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Le recours à la technique de l’administrateur provisoire peut permettre l’ouverture d’une procédure collective

Brune-Laure Dugourd


1Intervenants principaux en cas de crise dans les entreprises, les administrateurs et les mandataires judiciaires doivent faire preuve de psychologie et manier les différentes techniques juridiques, financières et de gestion. Les causes de la crise sont en général ciblées si bien que l’auxiliaire de justice n’interviendra que sous le couvert du domaine juridique concerné. Il peut pourtant arriver que les faits en cause les conduisent à exercer successivement plusieurs de leurs missions et donc à évoluer au sein des différents domaines juridiques, ce qu’illustre parfaitement l’arrêt rapporté.

2Un associé de SARL, voulant obtenir la communication de divers documents comptables et sociaux ainsi que la désignation d’un administrateur provisoire pour assurer la gestion et l’administration de la société, assigne ladite société et son gérant devant le juge des référés du tribunal de commerce de Lyon. Il obtient gain de cause.

3Appel est alors interjeté par le gérant et la SARL. Ces derniers font notamment valoir que les conditions de désignation de l’administrateur provisoire n’étaient pas remplies. Ils soulignent que la société étant en état de cessation des paiements, le juge des référés ne pouvait désigner un administrateur provisoire et aurait dû ordonner une liquidation judiciaire.

4Les juges d’appel confirment l’ordonnance querellée au motif que les conditions de désignation d’un administrateur provisoire étaient en l’espèce remplies (I). Ils indiquent clairement que l’état de cessation des paiements ne constitue pas en soi un obstacle à cette désignation puisque l’administrateur pouvait, le cas échéant, être chargé de déclarer la cessation des paiements (II).

I/ La réunion des conditions de désignation de l’administrateur provisoire

5La technique du recours à l’administrateur provisoire, qui s’appuie en matière commerciale sur les articles 872 et 873 du Code de procédure civile, est purement jurisprudentielle et suppose que soit rapportée « la preuve de circonstances rendant impossible le fonctionnement normal de la société et menaçant celle-ci d’un péril imminent » (Cass. com., 6 février 2007, n° 05-19.008 ; 18 mai 2010, n° 09-14.838). En l’espèce, le gérant n’avait pas exécuté ses obligations de communication des documents sociaux aux associés et de dépôt des comptes, ce qui est de nature à justifier la désignation d’un administrateur (Cass. com., 8 février 2017, n° 15-19.897). De plus, l’état de la société était jugé « catastrophique ».

6Malgré cela, les appelants considéraient que les conditions de désignation de l’administrateur provisoire n’étaient pas remplies. En effet, pour eux, l’existence d’une cessation des paiements aurait dû empêcher cette désignation, seule une liquidation judiciaire pouvant être prononcée. Le péril n’aurait selon eux pas été imminent mais avéré, ce qui entrainait le défaut d’une des conditions de désignation de l’administrateur provisoire. La jurisprudence a effectivement admis que les conditions de désignation de ce tiers n’étaient pas remplies en cas de de crise irrémédiable (V. dans le même sens Cass. com., 8 février 2017, n° 15-19.897). En effet, pourquoi faire intervenir inutilement un administrateur provisoire ? En l’espèce, face à la crise rencontrée et à l’état de la société jugé « catastrophique », on pourrait penser, à l’instar des appelants, que seul le droit des entreprises en difficulté devait s’appliquer.

7Néanmoins, les juges d’appel ne relèvent pas l’obstacle constitué par l’état de la société et confirment l’ordonnance du juge des référés. Ceci s’explique assez simplement : l’état de cessation des paiements est allégué, il n’est pas établi. De plus, comme le relèvent les juges d’appel, le juge des référés ne pouvait se substituer au tribunal de commerce pour prononcer l’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire. Ce juge n’en a effectivement pas le pouvoir et ce n’est pas à lui d’établir l’état de cessation des paiements mais plutôt à l’administrateur provisoire qu’il peut désigner.

II/ Les missions de l’administrateur provisoire désigné

8L’arrêt de la cour d’appel précise également les missions susceptibles d’être confiées à un administrateur provisoire. Il s’agit notamment de déterminer l’état de cessation des paiements et de le déclarer. L’administrateur viendrait alors se substituer au dirigeant et représenter la société. Il serait donc compétent pour procéder à ladite déclaration (V. en ce sens Cass. civ. 1re, 27 février 2007, n° 05-21.872 ; Cass. com., 5 septembre 2018, n° 17-14.758).

9Face à l’état jugé « catastrophique » de la société, on pourrait considérer que le recours à un administrateur provisoire ayant pour mission de constater et de déclarer l’état de cessation des paiements conduit à une multiplication des procédures et donc à un coût supplémentaire pour la société. On aurait pu préférer passer directement par le droit des entreprises en difficulté plutôt que par le droit des sociétés. Cette multiplication des procédures est d’autant plus dérangeante si la situation de la société est irrémédiablement compromise et que celle-ci doit faire l’objet d’une liquidation judiciaire. En effet, l’administrateur provisoire sera remplacé par un liquidateur qui devra à nouveau prendre connaissance de la situation et du fonctionnement de la société.

10Toutefois, si la situation de la société peut être redressée, l’administrateur provisoire pourrait dans ce cas se voir désigner en qualité d’administrateur judiciaire. Certes, cela ne mettrait pas fin à une multiplication des procédures mais assurerait déjà la connaissance de l’entreprise à cet acteur clé du droit des entreprises en difficulté.

11En outre, le recours à cette technique de droit des sociétés est judicieux puisqu’il permet de contourner à l’inertie du gérant pour que la société fasse l’objet d’une procédure collective. En effet, l’associé ne pouvait pas déclarer l’état de cessation des paiements et ne pouvait pas assigner la société en vue de l’ouverture d’une procédure collective, n’étant pas un de ses créanciers (art. L. 631-5 et L. 640-5 C. com.). Il ne pouvait pas non plus demander la désignation d’un mandataire ad hoc (art. L. 611-3 C. com.) ou d’un conciliateur (art. L. 611-4 et s.), n’étant pas le représentant du débiteur.

12En pratique, cette solution est donc opportune puisqu’elle évite qu’un dirigeant inactif ne puisse échapper à son dessaisissement et parer à la désignation d’un administrateur provisoire grâce à la simple évocation d’un état de cessation des paiements hypothétique, qu’il n’aura au demeurant ni établi ni déclaré, en contradiction flagrante avec ses obligations de mandataire social (art. L. 631-4 C. com. ; art. L. 640-4 C. com., sanctionné par art. L. 653-8 C. com.). Cette solution assure, en passant par une technique du droit des sociétés, qu’une société fasse l’objet d’une procédure collective malgré l’inertie de son gérant. Une autre solution offerte par le droit des sociétés aurait pu s’avérer utile : la révocation judiciaire du gérant pour cause légitime.

Arrêt commenté :
CA Lyon, 8
chambre, 28 mai 2019, n° 18/06902



Citer ce document


Brune-Laure Dugourd, «Le recours à la technique de l’administrateur provisoire peut permettre l’ouverture d’une procédure collective», BACALy [En ligne], n°14, Publié le : 01/01/2020,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=2241.

Auteur


À propos de l'auteur Brune-Laure Dugourd

Doctorante à l’équipe de recherche Louis Josserand, université Jean Moulin Lyon 3


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