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Le nantissement pour autrui d’un contrat d’assurance-vie n’est pas un cautionnement

Cécile Granier


11. La proposition de réforme du droit des sûretés émanant de l’association Henri Capitant propose l’introduction dans le Code civil d’un article définissant les sûretés réelles et personnelles (association Henri Capitant, avant-projet de réforme du droit des sûretés, www.henricapitant.org, M. Grimaldi, D. Mazeaud, P. Dupichot, « Présentation d’un avant-projet de réforme des sûretés, D. 2017, p. 1717). À son terme, la sûreté personnelle constituerait « l’engagement pris envers le créancier par un tiers non tenu à la dette qui dispose d’un recours contre le débiteur principal », tandis que la sûreté réelle serait « l’affectation préférentielle ou exclusive d’un bien ou d’un ensemble de biens, présents ou futurs au paiement préférentiel ou exclusif du créancier ». La distinction entre ces deux techniques de garantie apparaît ainsi bien balisée et les chevauchements peu probables. L’arrêt commenté offre néanmoins l’occasion de rappeler qu’une configuration spécifique a, un temps, pu obscurcir la netteté de cette distinction. Il s’agit de l’hypothèse dans laquelle le constituant d’une sûreté réelle, c’est-à-dire la personne apportant un bien en garantie au créancier, n’est pas le débiteur de l’obligation garantie mais est un tiers.

22. En l’espèce, la dette garantie était celle d’une SARL ayant obtenu auprès d’une banque un crédit de trésorerie d’un montant de 450 000 euros. Afin de garantir le remboursement, chacun des associés de la SARL avait consenti une sûreté. Trois d’entre eux s’étaient engagés en qualité de cautions solidaires avec un plafond de 60 000 euros. Quant au quatrième associé, également co-gérant de la SARL, il avait, comme le permet l’article L.132-10 du Code des assurances, consenti un nantissement sur un contrat d’assurance-vie, également à hauteur de 60 000 euros. Suite au non-paiement des échéances par la société débitrice, la banque activa les garants. Trois des associés, dont le co-gérant ayant souscrit le nantissement, réglèrent la somme de 9 772 euros chacun. Ces paiements furent néanmoins insuffisants pour recouvrer la totalité de la somme due par la débitrice. La banque réalisa alors le nantissement accordé sur l’assurance-vie du co-gérant et obtint sur ce fondement le versement de la somme de 9 844,72 euros.

3Souhaitant finalement récupérer les sommes versées, le co-gérant argua ensuite que les paiements réalisés étaient indus car les garanties qu’il avait octroyées à la banque étaient nulles. Insensible à cette argumentation, la banque refusa de lui restituer les sommes litigieuses. Le co-gérant l’assigna alors en nullité des garanties et en restitution des sommes versées. Suite au rejet de ces demandes en première instance, il forma appel devant la cour d’appel de Lyon.

43. La clé de voûte de l’argumentation du co-gérant résidait dans la qualification des garanties consenties. L’appelant fondait en effet sa demande de nullité sur les anciens articles L.341-2 et L.341-3 du Code de la consommation (devenus articles L.331-2 et L.331-3). Le premier obligeait la caution personne physique à apposer dans le contrat de cautionnement conclu avec un créancier professionnel une mention manuscrite, et ce à peine de nullité du cautionnement. Le second imposait une mention manuscrite supplémentaire en cas de cautionnement solidaire. L’appelant avançait ainsi que la première garantie octroyée, qui devait être qualifiée de cautionnement, était nulle du fait de l’absence des fameuses mentions manuscrites requises par le Code de la consommation. Il avançait ensuite que la seconde garantie, le nantissement, encourait également de ce fait la nullité.

5La banque ne contestait en aucune manière l’absence de telles mentions. Elle estimait néanmoins que leur présence n’était pas nécessaire puisque la garantie qui lui avait était concédée – qu’elle considérait à la différence du demandeur comme unique – ne pouvait être qualifiée de cautionnement. Pour soutenir une telle qualification de cautionnement, l’appelant avançait que le contrat conclu mentionnait expressément sa qualité de « caution ». Ajoutons que le fait que les trois autres associés aient conclu avec la banque des contrats de cautionnement a sûrement dû encourager le co-gérant à se prévaloir d’une telle qualification.

64. Tenue de restituer aux faits leur juste qualification (article 12 du Code de procédure civile), la cour d’appel devait donc déterminer la nature du contrat afin de solder ce litige. Elle retient que le nantissement portant sur un contrat d’assurance-vie contracté par le dirigeant associé pour garantir la dette de sa société ne constitue pas une « une garantie personnelle (…) au travers d'une caution solidaire engageant son patrimoine » mais bien « une garantie réelle portant uniquement sur une assurance-vie ». Sans s’arrêter sur l’emploi inadapté du mot « caution », elle s’appuie notamment sur une clause du contrat énonçant clairement que le co-gérant « ne contracte aucun engagement personnel ».

75. Cette décision doit être mise en perspective avec une solution jurisprudentielle constante depuis 2005. L’engagement d’un tiers apportant un bien en garantie de la dette d’autrui, anciennement connu sous l’expression de cautionnement réel, a en effet généré pendant un temps des difficultés de qualification. Dans cette hypothèse, un tiers s’engage au profit d’un créancier pour garantir la dette d’un débiteur, ce qui rappelle fortement la figure de la sûreté personnelle et de son représentant principal : le cautionnement. Néanmoins, l’engagement porte sur un ou plusieurs biens déterminés qui sont affectés en garantie du règlement d’une obligation, ce qui tend à le rapprocher de la figure de la sûreté réelle. Le caractère hybride de la situation et l’enjeu de la qualification – l’application du régime protecteur du cautionnement – a donné lieu à une controverse doctrinale et jurisprudentielle. Par un arrêt du 2 décembre 2005, (Cass., ch. mixte, 2 déc. 2005, n° 03-18.210), une chambre mixte a énoncé qu’« une sûreté réelle consentie pour garantir la dette d'un tiers n'implique aucun engagement personnel à satisfaire l'obligation d'autrui ». Or, à défaut d’engagement personnel du tiers, une telle garantie ne saurait être qualifiée de cautionnement. Cette sûreté se singularise en effet par le fait que la caution s’engage à satisfaire à l’obligation du débiteur s’il ne le fait pas lui-même (article 2288 du Code civil), cet engagement portant nécessairement sur tout son patrimoine et pas seulement sur certains biens déterminés. Tirant les conséquences d’une telle qualification, la Cour de cassation a ensuite affirmé que celui qui consent une sûreté réelle pour garantir la dette d’autrui ne peut se prévaloir d’une obligation de mise en garde (Cass. com., 24 mars 2009, n° 08-13.034) ou encore du bénéfice de discussion et de division (Cass. civ. 1er, 25 novembre 2015, n° 14-21332). Il s’agit en effet d’éléments de régime propres au cautionnement, dont ne peuvent se prévaloir les constituants de sûretés réelles. À la lumière de ces solutions jurisprudentielles, et malgré une rédaction contractuelle manifestement maladroite, la qualification de cautionnement et la demande de nullité formulée avaient bien peu de chances de prospérer. Le cautionnement ne se présumant pas (article 2292 du Code civil), à défaut d’engagement clair et non équivoque à satisfaire à la dette d’autrui, les demandes sont logiquement rejetées par la cour d’appel de Lyon. Soulignons néanmoins que cette solution jurisprudentielle pourrait être remise en cause si l’article 2291 de l’avant-projet de réforme du droit des sûretés rédigé par l’association Henri Capitant était adopté en l’état. Cet article propose en effet de réintroduire le concept de cautionnement réel et, selon les auteurs de la réforme, de remettre en cause la jurisprudence inaugurée par l’arrêt du 2 décembre 2005 (association Henri Capitant, avant-projet de réforme du droit des sûretés, préc. p. 52).

Arrêt commenté :
CA Lyon, 3e chambre A, 3 Octobre 2019, n° 17/05872



Citer ce document


Cécile Granier, «Le nantissement pour autrui d’un contrat d’assurance-vie n’est pas un cautionnement», BACALy [En ligne], n°14, Publié le : 01/01/2020,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=2366.

Auteur


À propos de l'auteur Cécile Granier

Maître de conférences en droit privé, université Jean Moulin Lyon 3


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