La gestion des collections par le bibliothécaire aujourd’hui : focus sur la Bibliothèque nationale de France

DOI : 10.35562/arabesques.718

p. 10-11

Plan

Texte

Que recouvre la gestion des collections en bibliothèque aujourd’hui ? Quelles évolutions le métier de bibliothécaire rencontre‑t‑il ? État des lieux des collections et des compétences mises en jeu à la Bibliothèque nationale de France (BNF).

La gestion des collections par le bibliothécaire à l’ère du numérique concerne de nombreux domaines à l’image de la place croissante que cette technologie prend dans le monde actuel et dans le monde de l’information en particulier. En peu d’années, le paysage documentaire s’est complètement transformé. Aucun domaine de l’activité des bibliothèques n’échappe au numérique : acquisition, récupération de notices, guichet d’assistance en ligne, présence sur les réseaux sociaux…Les collections elles-mêmes adoptent le numérique comme support, qu’il s’agisse de reproduction de documents, d’abonnements à des plateformes ou d’entrée de documents nés numériques.

L’introduction du numérique s’est faite très tôt en bibliothèque, et le développement d’une offre a commencé dès les années 1990. A la BNF, la constitution de la base Gallica, bibliothèque numérique encyclopédique lancée en 1997, concrétisait l’idée d’une bibliothèque virtuelle d’un genre entièrement nouveau et accessible à distance. Mais le plus grand changement apparu ces dernières années, plus particulièrement en bibliothèque publique, provient de la dématérialisation des supports. Pour la BNF, celle-ci s’étendra à compter de la fin de cette année à l’ensemble des entrées. L’appropriation des collections par le bibliothécaire, dans le cadre de ses missions traditionnelles de gestion des entrées et de signalement, ne peut donc plus être exercée de la même façon qu’auparavant.

La dématérialisation des entrées à la BNF

Parallèlement aux campagnes de numérisation dans le cadre de Gallica, le numérique s’est étendu au domaine des entrées, que ce soit par la collecte des sites Internet français depuis 2002 instaurée légalement en 2006 ou par l’extension du dépôt légal aux e‑books proposés à la vente sur le territoire, qui devrait être effective au début de l’année prochaine. Ceux‑ci intégreront une nouvelle chaîne de traitement complète (entrée, signalement, conservation, communication), calquée sur la chaîne papier mais entièrement automatisée.

L’enjeu de la dématérialisation est encore plus crucial pour les documents audiovisuels où l’édition sur support est en très fort déclin depuis plusieurs années, ce qui n’est pas encore le cas pour l’imprimé. D’autres documents, de façon plus marginale, sont concernés par la dématérialisation : partitions, documents cartographiques, estampes, etc.

La dématérialisation concerne également des dons et acquisitions de documents présentant un intérêt patrimonial : photographies de spectacles, travaux préparatoires d’écrivains, etc. La BNF se doit d’assurer une collecte de ces documents, au risque de s’exposer à une rupture dans ses collections patrimoniales. La filière de réception de ces documents est en cours d’élaboration et sera opérationnelle fin 2015.

Enfin, l’acquisition de ressources numériques (bases de données, périodiques électroniques, e‑books…), par abonnement sur les plateformes des éditeurs, ou via les licences nationales, a été aussi fortement encouragée ces dernières années. Il s’agit d’outils d’accompagnement de la recherche, mais aussi, par l’accès au texte intégral des ressources signalées, d’un complément important à l’offre documentaire de la bibliothèque.

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Phot. Rémi Mathis (Flickr – CC – BY – SA 2.0)

Face à la masse d’informations, une démarche sélective

Les ressources numériques se distinguent par rapport au papier par la masse considérable de contenus qu’elles représentent. On passe ainsi, en termes de gestion, d’une logique de traitement à l’unité à une logique de traitement par masse qui dépasse les capacités humaines. Ces ressources se distinguent aussi par le fait qu’elles intègrent les collections de la bibliothèque avec leurs propres métadonnées. Dans ce contexte, le bibliothécaire se doit de reconsidérer ses missions. Pour le dépôt légal de l’Internet à la BNF, la collecte s’effectue à deux niveaux. En premier, une collecte dite « large », peu profonde, couvre l’ensemble des sites identifiés par le robot d’archivage, soit plus de quatre millions de sites à ce jour. Elle est complétée par une collecte ciblée. Il revient ainsi au bibliothécaire d’identifier les sites à capturer de façon plus fréquente ou approfondie en fonction de l’intérêt de ceux-ci par rapport à la continuité des collections ou par rapport à des évènements ou des thématiques où le web se distingue par sa nouveauté, comme la création artistique et littéraire.

Mais ces ressources ne sont pas toujours pérennes et le paysage documentaire est changeant. La stabilité des accès doit donc en permanence être vérifiée. A la BNF, le bibliothécaire concentre son activité sur des thématiques qu’il se charge de signaler et de valoriser dans le cadre de « parcours guidés » (le marché de l’art, la Grande Guerre…), sélections de sites issus du dépôt légal de l’Internet. Il y travaille généralement en équipe en raison de l’étendue du réservoir de données à trier. La démarche est identique pour la valorisation de Gallica.

Le bibliothécaire, par le biais de la constitution et de l’éditorialisation de corpus, acquiert une expertise dans le domaine. Mais le chercheur a d’ores et déjà d’autres besoins avec les possibilités offertes par le plein texte en numérisation, notamment. C’est l’exploitation automatisée de ces immenses gisements de données qui l’intéresse, dans le domaine des sciences humaines en particulier. Ces travaux s’effectuent actuellement à partir d’extractions de fichiers dans des laboratoires universitaires. Les ressources sont envisagées dans leur globalité. L’objet de la recherche elle-même change de nature. Elle ne porte plus obligatoirement sur les contenus mais éventuellement sur les métadonnées elles‑mêmes et leur analyse. Un travail collaboratif entre le chercheur et le bibliothécaire s’instaure alors, et celui-ci, par un retour à ses fonctions traditionnelles, enrichit ou adapte le signalement des documents aux besoins de la numérisation, par exemple.

Des compétences nouvelles

La place de plus en plus prépondérante du numérique dans le monde de l’information nécessite du bibliothécaire des compétences nouvelles. Ces besoins ont d’ailleurs donné lieu à une mise à jour du référentiel des emplois et des compétences à la BNF1. Des connaissances sur les normes, les formats, les protocoles d’échange sont devenues indispensables. Des compétences juridiques sur le droit d’auteur sont aussi nécessaires avec la mise en ligne des ressources numérisées. Dans le cadre des acquisitions de documents numériques, il reviendra aussi aux acquéreurs de veiller à ces questions, notamment pour les utilisations. Les ressources électroniques ont d’ailleurs amené un grand changement dans les acquisitions. Celles-ci ne s’effectuent plus à l’unité, document par document, mais par ensemble. L’éditeur propose à l’achat par abonnement une collection entière ou partielle qui peut compter plusieurs milliers de références. C’est donc le fournisseur qui décide du contenu, et non le bibliothécaire. Le « package » peut aussi regrouper des documents de natures très différentes qui, dans les bibliothèques, nécessitent des traitements particuliers (périodiques, monographies, archives). Le bibliothécaire se trouve ainsi sur un terrain nouveau, d’autant plus qu’il doit négocier ces ressources en fonction de son établissement et des publics qui le fréquentent. La capacité à négocier est donc également une nouvelle compétence que le bibliothécaire doit acquérir.

Ces changements s’accompagnent d’une offre spécifique de formations : formation aux métadonnées descriptives et à la gestion des collections numériques, à la chaîne documentaire des collections numérisées, aux nouveaux outils informatiques, aux techniques de recherche du droit d’auteur et d’utilisation des images, à la rédaction sur le web… Des présentations sur les collections et les services autour de ces collections doivent aussi être organisées pour les usagers. Le bibliothécaire est de plus en plus amené à jouer un rôle de formateur auprès d’un public souvent perdu face à l’ampleur de l’offre.

« L’ère du numérique » illustrée par la création d’un artiste de street art new‑yorkais Pixel Spout

« L’ère du numérique » illustrée par la création d’un artiste de street art new‑yorkais Pixel Spout

Phot. Julian Bleecker (Flickr - CC BY-NC-ND 2.0)

La complémentarité avec les ressources papier

Mais les collections papier ont toujours leur place. A la BNF, le nombre de documents imprimés reçus au titre du dépôt légal n’a jamais été aussi élevé (plus de 80 000 monographies en 2014). Plus de 55 000 livres imprimés ont été par ailleurs acquis l’an dernier, et les acquisitions d’e-books à l’unité ou en bouquet sont encore loin d’atteindre des chiffres équivalents (environ 17 000 en 2014). Ainsi, le bibliothécaire doit encore passer d’un type de gestion à l’autre, articuler ces différentes ressources ensemble. L’accès à distance aux documents numériques crée toutefois une différence majeure dans la relation avec le public. Celui-ci est invisible et en même temps très présent à travers les taux de consultation qu’obtiennent les produits mis en place. Un des effets de l’informatisation des traitements est d’ailleurs la production automatisée de statistiques, lesquelles font maintenant partie de l’univers du bibliothécaire. L’audimat permanent sur la consultation amène sans doute à être encore plus réactif qu’avant sur les services attendus par les publics.

1 https://www.bnf.fr/emploi/pdf/referentiel_emplois_competences.pdf

Notes

1 https://www.bnf.fr/emploi/pdf/referentiel_emplois_competences.pdf

Illustrations

Phot. Rémi Mathis (Flickr – CC – BY – SA 2.0)

« L’ère du numérique » illustrée par la création d’un artiste de street art new‑yorkais Pixel Spout

« L’ère du numérique » illustrée par la création d’un artiste de street art new‑yorkais Pixel Spout

Phot. Julian Bleecker (Flickr - CC BY-NC-ND 2.0)

Citer cet article

Référence papier

Anne Pasquignon, « La gestion des collections par le bibliothécaire aujourd’hui : focus sur la Bibliothèque nationale de France », Arabesques, 80 | 2015, 10-11.

Référence électronique

Anne Pasquignon, « La gestion des collections par le bibliothécaire aujourd’hui : focus sur la Bibliothèque nationale de France », Arabesques [En ligne], 80 | 2015, mis en ligne le 31 juillet 2019, consulté le 20 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=718

Auteur

Anne Pasquignon

Adjointe au Directeur des collections pour les questions scientifiques et techniques Bibliothèque nationale de France

anne.pasquignon@bnf.fr

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CC BY-ND 2.0