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Décision QPC et évaluation de la perte d’une chance

Pascale Deumier

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1Une décision QPC n’intervient que de façon indirecte dans l’arrêt du 18 octobre 2016 mais elle illustre un point intéressant, celui des différents rapports de l’application d’une règle avec le temps selon son rôle dans le raisonnement. En l’espèce, la victime d’un accident sur un chantier en 2000 avait introduit une action en responsabilité contre son avocat pour ne pas avoir saisi le TASS d’une requête en reconnaissance de faute inexcusable, après l’échec de la tentative de conciliation et avant l’expiration du délai de prescription. Il est inutile pour comprendre la dimension QPC de cet arrêt de revenir sur les diverses circonstances contentieuses permettant de juger de la responsabilité de l’avocat.

2Contrairement au TGI de Lyon, la cour d’appel va estimer que du fait d’une faute de sa part, la victime « a perdu une chance de voir reconnaître la faute inexcusable de l'employeur et d'obtenir l'indemnisation de son préjudice ». Pour évaluer ce préjudice, l’arrêt retient notamment ce motif : « L'indemnisation des préjudices complémentaires au titre de la faute inexcusable était, en l'état du droit applicable avant la décision n° 2010-8 du Conseil constitutionnel QPC du 18 juin 2010, limitée aux postes prévus à l'article L. 452-3 du code de la Sécurité sociale ».

3Rappelons que cet article liste, en cas de faute inexcusable de l’employeur, outre les majorations de rente, les chefs de préjudice pouvant donner lieu à une réparation. Cependant, le Conseil constitutionnel a soumis la constitutionnalité de la disposition à une réserve d’interprétation selon laquelle la victime doit pouvoir « demander à l'employeur réparation de l'ensemble des dommages non couverts par le livre IV du Code de la sécurité sociale » (2010-8 QPC du 18 juin 2010, cons. 18). Il a déjà été remarqué dans cette revue que la cour d’appel de Lyon respecte, à juste titre, l’autorité de cette interprétation (CA Lyon, 24 janvier 2012, n° 11/01243, Bacaly n° 1). Elle le fait rétroactivement, i.e. à des faits survenus avant la décision QPC. Cette rétroactivité est inhérente à la technique utilisée par le Conseil constitutionnel, celle de la réserve d’interprétation. En effet, l’interprétation de la loi, qu’elle soit portée par une loi interprétative ou une jurisprudence, est par nature rétroactive. Il est généralement considéré qu’elle s’incorpore au texte interprété, bénéficiant de son champ d’application temporel. Dans l’arrêt du 18 octobre 2016, la cour d’appel de Lyon fait pourtant une application du texte sans son interprétation constitutionnelle. Sa position est parfaitement justifiée car, dans cet arrêt, la cour d’appel ne fait pas application de la règle en question à des faits antérieurs : elle n’a pas ici pour mission de prononcer le montant de l’indemnisation ; elle se prononce sur la chance perdue d’obtenir une telle évaluation en tentant d’évaluer l’appréciation qui aurait été celle du TASS, si, en l’absence de faute de l’avocat, il avait été saisi avant la prescription, i.e. « au plus tard le 14 novembre 2007 ». De façon très réaliste, cette appréciation n’aurait pu, en 2007, tenir compte de la réserve portée par une décision QPC en 2010 : le requérant ne peut donc prétendre avoir été privé d’une chance d’obtenir la réparation intégrale qui n’était pas le droit à l’époque où il aurait été jugé.

Arrêt commenté :
CA Lyon, 1re chambre civile B, 18 octobre 2016, n° 14/08131



Citer ce document


Pascale Deumier, «Décision QPC et évaluation de la perte d’une chance», BACALy [En ligne], n°10, Publié le : 23/01/2018,URL : http://publications-prairial.fr/bacaly/index.php?id=539.

Auteur


À propos de l'auteur Pascale Deumier

Professeur à l’Université Jean Moulin Lyon 3


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