L’éthique en question

DOI : 10.35562/canalpsy.139

p. 25

Notes de la rédaction

Texte publié dans le numéro 7 de Canal Psy.

Texte

Représentation de la sagesse (1635) : « Sapiens Dominabitur Astris ». Traduction libre du texte : « Qui acquiert la sagesse sera maître des astres ». Wisdom Emblem, from: George Wither, “A Collection of Emblemes Anciente and Moderne”, London (1635).

Représentation de la sagesse (1635) : « Sapiens Dominabitur Astris ». Traduction libre du texte : « Qui acquiert la sagesse sera maître des astres ». Wisdom Emblem, from: George Wither, “A Collection of Emblemes Anciente and Moderne”, London (1635).

Depuis toujours, la double question formulée au XVIIIe siècle par le philosophe de Koenigsberg : « Que dois-je faire ? Que puis-je espérer ? », hante l’homo sapiens.

À la différence des autres espèces animales, son éthos n’est pas régi par l’instinct et son désir outrepasse sans cesse les bornes de ses besoins. Au fil des âges, les civilisations diverses ont tenté de fournir des réponses pour baliser le comportement des humains et rassurer leurs angoisses, sans jamais y parvenir totalement. Les progrès de la science et des techniques ont redonné une force accrue à la question kantienne au XXe siècle, plus particulièrement dans le domaine de ce qu’on appelle improprement la bio-éthique, puisqu’elle n’inclut ni le comportement des végétaux, ni les mœurs des amibes ou des virus, mais exclusivement l’action de celui que Lacan appelait le parlêtre. Pour l’homme qui parle, en effet, la question « Que dois-je faire ? » ne se pose pas seulement dans la relation soignante, mais elle se pose avec acuité et constance dans la relation de l’individu au groupe social. Imagine-t-on une abeille qui, ayant perçu le message donné par une ouvrière à propos d’un champ de fleurs dont elle signale la distance et l’orientation, se poserait la question de savoir ce qu’elle doit faire ? Pour compliquer encore les choses, le savoir apporté à l’homme par la société, qui s’essaie à dire ce qu’il convient de faire et de ne pas faire, ne règle pas pour autant la question de l’acte des humains. Est-ce à dire que le faire humain échappe à toute règle et qu’il n’est pas possible d’en rendre compte ? Certes pas, puisque précisément, toute société et toute institution demande des comptes à ses membres ou à ses adhérents. Pour tout homme donc, la question éthique se pose dans un cadre social, lequel devrait introduire une démarche rationnelle conduisant à un acte qui, lui, met toujours en jeu la parole et, on le sait depuis Freud, son intrication avec les pulsions. Enseigner l’éthique consistera à éclairer la démarche, à restreindre l’espace obscur d’un acte qui, in fine, échappe à toute rationalisation.

Tous les discours, mais certains plus que d’autres, ont partie liée avec la démarche éthique. Le discours juridique d’abord, qui, en protégeant les sujets de droit, limite l’espace du faire humain, interdisant l’usage de la violence pour permettre l’interdit de la parole. Mais également les idéologies et les morales qui s’efforcent de donner la cohésion aux groupes en leur faisant partager des valeurs communes, de même que les cultures qui, implicitement, règlent les us et coutumes, sans oublier les déontologies qui, pour chaque profession, définissent les droits et les devoirs qui lui sont propres. Il est vrai que chacun de ses discours, suivant les époques, a voulu régenter l’acte humain de façon totalitaire, prétendant ainsi en finir avec l’angoisse et la culpabilité liées à l’acte éthique et faire taire la question même du sujet. Aucun de ses discours, à lui seul, ne peut assumer ni résumer la démarche éthique, mais chacun joue un rôle qu’aucun psychologue ne peut impunément ignorer.

Comment articuler ces discours multiples qui cherchent à mettre en cage un réel inquiétant sans jamais y parvenir ? Une réponse, parmi d’autres, peut être apportée par la psychanalyse. Non point que celle-ci prétende répondre à la question au point de la rendre inutile, même si Lacan a pu dire « Ne demande que faire que celui dont le désir s’éteint »1. Mais les lumières apportées par Freud sur le fonctionnement de cette nuit qui nous habite et nous agite, ainsi que sur l’irréductibilité du sujet humain à son ego et aux discours qui le désignent peuvent éclairer les prétentions des discours, pointer à la fois leurs limites et leur nécessité. En particulier, la psychanalyse permet d’articuler l’universalité de la loi et la singularité de chaque sujet dans l’irréductibilité de son histoire et, pour partie, de son symptôme. On peut se demander pourquoi la métapsychologie freudienne ne revendiquerait pas, dans ce champ de l’éthique, la fonction de méta discours, tout comme la linguistique l’a revendiqué, à juste titre, dans d’autres domaines ?

En effet, que l’on soit freudien ou non, il est difficile de ne pas percevoir que la difficulté des relations intersubjectives est constitutive de leur richesse, que le malaise dans la civilisation est constitutif de la civilisation même et que l’acte éthique, par-delà la démarche rationnelle qui doit être la nôtre, met en jeu une part de nous-mêmes qui nous échappe. Notre responsabilité de sujet, c’est précisément de devoir faire avec, dans les deux sens de l’expression : de nous en accommoder, certes, mais pour la mettre au travail. Wo es war, soll ich werden, disait Freud, « Là où ça était, là dois-je advenir »2. Tâche éthique impossible, mais nécessaire, tout comme l’assèchement du Zuyderzee.

1 Lacan J., Télévision, Paris, 1974, p. 65.

2 Traduit de façon erronée par « Le moi doit déloger le ça » in Freud S., « Les diverses instances de la personnalité psychique », Nouvelles

Notes

1 Lacan J., Télévision, Paris, 1974, p. 65.

2 Traduit de façon erronée par « Le moi doit déloger le ça » in Freud S., « Les diverses instances de la personnalité psychique », Nouvelles Conférences sur la Psychanalyse, Idées, Gallimard, Paris.

Illustrations

Représentation de la sagesse (1635) : « Sapiens Dominabitur Astris ». Traduction libre du texte : « Qui acquiert la sagesse sera maître des astres ». Wisdom Emblem, from: George Wither, “A Collection of Emblemes Anciente and Moderne”, London (1635).

Représentation de la sagesse (1635) : « Sapiens Dominabitur Astris ». Traduction libre du texte : « Qui acquiert la sagesse sera maître des astres ». Wisdom Emblem, from: George Wither, “A Collection of Emblemes Anciente and Moderne”, London (1635).

Citer cet article

Référence papier

Michel Cusin, « L’éthique en question », Canal Psy, 100 | 2012, 25.

Référence électronique

Michel Cusin, « L’éthique en question », Canal Psy [En ligne], 100 | 2012, mis en ligne le 11 décembre 2020, consulté le 20 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=139

Auteur

Michel Cusin

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