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Vices du consentement et contrats liés

Rebecca Frering


1La réforme du droit des contrats de 2016 a consacré un certain nombre d’avancées jurisprudentielles concernant les règles de formation du contrat, dont il est question dans l’arrêt rendu par la cour d’appel de Lyon le 20 juin 2019.

2Les juges lyonnais étaient ici saisis de la question de la validité d’un contrat appartenant à un ensemble contractuel. Une personne gestionnaire d’un service de location de taxi-moto dans la région, avait conclu un contrat avec une société de développement d’applications mobiles, afin d’en créer une pour son activité. Un contrat de location, moyennant un loyer régulier, est conclu le même jour entre cette personne et une autre société, en vue du financement du premier contrat. Suite à plusieurs impayés, cette seconde société assigne le cocontractant en paiement et obtient gain de cause en première instance. Celui-ci interjette appel devant la cour d’appel de Lyon, et met en cause la validité du bon de commande, notamment sur le fondement du dol, sollicitant ainsi la nullité des deux contrats. Plus précisément, il invoque une confusion entretenue par la première société entre la création d’une application mobile et l’adaptation d’une application existante. Il fait notamment état d’un échange de courriers électroniques dans lesquels, souhaitant s’assurer de s’être bien comprises quant aux termes de l’accord, les parties mentionnent les prestations suivantes : l’entreprise développera gratuitement la première version de l’application et, moyennant un loyer mensuel, elle en assurera la maintenance, la mise à jour, mais aussi l’ajout de nouvelles fonctionnalités. Or, à la demande d’ajout de nouvelles fonctionnalités par le bénéficiaire, l’entreprise lui a opposé un refus, au motif que cet ajout relèverait d’une nouvelle application, tout en proposant toutefois d’en chiffrer le montant. Pour obtenir la nullité des contrats litigieux, le bénéficiaire invoque ainsi le dol, le manquement à l’obligation précontractuelle d’information et la commission de pratiques commerciales frauduleuses. La cour d’appel fait partiellement droit à sa demande. Si elle rejette tout manquement à l’obligation précontractuelle d’information, elle retient en revanche le dol et la commission de pratiques commerciales trompeuses, permettant alors à l’appelant de voir l’ensemble des contrats anéantis, le premier étant nul, le second caduc.

3Si le litige appelait l’application du droit antérieur à la réforme des contrats, les juges du fond rendent une solution qu’il est néanmoins intéressant d’analyser au regard du droit nouveau, tant pour le dol (I), que pour la sanction de la caducité (II).

I/ La préalable qualification du dol

4Au cœur du litige se trouvait la question du consentement. L’appelant invoquait en effet au soutien de sa cause trois fondements assez proches : un manquement à l’obligation précontractuelle d’information, une pratique commerciale trompeuse et un dol.

5Le manquement à l’obligation précontractuelle d’information est un fondement régulièrement invoqué dans le domaine de la vente et de la prestation de service, notamment en raison de la complexité croissante des contrats. Cette obligation a fait son apparition dans la jurisprudence, et son importance pratique a justifié que la réforme du droit des contrats la consacre à l’article 1112-1 du Code civil. Le but de cette obligation est de s’assurer que le cocontractant consentira de façon éclairée, notamment quand le contrat est complexe. Mais, si l’appelant était légitime à l’invoquer, il ne pouvait pas s’appuyer sur cette disposition légale compte tenu de l’antériorité du litige. Il faut noter que la cour balaye cette question de manière lapidaire, estimant que l’obligation était remplie dans la mesure où le défendeur rapportait la preuve d’un entretien au cours duquel il aurait expliqué toutes les implications du contrat et qu’il s’est assuré ensuite par écrit que celles-ci aient été bien comprises de son cocontractant. On aurait pu s’attendre à une motivation plus développée et circonstanciée, notamment parce que la question du dol est soulevée, et que ces deux fondements sont intimement liés. Toutefois, le dol retenu n’étant pas un dol par réticence qui pourrait donc emporter le manquement à une obligation d’information, cette motivation laconique semble se justifier.

6Le dol retenu n’est effectivement pas un dol par réticence, mais bien un dol résultant de manœuvres positives. Le raisonnement qui conduit les juges du fond à cette solution mérite d’être commenté. Ils retiennent le dol par le détour des pratiques commerciales trompeuses. Ce délit est régi par l’article L121-2 du Code de la consommation, et la cour d’appel retient la commission des infractions prévues au 2° c) et e). Cette disposition prévoit qu’une pratique commerciale est trompeuse « Lorsqu'elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l'un ou plusieurs des éléments suivants : […] c) Le prix ou le mode de calcul du prix, le caractère promotionnel du prix et les conditions de vente, de paiement et de livraison du bien ou du service ; […] e) La portée des engagements de l'annonceur, la nature, le procédé ou le motif de la vente ou de la prestation de services ». Or, les échanges de courriers électroniques établissaient que le prestataire entendait comprendre dans son forfait l’ajout de fonctionnalités à l’application mobile, et que son refus quelques semaines plus tard de procéder à un tel ajout était en contradiction avec ce qu’il avait laissé entendre à son cocontractant. Bien que la commission de ce délit n’entraîne pas la nullité du contrat, et justifie seulement la condamnation à une amende et une peine d’emprisonnement (art. L132-2 C. consom.), la cour s’appuie sur cette qualification pour retenir la présence d’un dol. On peut regretter un manque cruel de développement pour justifier cette déduction. On croit néanmoins comprendre que la cour voit là une manœuvre constitutive d’un dol : l’entreprise aurait fait croire à son cocontractant que le forfait comprenait l’ajout de fonctionnalité alors que cela relevait d’une nouvelle application, nécessitant un autre contrat. Bien que, souvent, l’élément intentionnel soit particulièrement évident en présence de manœuvres positives (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil, Les obligations, Dalloz, coll. « Précis », 12e éd., 2018, n° 301 p. 340), il eût été appréciable qu’elle motive davantage sa décision sur ce point, ne serait-ce que pour vérifier la réunion de l’ensemble des éléments constitutifs du dol. Il n’apparaît pas en effet si évident que la société ait eu la volonté de tromper son cocontractant, la différence de discours pouvant par exemple s’expliquer par une erreur interne à l’entreprise.

7Toujours est-il que cette qualification entraîne la nullité du contrat, et que la cour d’appel prononce, par voie de conséquence, la caducité du contrat de location initialement à l’origine du litige.

II/ Le prononcé nécessaire de la caducité

8L’appelant sollicitait, à juste titre, l’anéantissement du contrat de location dans l’hypothèse où le contrat de développement de l’application mobile serait annulé. Le contrat de location n’avait effectivement pas de raison d’être sans ce dernier, puisqu’il était précisément destiné à le financer. Cette solution, dite de l’indivisibilité ou de l’interdépendance contractuelle, a été introduite par la Cour de cassation. Initialement réservée aux crédits liés ou affectés, cette jurisprudence fut par la suite étendue à l’ensemble des cas dans lesquels « le contrat “moyen”, dont on sollicite la caducité, avait été conclu en considération du contrat “final” ou “principal” préalablement disparu » (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil, Les obligations, Dalloz, coll. « Précis », 12e éd., 2018, n° 592, p. 665). Malgré des divergences entre les magistrats quant à la nature de l’extinction du contrat, la Cour de cassation n’a cessé d’employer la sanction de la caducité (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, ibidem). C’est donc bien cette jurisprudence que la cour d’appel de Lyon applique, à défaut de pouvoir appliquer le nouvel article 1186 du Code civil. Cet article prévoit en son alinéa 2 que : « Lorsque l'exécution de plusieurs contrats est nécessaire à la réalisation d'une même opération et que l'un d'eux disparaît, sont caducs les contrats dont l'exécution est rendue impossible par cette disparition et ceux pour lesquels l'exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d'une partie ». Le législateur a ici consacré la jurisprudence de la Cour de cassation sus-évoquée, et ce malgré quelques incertitudes quant au domaine et au régime de cette interdépendance. Les juges lyonnais étaient donc d’autant plus fondés à appliquer cette sanction qu’elle venait de faire son entrée dans le Code civil.

Arrêt commenté :
CA Lyon, 1re chambre civile A, 20 juin 2019, n° 16/08375



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Rebecca Frering, «Vices du consentement et contrats liés», BACALy [En ligne], n°14, Publié le : 01/01/2020,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=2304.

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À propos de l'auteur Rebecca Frering

Doctorante à l’équipe Louis Josserand, université Jean Moulin Lyon 3


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