Suisse : des réseaux multiples fédérés dans le cloud

DOI : 10.35562/arabesques.2641

p. 12-13

Plan

Texte

Dans un pays où se côtoient 4 langues nationales et 26 cantons autonomes, les outils cloud ont permis d’unifier les multiples réseaux et portails nés au fil du temps, notamment pour les ressources électroniques.

La bibliothéconomie suisse a connu durant la seconde décennie du 21ème siècle de profonds changements. Le premier catalogue en ligne a été créé par la Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne (BCUL) pour l’ouverture de son site central sur le nouveau campus de Dorigny en 1971. C’est sur ce catalogue reposant sur le logiciel Sibil (Système intégré pour les bibliothèques lausannoises) entièrement développé par la BCU Lausanne que se construira ensuite le réseau Rebus (Réseau des bibliothèques utilisant Sibil) en décembre 1982, puis le réseau romand des bibliothèques Rero (Réseau des bibliothèques de Suisse occidentale) en 1985, qui migra dès 1997 sur le logiciel commercial Virtua et VTLS/Virtua depuis 2002.

Parallèlement, les bibliothèques universitaires germanophones créèrent leur propre réseau en 1983, d’abord sur le logiciel Ethics de l’ETHZ (École polytechnique fédérale de Zurich), porté sur le logiciel commercial Aleph 500 d’ExLibris en 1998/1999. La Bibliothèque nationale suisse (BN) fut informatisée, quant à elle, sur sa propre installation de Virtua de VTLS en 1993. S’en suivirent quelque 20 ans apparemment calmes durant lesquels les réseaux germanophones IDS/Nebis, Rero et la BN se développèrent chacun de son côté.

D’autres réseaux cantonaux de portée moins grande se développèrent d’un côté et de l’autre de la Sarine, entre autres le réseau BGR des bibliothèques du canton des Grisons dès 2004 (23 bibliothèques), le réseau Baselbieter Bibliotheksverbund (9 bibliothèques) ainsi que le Verein Bibliotheken Nordwestschweiz (19 bibliothèques) à Bâle-Campagne dès 2009, ou encore le réseau développé autour de la Kornausbibliothek à Berne dès 2010 (21 bibliothèques). Enfin, mentionnons la création du réseau Alexandria des bibliothèques de la Confédération dès 1996.

À l’orée des années 2000, une subvention fédérale des Hautes Écoles (HE) permit de développer le métacatalogue SwissBib, un outil qui permit la découverte des fonds non seulement des grandes bibliothèques universitaires, mais également de beaucoup de bibliothèques communales et cantonales absentes des trois grands réseaux académiques suisses et des quelques autres réseaux cantonaux.

Rendre visibles les ressources électroniques

Dès le début des années 2000, les mêmes subventions fédérales permirent aux bibliothèques universitaires de se lancer dans l’acquisition massive de ressources électroniques. Dans l’incapacité de faire apparaître les titres de ces bouquets de ressources dans des outils développés pour le catalogage et le prêt de monographies, les bibliothèques universitaires développèrent tout d’abord des portails de ressources électroniques. La multiplication de ces portails exigeait des utilisateurs qu’ils effectuent des recherches sur plusieurs catalogues d’une même bibliothèque. Les établissements firent rapidement pression sur les réseaux afin qu’ils fournissent de nouveaux outils cloud permettant l’import et la mise en valeur aisée des ressources électroniques, rapidement devenues cruciales pour leurs chercheurs. L’exercice s’avéra extrêmement complexe et douloureux dans un pays multilingue où, de plus, le principal flux financier se trouve au niveau de cantons aux tailles et aux moyens économiques très disparates. Entre 2000 et 2014, plusieurs projets de réformes de gouvernance et d’évaluations communes de nouveaux outils furent envisagés, au sein des réseaux et entre réseaux, puis abandonnés. En désespoir de cause, l’un des grands partenaires et financeurs de Rero, le canton de Vaud, annonça qu’il quitterait le réseau fin 2016 au vu de l’incapacité de Rero à se réformer pour investir dans une nouvelle technologie.

L’annonce du départ du canton de Vaud de Rero ébranla la planète bibliothéconomique suisse dans ses fondements. La BCU Lausanne fut chargée de reprendre la gestion de la centaine de bibliothèques vaudoises à leur sortie de Rero et d’implémenter les nouvelles technologies cloud pour cet ensemble à fin 2016. Ce départ libérait aussi la possibilité de revoir la structure des réseaux au niveau national. De 2011 à 2014, la Conférence des bibliothèques universitaires suisses (CBU) avait mené, avec des participants des directions d’IDS/Nebis, Rero et de la BN, le projet Gemeval (Gemeinsame Evaluation eines neuen Bibliothekssystem). Gemeval avait abouti à une esquisse de cahier des charges pour procéder à un appel d’offres public en vue de l’acquisition commune d’un logiciel cloud pour ces trois périmètres. En fin de compte, un appel d’offres commun a été abandonné en raison de la disparité des organes décisionnels qu’il aurait impliqué.

La BCU Lausanne reprit l’esquisse de cahier des charges GEMEVAL et le compléta pour lancer l’appel d’offres public pour le réseau dont elle allait être en charge à fin 2016, dénommé Renouvaud. ExLibris remporta cet appel d’offres public avec les outils Alma/Primo sur lesquels les 110 bibliothèques du réseau Renouvaud furent lancées avec succès le 22 août 2016.

La BN suivit avec son propre appel d’offres en 2016, et choisit les mêmes outils cloud.

Un projet de réseau national

Les tenants d’IDS/Nebis reprirent l’idée d’un réseau national et lancèrent fin 2014 SLSP (Swiss Library Service Platform) en tant que projet de 15 Hautes Écoles. La principale difficulté était de trouver une structure capable de porter un appel d’offres public pour l’ensemble des partenaires. Dans ce but, la SLSP SA fut créée le 30 mai 2017, avec les 15 institutions fondatrices comme actionnaires. La SLSP SA aboutit avec son appel d’offres le 3 janvier 2018 et passa sur les mêmes outils Alma/Primo d’Exlibris en live au 7 décembre 2020. Elle regroupe actuellement 470 bibliothèques suisses.

Depuis début 2021, l’ensemble des bibliothèques anciennement sur IDS/Nebis, la BN et les bibliothèques du réseau vaudois Renouvaud travaillent donc toutes sur les mêmes outils cloud. Depuis 2019, des amorces de collaborations sont discutées, au vu du fait qu’elles se partagent toutes le même prestataire et les mêmes outils. Les partenaires académiques de Rero ont quitté fin 2020 le réseau pour rejoindre SLSP SA. Rero continue d’offrir des services à une cinquantaine de bibliothèques non universitaires, sur la base d’une nouvelle gouvernance et au moyen de l’outil Rero ILS développé par le réseau sur la base d’Invenio.

La BCU de Lausanne (ici le site HEP Vaud) a été chargée de reprendre la gestion des bibliothèques vaudoises sorties du réseau Rero.

La BCU de Lausanne (ici le site HEP
            Vaud) a été chargée de reprendre la gestion des bibliothèques
            vaudoises sorties du réseau Rero.

© BCU Lausanne

90 % du catalogage automatisés en 2021

Bien que ne faisant pas partie de l’Union européenne, la Suisse est souvent décrite comme un laboratoire de l’Europe. En matière de bibliothéconomie, c’est certainement le cas, et la Suisse rencontre toutes les difficultés que rencontrerait un projet paneuropéen en la matière. En effet, sur son territoire pourtant exigu se bousculent 4 langues nationales et 26 cantons farouchement autonomes du point de vue financier et culturel.

L’ensemble des bibliothèques académiques suisses utilise actuellement pour le catalogage le format MARC21 mais les règles de catalogage ont toujours divergé dans le détail entre IDS/Nebis, Rero et la BN. S’il a été relativement simple d’émettre des règles de catalogage pour le réseau Renouvaud, ainsi que pour la BN, la question est moins évidente pour les bibliothèques participant à la SLSP SA. Les outils de conversion de formats et d’assistance à l’enrichissement des métadonnées sont donc les bienvenus. Au bénéfice des outils cloud depuis 5 ans, Renouvaud a ainsi développé un arsenal d’outils d’aide au catalogage, notamment dans le cadre de l’intégration de nouvelles bibliothèques. Ceci permet déjà l’import d’environ 90 % de notices automatiquement adaptées aux normes en vigueur dans le réseau. En 2021, la BCUL mène un projet devant permettre d’automatiser 90 % du catalogage courant et d’enrichir automatiquement les notices importées.

La question de l’indexation suscite beaucoup de discussions et était déjà fort débattue au sein de Rero (qui indexe en Rameau sans pré-coordination). Renouvaud opta en 2016 pour une indexation en Rameau pur. Afin de pouvoir bénéficier de cette indexation relativement complexe pour un maximum d’ouvrages, Renouvaud a mis en œuvre dès octobre 2016 l’outil d’assistance Platex permettant une indexation semi-automatique. Les bibliothèques qui ont rejoint SLSP, quant à elles, n’ont pas changé leurs vocabulaires d’indexation suite au passage à Alma et continuent donc à indexer comme elles le faisaient auparavant.

Au vu de la proportion croissante de ressources électroniques dans les catalogues des bibliothèques universitaires, le mouvement vers l’import et l’enrichissement automatique des notices ainsi que vers l’automatisation de l’indexation va certainement gagner en importance dans les années à venir.

Illustrations

La BCU de Lausanne (ici le site HEP             Vaud) a été chargée de reprendre la gestion des bibliothèques             vaudoises sorties du réseau Rero.

La BCU de Lausanne (ici le site HEP Vaud) a été chargée de reprendre la gestion des bibliothèques vaudoises sorties du réseau Rero.

Citer cet article

Référence papier

Jeannette Frey, « Suisse : des réseaux multiples fédérés dans le cloud », Arabesques, 102 | 2021, 12-13.

Référence électronique

Jeannette Frey, « Suisse : des réseaux multiples fédérés dans le cloud », Arabesques [En ligne], 102 | 2021, mis en ligne le 13 juillet 2021, consulté le 29 mars 2024. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=2641

Auteur

Jeannette Frey

Directrice de la Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne, présidente de Liber

jeannette.frey@bcu.unil.ch

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