Formats et modèles

Vingt ans après : LRM, le cinquième mousquetaire

DOI : 10.35562/arabesques.293

p. 18-19

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Le modèle FRBR a vingt ans. Dix de plus que ses compléments, FRAD et FRSAD, centrés sur les données d’autorité. Voici les trois modèles désormais fondus en un seul : IFLA Library Reference Model, ou LRM.

La rédaction de FRBR, FRAD et FRSAD s’est échelonnée sur une quinzaine d’années, au cours desquelles l’Internet déferlait sur le monde. Né trop tôt pour en tenir compte, le modèle FRBR se nourrit encore des Principes de Paris (1961). Le cadre général qu’il pose s’avérera pourtant suffisamment solide pour que les modèles suivants, LRM compris, le reprennent sans écarts conceptuels : un cœur bibliographique réparti en quatre entités, œuvre, expression, manifestation et item (les « WEMI » ou « groupe 1 »), sur lequel des agents (personnes et collectivités ou « groupe 2 ») exercent des responsabilités de création, transformation, publication, possession… S’y ajoute la relation de sujet, qui associe n’importe laquelle de ces six entités plus quatre autres (objet, concept, lieu et événement ou « groupe 3 ») à l’entité œuvre et à elle seule. Chaque entité est dotée d’un certain nombre d’attributs caractéristiques, qui pourraient être autant de zones d’une notice MARC qui en décrirait une instance. Enfin l’architecture du modèle répond aux quatre types d’opération (user tasks) : trouver, sélectionner, identifier, obtenir, que toute utilisation d’un catalogue est censée mettre en œuvre en tout ou partie.

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Source : Gallica - BnF

Extension du domaine de la modélisation

FRBRoo, ou FRBR orienté objet. Publié en 2009, FRBRoo1 est une formalisation de FRBR (puis de FRAD et FRSAD) en ontologie, par le biais d’une harmonisation avec CIDOC CRM, modèle créé pour les objets de musée. FRBRoo en est une extension, et se présente comme « une ontologie ou modèle conceptuel de haut niveau pour les données bibliographiques ». Le formalisme de FRBRoo est très éloigné de celui de FRBR. En revanche, son analyse rejoint celle du modèle d’origine, moyennant quelques différences notables. Ainsi, le temps y est envisagé de manière dynamique, sous forme de laps de temps, aussi court soit-il, par opposition à la notion FRBR, fixe, de date. La manifestation selon FRBR est un avatar de l’expression d’une œuvre, tandis que, pour FRBRoo, le processus de publication est considéré comme un travail de création : FRBRoo reconnaît une œuvre de publication, dont l’expression est un équivalent « en relief » de la manifestation de FRBR. C’est une vision plus juste de la réalité, qui permet de modéliser de façon précise les agrégats (manifestations réunissant les expressions de plusieurs œuvres).

Parallèlement, FRAD et FRSAD étendent et affinent FRBR. Mais approfondir la modélisation des données « d’autorité » et de la relation de sujet oblige à des points de vue particuliers, d’où quelques incohérences avec le modèle original, de même qu’entre FRAD et FRSAD. Il y avait donc lieu de fondre les trois modèles en un tout et d’adopter un formalisme unique (car si FRBR reste un modèle « entité-association » basique, FRSAD louche un peu du côté de l’ontologie).

LRM : la tentation de FRBROO

IFLA LRM est une mise en cohérence de FRBR, FRAD et FRSAD dans un formalisme d’ontologie. L’influence de FRBRoo y est sensible : LRM se veut « un modèle conceptuel de référence de haut niveau développé dans un cadre de modélisation entité-association enrichi », voilà qui rappelle la façon dont FRBRoo se présente (cf. supra). Son nom même fait écho à celui du CIDOC CRM. Les entités y sont organisées en classes et sous-classes comme dans FRBRoo et non plus en trois groupes comme dans FRBR— ce qui abolit la notion d’autorité. L’entité res (« chose » en latin), définie comme « toute entité de l’univers du discours », est déclarée comme la superclasse de toutes les autres, qui héritent donc de ses propriétés.

De même est établie une relation générique est associé à, dont toutes les autres sont des spécialisations.

Entités. Il y en a moins que dans les modèles précédents cumulés (11 au lieu de 18). Sous l’influence de FRBRoo, les entités lieu et laps de temps (qui remplace événement de FRBR) peuvent être associées à res (donc à n’importe quelle entité) et ne sont plus exclusivement sujet. En conséquence, les attributs FRBR formés sur un lieu ou une date sont remplacés chacun par une relation entre l’entité concernée et l’une ou l’autre de ces deux entités.

Les WEMI voient leurs définitions retouchées (œuvre et manifestation dans un sens plus abstrait), tandis qu’il devient possible, pour une œuvre donnée, d’en déterminer une « expression représentative » dont certains attributs peuvent être enregistrés au niveau de l’œuvre (exemple : la langue originale d’une œuvre textuelle). L’œuvre et l’expression de publication de FRBRoo n’ont malheureusement pas été reportées dans LRM. L’agent (entité générique) est défini comme « capable d’actions délibérées, qui peut bénéficier de droits et être tenu pour responsable de ses actions », alors que pour FRAD, personne et collectivité comprennent les identités d’emprunt, les personnages ou groupes de personnes fictifs. Ce glissement, influence directe de FRBRoo, constitue un changement de point de vue notable.

Les relations dans LRM, vue d’ensemble

Les relations dans LRM, vue d’ensemble

Source : IFLA Library Reference Model, IFLA, 2017, page 84.

Attributs. Là où ils ont pu être remplacés par des associations entre entités, ou lorsqu’ils semblaient relever davantage d’applications du modèle que du modèle lui-même, ils ont disparu, parfois au profit d’attributs génériques tels que mention de manifestation : cet attribut de l’entité manifestation prend en charge l’intégralité des métadonnées qui sont transcrites de la ressource elle-même. Aux règles de catalogage de les détailler autant que nécessaire.

Relations. Elles sont moins nombreuses et généralement plus abstraites que dans les modèles précédents.

Les relations fondamentales (entre WEMI) et les relations d’agent changent assez peu. La relation de sujet est établie uniquement entre res et œuvre, ce qui revient à dire que toute entité du modèle peut être sujet d’une œuvre.

La relation d’appellation, reprise de FRSAD, est peut-être la plus troublante pour qui ne connaissait que le modèle FRBR. Dans FRBR, les noms que peut prendre une instance de telle ou telle entité sont des attributs de ladite entité. Dans LRM, toute forme particulière de nom liée à une entité est une instance d’une autre entité, nomen, associée à la première par la relation a pour appellation/est une appellation de. Chaque forme de nom peut ainsi être dotée d’attributs : la chaîne de caractères qui la compose, son type (identifiant point d’accès normalisé, variante de nom…), sa langue, son écriture, son contexte d’utilisation, sa source… et être mise en relation avec d’autres entités (l’agent qui a assigné cette forme particulière du nom, par exemple).

Les opérations des utilisateurs (« user tasks »). Comme FRBR, LRM s’appuie sur les besoins supposés des utilisateurs de l’information bibliographique, mais réduit à cinq les sept « user tasks » identifiées conjointement dans FRBR, FRAD et FRSAD : il garde ceux de FRBR – trouver, identifier, sélectionner, obtenir – définis d’une manière plus synthétique, et y ajoute explorer, fusion d’explorer (FRSAD) et de contextualiser (FRAD).

Libre aux applications de raffiner !

LRM se présente comme un modèle « de haut niveau », c’est-à-dire qu’il se tient à un certain degré de généralité. Il revient à ses applications d’en raffiner les concepts en tant que de besoin, en créant des sous-classes des entités existantes, des relations spécifiques à partir de celles définies dans le modèle, ou de nouveaux attributs aux entités. Ou encore, sans défi de nouvelles entités, en se contentant d’utiliser l’attribut catégorie de res, qui permet de créer en quelque sorte des entités virtuelles. À l’inverse, une application de LRM est libre de n’utiliser qu’une partie des entités, des attributs ou des relations, à condition « qu’elle respecte la structure fondamentale des entités et des relations définies entre elles (…), ainsi que le rattachement des attributs aux entités pertinentes. »

Et RDA ?

Dès novembre 2016, le RSC a pris la décision de réviser en profondeur RDA afin de l’aligner sur LRM. Ce travail est en cours. La publication d’une nouvelle édition de RDA, dans un RDA Toolkit lui-même rénové, est annoncée pour juin 2018. Ce sera l’épreuve de vérité : est-ce que de la chrysalide éclora enfin un standard vraiment nouveau ?

1 Voir : Definition of FRBRoo: a conceptual model for bibliographic information in object-oriented formalism, version 2.4, IFLA, 2016. En ligne :

Notes

1 Voir : Definition of FRBRoo: a conceptual model for bibliographic information in object-oriented formalism, version 2.4, IFLA, 2016. En ligne : https://www.ifla.org/publications/node/11240

Illustrations

Source : Gallica - BnF

Les relations dans LRM, vue d’ensemble

Les relations dans LRM, vue d’ensemble

Source : IFLA Library Reference Model, IFLA, 2017, page 84.

References

Bibliographical reference

Philippe Le Pape, « Vingt ans après : LRM, le cinquième mousquetaire », Arabesques, 87 | 2017, 18-19.

Electronic reference

Philippe Le Pape, « Vingt ans après : LRM, le cinquième mousquetaire », Arabesques [Online], 87 | 2017, Online since 01 décembre 2019, connection on 29 mars 2024. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=293

Author

Philippe Le Pape

Chargé de mission Normalisation, Abes

plp@abes.fr

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