Mieux partager les connaissances Orientations stratégiques du CNRS

DOI : 10.35562/arabesques.943

p. 11-12

Texte

Le CNRS s’est doté, en novembre 2013, d’un schéma d’orientation stratégique de l’information scientifique et technique (IST)1. À cette occasion, Arabesques a interrogé Renaud Fabre, directeur de l’IST au CNRS (DISTCNRS), sur ses objectifs et enjeux.

Renaud Fabre, directeur de l’IST au CNRS

Renaud Fabre, directeur de l’IST au CNRS

© Délégation PMA

L’objectif du schéma d’orientation stratégique de l’IST est clairement annoncé dans son sous-titre «Mieux partager les connaissances». Pourriez-vous nous rappeler les grandes lignes qui ont conduit à son élaboration ?

Si elle n’est pas un vain mot, l’économie du partage prend racine dans le partage des connaissances : or, mieux partager les connaissances, c’est d’abord mieux partager l’IST. L’accès ouvert aux résultats de la science est une aspiration de toute la communauté scientifique publique. C’est dans ce sens que se positionnent la France et l’Europe, alors que les grandes puissances scientifiques sont globalement acquises au principe d’un partage des résultats et des données de la recherche publique au profit de tous ses bénéficiaires. Dans toutes les démarches où cette ambition se construit, les moyens numériques sont un levier sans précédent pour annuler les obstacles économiques et techniques à la diffusion et à l’analyse des connaissances.

Toutefois, l’IST ne fait qu’entrer dans une ère de profondes transformations qui affectent aussi bien sa nature que son rapport à la science : l’exploration, la représentation, le partage des données et résultats de toutes les communautés scientifiques s’accélèrent et se transforment, tout comme les voies et supports de la publication et de la validation des résultats. Les offres de procédés ou d’outils nouveaux se multiplient.

Ce sont ces considérations qui ont conduit à construire une stratégie qui repose d’abord sur une réflexion commune de toutes les communautés de la science. Cette réflexion a été animée par la DIST du CNRS, en synergie étroite avec l’analyse, l’expertise, les ressources de l’Inist. Il va de soi que d’emblée ce projet est construit pour « partager les connaissances » entre communautés de chercheurs, donc en activant toutes les synergies possibles entre les organismes et les universités. Un mail dédié est ouvert, ainsi qu’un espace de travail interactif et un site ; «Mieux partager les connaissances » doit être une pratique, avant tout.

Comment se schéma s’articule-t- il avec la Bibliothèque scientifique numérique (BSN) et Istex ?

L’articulation est naturelle. À l’heure numérique, l’IST révèle et accélère puissamment le travail de la science. Par-delà les frontières des entités et institutions responsables de la recherche, elle est donc d’abord l’affaire de toutes les communautés de chercheurs. Aller vers une science publique ouverte à tous ses usagers et bénéficiaires est par ailleurs un choix national et européen jugé irréversible.

Ces constats fédérateurs sont notamment ceux qu’a retenus l’enseignement supérieur et la recherche. La stratégie IST tire bénéfice d’une démarche nationale dans laquelle elle se situe et qui est déployée depuis plusieurs années selon trois directions fonctionnelles : avec la BSN, pour fournir un accompagnement stratégique et technique coordonné par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche ; avec Couperin, pour offrir un groupement et une négociation commune des attentes et projets documentaires de toutes les universités et organismes ; avec l’Abes, pour maîtriser l’évaluation et l’achat public global. Avec cette ossature, partager les ressources et projets valorisant l’IST au bénéfice de tous les chercheurs nécessite de faire aboutir, en aval, une démarche nationale commune. Celle-ci est amorcée: actuellement, les universités et organismes cherchent à définir ensemble les lignes de force d’une vision commune pour aller vers une ingénierie des connaissances partagée, mise au service de toutes les communautés de la science, dans le respect des spécificités de chacune.

La stratégie initiée par le CNRS vise donc tout naturellement à partager l’IST en aval de la BSN. C’est dans ce contexte que le CNRS assume la mission de pilotage du projet Istex, qui a la finalité ambitieuse de fournir une plateforme de services numériques publics, ouverte aux questionnements de toutes les communautés de chercheurs, à partir d’une archive globale de la science. Les contenus générés par les utilisateurs et les services à valeur ajoutée qui les permettent doivent faire l’objet d’une propriété publique éminente : les attentes des fondateurs d’Istex et de l’État sont précisément de créer ce régime. Doit-il être assimilable à celui des « infrastructures essentielles » ? Une consultation juridique en cours, proposée par le CNRS aux acteurs du Comité exécutif d’Istex, devrait apporter les clarifications requises pour avancer dans l’intérêt des chercheurs.

L’accès à l’information y occupe une place significative et doit faire l’objet d’un plan d’actions partagées, intitulé « Se documenter ». Comment les universités, et plus précisément leurs services communs de documentation (SCD), seront-elles associées à cette réflexion ?

L’interdépendance des communautés de chercheurs universitaires et d’organismes a trouvé des solutions concrètes et fortes avec la BSN, avec Couperin, avec le rôle renforcé de l’Abes. L’IST est à la recherche de solutions partagées et innovantes pour les publications comme pour les données, mais aussi pour les plateformes : trouvons-les ensemble. Un colloque national s’est tenu à Meudon les 18 et 19 mars derniers sur le thème « Innovation et gouvernance de l’IST». Tous les acteurs y ont été conviés.

Quels sont d’après vous les domaines d’activité (ou de production d’outils) pour lesquels une coopération entre les centres de documentation liés à la recherche et les SCD gagnerait à être renforcée ?

Tous les domaines, sans exception, sont à mon avis concernés.

Ce schéma évoque aussi largement la nécessité d’éclaircir certains points relatifs au contexte juridique de l’IST numérique et à l’édition scientifique publique. Quelles seraient les démarches prioritaires à mener en ce sens et auprès de quels interlocuteurs ?

À l’heure numérique, la mise à jour des règles, éthiques et juridiques, encadrant le travail de l’IST et de sa valorisation au bénéfice de tous les utilisateurs est une nécessité que ressentent toutes les communautés de recherche. Dans le même temps, un défi est lancé à l’ingénierie des connaissances, avec la course-poursuite engagée entre la croissance du volume des données et la qualité de leur interprétation.

Or dans le temps où ces avancées se dessinent, il y a encore trop d’obstacles internes à de vastes champs disciplinaires pour qu’une diffusion transparente et efficace des résultats de la science soit assurée : dans tous ces cas, un défi essentiel est de venir à bout de modèles d’affaire d’un autre âge, couplés à une concentration verticale et horizontale de l’IST, dont les projets doivent être clarifiés et débarrassés de visées confiscatoires. Le besoin d’une référence commune pour l’exploration et l’analyse publique des corpus scientifiques devient évident et pressant.

Prendre du recul et anticiper ensemble les changements d’éthique, mais d’abord d’épistémologie, est un besoin que ressentent toutes les communautés de chercheurs et des autres personnels de la recherche publique. Il y a, en effet, parallèlement à tous ces défis, le net besoin d’une réflexion stratégique commune, pour concevoir une mise à niveau des compétences et des qualifications de tous ordres permettant d’entrer de plain-pied dans les démarches d’IST les plus innovantes. Une réflexion construite sur l’édition scientifique publique est en cours à l’Académie des sciences : le CNRS y participe et, comme tous les acteurs de la recherche, attend avec intérêt ses pistes et ses conclusions. Un colloque à Strasbourg, en avril, permettra également de confronter les pratiques sur le thème de « l’édition scientifique publique en Europe ».

Pour les communautés de recherche, le but ultime est de pouvoir répondre aux grandes questions associées aux pratiques actuelles du laboratoire : droit d’usage et de réutilisation des données, droit des contenus générés par les utilisateurs au terme des explorations et simulations sur les bases numériques, droit des personnes et de l’identité au regard des résultats partagés, numériques ou non. Ces questions sont par ailleurs planétaires : un cahier des charges se constitue actuellement sur l’ensemble de celles‑ci en vue de consultations juridiques internationales, débouchant elles-mêmes sur des hotlines de conseil. Les visées opérationnelles correspondantes sont simples : il s’agit de bâtir ensemble des cahiers des charges partagés pour de vastes consultations internationales.

Enfin, vous pointez la nécessité d’élaborer une charte d’éthique qui mettrait à contribution les pratiques existantes tant au niveau national qu’international. Quels seraient les enjeux d’une telle charte ?

Les enjeux, multiples et fondamentaux, viennent d’être évoqués : toutes les communautés de chercheurs les rencontrent à un moment ou à un autre. Ne réinventons pas ce qui est déjà avancé : plusieurs Alliances (Allistène notamment), mais aussi l’Inra, ont construit des modèles. Le Comité d’éthique du CNRS, dont vous connaissez l’investissement dans l’action nationale d’open access, est très impliqué sur ces sujets et le travail concerne toutes les communautés des dix instituts du CNRS.

Propos recueillis par Béatrice Pedot

1 http://www.cnrs.fr/dist/z-outils/documents/STRATEGIE.pdf

Notes

1 http://www.cnrs.fr/dist/z-outils/documents/STRATEGIE.pdf

Illustrations

Renaud Fabre, directeur de l’IST au CNRS

Renaud Fabre, directeur de l’IST au CNRS

© Délégation PMA

Citer cet article

Référence papier

Renaud Fabre et Béatrice Pedot, « Mieux partager les connaissances Orientations stratégiques du CNRS », Arabesques, 74 | 2014, 11-12.

Référence électronique

Renaud Fabre et Béatrice Pedot, « Mieux partager les connaissances Orientations stratégiques du CNRS », Arabesques [En ligne], 74 | 2014, mis en ligne le 20 août 2019, consulté le 29 mars 2024. URL : https://publications-prairial.fr/arabesques/index.php?id=943

Auteurs

Renaud Fabre

Directeur de l’IST au CNRS

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