L’open access, pourquoi ?

DOI : 10.35562/arabesques.797

p. 3

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Le discours revient comme une litanie : les bibliothèques sont exsangues ; nombre d’entre elles, contraintes de continuer d’acquérir chaque fois plus cher les bouquets où figurent des titres incontournables, ont été conduites à renoncer aux titres nécessaires, mais (encore ?) absents de ceux-ci. Les établissements, et leurs bibliothèques, se voient ainsi privés de la possibilité de choisir, donc de forger une politique documentaire. Moins achetés et moins visibles, les titres « isolés » sont conduits à rejoindre les gros bouquets ou à périr, renforçant ainsi la tendance à la concentration de ce « joli petit marché captif ».

Pourquoi petit ? Comparé à d’autres industries, c’est un marché de niche. Au regard de l’ensemble des sommes consacrées à la recherche (matériels, salaires, fonctionnement), le coût de la communication scientifique est très bas, aux alentours de 2 % selon certains analystes. C’est peu au regard des enjeux, trop au regard des prix pratiqués et de leur envol.

Pourquoi les prix s’envolent-ils ? Il s’agit d’un marché de produits non substituables (un résultat de recherche, un article scientifique, ne peut être remplacé par un autre). On ne peut donc miser sur l’autorégulation d’un marché qui, par construction, est non concurrentiel. Et ce d’autant moins que la concurrence entre auteurs-chercheurs, dans la course à « publier ou périr », est entre ses mains.

Pourquoi s’arrêter là ? Les budgets des bibliothèques n’augmentent plus et les transferts des dépenses vers les bouquets ont probablement atteint leurs limites. Cette source de profit, basée sur le modèle « lecteur-payeur », a atteint un palier. Au départ rejeté par les éditeurs, le modèle « auteur-payeur », prôné par certains défenseurs du libre accès, est apparu comme une belle opportunité, une nouvelle source de profit. Car s’il coexiste avec le modèle lecteur-payeur, il conduit à payer une nouvelle fois, cette fois-ci pour publier. Ainsi l’open access pourrait-il devenir un cheval de Troie dont les soldats se nommeraient APC (Article Processing Charges, ou frais de publication). Cette source de profit (pas si nouvelle) présente l’avantage de la dispersion. Autant il est relativement aisé de repérer les dépenses documentaires qui se concentrent pour l’essentiel dans les bibliothèques, autant les frais de publication peuvent être facturés et payés par de multiples acteurs : laboratoires, établissements, bibliothèques, services de communication, voire sortir de la poche de l’auteur. Difficile, voire impossible, d’identifier dans ces conditions le « total cost of ownership », (coût total d’acquisition). Diviser pour mieux régner, la formule n’est pas nouvelle, mais toujours efficace.

Revenons au coût total de publication (acquisition plus APC). Les prix seraient-ils moindres si l’on « déprivatisait » la publication scientifique ? Oui, si la réappropriation par le monde académique maintenait les niveaux de performance d’aujourd’hui. Non, si l’augmentation du coût de revient absorbait la différence avec le prix. La marge bénéficiaire – certes déraisonnable, nous l’avons vu – des acteurs privés pourrait disparaître sans pour autant profiter à l’ensemble du système.

Alors pourquoi l’open access ? Les enjeux vont bien au-delà de la question du prix ou des coûts agrégés de publication et d’acquisition. L’open access est surtout une réponse à des besoins fonctionnels de faire de la science. En agrégeant des contenus, en liant les publications avec les données de la recherche et à bien d’autres objets, les technologies du web sémantique, qui n’en sont qu’à leur début, permettent la construction de nouveaux savoirs.

Si, au prétexte de la protection du droit des bases de données, la lecture assistée par ordinateur permise par les technologies de text et data mining était soumise à un contrôle préalable par les ayants droit, on passerait du contrôle de la publication au contrôle de l’ensemble de la chaîne de la production de savoirs. Lire, écrire, sont des actes indissociables de la construction de la pensée. S’il faut demander l’autorisation pour lire, cela revient d’une certaine façon à ne penser que sur autorisation.

La véritable justification du libre accès ne serait-t-elle pas justement de garantir la possibilité de lire par tous les moyens, connus ou encore inconnus, d’aujourd’hui et de demain ?

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Référence papier

Jérôme Kalfon, « L’open access, pourquoi ? », Arabesques, 79 | 2015, 3.

Référence électronique

Jérôme Kalfon, « L’open access, pourquoi ? », Arabesques [En ligne], 79 | 2015, mis en ligne le 07 août 2019, consulté le 28 mars 2024. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=797

Auteur

Jérôme Kalfon

Directeur de l’Abes

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