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La caractérisation de la conscience du danger de l’employeur quant aux risques professionnels

Annabelle Turc

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1Faire reconnaître la faute inexcusable de son employeur présente un enjeu financier substantiel pour le salarié, puisque cette reconnaissance lui ouvre droit à une indemnisation complémentaire forfaitaire et à la réparation des préjudices subis. Si l’employeur est tenu de prendre toutes les mesures nécessaires, pour préserver les salariés contre les risques professionnels, encore faut-il qu’il soit conscient du danger qu’ils encourent, afin de mettre en place des dispositifs de sécurité efficaces.

2Dans cette affaire qu’a eu à juger la cour d’appel de Lyon, un ouvrier d’exécution, travaillant dans le bâtiment, demande la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, en raison d’un accident du travail dont il a été victime, à savoir une chute de 2,5 mètres, lors de la rénovation d’un plancher.

3En sus de la reconnaissance de la faute inexcusable et de la majoration de la rente, le salarié demande la réparation de son préjudice, non de manière limitative en faisant une stricte interprétation de l’article L 452-3 et du livre IV du Code de la Sécurité sociale, mais plutôt de manière à obtenir une indemnisation intégrale et notamment : celle du déficit fonctionnel, la réparation du pretium doloris, du préjudice esthétique, de l’aménagement d’un logement et de celui du recours à une tierce personne. Il faut souligner qu’en l’espèce, une demande de réparation distincte du préjudice sexuel a été formulée distinctement de celle du préjudice d’agrément, demande depuis admise par la Cour de cassation (Cass. civ. 2e, 28 juin 11-16.120).

4Pour mémoire, le salarié a été licencié pour inaptitude le 28 septembre 2009. Le 19 janvier 2010, il a saisi la CPAM d’une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur, mais faute de conciliation, il a saisi le TASS, qui a fait droit à ses demandes. La société interjette appel du jugement.

5L’employeur conteste le défaut d’obligation de sécurité qui lui est reproché. Il affirme qu’il avait rappelé toutes les consignes de sécurité et avait installé un échafaudage, afin que les salariés démontent les chevrons sans risque de tomber. D’après lui, il ne pouvait avoir conscience du risque de chute dans la mesure où il estimait avoir fait le nécessaire pour les éviter et que les salariés étaient tenus de respecter les instructions.

6Mais la question qui se pose est la suivante : l’employeur peut-il échapper à la reconnaissance de la faute inexcusable, en invoquant la violation par les salariés des dispositifs de sécurité mis en place ?

7La réponse est négative mais pas nouvelle. Les juges sont en revanche de plus en plus sévères quant à la caractérisation de la conscience du danger de l’employeur. Si elle doit être appréciée in abstracto, il n’en demeure pas moins que son appréciation relève du pouvoir souverain des juges du fond. Il faut tout de même rappeler que la Jurisprudence de la Cour de cassation n’exige pas la connaissance effective de l’employeur de la situation de mise en danger, mais exige la conscience que doit ou devrait avoir l’employeur du danger.

8Les juges de la cour d’appel soulignent que leur décision est rendue « au regard de la situation objective de danger », à laquelle est exposé le salarié. Ils considèrent que l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger, notamment pendant la phase de démontage du plancher où un chevron pouvait casser et engendrer la chute du salarié.

9Les témoignages attestant du non-respect des consignes de sécurité de l’employeur par le salarié sont inopérants pour décharger l’employeur de sa responsabilité. En effet, les mesures prises n’étaient pas adaptées à la vétusté du bâtiment dans lequel étaient réalisés les travaux. L’employeur n’a pas respecté les dispositions de l’article R 4534-60 du Code du travail, la faute inexcusable est donc qualifiée et retenue : « Avant de commencer les travaux de démolition d'un ouvrage, l'employeur vérifie la résistance et la stabilité de chacune des parties de cet ouvrage, notamment des planchers. S'il y a lieu, des étaiements sûrs sont mis en place ».

10L’employeur n’avait pas nécessairement une connaissance parfaite de la dangerosité des travaux comme l’invoque le salarié, mais avait, en tout état de cause, conscience des risques professionnels auxquels s’exposaient ses salariés. Il ne peut alors que difficilement s’exonérer de sa responsabilité.

11Cette décision semble sévère, notamment parce que les juges du second degré insistent sur le fait qu’« au demeurant, quel que soit le stade d’avancement des travaux, avant ou après le démontage des planches, l’employeur aurait dû s’assurer de la mise en place des dispositifs de sécurité ».

12Il appartient donc à l’employeur de mettre des dispositifs de sécurité à disposition des salariés, mais également de vérifier que leur utilisation est respectée et effective. L’employeur ne doit donc pas laisser aux salariés un accès à l’ouvrage, sans mesures assurant leur sécurité. L’employeur est ainsi débouté de ses demandes.

13La cour d’appel fait donc application de la jurisprudence constante, relative à l’appréciation de la conscience du danger par l’employeur : le manquement à l’obligation de sécurité n’est imputable à l’employeur que s’il est démontré qu’il a eu ou qu’il aurait dû avoir conscience du danger auquel il exposait son personnel, ce qui est le cas en l’espèce. Un arrêt similaire a par ailleurs été rendu par la Cour de cassation le 9 octobre 2014 : « lorsqu’un travail présentant un certain danger est confié à un salarié inexpérimenté ou n’ayant pas la qualification adéquate, l’employeur ne pouvait ignorer les risques de chute auxquels il exposait les salariés qui accomplissaient pour la première fois un travail à plus de 8 mètres du sol ». La victime, dans le cas d’espèce soumis à la cour d’appel de Lyon, était ouvrier d’exécution, position I : un argument supplémentaire pour accabler l’employeur.

Arrêt commenté :
CA Lyon, 18 novembre 2014, n° 13/08915



Citer ce document


Annabelle Turc, «La caractérisation de la conscience du danger de l’employeur quant aux risques professionnels», BACALy [En ligne], n°6, Publié le : 11/02/2015,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=1378.

Auteur


À propos de l'auteur Annabelle Turc

Docteur en Droit, chargée d’enseignement à l’Université Jean Moulin Lyon 3


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