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Troubles anormaux du voisinage : action et délai de prescription

Marie Potus


1À l’origine de l’arrêt commenté se trouve l’appel formé par deux propriétaires contre une décision de tribunal d’instance ayant déclaré irrecevable leur demande tendant à mettre fin aux nuisances occasionnées par un sapin planté sur la propriété voisine.

2Au fond, les prétentions du couple paraissaient recevables. Ces derniers affirment en effet subir différents troubles anormaux de voisinage liés à la présence du sapin sur un fonds adjacent : une privation d’ensoleillement, des chutes importantes d’aiguilles, de pommes de pin et de branches, et la propagation de chenilles processionnaires. Bien que l’anormalité du trouble relève de l’appréciation souveraine des juges du fond (voir par ex. Cass. civ. 2e, 27 mai 1999, n° 97-20488), il est admis, depuis longtemps, que ces nuisances peuvent effectivement, lorsqu’elles sont exagérées, caractériser des troubles anormaux de voisinage (pour la perte d’ensoleillement voir : Cass. civ. 3e, 3 mai 2011, n° 09-70.291 ; à propos de la chute de feuilles : Cass. civ. 3e, 4 janvier 1990, n° 87-18.724 ; quant à la présence de chenilles processionnaires voir : CA Toulouse, 11 juillet 2003, n° 2003/01823).

3L’action des époux est toutefois déclarée irrecevable par le tribunal d’instance. L’estimant prescrite, il souligne que l’action « relevait de la prescription décennale prévue par l’ancien article 2270-1 du Code civil » ; or l’arbre litigieux a été planté au plus tôt en 1991, soit au minimum 25 ans avant son introduction.

4Mécontents, les appelants font valoir qu’il convient de distinguer « les troubles de voisinage constituant une atteinte structurelle à la propriété des troubles ressentis par les personnes occupantes des lieux, qui ressortiraient de l’action en responsabilité civile extra contractuelle ». Dans la mesure où les nuisances dénoncées relèvent du premier cas, ils en déduisent que leur action est une action réelle immobilière qui se prescrit par trente ans. De plus, ils soutiennent que le point de départ du délai de prescription de l’action se situe non pas au jour où l’arbre a été planté, mais au jour où il a acquis une taille suffisante pour occasionner les troubles allégués. Ainsi, il importe peu que le sapin ait été mis en terre en 1991 comme l’affirment les appelants ou il y a plus de trente ans comme s’en défendent les intimés. Dans un cas comme dans l’autre, les nuisances n’ont débuté qu’une fois que l’arbre a eu atteint une grande taille, c’est-à-dire, il y a moins de trente ans. Les époux estiment donc que leur action (réelle immobilière) ne saurait être prescrite.

5L’argument relatif au délai de prescription est toutefois balayé d’un revers de main par la cour d’appel qui précise que « la responsabilité découlant des troubles excédant les inconvénients normaux du voisinage nait des rapports personnels et non des rapports entre fonds ». Comme l’avaient relevé les premiers juges, la cour d’appel affirme que l’action en indemnisation des troubles anormaux de voisinage constitue une action en responsabilité extra contractuelle et non une action immobilière réelle. En conséquence de quoi, elle n’est pas soumise à la prescription trentenaire énoncée à l’article 2227 du Code civil, mais à la prescription quinquennale prévue à l’article 2224 du même Code. La cour opère toutefois une substitution de motif en soulignant qu’en l’espèce, il convenait d’appliquer la prescription quinquennale et non la prescription décennale prévue par l’article 2270-1 dans sa rédaction antérieure à la réforme de la prescription par la loi du 17 juin 2008. Avec cette décision, la cour d’appel de Lyon se place dans la droite ligne des arrêts rendus par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation laquelle classe la théorie des troubles de voisinage sous l’égide de la responsabilité extracontractuelle (voir Cass. civ. 2e, 13 septembre 2018, n° 17-22.474 ou encore Cass. civ. 2e, 7 mars 2019, n° 18-10.074). Pourtant, dans la mesure où le trouble dénoncé en l’espèce porte atteinte non pas à la personne des propriétaires, mais bien plutôt au fonds lui-même (et donc à l’exercice du droit de propriété), il eût été possible pour la cour d’appel de trancher la question en faveur d’une analyse réelle, à l’instar de la troisième chambre civile (voir Cass. civ. 3e, 5 février 2014, n° 13-10.816). C’eût toutefois été défendre un régime de prescription binaire de l’action en réparation des troubles de voisinage (tel que proposé par le rapport final de la mission Lepage de 2008 au n° 70 : « Article 1382-6 [à créer] : nul ne doit causer à la propriété ou à la personne d’autrui un trouble anormal de voisinage. L’action engagée en raison d’un trouble à la propriété est une action réelle. L’action engagée en raison d’un trouble à la personne est une action en responsabilité civile extracontractuelle »). Ce n’est cependant pas l’analyse retenue par la cour d’appel de Lyon qui, à la faveur d’une uniformisation des règles et en dépit, peut-être, d’une moindre cohérence, préfère opter pour une logique unitaire du régime de prescription de l’action en TAV.

6Quant à la prescription de l’action, la cour confirme le premier jugement mais rappelle que le délai de prescription commence à courir à compter des premières manifestations du trouble et non à compter du jour de la plantation comme l’a soutenu le premier juge. Cependant, dans la mesure où les documents produits (un cliché daté de mai 2011 et des attestations évoquant la gêne occasionnée par le sapin qui remontent à plusieurs années) permettent de constater que les troubles ont été provoqués bien avant 2011 (c’est-à-dire plus de cinq ans avant l’assignation introductive d’instance), elle en conclut que l’action intentée en 2016 est prescrite. En l’espèce, il semblait toutefois possible pour le couple d’arguer d’une aggravation des nuisances à même d’entrainer un nouveau délai de prescription. Comme le relève la cour elle-même, l’arbre litigieux est un « arbre à croissance rapide ». Ainsi, il eût peut-être été envisageable de prouver un accroissement des chutes d’aiguilles et un élargissement de la zone concernée par la privation d’ensoleillement. En outre, la solution à laquelle parvient la cour d’appel paraît critiquable en raison de son caractère excessif. En effet, le couple se plaint d’un trouble subi aujourd’hui même et non d’un trouble dont il aurait souffert il y a plus de cinq ans. Aussi, peut-être eut-il été plus judicieux de recourir à un autre mécanisme tel que, par exemple, la prescription acquisitive des servitudes (voir W. Dross, « La prescription de l’action pour troubles anormaux de voisinage : divergence à la Cour de cassation », RTD Civ., 2018, p. 948).

Arrêt commenté :
CA Lyon, 6chambre, 3 mai 2019, n° 17/07634



Citer ce document


Marie Potus, «Troubles anormaux du voisinage : action et délai de prescription», BACALy [En ligne], n°14, Publié le : 01/01/2020,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=2358.

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À propos de l'auteur Marie Potus

Doctorante contractuelle, université Jean Moulin Lyon 3


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