Itinéraire d’un community manager

DOI : 10.35562/arabesques.453

p. 18-19

Plan

Texte

Comment devient-on community manager ? Nous avons demandé à marc Brohée, du LILLIAD Learning Center Innovation, de résumer son parcours personnel, entre hasards et nécessités.

« Êtes-vous bibliothécaire ou community manager ? » Voici la première question que l’on m’a posée lors de mon entretien à Pôle emploi à la fin de mes études. Je pense n’être ni l’un, ni l’autre, mais les deux en même temps.

En 2011, après des études d’histoire, mon goût pour la culture m’a poussé à me réorienter vers les métiers des bibliothèques en me dirigeant vers un diplôme d’études universitaires scientifiques et techniques « Métiers des bibliothèques et de la documentation » à l’université de Lille. Pendant ces deux années d’étude, j’ai rencontré beaucoup de professionnels des bibliothèques, visité plusieurs centres de documentation, étudié de nombreuses facettes du métier, découvert le concept de bibliothèque troisième lieu et la médiation culturelle.

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Juan Iraola/Flickr (CC BY-NC-SA 2.0)

Une nouvelle façon de communiquer avec les usagers

C’est aussi à cette époque que j’ai suivi mes premiers cours en communication. Je n’étais alors présent que sur Facebook, je n’avais pas plus de compte Google que de pseudo Twitter, et je ne connaissais que très peu de choses à la culture internet. C’est pendant ces deux années de formation que j’ai découvert l’univers du web : je me suis passionné pour les réseaux sociaux, pour cette nouvelle façon de partager et d’échanger. C’est donc tout naturellement que je me suis demandé si les bibliothèques utilisaient cette nouvelle façon de communiquer avec leurs usagers. À chaque nouvelle visite de bibliothèque, à chaque nouvelle rencontre, j’ai inlassablement posé la même question : « Vous êtes sur les réseaux sociaux ? ». La réponse était très souvent négative et, quand elle ne l’était pas, le seul usage qui en était fait était de partager les actualités présentes sur d’autres canaux ou de bénéficier d’une « solution gratuite pour avoir un site internet ». Alors que je commençais à perdre espoir, j’ai découvert le travail de la bibliothèque universitaire d’Angers et de la Bibliothèque publique d’information (BPI) sur les réseaux sociaux. Dès lors, il était clair pour moi que ce que je souhaitais, c’était travailler en bibliothèque en utilisant ces formidables outils, internet et les réseaux sociaux.

Cette année-là, une nouvelle formation ouvrait ses portes à l’IUT de La Roche-sur-Yon, la licence professionnelle de technologie de l’information et de la communication en animation de réseaux et de communautés encadrée par Olivier Ertzscheid (Affordance.info). J’étais le seul à vouloir travailler dans le secteur public mais aussi le seul à ne pas avoir de diplôme ou de compétences en communication parmi cette promotion. Cette particularité me semblait être une faiblesse mais, en fin de compte, elle était tout à mon avantage, car j’ai beaucoup appris de mes camarades de formation.

En échangeant et en travaillant avec eux, j’ai commencé à penser comme un communicant et non plus seulement comme un bibliothécaire, tout en m’appuyant sur mes compétences en veille obtenues en DEUST. En fin d’année, j’ai poursuivi ma formation par un stage de trois mois au SCD de l’université d’Angers où je devais faire un audit de la communication sur les réseaux sociaux et proposer des scénarios d’évolution à court et moyen terme. En plus de m’avoir donné la chance de travailler avec une des équipes précurseurs dans ce domaine, ce stage m’a permis d’apprendre sur le terrain, d’essayer de nombreuses choses et de prendre complètement confiance en mon projet.

Une grande campagne de formation aux plateformes

Après avoir terminé mon stage et soutenu mon mémoire sur le thème de la médiation via les médias sociaux en bibliothèque universitaire, j’ai pris mon premier poste en septembre 2014 à la bibliothèque de droit et santé de Lille (ex- Lille 2) en tant que magasinier. La direction avait déjà mis en place un groupe de travail pour créer une communication sur les réseaux sociaux pour le SCD, groupe que j’ai rejoint dès mon arrivée. L’objectif principal de ce travail était de rajeunir l’image que les usagers se faisaient de leur bibliothèque. Utiliser leurs propres outils n’était pas la seule chose à prendre en compte : il était aussi nécessaire de changer le mode de communication et de comprendre pourquoi ils voyaient la bibliothèque ainsi. Pour ce faire, il fallait définir la ligne éditoriale, avant même de parler des comptes à créer, en répondant au préalable aux questions : « Qui ? Quoi ? Où ? Quand ? Comment ? Combien ? Pourquoi ? ».

En effet, se lancer sur les réseaux sociaux sans savoir qu’y faire ou sans comprendre leur fonctionnement et leurs codes est un non-sens. Une fois la ligne définie, il fallait démarrer une grande campagne de formation pour les agents sur les différentes plateformes que la bibliothèque allait intégrer. Cette formation s’est déroulée en deux temps : d’abord, les agents qui allaient communiquer pour le SCD ont été formés, pour qu’ils puissent « jouer » avec ces plateformes afin de s’y sentir à l’aise ; ensuite, l’ensemble des collègues des différents pôles de la bibliothèque ont été formés. Cette deuxième phase est très importante pour l’appropriation de l’image que les bibliothèques veulent véhiculer auprès de leurs usagers, mais aussi pour que tous les membres de l’équipe puissent devenir des collaborateurs réguliers, même s’ils ne sont pas rédacteurs. Une équipe de onze personnes a été organisée, soit cinq binômes (un par jour) comprenant un membre de chaque pôle du SCD (pôle médecine/pôle économie-droit), et un référent Réseaux sociaux pour s’occuper de la gestion des équipes, superviser le ton général ainsi que pour le planning éditorial, et qui pouvait suppléer un membre de l’équipe en cas d’absence. L’objectif de ce système était de permettre aux membres de l’équipe d’assurer ces tâches en plus de leurs autres missions sans augmentation conséquente de la charge de travail.

Rajeunir l’image de la bibliothèque

Les différents comptes ont été lancés à la fin du mois de janvier 2015, avec l’aide d’une campagne de communication #OnAChangé qui n’était d’ailleurs pas exclusivement tournée vers le web, mais qui passait aussi par des méthodes de communication plus traditionnelles (affichage, marque-pages, etc.). Le but était de rire de l’image vieillissante de la bibliothèque auprès des usagers, en utilisant les monstres légendaires que sont Dracula et la créature de Frankenstein un peu « relookés ». En sous-texte, il s’agissait d’expliquer que la bibliothèque avait la volonté de changer, même si les débuts pourraient être difficiles. Cette campagne a été précédée d’un teasing par le biais d’affiches, quelques semaines avant le grand jour. Grâce à ça, nous avons pu constater une attente des usagers et ainsi les attirer très rapidement sur les comptes Facebook et Twitter que nous venions de créer. La volonté était de s’adresser aux abonnés en utilisant leurs codes (GIF, pop culture), tout en essayant de vulgariser notre métier et d’utiliser un ton légèrement décalé, surprenant pour les étudiants à l’époque.

Le community manager, un geek passionné d’informatique ?

En octobre 2015, j’ai rejoint le service communication du SCD de Lille 1, devenu depuis le learning center de LILLIAD, en tant que chargé du community management. À mon arrivée, l’objectif le plus important était d’accompagner les usagers dans la transition entre les bibliothèques provisoires qu’ils avaient l’habitude de fréquenter et le tout nouveau learning center qui allait ouvrir en septembre, en leur faisant tout d’abord découvrir les futurs espaces, puis en leur présentant les nouveaux services et comment les utiliser. J’étais avantagé dans la réalisation de ce travail car je découvrais aussi le learning center au fur et à mesure, ce qui m’a permis de savoir à quoi pouvait s’attendre la communauté à l’approche de l’ouverture.

Aujourd’hui, mes missions consistent avant tout à faire de la veille sur la façon dont les utilisateurs parlent de LILLIAD, à récolter leur avis, à échanger avec eux pour les aider dans leurs démarches et ainsi à nous aider à comprendre les besoins de nos usagers. Malgré le succès des différents comptes, il faut aussi continuer à imaginer comment s’adapter aux nouvelles pratiques de notre public sur les plateformes sociales. Innover et s’adapter sont, comme pour le bibliothécaire, les deux mots d’ordre du community manager.

Oubliez tout de suite l’image stéréotypée du geek passionné d’informatique enfermé dans son bureau. Un community manager doit avant tout être créatif, empathique et surtout très curieux. En bibliothèque, il doit connaître tous les services, les outils, les collections ou au moins être capable de trouver rapidement l’interlocuteur adéquat. Que ce soit sur Facebook, Twitter, Snapchat ou Instagram, pour l’abonné, le community manager est la bibliothèque, et il doit pouvoir répondre, au moins, pendant tout le temps où la bibliothèque est ouverte, même si lui n’y est plus présent. Si on vous excusera de ne pas répondre quand la bibliothèque est fermée, vous vous devez d’être disponible le reste du temps, en veille constante, pour ne pas voir votre communauté vous tourner le dos. Ce métier exige de penser la communication à l’horizontale, d’échanger, de créer, et surtout de simplifier les dialogues entres abonnés et bibliothécaires. Être community manager c’est être à la fois l’ambassadeur de la bibliothèque et celui des usagers, et c’est peut-être ça qui rend ce métier si passionnant.

Marque-pages pour la campagne de lancement des comptes Facebook et Twitter du SCD Lille 2, fin janvier 2015.

Marque-pages pour la campagne de lancement des comptes Facebook et Twitter du SCD Lille 2, fin janvier 2015.

Illustrations

Juan Iraola/Flickr (CC BY-NC-SA 2.0)

Marque-pages pour la campagne de lancement des comptes Facebook et Twitter du SCD Lille 2, fin janvier 2015.

Marque-pages pour la campagne de lancement des comptes Facebook et Twitter du SCD Lille 2, fin janvier 2015.

Citer cet article

Référence papier

Marc Brohée, « Itinéraire d’un community manager », Arabesques, 91 | 2018, 18-19.

Référence électronique

Marc Brohée, « Itinéraire d’un community manager », Arabesques [En ligne], 91 | 2018, mis en ligne le 05 juillet 2019, consulté le 29 mars 2024. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=453

Auteur

Marc Brohée

Département Médiations - Service Communication LILLIAD Learning center Innovation, Université de Lille. https://twitter.com/dmkwhatelse

marc.brohee@univ-lille.fr

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