Portrait : Philippe Le Pape

DOI : 10.35562/arabesques.388

p. 28

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Parlez-nous de vos fonctions actuelles…

Je vous trouve bien effrontées, chères Arabesques.

Quelles sont les étapes qui vous semblent les plus importantes dans votre parcours professionnel ?

Je suis devenu bibliothécaire par hasard, sans intention. Je passais le concours d’admission à ce qui s’appelait alors l’ENSB en plus de mes tentatives de décrocher un CAPES ou une agrégation. Ça ne comptait pas vraiment. J’étais secrétaire administratif stagiaire au ministère des Affaires étrangères à Paris quand j’ai appris que j’étais reçu. Séance tenante mon chef de bureau nous a conviés, quelques collègues et moi, à la cantine du ministère où nous avons fini la journée au champagne. Les cantines que j’ai connues ensuite, même celles de prestigieuses bibliothèques nationales, sont à celle-ci ce qu’un distributeur automatique de boissons est au Café Gambrinus à Naples.

À l’ENSB il y avait des cours de catalogage, dispensés par une dame gentille en souliers tristes, vêtue de gris, beige, bleu marine, portant des lunettes et un chignon en forme de bigorneau. Je ne travaillais pas. Aux examens je copiais sur Aline Girard. Pour l’épreuve de bibliographie, j’ai été aidé par des collègues ivoiriens que mon nom enchantait et faisait rire, d’un rire amical et tonitruant.

Je suis passé par toutes sortes de bibliothèques : BN, bibliothèque pour enfants, sections « adultes », bibliothèques départementales (on disait encore « bibliothèques centrales de prêt » ou « BCP », c’était avant la décentralisation), bibliothèques universitaires. Venant après une longue fréquentation de la lecture publique, l’arrivée en BU a été affreuse.

Mais, au fond, j’ai surtout travaillé à des projets de mise en réseau de bibliothèques. J’ai découvert cet aspect du métier à la direction du Livre et de la Lecture du ministère de la Culture où je suis arrivé un peu par accident, début 1985. C’était une époque extraordinaire, celle de l’essor de la lecture publique en France, sous l’impulsion de Jean Gattégno. Un grand homme, par ailleurs spécialiste de Dickens et de Carroll – mais absolument réfractaire à l’informatique : par exemple on pouvait lui faire croire que nos imprimantes, alors énormes et vrombissantes, fonctionnaient au gaz. Il y avait Libra, système de catalogage partagé centralisé et catalogue collectif (15 ans avant le Sudoc) développé par le ministère lui-même pour les « BCP ». C’est Libra qui m’a mis en rapport avec Unimarc.

À quand remontent vos premiers contacts avec l’Abes et dans quel contexte ?

À 1999 je crois. J’avais la responsabilité du SIGB Horizon du réseau des bibliothèques toulousaines, tout en étant enseignant associé au département « Archives & médiathèques » de l’université Toulouse 2. L’Abes m’a sollicité pour une formation Unimarc. Le Sudoc était alors en train de prendre forme.

Qu’appréciez-vous le plus dans votre métier ?

J’en ai aimé certains aspects. J’adorais la lecture publique et par‑dessus tout les plages de « service public ». Tout un monde, toute une humanité… Une retraitée qui venait toujours juste avant la fermeture. Rousse, un peu voûtée mais très vive, une jupe écossaise, un manteau flasque, une voix grave de garçon qui mue, l’air d’une gamine sournoise. Elle prenait tout son temps pour choisir ses livres, le maximum possible, toujours. Elle en avait autant à rendre, dont certains à renouveler alors que le total excédait le quota autorisé et qu’elle le savait. Un lecteur turc qui était amoureux de moi. Il s’appelait Yasar (« Comme Kemal ? — Ah, vous connaissez Kemal ! — C’est mon métier, vous savez. ») Une dame portugaise qui avait mal aux pieds et qui peu à peu oubliait sa propre langue sans pour autant maîtriser la nôtre. Une discothécaire qui chantait subitement L’air des bijoux à la banque de prêt (Aaaaaaaaaaaah ah ah ah ah ah, je ris de me voir si belle en ce miroir etc.). Et al. J’ai aimé certaines équipes de travail aussi, certains compagnonnages. Il y a eu des moments de bonheur : à la bibliothèque Trocadéro à Paris, à Toulouse. C’étaient des années délicieuses, des personnes adorables. Dans les groupes de normalisation aussi, parfois.

Qu’est-ce qui vous énerve le plus ?

Dans le métier ? La perte d’une forme de légèreté... Les slogans qui tiennent lieu de programme. L’air du temps, quoi. Les journées Abes aussi. Ces dernières années j’en étais venu à les craindre. Je n’aimais plus ce métier probablement, et ce devait être réciproque. À la pause de midi je courais à un endroit que je connais, trop éloigné du Corum pour qu’aucun congressiste ait pu le repérer. On y sert un déjeuner remarquable et bon marché, que je dégustais, immergé dans un brouhaha bienfaisant de conversations où je n’avais aucune part, voluptueusement seul.

Si l’Abes était un animal, ce serait… ?

J’ai séjourné deux fois à l’Abes : de 2000 à 2003, puis de 2010 à 2018. Ma première Abes serait une langoustine – un animal d’une grande élégance. Le réseau en forme l’exosquelette. Sa chair est succulente. La seconde, je ne sais pas.

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Référence papier

Philippe Le Pape, « Portrait : Philippe Le Pape », Arabesques, 90 | 2018, 28.

Référence électronique

Philippe Le Pape, « Portrait : Philippe Le Pape », Arabesques [En ligne], 90 | 2018, mis en ligne le 08 novembre 2019, consulté le 18 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=388

Auteur

Philippe Le Pape

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