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Baux commerciaux et clauses de résiliation automatiques : chronique d’actualité

Cécile Granier


11. Récurrence du contentieux. La mise en œuvre d’une clause de résiliation stipulée dans un bail commercial revêt à l’évidence un enjeu majeur pour le preneur. Si la clause est valablement mise en œuvre, le bail sera résilié de plein droit. Contraint de quitter les lieux, le commerçant s’exposera à la perte de la clientèle attachée à la localisation de son fonds de commerce. Cette considération constitue l’une des principales explications à la récurrence du contentieux entourant la mise en œuvre des clauses de résiliation dans les baux commerciaux. À cela, il faut ajouter la procédure protectrice du preneur prévue par l’article L. 145-41 du Code de commerce qui lui offre plusieurs fondements pour contester ou suspendre les effets de la clause de résiliation. Le contentieux devant la cour d’appel de Lyon ne fait pas exception. À plusieurs reprises au cours de l’année 2019, cette juridiction a dû se prononcer sur l’efficacité de telles clauses contenues dans des baux commerciaux. La présente chronique est l’occasion de s’attarder sur certaines d’entre elles.

22. Clause de résiliation et exception d’inexécution. La cessation du paiement des loyers par le preneur peut parfois être légitimée par le manquement du bailleur à ses propres obligations. Dans cette hypothèse, le mécanisme de l’exception d’inexécution, prévu par l’article 1219 du Code civil, peut opportunément venir au secours du preneur lorsque le bailleur active la clause de résiliation. Dans une décision du 28 mai 2019, la cour d’appel de Lyon a précisé les conditions d’efficacité de cette exception dans le cadre d’un bail commercial. En l’espèce, les preneurs avaient cessé de payer leur loyer et le bailleur avait logiquement mis en œuvre la procédure visant à obtenir la résiliation du bail sur le fondement de la clause figurant dans le contrat. Une ordonnance de référé du président du tribunal de grande instance de Lyon avait constaté la résiliation, ce que les preneurs contestaient en appel. Au soutien de leur recours, ils avançaient que le non-paiement des loyers était justifié par les manquements du bailleur à son obligation de délivrance conforme du bien loué. Selon eux, un dégât des eaux avait en effet rendu impossible l’exploitation du fonds de commerce de restauration installé dans les locaux loués. La cour devait ainsi se prononcer sur le point de savoir si l’exception d’inexécution pouvait valablement être invoquée par les preneurs, bloquant ainsi les effets de la clause de résiliation. Pour trancher ce litige, elle constate en premier lieu une inexécution du bailleur : la non-réalisation de travaux à la suite du dégât des eaux constituait bien un manquement à l’obligation de délivrance conforme qui pèse sur le propriétaire pendant l’entière durée du bail. Néanmoins, ce seul constat est insuffisant à justifier la cessation du paiement des loyers. Encore faut-il, comme l’exige l’article 1219 du Code civil, que ce manquement soit « suffisamment grave ». La cour réalise une interprétation stricte de cette condition de gravité en estimant que l’arrêt du paiement des loyers ne peut être justifié que si « la chose louée est rendue totalement inutilisable au regard de l'activité prévue au bail ». Appliquant cette solution à l’espèce, elle juge qu’au regard de la nature du fonds exploité – un fonds de restauration soumis à des normes sanitaires strictes – le dégât des eaux avait rendu impossible l’exploitation dudit fonds. Elle en conclut que l’exception d’inexécution a valablement été excipée et infirme l’ordonnance constatant l’acquisition des effets de la clause de résiliation.

3Si cette première décision confirme que l’exception d’inexécution peut, sous certaines conditions, paralyser les effets d’une clause de résiliation, un second arrêt daté du 12 novembre 2019 illustre néanmoins que la cessation du paiement des loyers constitue un jeu dangereux pour le preneur. Dans cette espèce, une locataire avait cessé de payer son loyer et une décision du juge des référés du tribunal de grande instance avait constaté la résiliation du bail sur le fondement de la clause de résiliation. Contestant en appel les effets de cette clause, la preneuse invoquait notamment des coupures d’électricité qui auraient rendu impossible l’exploitation de son fonds de commerce. La cour rejette cette argumentation en considérant que le trouble subi n’était pas « imputable » au bailleur. En somme, aucun manquement contractuel du bailleur, encore moins « suffisamment grave », ne permettait d’invoquer utilement l’exception d’inexécution. La cessation du paiement du loyer est donc considérée comme « unilatérale » et, par conséquent, injustifiée. L’exception d’inexécution ne pouvait dès lors jouer et empêcher la clause de résiliation de déployer ses effets.

43. Précision des manquements visés. La gravité pour le preneur des effets attachés à la clause de résiliation explique que le législateur et la jurisprudence aient strictement encadré leur mise en œuvre.

5Pour qu’une clause de résiliation soit valablement mise en œuvre, la jurisprudence exige en premier lieu que le manquement du preneur invoqué au soutien de la résiliation soit expressément visé par le bail (Cass. civ. 3e, 19 mai 2004, n° 02-20243, AJDI 2005, p. 208, M.-P. Dumont-Lefranc). Une décision de la cour d’appel de Lyon rendue le 24 octobre 2019 illustre les conditions de satisfaction de cette exigence. Une clause de résiliation avait été activée par des bailleurs au motif que le preneur avait violé l’interdiction contractuelle de donner le fonds exploité dans les locaux loués en location-gérance. Les preneurs contestaient le jugement de première instance ayant constaté la résiliation du bail sur ce fondement. S’appuyant sur l’exigence jurisprudentielle classique précitée, ils avançaient que le bail n’interdisait pas expressément la mise en location-gérance du fonds et que, par conséquent, la clause de résiliation n’avait pu produire effet. Le bail litigieux ne contenait en effet aucune interdiction littérale de mettre le fonds en location-gérance. Néanmoins, le contrat stipulait à la charge du preneur une obligation « d’occupation personnelle des lieux » et, surtout, contenait une interdiction de faire exploiter le commerce « par un gérant sous peine de résiliation du bail ». La question soumise à la cour était donc celle de savoir si de telles stipulations pouvaient s’interpréter comme interdisant expressément la mise en location-gérance du fonds. Sans s’arrêter à l’absence formelle des termes de locataire-gérant ou de location-gérance, la cour d’appel de Lyon répond par la positive en interprétant ces deux clauses comme équivalant à une interdiction expresse de la location-gérance et confirme, sur ce fondement notamment, la résiliation du bail.

6Pour qu’une clause de résiliation soit valablement mise en œuvre, la jurisprudence exige en second lieu que le commandement obligatoirement envoyé au preneur précise les manquements qui lui sont reprochés. Rappelons en effet que l’article L. 145-41 du Code de commerce conditionne l’efficacité de toute clause de résiliation contenue dans un bail commercial à l’envoi d’un commandement au preneur et à l’absence d’effet de ce commandement pendant le mois suivant son envoi. Dans une décision du 30 avril 2019, la cour d’appel de Lyon rappelle fermement cette exigence de précision : « le commandement de payer doit, à peine de nullité, faire connaître de façon précise au locataire le manquement aux obligations auxquels il doit être remédié et l'informer de ce que le bailleur entend résilier le bail si le locataire n'exécute pas ses obligations dans un délai d'un mois ». La cour apporte ensuite une précision intéressante concernant la satisfaction de cette exigence lorsqu’est en cause le paiement de sommes (ce qui constitue l’hypothèse la plus fréquente). Les preneurs semblaient en effet contester la validité du commandement visant le paiement de loyers et de charges au motif de l’absence d’un décompte des sommes dues annexé au commandement, qui décomposerait le montant global des sommes demandées. Pour rejeter cet argument, la cour se fonde sur la finalité de l’exigence : la précision quant aux manquements reprochés est requise afin de permettre au preneur de remédier dans le délai d’un mois à ces manquements. La cour estime en l’espèce que la mention de la somme suffit à faire connaître de façon exacte au preneur le montant de la dette due. L’exigence de précision est donc remplie et la validité du commandement ne se heurte dès lors à aucune contestation sérieuse.

74. Octroi de délais. Même dans l’hypothèse où le bailleur active légitimement la clause de résiliation et satisfait à la procédure rigoureuse prévue par l’article L. 145-41 du Code de commerce, les effets d’une telle clause peuvent être remis en cause par l’octroi de délais de grâce. L’article L. 145-41 du Code de commerce offre en effet la possibilité au preneur de requérir, auprès du juge, des délais qui suspendront les effets de la clause. Menacés de résiliation et au pied du mur, les preneurs auront naturellement tendance à user d’une telle faculté afin d’éviter la redoutée expulsion. Plusieurs arrêts récents de la cour d’appel de Lyon avaient donc notamment pour objet de se prononcer sur de telles demandes de délais. Dans chacune des décisions commentées (cour d'appel de Lyon, 8chambre, 8 octobre 2019, n° 19/02086, cour d'appel de Lyon, 8e chambre, 4 juin 2019, n° 18/09020, cour d'appel de Lyon, 8e chambre, 7 mai 2019, n° 18/07978, cour d'appel de Lyon, 8e chambre, 30 avril 2019, n° 18/07239), la juridiction commence par rappeler que la faculté d’octroyer des délais de grâce qui lui est ouverte peut être exercée tant qu’aucune décision passée en force jugée n’a constaté la résiliation du bail. Comme le prévoit l’article L. 145-41, la suspension des effets de la clause reste donc possible même postérieurement à l’écoulement du délai d’un mois, dont la survenance emporte normalement résiliation du bail. Dans ce contexte, pour que les délais de paiement puissent avoir une quelconque utilité, ils devront nécessairement être octroyés de façon rétroactive. Par le jeu d’une fiction temporelle, il sera alors considéré que ces délais ont été accordés avant l’écoulement du délai d’un mois et ont ainsi bloqué la résiliation automatique du bail qui aurait dû survenir à son terme. C’est de cette fiction que la cour use pour « sauver » deux baux commerciaux de la résiliation. Optant pour une solution qu’elle a déjà adoptée auparavant (voir par exemple, cour d’appel de Lyon, 17 janvier 2017, n° 15/06595, Loyers et copropriété, mars 2017, n° 62, obs. BRAULT, CHAVANCE), elle octroie rétroactivement des délais de grâce à deux preneurs qui n’avaient pas réglé les sommes dues dans le délai d’un mois, mais qui l’avaient fait par la suite (cour d'appel de Lyon, 8chambre, 8 octobre 2019, n° 19/02086 et cour d'appel de Lyon, 8chambre, 7 mai 2019, n° 18/07978). Elle en tire alors la conclusion suivante : les dettes ayant été acquittées dans le délai légal du fait de l’octroi rétroactif de délais de grâce, la clause n’a pas pu jouer et les baux continuent à produire leurs effets.

8Certaines circonstances justifient parfois que les juges se montrent moins cléments et refusent l’octroi de délais. Il est de jurisprudence constante que le juge est souverain quant à la décision d’octroyer ou non de tels délais (Cass. civ. 3e, 27 oct. 1993, n91-19.563). Il semble toutefois ressortir des arrêts analysés que la cour est particulièrement sensible au fait que le preneur continue à payer les sommes dues au bailleur après l’écoulement du délai légal d’un mois. En effet, dans une première décision (cour d'appel de Lyon, 8chambre, 4 juin 2019, n° 18/09020), elle refuse d’accéder à la demande de délais formulée par le preneur en soulignant qu’il n’avait pas repris « le paiement du loyer courant et commencé à apurer l'arriéré » au jour du jugement, soit bien après l’écoulement du délai d’un mois. Dans une seconde décision, elle refuse également l’octroi de délais en constatant que certes une régularisation partielle est intervenue après l’écoulement du délai d’un mois mais que, par la suite, et malgré l’engagement du bailleur à continuer les paiements, aucun versement n’a été effectué (cour d'appel de Lyon, 8chambre, 30 Avril 2019, n° 18/07239). À l’inverse, dans les deux espèces précitées (cour d'appel de Lyon, 8chambre, 8 octobre 2019, n° 19/02086 et cour d'appel de Lyon, 8chambre, 7 mai 2019, n° 18/07978) dans lesquelles les paiements avaient été poursuivis après l’écoulement du délai d’un mois, les délais ont été octroyés. On ne saurait donc que trop conseiller aux preneurs de continuer à exécuter pleinement leurs obligations, et ce même après l’écoulement du délai d’un mois emportant la résiliation du contrat. Le salut du bail pourrait – rétroactivement – y être trouvé.

Arrêts commentés :
CA Lyon, 8chambre, 28 mai 2019, n° 18/09033
CA Lyon, 8e chambre, 12 novembre 2019, n° 19/03502
CA Lyon, 3e chambre A, 24 octobre 2019, n° 17/08241
CA Lyon, 8e chambre, 30 avril 2019, n° 18/07239
CA Lyon, 8e chambre, 8 octobre 2019, n° 19/02086
CA Lyon, 8e chambre, 4 juin 2019, n° 18/09020
CA Lyon, 8e chambre, 7 mai 2019, n° 18/07978



Citer ce document


Cécile Granier, «Baux commerciaux et clauses de résiliation automatiques : chronique d’actualité », BACALy [En ligne], n°14, Publié le : 01/01/2020,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=2326.

Auteur


À propos de l'auteur Cécile Granier

Maître de conférences en droit privé, université Jean Moulin Lyon 3


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