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Contestation sérieuse de la demande de résiliation du bail commercial en référé

Maxime Ghiglino


1Aux termes de l’article L. 145-41 du Code de commerce : « toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu’un mois après un commandement demeuré infructueux ». Le texte poursuit en précisant que : « le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai ». Le droit prétorien a également exigé que le commandement vise les stipulations contractuelles inexécutées par le preneur et sanctionnées par le jeu de la clause résolutoire (Cass. civ. 3e, 19 mai 2004, no 02-20.243, AJDI 2005. 208, note Dumont). Cette exigence a d’ailleurs été renforcée depuis la ratification de l’ordonnance du 10 février 2016 par la loi n° 2018-287 du 20 avril 2018. L’article 1225 alinéa 1er du Code civil dispose désormais que : « la clause résolutoire précise les engagements dont l’inexécution entraînera la résolution du contrat ».

2Ainsi, progressivement les commandements préalables à la mise en œuvre de la clause résolutoire se sont étoffés, aspirant à la complétude. À ce strict cadre rédactionnel s’ajoute le fait que, bien que privé de pouvoir d’appréciation du manquement contractuel sanctionné, le juge contrôle également la mise en œuvre de la clause résolutoire au regard de la bonne ou mauvaise foi des parties, de la fraude ou de l’abus de droit. Cette faculté permet au magistrat d’écarter le jeu d’une clause s’il estime que le bailleur n’a pas eu un comportement loyal lors de sa mise en œuvre.

3En somme, l’effectivité de la clause résolutoire est subordonnée tant à des éléments formels qu’à des éléments contextuels. En parallèle, le cadre procédural de l’action du bailleur peut également fournir des moyens de défense au preneur. En effet, l’acquisition de la clause résolutoire du bail commercial est généralement recherchée en référé. En application l’article 808 du Code de procédure civile, le juge des référés peut en cas d’urgence ordonner toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend. Ce magistrat a le pouvoir de constater l’acquisition de la clause résolutoire du bail commercial. Toutefois, il n’entre pas dans ses prérogatives de prononcer la résiliation du bail puisque cette action implique une appréciation des manquements contractuels invoqués, appréciation qui relève du fond (Cass. civ. 3e, 20 déc. 2018, n° 17-16.783). Au demeurant, le juge des référés peut constater la résiliation du bail par l’acquisition de la clause résolutoire en l’absence de contestation sérieuse par le preneur. Aussi, le contexte de la demande et les échanges antérieurs entre les parties sont autant d’éléments dont peut user le preneur pour sa défense. Une négociation antérieure autour de l’obligation inexécutée peut notamment conduire au rejet de la demande en référé d’acquisition de la clause résolutoire insérée au bail commercial en raison de la contestation sérieuse qu’elle soulève. C’est précisément l’apport de la présente décision.

4Dans cette espèce, un preneur a procédé à l’acquisition du fonds de commerce attenant au sien. Lors de cette acquisition, il a sollicité la faculté de créer une ouverture dans le mur mitoyen. Cette autorisation lui a été donnée par son bailleur sous réserve que « les travaux soient réalisés dans les règles de l’art, surveillés par un architecte et un ingénieur structure et couverts par une police d’assurance « dommages ouvrage », avec autorisations des copropriétés si nécessaire ». Le bailleur a également sollicité une augmentation du loyer afin de délivrer cette autorisation.

5Par la suite, le bailleur a été informé par des occupants de l’immeuble que son preneur a réalisé les travaux dans le local commercial, sans l’en avoir informé, ni même avoir sollicité de nouveau son autorisation définitive. Il enjoint donc le preneur de lui communiquer le projet et les détails techniques des travaux réalisés et précise qu’il serait disposé à donner son accord aux travaux réalisés sous réserve de la signature d’un avenant révisant rétroactivement le loyer. Les échanges durent plusieurs mois, mais faute d’accord, le bailleur fait délivrer un commandement visant la clause résolutoire insérée au bail.

6Par ordonnance du 3 décembre 2018, le président du tribunal de grande instance de Lyon a retenu que le commandement avait été délivré de mauvaise foi. Ce commandement a donc été annulé et le bailleur a été condamné à régler diverses sommes à son preneur.

7En réponse, le bailleur interjette appel. Dans ses conclusions, il demande à la cour d’infirmer l’ordonnance du premier juge, de constater que le commandement visant la clause résolutoire signifié le 13 juillet 2018 est de parfaite bonne foi et qu’il est demeuré sans effet, d’enjoindre le preneur de remettre en état le local commercial et de constater la résiliation de plein droit du bail.

8Les magistrats d’appel ne suivent pas ce raisonnement. Selon les juges, avant la signification du commandement litigieux, le bailleur avait été informé du projet de travaux de son preneur et ne s’y était pas opposé au moins pour une ouverture. Les garanties juridiques et techniques demandées n’étaient qu’une des conditions exigées par le bailleur. En effet, ce dernier a également subordonné son accord à la signature d’un avenant révisant le loyer avec effet rétroactif. Or, les magistrats retiennent que la subordination de l’accord du bailleur pour la réalisation de travaux à une augmentation de loyer a pour effet d’éluder les dispositions d’ordre public relatives au renouvellement du bail commercial et à la fixation du prix du loyer renouvelé. Dans ce contexte, la validité du commandement, même s’il contient d’autres griefs, se heurte à une contestation sérieuse. La cour confirme donc l’ordonnance du président du tribunal de grande instance de Lyon par substitution de motifs.

9Cette affaire met en lumière une question pratique courante, à savoir la demande de réalisation de travaux par le preneur. En effet, il est extrêmement fréquent qu’au cours d’un bail, un preneur sollicite une autorisation spécifique de travaux de son bailleur. Dans cette hypothèse, le bailleur subordonne généralement son accord à une augmentation du prix du loyer ou à une indemnisation forfaitaire. Ainsi, l’acceptation du bailleur peut conduire à une modification des caractéristiques du local entraînant éventuellement un déplafonnement du loyer. Depuis la loi PINEL du 18 juin 2014, les bailleurs obtiennent non seulement une dérogation aux dispositions de l’article L. 145-34 du Code de commerce sur le plafonnement des loyers, mais aussi et corrélativement une renonciation du preneur au plafonnement du déplafonnement. Cette faculté est permise puisqu’à l’inverse des dispositions concernant les révisions de loyer des articles L. 145-38 et L.  145-39 du même code, cet article n’est pas d’ordre public.

10Sur ce point particulier, la Cour de cassation avait eu l’occasion de casser un arrêt de la cour d’appel de Lyon en raison du fait que les magistrats n’avaient pas recherché si les exigences du bailleur dans la discussion du prix du loyer du bail renouvelé, en contrepartie d’une demande du preneur d’autorisation d’importants travaux, « n’avai[en]t pas pour effet d’éluder les dispositions d’ordre public relatives au renouvellement du bail commercial et à la fixation du prix du bail renouvelé [...] » (Civ. 3e, 25 févr. 2016, n° 14-25.087). Cet arrêt avait interpellé les praticiens puisqu’il semblait revenir sur les principes visant à sanctionner le « chantage » du bailleur qui cherche à tirer parti des demandes de travaux de son locataire un moyen de réajuster à la hausse un loyer. Fréquemment, ce loyer est décalé par rapport aux prix de marché, car plafonné de longue date. Les travaux prévus peuvent alors fonder une variation notable d’un des éléments de la valeur locative justifiant une augmentation du loyer au-delà du plafonnement légal. Au demeurant, la portée de cette décision a été relativisée puisqu’il s’agissait d’un arrêt non publié au Bulletin, dont le motif conclusif fait simplement reproche aux juges du fond de n’avoir pas procédé à la recherche réclamée par le preneur. En tout état de cause, il est indéniable que les demandes de travaux au cours du bail commercial et les augmentations de loyer afférentes sont un terrain mouvant sur lequel une action en référé en acquisition de la clause résolutoire ne peut que s’enliser.

11En outre, cette affaire met également en lumière la dangerosité, pour un bailleur, de donner un accord de principe quant à une modification des termes du bail commercial quand bien même certaines réserves seraient formulées. Cet accord, bien que de portée juridique très relative en raison de son absence de fermeté, peut teinter un dossier de mauvaise foi s’il décide finalement de ne pas agréer aux demandes de son preneur. Plus encore, en ne s’opposant pas immédiatement aux modifications opérées par le preneur alors qu’il ne les ignorait pas, le bailleur a laissé entendre tacitement qu’il les agréait sans réserve. Dans ce contexte, la durée et la densité des échanges entre les parties n’ont été qu’un révélateur du véritable terrain de négociation, à savoir le montant du loyer après travaux. Or, il n’appartient pas au juge des référés de trancher ces questions, d’où un rejet de la demande d’acquisition de la clause résolutoire en raison de la contestation sérieuse soulevée.

12En définitive, la recherche de profit du bailleur a ouvert la voie à une contestation sérieuse mettant par la même à mal son action en acquisition de la clause résolutoire en référé. Pour autant, l’affaire ne s’arrête pas là puisqu’il lui appartient désormais de mieux se pourvoir afin de voir ses prétentions satisfaites, mais au fond.

Arrêt commenté :
CA Lyon, 22 Octobre 2019, n° 18/09035



Citer ce document


Maxime Ghiglino, «Contestation sérieuse de la demande de résiliation du bail commercial en référé», BACALy [En ligne], n°14, Publié le : 01/01/2020,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=2265.

Auteur


À propos de l'auteur Maxime Ghiglino

Docteur en droit, avocat au barreau de Lyon


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