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La responsabilité du banquier à l’égard de son client : où s’arrête la passivité du banquier ?

Jordi Mvitu Muaka


1S’il est un principe qui irradie la relation du banquier et son client, c’est assurément celui de non-immixtion ou de non-ingérence (Cass. civ., 28 janv. 1930, RTD civ. 1930. 369, obs. R. Demogue ; Cass. com., 27 janv. 2015, n° 13-20.088, LEDB mars 2015, p. 5). Il commande au banquier une neutralité face aux opérations réalisées par son client, fussent-elles pour ce dernier désavantageuses ou ruineuses. Il s’agit d’un principe général à partir duquel la jurisprudence a dégagé des exceptions, parmi lesquelles figurent le devoir de vigilance (Cass. com., 25 avril 1967, JCP 1967, II, 15306, obs. C. Gavalda ) et le devoir de mise en garde (Cass. com., 9 févr. 2016, n° 14-23.210, LEDB avr. 2016, p. 4, n° 059, obs. M. Mignot ; v. Perrin Dureau, « Variations sur l'obligation de mise en garde au terme de dix ans de décisions », JCP E 2016. 1304). Le premier impose au banquier de vérifier la régularité d’une opération passée par son client voire de s’opposer à sa réalisation, le second lui impute spécifiquement la charge de l’alerter des risques d’une opération de crédit en raison de ses capacités financières. La loi met également à la charge du banquier des obligations d’information pour éclairer le choix de son client. Une intervention circonstanciée est alors attendue du banquier sous peine d’engager sa responsabilité.

2Ces exceptions interrogent quant à leur efficacité. L’existence d’une faute du banquier est parfois difficile à démontrer pour le demandeur. De plus, la faute du banquier n’emporte pas nécessairement existence d’un préjudice réparable. La détermination du préjudice ou l’évaluation de son montant peut alors constituer un énième obstacle au succès de l’action du demandeur. Les deux arrêts de la cour d’appel de Lyon sous commentaire sont topiques de cette problématique.

3Dans la première espèce (CA Lyon, 1re chambre civile A, 23 Mai 2019 – n° 17/04066), l’action du client reposait sur le manquement allégué du banquier à son devoir de conseil et de mise en garde comme prestataire de services d’investissement. Précisément, la cliente avait souscrit tout d’abord une assurance décès-invalidité de groupe, puis deux contrats de crédit immobilier in fine libellés en francs suisses. Ces crédits à taux variables, étaient indexés sur le taux libor CHF. Le capital et les intérêts étaient payables aux dernières échéances respectives des crédits consentis (27 février et 5 août 2021). Seules les cotisations d’assurance-vie constituaient les mensualités dues à la banque. À titre de garantie, la cliente avait délégué à la banque le bénéfice partiel de son contrat d’assurance-vie.

4Avec les fonds recueillis, l’emprunteuse avait financé des acquisitions immobilières à usage commercial, transférées à deux SCI, codétenues avec son fils. Une chute vertigineuse du rendement financier des deux SCI a placé l’emprunteuse, au demeurant gérante de ces sociétés, dans l’impossibilité alléguée de verser les sommes dues à l’échéance 2021.

5Ainsi, à titre personnel, l’emprunteuse invoquait un manquement à l’obligation d’information du banquier prestataire de services d’investissement, et en sa qualité de gérante des SCI, le manquement au devoir de mise en garde sur les risques du montage financier réalisé et des emprunts contractés.

6La cour d’appel de Lyon reconnaît l’existence d’une faute de la banque sur le fondement de l’article L. 533-4 du Code monétaire et financier dans sa rédaction antérieure à la transposition de la directive 2004/39/CE concernant les marchés d’instruments financiers. Il est reproché à la banque d’avoir omis de communiquer des informations préalables à une opération d’investissement, particulièrement les informations sur les risques de l’opération d’investissement en fonction de la situation et des attentes du client. L’opération d’investissement concernée comprenait les deux contrats de crédit et le contrat d’assurance-vie, que la cour d’appel de Lyon considère comme indivisibles. L’indivisibilité repose implicitement sur le choix des parties d’affecter en garantie des contrats de crédit, le contrat d’assurance-vie de groupe de l’emprunteur, et d’insérer la cotisation d’assurance au sein des modalités de paiement des deux emprunts.

7Se basant sur l’indivisibilité de ces différents contrats, la cour d’appel de Lyon considère que l’obligation d’information portait à la fois sur les risques de perte de la valeur de rachat de l’assurance et sur les risques d’endettement liés aux emprunts contractés. En dépit de la variation du risque en fonction du contrat envisagé, une faute imputable à la banque a été caractérisée.

8Le devoir de mise en garde aurait-il pu constituer un fondement alternatif ? En effet, le banquier dispensateur de crédit est tenu d’un devoir de mise en garde à l’égard d’un client non averti dont la faiblesse des capacités de remboursement face au crédit sollicité laisse augurer un risque d’endettement excessif (Cass. com., 15 nov. 2016, n° 15-14.133, Gaz. Pal. 24 janv. 2017, p. 14, note J. Lasserre Capdeville ). Ce risque semblait difficile à démontrer en l’espèce considérant le montant des mensualités et du caractère incertain de l’endettement avant l’échéance. D’où vraisemblablement, le choix du fondement de L. 533-4 du Code monétaire et financier, qui impose à la banque la délivrance d’une information dont le contenu avoisine celui du devoir de mise en garde, sans la soumettre aux mêmes conditions d’application.

9Ainsi, le banquier n’avait pas rempli son obligation légale d’information en sa qualité de prestataire de services d’investissement. Toutefois, il n’est identifié aucun préjudice réparable eu égard à la difficulté de déterminer si le débiteur ne pourra définitivement plus faire face à ses engagements à l’échéance. La variabilité de la valeur de rachat du contrat d’assurance-vie et des intérêts des prêts qu’il garantit rend incertain le préjudice subi par celui-ci. Sur ce point, l’arrêt rappelle une solution déjà retenue par la Cour de cassation (Cass. civ 1re, 29 mars 2017, n° 15-27.231 ; Cass. civ. 1re, 3 mai 2018, n° 17-13.593, JCP 2018, n° 24. 671, note J. Lasserre Capdeville ; Cass. com., 13 févr. 2019, n° 17-14.785, LEDB avr. 2019, p. 1, obs. M. Mignot ), et illustre la difficulté d’évaluer le préjudice du client victime d’une asymétrie d’information (v. sur ce point, F. Juredieu, « Perte d'une chance et devoir de mise en garde du banquier », Gaz. Pal. 26 févr. 2011, p. 13).

10L’analyse de cette décision révèle deux choses. D’une part, la difficulté à parvenir à une réparation sur le fondement de la responsabilité du banquier dispensateur de crédit ou prestataire d’investissement. Il est difficile pour les emprunteurs d’un crédit in fine de parvenir à obtenir réparation en raison de l’incertitude du préjudice avant le défaut de paiement à l’échéance fixée. D’autre part, cet arrêt met en lumière le caractère restrictif de la condition d’excessivité de l’engagement de l’emprunteur destinataire du devoir de mise en garde, si bien que l’obligation d’information à la charge du banquier prestataire de services d’investissement apparaît comme un fondement plus opportun pour les demandeurs.

11Le devoir de vigilance constitue une autre exception notable du principe de non-immixtion. Celui-ci s’analyse comme l’obligation pour le banquier de se renseigner sur la régularité d’une opération en cours de réalisation ou de s’y opposer en cas d’anomalies importantes. En matière de chèques falsifiés ou apocryphes (R. Routier, Obligations et responsabilités du banquier, 4édition, Dalloz Action, 2018-2019, n° 444.41), le devoir de vigilance impose au banquier soit de s’informer davantage sur la régularité de l’opération passée par son client, soit de s’opposer à son encaissement ou son paiement lorsque les anomalies constatées sont grossières et détectables (Cass. com., 30 mars 2010, n° 09-65.949, D. 2010.1013, obs. X. Delpech ; CA Rennes, 11 févr. 1998, JCP E 1999, p. 167, n° 59) par une simple analyse d’un agent normalement diligent (Cass. com., 10 déc. 2003, n° 00-18.653, D. 2004, AJ 208). Il sanctionne principalement les irrégularités immédiatement perceptibles.

12Dans le second arrêt de la cour d’appel de Lyon (CA Lyon, 1re chambre civile B, 18 Juin 2019 – n° 18/00857), un chèque falsifié présentait deux encres différentes ainsi que des chiffres et lettres surchargés en divers endroits. Se fondant sur le standard du banquier normalement diligent, la cour d’appel, à l’instar du tribunal de grande instance de Saint-Etienne ayant statué en première instance, n’a pas identifié une faute imputable au banquier tiré ou au banquier du faussaire. D’une part, la présence de deux encres dans un chèque est un fait courant en pratique, notamment lorsque le tireur confie au bénéficiaire la faculté de compléter les informations sur le montant. D’autre part, les écritures du faussaire sur le chèque n’apparurent qu’à la suite de l’examen minutieux d’un huissier de justice. Ainsi le banquier n’a-t-il pas manqué en l’espèce à son devoir de vigilance, les mentions falsifiées du chèque n’étant pas immédiatement détectables.

13En définitive, ces deux décisions illustrent que la multiplication des exceptions n’a pas fait perdre en consistance le principe de non-immixtion du banquier. L’appréciation rigoureuse des conditions de sa responsabilité civile, notamment la détermination du préjudice réparable, amenuit les chances de succès de l’action intentée à l’encontre de celui-ci. Il en va autrement en revanche des clients consommateurs ou des cautions non averties qui bénéficient d’un régime plus protecteur. Ainsi, certes le principe de non-ingérence protège le banquier d’actions en responsabilité intempestives, mais il ne le met pas à l’abri de toute condamnation à réparation.

Arrêt commenté :
CA Lyon, 1re chambre civile A, 23 Mai 2019 – n° 17/04066
CA Lyon, 1re chambre civile B, 18 Juin 2019 – n° 18/00857



Citer ce document


Jordi Mvitu Muaka, «La responsabilité du banquier à l’égard de son client : où s’arrête la passivité du banquier ?», BACALy [En ligne], n°14, Publié le : 01/01/2020,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=2275.

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À propos de l'auteur Jordi Mvitu Muaka

Doctorant, équipe de recherche Louis Josserand, université Jean Moulin Lyon 3


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