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Les juridictions de l'ordre judiciaire ne sont pas juges de la constitutionnalité des lois

Gatien Casu

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1En octroyant à tout justiciable la possibilité de contester, à l’occasion d’un litige, la constitutionnalité de la disposition législative qui lui est applicable, la réforme constitutionnelle de 2008 a fait un pas supplémentaire vers la protection des droits et libertés des individus. La QPC parachève un mouvement initié il y a quelques années par le développement prétorien du contrôle de conventionalité des lois. La loi n’est plus invulnérable, elle peut être écartée, voire abrogée, si elle contrevient aux normes qui lui sont hiérarchiquement supérieures. Telle est la finalité commune du contrôle de conventionalité et du contrôle de constitutionnalité.

2Si les deux contrôles partagent leur finalité, ils se distinguent toutefois quant aux modalités de leur réalisation. L’office du juge diffère selon qu’il se trouve confronté à un moyen tiré de l’inconstitutionnalité ou de l’inconventionalité d’une disposition législative. Alors qu’il est tenu d’écarter l’application d’une loi contraire au droit conventionnel ou au droit de l’Union européenne, le juge du fond ne peut déclarer une loi inconstitutionnelle. Le contrôle de constitutionnalité de la loi a posteriori, instauré par la réforme constitutionnelle de 2008, repose, en effet, sur la technique préjudicielle. Le juge du fond, devant qui la constitutionnalité de la loi applicable au litige est légitimement mise en doute, doit surseoir à statuer et transmettre la question au Conseil d’État ou à la Cour de cassation qui jugera de l’opportunité de la saisine du Conseil constitutionnel. Le Conseil constitutionnel conserve donc l’apanage des déclarations d’inconstitutionnalité, et les juges du fond voient leur rôle cantonné à celui de la simple transmission des questions.

3Bien que la distinction soit fermement établie, il arrive parfois qu’un requérant confonde (volontairement ?) les contrôles et sollicite du juge du fond qu’il statue en matière de constitutionnalité comme il statue en matière de conventionalité. Ainsi en était-il de la SAS Valette et Gaurand qui, alors qu’elle n’avait pas « entendu soumettre à la cour une question prioritaire de constitutionnalité » (CA Lyon, 31 janvier 2012, n° 09/07960), l’invitait à « déclarer conforme à la Constitution la disposition du Code de la Sécurité sociale organisant l'indemnisation de la perte de revenu subie par la victime d'un accident du travail avant sa consolidation » (CA Lyon, 31 janvier 2012, n° 09/07960). En d’autres termes les requérants ne demandaient rien de moins à la cour que d’opérer, à titre principal, un contrôle de constitutionnalité de la loi.

4Invitée à statuer au-delà des pouvoirs que lui octroient les dispositions de la Constitution, la cour d’appel a justement et abruptement rappelé que « les juridictions de l'ordre judiciaire ne sont pas juges de la constitutionnalité des lois » (CA Lyon, 31 janvier 2012, n° 09/07960).

5Si l’affirmation a le mérite de la clarté, sa portée doit pourtant être précisée. Car il n’est rien de moins certain que, lorsqu’il décide de transmettre la QPC à sa juridiction suprême, le juge du fond opère un contrôle de constitutionnalité. En effet le juge judiciaire ou administratif n’est pas un organe servile tenu de renvoyer de manière automatique chacune des demandes qui lui est soumise. Le juge du fond doit s’assurer que la question n’est pas dépourvue de caractère sérieux, un contrôle à l’occasion duquel il n’effectue rien de moins qu’un (pré)contrôle de constitutionnalité de la loi. Dire que la constitutionnalité d’une loi est douteuse, c’est déjà se prononcer sur sa constitutionnalité. Cette réalité est particulièrement visible lorsque le juge refuse de transmettre une question dépourvue, selon lui, de caractère sérieux. Que fait-il d’autre sinon lui délivrer, à cette occasion, un véritable « brevet de constitutionnalité » ? Que fait-il sinon satisfaire au moyen soutenu dans la présente affaire : déclarer la loi constitutionnelle ?

6La portée de l’affirmation de la cour d’appel se doit donc d’être circonscrite. Il est certain que le juge judiciaire est incompétent pour se prononcer, à titre principal, sur la question de la constitutionnalité d’une disposition législative. La contestation de la constitutionnalité de la loi ne peut se faire que sous patronage de la QPC. En dehors d’une telle demande, la cour d’appel ne peut que relever son incompétence (CA Lyon, 15 février 2011, n° 10/02292 Chérif Sabry / caisse d’assurance retraite et de la santé au travail – CARSAT).

7Mais il ne faut pas non plus nier l’évidence. Dans le cadre du contrôle du caractère sérieux de la QPC les juges du fond opèrent un véritable contrôle de constitutionnalité. Le faible pourcentage des demandes qui sont définitivement transmises au Conseil constitutionnel invite d’ailleurs à une réflexion aux airs provocateurs : si le droit leur refuse cette qualité, les juges judiciaires et administratifs ne sont-ils pas, en fait, les véritables juges de la constitutionnalité ?

Arrêt commenté :
CA Lyon, 31 janvier 2012, n° 09/07960



Citer ce document


Gatien Casu, «Les juridictions de l'ordre judiciaire ne sont pas juges de la constitutionnalité des lois», BACALy [En ligne], n°1, Publié le : 20/06/2012,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=1586.

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À propos de l'auteur Gatien Casu

ATER Université Jean Moulin Lyon 3


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