Prescription en matière de responsabilité civile des dirigeants : incidence de l’article 2234 du code civil
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1En cas de faute dans la gestion d’une société, la responsabilité de son dirigeant peut être engagée par le biais de deux actions : ut universi et ut singuli. En vertu des articles L. 225-254 et L 227-8 du Code de commerce, la responsabilité du dirigeant de sociétés par actions se prescrit par trois ans. Or, l’article 2234 du Code civil permet de ne pas faire courir ou de suspendre cette prescription « contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure. » Une fois que l’empêchement a cessé, la prescription recommence à courir pour le temps qu’il reste.
2Ainsi, l’article 2234 du Code civil présenterait un avantage pour les sociétés souhaitant engager la responsabilité de leur dirigeant. Il serait possible d’admettre qu’elles se trouvent dans l’incapacité d’agir jusqu’au terme des fonctions de leurs mandataires. La cour d’appel de Lyon, par un arrêt du 22 novembre 2018, encadre l’application de cet article en droit des sociétés, tout en respectant la stricte lignée jurisprudentielle quant à l’appréciation du délai de prescription triennal.
3Suite au placement en redressement judiciaire d’une société X, Monsieur H. a démissionné de ses fonctions de président. Après de nombreux recours, il s’est pourvu en cassation au motif que les faits invoqués à son encontre par la société étaient prescrits. La Cour de cassation a partiellement cassé l’arrêt et a renvoyé l’affaire devant les juges lyonnais.
4La cour d’appel a recherché la date à laquelle les faits dommageables imputés à Monsieur H. ont été commis, ou, s’ils avaient été dissimulés, à quelle date ils avaient été révélés. Pour ce faire, la cour a mis en perspective les faits dommageables invoqués et la suspension de prescription posée par l’article 2234 du Code civil. La cour d’appel détermine le point de départ du délai de prescription. Puis, elle met en œuvre l’appréciation jurisprudentielle de l’article 2234 du Code civil.
5La société devait démontrer qu’elle n’a pu agir avant l’expiration du délai de prescription ou bien que les faits ont été dissimulés et qu’elle se trouvait, ainsi, dans l’incapacité d’agir avant la démission de son dirigeant. En outre, la société lui reprochait d’avoir commis une faute dans l’exercice de ses fonctions, en raison d’une perte liée à un investissement dans une société dont Monsieur H. était le dirigeant de fait. À ce titre, elle a invoqué devant la cour qu’elle se trouvait dans l’incapacité d’agir en responsabilité contre son président au titre de l’article L. 225-251 du Code de commerce, le dirigeant étant titulaire de l’action en responsabilité dirigée contre lui.
6Les juges lyonnais rejettent cette analyse car Monsieur H. étant dirigeant de fait, la société disposait d’une autre voie légale pour agir, à savoir engager la responsabilité extracontractuelle de son mandataire social.
7Cette position pourrait être étendue à la coexistence des actions ut universi et ut singuli. À ce titre, le fait que le dirigeant soit en poste ne pourra aucunement constituer un empêchement au sens de l’article 2234 du Code civil, dans la mesure où un associé peut toujours agir au nom et pour le compte de la société.
8Ainsi, la cour d’appel de Lyon, illustre un principe jurisprudentiel : la règle édictée à l’article 2234 du Code civil ne joue pas lorsque le titulaire de l’action disposait encore, à la cessation de l’empêchement, du temps nécessaire pour agir avant l'expiration du délai de prescription (Cass. com., 11 janv. 1994, n° 92-10.241 ; Cass. civ. 1re, 29 mai 2013, n° 12-15.001).
9L’article 2234 du Code civil, issu de la Loi du 17 juin 2008, portant réforme de la prescription en matière civile est relativement nouveau, en particulier en droit des sociétés. La cour limite, ici, son application aux cas où aucune autre voie légale n’est ouverte à celui qui ne peut agir du fait d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure.
Arrêt commenté :
CA Lyon, 3e chambre A, 22 novembre 2018, n° 18/01395
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Auteur
À propos de l'auteur Alice Tongio
Étudiante, Université Jean Moulin Lyon 3, M2 DAF/DJCE
À propos de l'auteur Emilie Vittaut
Étudiante, Université Jean Moulin Lyon 3, M2 DAF/DJCE