Former les chercheurs à l’information scientifiques dans un univers en mutation

DOI : 10.35562/arabesques.740

p. 14-15

Plan

Texte

Les pratiques autour des publications scientifiques – avec le web et le développement de l’ open access notamment – se développent dans un contexte mouvant, où les chercheurs ont souvent des difficultés à se repérer. Quels types de formations proposer à la recherche dans ces situations de changements ? Décryptage par Chérifa Boukacem-Zeghmouri, co-responsable de l’Unité régionale de formation à l’information scientifique et technologique (Urfist) de Lyon.

L’univers de l’information scientifique est en mutation permanente. Les évolutions qu’il a connues dans les années 1970 avec l’informatique, puis dans les années 1990 avec l’arrivée du web ont été principalement liées au développement des technologies. Ces évolutions ont fondamentalement agi sur l’offre de ressources mises à disposition et sur leurs modalités d’accès. C’est dans ce contexte que le mouvement de l’open access a pu se développer. Ces changements ont déterminé les axes et programmes de formation des publics académiques qui découvraient les plateformes numériques des éditeurs, les portails des bibliothèques, les archives ouvertes. La mutation actuelle est moins technologique que socio-économique : l’open access s’est considérablement développé, les modèles de diffusion se sont diversifiés et on assiste à l’entrée en jeu d’acteurs du web dans l’univers de la communication scientifique, bousculant les repères jusque-là établis.

Dans ce contexte, la formation des chercheurs, tous domaines confondus, est donc plus que jamais au cœur des préoccupations des établissements et même des éditeurs scientifiques. Les Urfist, créées dans les années 1980, et dont la mission est de former à l’information scientifique les publics académiques1 ont toujours été et sont encore aujourd’hui aux premières lignes pour répondre à ce besoin.

Aider les chercheurs à se situer dans la transition numérique

L’Urfist de Lyon a été au cœur de l’innovation avec Jean-Pierre Lardy2 – que l’on peut qualifier de pionnier du web avec le développement d’outils comme Dadi3 – mais aussi précurseur avec la programmation des premières formations au libre accès, à Zotero ou au web 2.0. Aujourd’hui, l’innovation autour des outils est portée par les acteurs d’un web en évolution permanente. L’enjeu pour l’Urfist de Lyon est de proposer des contenus de formations qui aident les chercheurs à mieux lire un paysage de plus en plus globalisé, où les repères historiques s’effacent, où les plus âgés peinent à naviguer et où les plus jeunes peinent à se positionner. Un environnement où les niveaux de connaissances des chercheurs4, les pratiques et les représentations sont hétérogènes et où la mobilité, le partage et la collaboration s’érigent en normes. De fait, les contenus de formation développés ces dernières années ont essentiellement porté sur les mutations de la publication scientifique pour aider les chercheurs à connaître les nouvelles règles du jeu (réseaux sociaux, revues Gold auteur-payeur, données de la recherche, stratégies de publication, etc.). Cette approche a beaucoup fédéré leurs attentes car la transition actuelle génère pour eux beaucoup de risques en termes d’autorité, de crédibilité et de réputation.

Prendre en compte les préoccupations du chercheur

Convaincre le chercheur de la nécessité de se former et de se rendre disponible pour cela est un défi quotidien pour un formateur. Partir des préoccupations du chercheur pour penser l’offre de formation est de fait indispensable pour retenir son attention. Si l’on considère la pluralité de ses casquettes (auteur, reviewer, lecteur, enseignant, responsable administratif), on l’envisage comme un acteur à part entière qui dispose de peu de temps, et qui a besoin de développer des pratiques, des compétences et des stratégies qui l’aident à atteindre mieux et plus vite ses objectifs. Cette perspective aide à construire des offres de formations ciblées sur l’ensemble de la chaîne des activités du chercheur : création, production, diffusion, valorisation. Ces pôles et leurs contenus donnent à voir les thématiques de formations autour desquelles le chercheur est invité à développer des connaissances et des compétences pour les réinvestir dans son travail.

L’open access, élément transversal des thématiques de formations

Autour de l’open access, il s’agit de proposer des formations clairement identifiées à la thématique, et dans le même temps, d’insérer cette dernière dans tous les interstices des autres thématiques de formations proposées, pour lesquelles le chercheur postule sans voir a priori de lien avec le libre accès. Il en est ainsi d’un stage intitulé « Préparer son projet de publication scientifique » qui guide le chercheur dès l’amont de son projet d’article pour l’aider à tenir compte des enjeux autour desquels doit s’organiser en aval son travail de rédaction. Ce stage sert autant le projet de publication du chercheur que son projet de formation. C’est un moment où il découvre le libre accès dans ses deux voies, où il comprend mieux leur impact sur sa publication en devenir. De fait, il se sent plus concerné et plus à même de développer une réflexion.

Par ailleurs, dans les Urfist, nous sommes nombreux à avoir une activité de recherche qui nourrit la réflexion que nous portons dans nos formations et qui apporte des éléments d’analyse critiques autour de l’open access. Les arguments avancés ne relèvent pas de l’injonction ou de la prescription, mais plutôt de l’explicitation des logiques ; celles-ci construisent la dynamique d’un phénomène devenu une réalité concrète qui agit, par capillarité, sur la manière avec laquelle le chercheur communique, diffuse et publie ses propres recherches.

Représentation des pôles thématiques de formation et des contenus associés

CRÉATION PRODUCTION DIFFUSION VALORISATION
Recherche d’information et veille Lieux de publication

Stratégie de publication
Résultats de recherche et données Bibliométrie et évaluation
Connaissance des sources spécialisées Modèles économiques

Protocoles éditoriaux
Auto-archivage
Archives ouvertes
Archives de données
Altmetrics et réseaux sociaux
Réseaux sociaux académiques Peer reviewing

Rédaction scientifique
Publication (blanc et gold)
Citation
Identité du chercheur Publications innovantes (vidéo Méga, etc) Valorisation

S’adapter aux contraintes d’agenda et être au plus près de la demande de formation

Outre les stages longs programmés à l’Urfist de Lyon et qui permettent d’aborder en profondeur un sujet en particulier, les stages courts (1h30 à 2h), programmés sur des temps de pause (déjeuner par exemple) et qui ciblent une question d’actualité5, ont trouvé leur public. Dans les rythmes qui sont les leurs, où la formation est parfois sacrifiée au profit d’une réunion, ces sessions courtes permettent aux chercheurs d’obtenir des réponses ou des précisions. Il est intéressant de constater que ces sessions rassemblent des chercheurs de disciplines très différentes mais dont les préoccupations sont partagées. Les échanges qui se tiennent pendant ces sessions sont riches et renseignent beaucoup sur leurs questionnements et inquiétudes.

Il est également important d’être à l’écoute des demandes « hors programme » qui émanent des chercheurs. Lorsqu’une demande s’exprime, le pari de la formation est à moitié gagné car le public est acquis à la nécessité – parfois l’urgence – de se former. Les demandes sont très variables, allant d’une mise à niveau sur la publication en gold open access, à des exposés critiques et comparés entre le Web Of Science et Scopus pour aider un laboratoire à préparer son évaluation. Le déroulement de l’intervention au sein même des locaux des chercheurs facilite le renouvellement de la demande.

Accompagner la formation par le conseil et l’expertise

Les échanges avec les personnels des pays étrangers (Allemagne, Canada, Etats-Unis) amenés à former des chercheurs permettent de comprendre l’importance de construire une relation de confiance et de crédibilité qui ne se limite pas à la temporalité de la formation. Diffuser dans les laboratoires, sur les listes de chercheurs des informations d’actualité, organiser des tables rondes sur les sujets qui les occupent, répondre à leurs demandes lors des montages de projets, les aider à choisir une revue où soumettre un article, ou bien encore les conseiller dans la stratégie de diffusion des données produites au cours d’un projet, sont autant d’occasions qu’il faut saisir pour tisser et fidéliser cette relation. A l’Urfist de Lyon, cela permet de renouveler régulièrement les publics chercheurs qui viennent se former ou demander conseil.

Pour conclure

Le nouveau défi qui occupe (et préoccupe) les formateurs à l’information scientifique est celui de la fragmentation de l’information scientifique. Les données de la recherche, corollaires de ce phénomène, représentent un enjeu majeur de formation autour duquel tous les acteurs de la formation ont – et auront – à se mobiliser. Car il s’agit de préparer toute une génération de chercheurs à embrayer sur de nouvelles manières de pratiquer la science, de la diffuser et de la valoriser.

1 http://urfistinfo.hypotheses.org/a-propos.

2 Physicien, fondateur de l’Urfist de Lyon.

3 Répertoire de ressources libres disponibles sur le web, fermé depuis le 1er juillet 2015. http://urfist.univ-lyon1.fr/fermeture-de-dadi-780154.kjsp

4 Le terme désigne ici autant les jeunes chercheurs (doctorants), les docteurs (ayant soutenu leur thèse) que les chercheurs titulaires (docteurs et

5 Les éditeurs prédateurs, les réseaux sociaux académiques ou bien encore les nouvelles métriques « médiatiques » de la publication scientifique.

Notes

1 http://urfistinfo.hypotheses.org/a-propos.

2 Physicien, fondateur de l’Urfist de Lyon.

3 Répertoire de ressources libres disponibles sur le web, fermé depuis le 1er juillet 2015. http://urfist.univ-lyon1.fr/fermeture-de-dadi-780154.kjsp#.Vk9FnF6pR-I.

4 Le terme désigne ici autant les jeunes chercheurs (doctorants), les docteurs (ayant soutenu leur thèse) que les chercheurs titulaires (docteurs et en poste) et qui se retrouvent côte à côte, avec le même besoin de formation sur certaines thématiques. Les premiers sont les futurs collègues des suivants et émargent à l’appellation de chercheurs tant que leur thèse est en cours.

5 Les éditeurs prédateurs, les réseaux sociaux académiques ou bien encore les nouvelles métriques « médiatiques » de la publication scientifique.

Citer cet article

Référence papier

Chérifa Boukacem-Zeghmouri, « Former les chercheurs à l’information scientifiques dans un univers en mutation », Arabesques, 81 | 2016, 14-15.

Référence électronique

Chérifa Boukacem-Zeghmouri, « Former les chercheurs à l’information scientifiques dans un univers en mutation », Arabesques [En ligne], 81 | 2016, mis en ligne le 26 juillet 2019, consulté le 29 mars 2024. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=740

Auteur

Chérifa Boukacem-Zeghmouri

MCF HDR, Université Claude Bernard Lyon 1, laboratoire Elico, co-Responsable de l’Urfist de Lyon

cherifa.boukacem-zeghmouri@univ-lyon1.fr

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