chacun, il faut atteindre une phase de gestion concertée pour tous, indispensable à la réalisation de tels projets...

Cela doit se faire progressivement et ne pourra pas se réaliser sans des évolutions techniques et un investissement humain conséquents qui prendront en compte les nouvelles dimensions de ces autorités.

1 Voir à ce sujet le document IFLA en date du 15.9.2008. A Review of the Feasibility of an International Standard Authority Data Number (ISADN)

Notes

1 Voir à ce sujet le document IFLA en date du 15.9.2008. A Review of the Feasibility of an International Standard Authority Data Number (ISADN)

Citer cet article

Référence papier

Olivier Rousseaux, « Travailler mieux pour travailler… moins ? », Arabesques, 54 | 2009, 4-5.

Référence électronique

Olivier Rousseaux, « Travailler mieux pour travailler… moins ? », Arabesques [En ligne], 54 | 2009, mis en ligne le 20 août 2020, consulté le 28 mars 2024. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=2104

Auteur

Olivier Rousseaux

rousseaux@abes.fr

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