La Bibliothèque Humaniste de Sélestat, de la conservation à la diffusion auprès du plus grand nombre

DOI : 10.35562/arabesques.2210

p. 18-19

Plan

Texte

Rouverte en juin 2018 dans un nouveau bâtiment, la Bibliothèque Humaniste de Sélestat a entièrement repensé sa muséographie en y intégrant des dispositifs numériques offrant une médiation renouvelée entre le patrimoine écrit et les visiteurs.

La Bibliothèque Humaniste (B.H.) de Sélestat est, à plus d’un titre, une institution atypique parmi les bibliothèques françaises. Elle assure en effet la conservation d’un patrimoine écrit considérable pour une ville de 20 000 habitants, composé de la bibliothèque paroissiale, fondée en 1452, et de la collection privée du savant et ami d’Erasme de Rotterdam, Beatus Rhenanus (1485-1547), inscrite en mai 2011 au registre de la Mémoire du monde de l’UNESCO1. Ces ensembles, qui ne proviennent pas des confiscations révolutionnaires, ont fait l’objet d’une mise en valeur ancienne, dès 1841, qui a contribué progressivement à l’attractivité touristique de la ville. Conscients de la valeur de cet héritage, les élus sélestadiens ont tenu, après de longues réflexions, à mener un vaste projet de revalorisation de la B.H., que ses visiteurs et usagers peuvent à nouveau visiter depuis sa réouverture en juin 20182. La B.H. bénéficiait depuis une vingtaine d’années d’un contexte favorable marqué notamment par une redéfinition de ses missions. Depuis l’ouverture d’une médiathèque intercommunale en juin 1997, la bibliothèque municipale de Sélestat n’exerçait plus ses missions liées à la lecture publique et pouvait ainsi se concentrer sur la conservation et la mise en valeur du patrimoine écrit sélestadien3. Le départ des archives historiques (du XIIIe siècle à 1945), lié à la création d’un service d’archives municipales à part entière, contribua aussi à la redéfinition des missions de la bibliothèque. Afin de mettre en valeur ses trésors, la B.H. développa les expositions temporaires, les animations et son service éducatif en complément de l’exposition permanente conçue après l’installation de la bibliothèque dans l’ancienne Halle aux Blés de la cité sélestadienne en 1889.

280 000 pages du patrimoine écrit sélestadien numérisées

Au-delà des objectifs liés à la conservation et à la diffusion des volumes concernés4, le projet de numérisation, mené de 2008 à 2013 avec le soutien financier de l’État via le ministère de la Culture, permit de constituer un précieux réservoir de près de 280 000 pages de documents issus de divers segments de collections (fonds précieux, alsatiques, atlas anciens). Inscrit dans le projet de revalorisation, ce programme avait aussi vocation à alimenter la nouvelle muséographie, la nécessaire médiation portant sur ces collections, ainsi que la confection de supports de communication.

Livre des miracles de sainte Foy (manuscrit sur parchemin, XIe-XIIIe s. ; B.H.S., MS.22).

Livre des miracles de sainte Foy
            (manuscrit sur parchemin, XIe-XIIIe s. ; B.H.S., MS.22).

Crédit Bibliothèque Humaniste de Sélestat

Une nouvelle muséographie intégrant les dernières évolutions du numérique

En 2014, la Ville de Sélestat sélectionna le projet architectural conçu par Rudy Ricciotti, qui répondait au mieux aux attentes formulées au sujet de la conservation et de la mise en valeur du patrimoine écrit sélestadien. Les 2 500 m2 du nouvel équipement englobent en particulier l’exposition permanente de 350 m2 consacrée à la vie et à l’œuvre du savant Beatus Rhenanus, replacée dans son contexte de renouveau des savoirs et de l’histoire du livre à la Renaissance. L’ancienne présentation des collections de la B.H. ne répondant plus aux attentes de ses visiteurs du point de vue de la place croissante du numérique dans les modes d’appropriation et les usages de la culture, il était incontournable que la nouvelle muséographie, élaborée par l’atelier Kiko en lien avec l’assistance à maîtrise d’ouvrage confiée au cabinet Metapraxis5, intégrât les dernières évolutions que pouvait apporter le numérique en s’appuyant sur la numérisation des collections menée jusque-là. Elle devait permettre de proposer un autre type de médiation en complément de celle, plus classique, menée sous la forme des visites guidées ou des accueils de classe dans le cadre du service éducatif ou celle mise en œuvre, en première instance, par les dispositifs textuels courants (panneaux textes, cartels). Il importait tout d’abord d’interroger les attentes pouvant être formulées à l’égard de ces outils de médiation6. Les dispositifs numériques ne devaient pas constituer une fin en soi mais s’intégrer dans le propos d’ensemble de la nouvelle muséographie visant à rendre intelligible ce qui ne l’est pas de manière immédiate, à plus forte raison s’agissant le plus souvent de textes en latin. Le leitmotiv de la scénographie fut celui de « donner à voir ce qui est à lire », en conciliant la conservation et la mise en valeur du patrimoine écrit, tout en offrant des dispositifs de médiation permettant au visiteur de dépasser la simple contemplation des trésors du patrimoine écrit sélestadien. Les dispositifs numériques devaient permettre de diffuser des contenus, de proposer des expériences et de raconter des histoires de manière didactique mais aussi ludique, en s’interrogeant sur la manière dont les publics allaient s’approprier ces dispositifs, ainsi que sur leur articulation avec le reste du propos muséographique. Il fallait également anticiper les contraintes, non négligeables, liées à la maintenance des matériels et des logiciels qu’implique ce type de supports de médiation. Enfin, les outils mis au service de la médiation numérique devaient esthétiquement trouver leur place dans le mobilier contemporain conçu pour la muséographie afin de ne pas en rompre l’harmonie visuelle.

Vue du dispositif numérique invitant les visiteurs à réaliser la copie d’un passage du Livre des miracles de sainte Foy (manuscrit sur parchemin, XIe-XIIIe s. ; B.H.S., MS.22).

Vue du dispositif numérique invitant
            les visiteurs à réaliser la copie d’un passage du Livre des
            miracles de sainte Foy (manuscrit sur parchemin, XIe-XIIIe s. ;
            B.H.S., MS.22).

Cliché Ville de Sélestat - Laurent NAAS

Les manuscrits du trésor accessibles via une table numérique géante

Le budget du volet numérique de la muséographie (150 000 € TTC sur un budget global de 1,5 million d’euros dévolus à l’ensemble de la nouvelle présentation des collections) a permis, en lien avec le cabinet Mosquito, la mise en œuvre de ces outils numériques. Le plus remarquable d’entre eux est une table numérique de près de 3,80 m de long et composée de trois grands écrans interactifs. Ce dispositif en contact direct avec le Trésor, réserve visible dans laquelle sont conservées les collections les plus précieuses (manuscrits du VIIe au XVIe siècle et imprimés des XVe et XVIe siècles), permet de feuilleter quelques doubles-pages numérisées et accompagnées de petits textes de médiation trilingues (français, allemand et anglais) se présentant sous la forme de pop-ups et destinés à éclairer tel ou tel détail d’un document patrimonial (provenance, originalité matérielle, détail d’un texte). D’autres outils numériques ont pour objectif de faire (re)découvrir des techniques anciennes de confection des manuscrits médiévaux (avec la copie, par les visiteurs, du texte du MS.22, le Livre des miracles de sainte Foy) ou des premiers imprimés (grâce au maniement d’une casse virtuelle et à la composition d’un texte bref en vue de son impression). Deux autres dispositifs contribuent à éclairer des aspects de la vie et de l’œuvre du savant Beatus Rhenanus. Le premier s’appuie sur des gravures du XVIe siècle afin d’expliquer le cursus des études à la Renaissance. Le second donne un petit aperçu de la correspondance de Rhenanus (dont 265 lettres originales sont encore conservées dans les collections de la B.H.) dans le contexte de l’essor de la République des lettres. Une carte interactive donne à voir une partie du réseau des correspondants du savant et débouche sur la lecture de brefs extraits traduits en français, allemand et anglais lus par des comédiens. Ce dispositif permet tout particulièrement de rendre vivante et accessible une matière première qui pourrait sembler aride de prime abord. Un dernier outil numérique, plus ludique et destiné avant tout aux enfants, est constitué d’un simple banc de repos comportant des lutrins et des plaquettes de bois imprimées de gravures, tels des disques, qui permettent d’accéder via des antennes RFID invisibles à de multiples descriptions audio issues de la Cosmographie universelle de Sébastien Münster, véritable best-seller du milieu du XVIe siècle. Les outils numériques mis en œuvre dans le cadre de la nouvelle muséographie de la Bibliothèque Humaniste ont largement profité des acquis de la première tranche du projet de numérisation des collections précieuses menée de 2008 à 2013. Au-delà des outils de médiation plus traditionnels, ces dispositifs numériques rendent possible une médiation renouvelée entre le patrimoine écrit et les visiteurs de la B.H. La dématérialisation des ouvrages les plus précieux intégrés à la nouvelle muséographie permet une véritable plongée dans la matérialité la plus concrète de ces trésors tout en bénéficiant d’une médiation permettant aux visiteurs d’en tirer le meilleur profit.

À savoir

La Bibliothèque Humaniste de Sélestat rassemble un fonds exceptionnel de 464 manuscrits anciens, 530 incunables, près de 2 600 imprimés du XVIe siècle, 3 000 ouvrages des XVIIe et XVIIIe siècles, 13 000 ouvrages du XIXe siècle, 2 000 alsatiques allant du XVe au XXe siècle et plus de 20 000 ouvrages généraux du XXe siècle. La bibliothèque numérique rassemble 156 volumes de manuscrits qui ont totalisé 66 824 vues, 265 pièces de la correspondance de Beatus Rhenanus (1 043 vues), 380 imprimés des XVe et XVIe siècles (177 369 vues), ainsi que 161 Alsatiques et ouvrages modernes (33 405 vues), soit un ensemble de 697 volumes et 265 lettres qui totalisent 278 641 vues.

1 Sur les collections de la B.H., voir MEYER (Hubert), « Bibliothèque Humaniste », dans Patrimoine des bibliothèques de France. Un guide

2 Sur les grandes lignes du projet de revalorisation, voir NAAS (Laurent), « Une bibliothèque en cours de métamorphose : vers la

3 NAAS (Laurent) et SONNEFRAUD (Claire), « La Bibliothèque Humaniste de Sélestat : une bibliothèque aux missions atypiques », dans B.

4 Voir CLAERR (Thierry) et WESTEEL (Isabelle) (dir.), Manuel de la numérisation, Paris, Electre – Editions du Cercle de la

5 NAAS (Laurent) et VIGNIER (Gilles), « Exposer le patrimoine écrit. Le projet muséographique de la Bibliothèque Humaniste de

6 Notamment à l’aune de cette étude : SCHMITT (Daniel) et MEYERCHEMENSKA (Muriel), « 20 ans de numérique dans les musées : entre

Notes

1 Sur les collections de la B.H., voir MEYER (Hubert), « Bibliothèque Humaniste », dans Patrimoine des bibliothèques de France. Un guide des régions, t. IV : Alsace, Franche-Comté, [Paris], Payot, 1995, p. 110-119 et NAAS (Laurent), « La Bibliothèque Humaniste de Sélestat, entre le Moyen Age et la Renaissance », dans Arts et Métiers du Livre, 297 (juin 2013), p. 20-35.

2 Sur les grandes lignes du projet de revalorisation, voir NAAS (Laurent), « Une bibliothèque en cours de métamorphose : vers la Nouvelle Bibliothèque Humaniste », dans Gutenberg Jahrbuch, 90 (2015), p. 183-202.

3 NAAS (Laurent) et SONNEFRAUD (Claire), « La Bibliothèque Humaniste de Sélestat : une bibliothèque aux missions atypiques », dans B.B.F., (2011-4), p. 38-42.

4 Voir CLAERR (Thierry) et WESTEEL (Isabelle) (dir.), Manuel de la numérisation, Paris, Electre – Editions du Cercle de la Librairie, « Collection Bibliothèques », 2011.

5 NAAS (Laurent) et VIGNIER (Gilles), « Exposer le patrimoine écrit. Le projet muséographique de la Bibliothèque Humaniste de Sélestat », dans B.B.F., 16 (novembre 2018), p. 136-145.

6 Notamment à l’aune de cette étude : SCHMITT (Daniel) et MEYERCHEMENSKA (Muriel), « 20 ans de numérique dans les musées : entre monstration et effacement », dans La Lettre de l’OCIM [En ligne], 162 (2015), mis en ligne le 18 janvier 2016, consulté le 14 août 2020 (http://journals.openedition.org/ocim/1605).

Illustrations

Livre des miracles de sainte Foy             (manuscrit sur parchemin, XIe-XIIIe s. ; B.H.S., MS.22).

Livre des miracles de sainte Foy (manuscrit sur parchemin, XIe-XIIIe s. ; B.H.S., MS.22).

Crédit Bibliothèque Humaniste de Sélestat

Vue du dispositif numérique invitant             les visiteurs à réaliser la copie d’un passage du Livre des             miracles de sainte Foy (manuscrit sur parchemin, XIe-XIIIe s. ;             B.H.S., MS.22).

Vue du dispositif numérique invitant les visiteurs à réaliser la copie d’un passage du Livre des miracles de sainte Foy (manuscrit sur parchemin, XIe-XIIIe s. ; B.H.S., MS.22).

Cliché Ville de Sélestat - Laurent NAAS

Citer cet article

Référence papier

Laurent Naas, « La Bibliothèque Humaniste de Sélestat, de la conservation à la diffusion auprès du plus grand nombre », Arabesques, 99 | 2020, 18-19.

Référence électronique

Laurent Naas, « La Bibliothèque Humaniste de Sélestat, de la conservation à la diffusion auprès du plus grand nombre », Arabesques [En ligne], 99 | 2020, mis en ligne le 07 octobre 2020, consulté le 29 mars 2024. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=2210

Auteur

Laurent Naas

Responsable scientifique de la Bibliothèque Humaniste de Sélestat

laurent.naas@ville-selestat.fr

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