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L'obligation de sécurité de l'organisateur de spectacle

Benjamin Ménard


1L’histoire de l’obligation de sécurité est indéniablement celle de son expansion. À l’origine forgée dans le giron du contrat de transport de personnes, cette obligation est aujourd’hui consacrée dans les contrats les plus divers. C’est notamment à son sujet que la cour d’appel de Lyon avait à se prononcer dans son arrêt du 30 août 2012.

2Dans une salle de spectacle, avant un concert, une femme se fracture le poignet et le radius en reculant dans un escalier qu’elle n’avait pas vu. La victime assigne la société en réparation invoquant, à titre principal, la responsabilité délictuelle de l’organisateur en sa qualité de gardien de la chose. En sus de l’article 1384 al. 1 du Code civil, la demanderesse soulève, à titre subsidiaire, une violation de l’obligation contractuelle de sécurité de l’organisateur en se fondant sur l’article 1147 du même Code. La cour d’appel de Lyon, confirmant l’argumentation des juges du premier degré, déboute la spectatrice de sa demande en soutenant que la victime « était liée par un contrat en cours d’exécution » au moment de l’accident et qu’elle « avait commis une imprudence ou une inattention, seule à l’origine de son préjudice ». L’arrêt repose sur une argumentation en deux temps.

3Le premier temps concerne la détermination de la nature de la responsabilité. En effet, en vertu du principe du non-cumul des responsabilités civiles délictuelle et contractuelle, si le dommage se rattache à l’exécution d’un contrat, il n’est pas possible d’en demander réparation sur le fondement de la responsabilité délictuelle. Il n’est certes pas exclu, pour la victime, d’invoquer les deux fondements, mais celle-ci devra les hiérarchiser, faisant clairement apparaitre l’un comme principal et l’autre comme subsidiaire. Le juge ne pourra alors examiner la demande subsidiaire qu’avant d’avoir préalablement écarté le fondement principal. Tel est le cas en l’espèce, la cour d’appel rejetant le jeu de la responsabilité délictuelle. L’argumentation est claire : la demanderesse disposant, au moment des faits, du billet pour le spectacle et se trouvant sur les lieux de la représentation, le contrat de spectacle était bien formé et, de surcroît, en cours d’exécution. Si un tel constat aboutit légitimement à écarter toute application de l’article 1384 al. 1, c’est donc désormais sur le fondement subsidiaire que les juges devaient statuer, et plus particulièrement sur la mise en œuvre de l’obligation de sécurité. Tel est le second temps dans le raisonnement des juges.

4La contractualisation de l’obligation de sécurité peut aisément se définir par son objectif : assurer la sécurité corporelle et psychique de la personne humaine. Le dommage corporel constitue ainsi le domaine juridique de cette obligation. Une question se pose alors en l’espèce : y a-t-il manquement à une obligation de sécurité de la part de l’organisateur de l’événement ? Les juges d’appel raisonnent là encore en deux étapes.

5La première étape réside dans la qualification de l’obligation de sécurité. Les magistrats d’appel affirment d’une part, conformément à la jurisprudence en vigueur, que l’organisateur d’un spectacle est tenu d’une obligation de sécurité envers les spectateurs (ex : Cass. civ. 1re, 12 juin 1990, n° 89-11815 ), d’autre part, que le contrat était bien en cours d’exécution, condition que retient traditionnellement la Cour de cassation (Cass. civ. 1re, 7 mars 1989, n° 87-11493 : RTD civ., 1989, p. 548 obs. P. Jourdain ; D. 1991, p. 1, note Ph. Malaurie). L’obligation de sécurité avait donc lieu de s’appliquer à un tel contrat. La cour complète cela en qualifiant l’obligation en jeu d’obligation de moyens. L’utilisation de la distinction de Demogue ne surprend guère, cette dernière étant, en la matière, traditionnellement utilisée par la Haute juridiction (pour une critique de son application : Y. Lambert-Faivre, « Fondement et régime de l’obligation de sécurité », D. 1994, p. 81). Ainsi, selon une jurisprudence désormais constante, l’obligation est de moyens lorsque la victime joue un rôle actif dans l’activité, elle s’avère de résultat dans le cas contraire (ex : Cass. civ. 2e, 14 octobre 2010, n° 09-67758) En l’espèce, et les juges ne manquent pas de le remarquer, la victime disposait bien d’une autonomie de mouvement, l’accident ayant eu lieu avant le concert alors qu’elle regardait librement une exposition de bande dessinée.

6La qualification de l’obligation est ici peu contestable, encore faut-il ensuite caractériser sa violation. Voilà la dernière étape du raisonnement des juges d’appel. De l’obligation de moyens découle le régime de la responsabilité : la victime doit prouver une faute contractuelle de l’organisateur, « le seul fait qu’elle ait chuté étant insuffisant à démontrer l’existence d’une faute susceptible d’engager la responsabilité de l’établissement ». La responsabilité repose ainsi sur la démonstration d’une faute qui résulte, dans la majorité des cas, d’un défaut de précaution préalable (ex : Cass. civ. 1re, 22 mai 1991, n° 89-21791, RTD civ, 1991, p. 757, obs. P. Jourdain). La société organisatrice a-t-elle mis en œuvre les moyens nécessaires pour éviter l’accident ? La cour d’appel répond positivement. Il ressort en effet de la configuration des lieux que la victime était en mesure de se rendre compte de la présence de cet escalier et que, par conséquent, la chute ne pouvait résulter que d’une imprudence ou d’une inattention de sa part. La victime n’ayant pas veillé à sa propre sécurité, c’est à son seul égard qu’une faute peut être retenue. Il ressort ainsi de ces éléments – et en raison de la prohibition de la responsabilité envers soi-même – que dès lors que le fait générateur du dommage corporel est exclusivement imputable à la victime, la responsabilité civile de l’organisateur ne peut être engagée.

7Le raisonnement des juges semble finalement cohérent et juridiquement en accord avec les solutions élaborées par la Cour de cassation. Pour autant, le propos souffre de l’économie d’une réflexion plus générale sur la légitimité même de cette obligation et de son utilisation par la jurisprudence. Car il convient de le préciser : un tel forçage du contrat opéré par le juge – au-delà même des raisons qui le sous-tendent – couplé à une expansion constante de son domaine d’application résiste parfois mal aux critiques toujours plus nombreuses de la doctrine.

Arrêt commenté :
CA Lyon, 6e chambre, 30 août 2012, n° 10-07431, JurisData n° 2012-025399



Citer ce document


Benjamin Ménard, «L'obligation de sécurité de l'organisateur de spectacle», BACALy [En ligne], n°2, Publié le : 17/01/2013,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=1467.

Auteur


À propos de l'auteur Benjamin Ménard

Doctorant contractuel à l’université Jean Moulin Lyon 3


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