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De la nature commune ou privée d’un lot de copropriété

Florent Berthillon


1Une copropriété de l’ouest lyonnais présente la particularité d’être bâtie toute proche d’un balme, une cavité naturelle résultant de la chute de blocs rocheux. Lorsque le bâtiment est construit, ni l’état descriptif de division, ni le règlement intérieur ne font mention de l’existence de ces espaces. Pourtant, certains copropriétaires les aménagent selon leurs goûts, profitant de ces anfractuosités pour effectuer quelques aménagements. De ces usages vint la nécessité de prendre en compte ces parties nouvelles de la copropriété par le biais de son règlement. À ce titre, une délibération de l’assemblée générale confie, en 2009, la mission de « faire correspondre la réalité physique des lots et leur description juridique » à un géomètre. En 2010, lorsqu’une SCI acquiert un appartement au sein de la copropriété, sa mission n’est pas terminée. C’est pourquoi, en sus des lots vendus, l’acte de vente mentionne également la jouissance de l’une de ces cavités par le cédant, qui s’en servait à la fois de cave, de cellier et de bureau. Elle y est décrite comme une « partie commune dont l'accès existe directement depuis le lot » cédé.

2Lorsque l’expert désigné par les copropriétaires rend son rapport, il propose de faire de ces parties communes des lots privatifs qui seraient ensuite cédés aux propriétaires des lots dont ils sont indissociables. Bien que l’assemblée générale ait acceptée à l’unanimité les recommandations du géomètre, le règlement de copropriété n’est pas modifié, ce qui mène la SCI à demander, en 2011, l’exécution de cette résolution ainsi que la mise à l’ordre du jour de la prochaine assemblée générale de la cession du lot qui doit en résulter. En fin d’année, ses attentes ne sont que partiellement satisfaites car, bien que l’assemblée des copropriétaires en accepte le principe, elle soumet la cession à certaines conditions que le copropriétaire estime vraisemblablement trop contraignantes.

3Las, le copropriétaire assigne syndic et syndicat devant le tribunal de grande instance de Lyon, aux fins d’obtenir notamment la modification du règlement de copropriété résultant des travaux de l’expert et acceptée en 2010, ainsi que la reconnaissance du caractère privatif du lot litigieux. Déboutée de toutes ses demandes, la SCI interjette appel le 24 mai 2016. À nouveau, elle demande que le lot litigieux lui soit attribué privativement.

4Au soutien de ses prétentions, elle ne se contente pas seulement de rappeler que l’assemblée générale avait acté la création et l’attribution de lots privatifs. Elle double son argumentaire d’une dimension qui ne ressortit plus aux actes, mais bien aux faits juridiques. Elle avance en effet que le lot litigieux doit lui être attribué aux motifs que celui-ci n’est accessible que depuis ce lot, qu’il avait fait l’objet d’aménagements par l’ancien propriétaire. Afin d’aller au-devant des arguments adverses, elle rappelle que la présence de canalisations et autres gaines d’air frais au sein du local litigieux ne peuvent en aucun cas permettre d’emporter le caractère commun de ce dernier. Le syndicat des copropriétaires fait quant à lui valoir que la présence de ces équipements collectifs dans le local litigieux atteste au contraire de sa nature de partie commune. Selon lui, conformément à l’article 3 de la loi du 10 juillet 1965, « l'affectation à l'usage ou à l'utilité de tous les copropriétaires ou plusieurs d'entre eux est le critère déterminant du caractère privatif ou commun d'un lot, de sorte qu'il importe peu qu'une partie du bâtiment ne soit accessible qu'à certaines personnes ».

5Comme le premier juge, la cour d’appel suit le raisonnement de l’intimé, considérant que « la SCI ne saurait prétendre être propriétaire de plein droit du lot au seul motif que l'accès n'en est possible qu'à partir de son lot ». Pour qualifier le lot litigieux de partie commune, les juges du fond se basent sur la présence d’installations qui révèlent, selon eux, la destination collective du lot en cause, ainsi que sur l’acte de vente de l’appartement de la SCI, lequel décrivait le lot litigieux comme une partie commune. De ce fait, la cour semble s’être rangée du côté de la présomption de parties communes que l’on déduit généralement de l’article précité. Autrement dit, elle se base sur l’existence d’installations bénéficiant à l’ensemble des copropriétaires dans le local litigieux pour en déduire sa nature de partie commune. Pourtant, l’affectation des installations n’est pas le seul critère de distinction entre parties privatives et communes, ce qui aurait pu donner plus de poids aux arguments de l’appelante. En effet, la jurisprudence tient également compte, précisément, de l’accès au local litigieux pour déterminer sa nature (Civ. 3e, 7 mai 1997, no 95‑15.762). Dans la mesure où, lorsque l’accès exclusif du local emporte sa qualification de partie privative, « l’ensemble des aménagements intérieurs de ces locaux et leurs accessoires d’équipements sont aussi considérés comme parties privatives » (W. Dross, Les choses, n° 208-3, p. 395), il n’est pas certain que la présence d’installations communes suffise à emporter la qualification de l’entier local. Pour autant, adopter un tel raisonnement aurait induit de suivre également l’appelante dans sa tentative de distinction, au sein du lot, entre l’espace revendiqué et le vide sanitaire qui se trouvait en-dessous, ce qui revenait donc à diviser le lot en deux, partie privative en-dessus, partie commune en-dessous. L’argument ne pouvait être suivi, en ce qu’il revenait à remettre en cause un état descriptif de division régulièrement adopté en assemblée générale. Sur ce point, l’orthodoxie de la solution ne semble pas contestable. Si le lot ne pouvait être traité que dans son ensemble, les options à disposition des juges du fond n’étaient pas si réduites. Entre parties privatives et communes, la loi de 1965 a été modifiée pour insérer, entre ces deux catégories, celle des parties communes à jouissance privative. Cette qualification permet de relativiser l’argument de l’accès exclusif de l’un des copropriétaires, car cette circonstance est désormais frappée d’équivoque quant aux qualifications qu’elle est susceptible d’emporter. Mécaniquement, l’affaiblissement de cet argument rehausse, par contraste, la force du titre de vente qui en l’espèce évoquait d’ailleurs précisément la « jouissance » de l’ancien copropriétaire. Si tout l’enjeu de ce litige était de mettre le droit en conformité avec le fait, son issue fut donc strictement inverse.

Arrêt commenté :
CA Lyon, 1re chambre civile B, 24 septembre 2019, n° 16/04013



Citer ce document


Florent Berthillon, «De la nature commune ou privée d’un lot de copropriété», BACALy [En ligne], n°14, Publié le : 01/01/2020,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=2354.

Auteur


À propos de l'auteur Florent Berthillon

Doctorant, université Jean Moulin Lyon 3


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