Silencieux dans un groupe de parole

Échanges sur les effets du silence dans l’acte thérapeutique groupal et dans la formation du clinicien

DOI : 10.35562/canalpsy.1625

p. 6-10

Plan

Texte

Nous abordons ici la place et l’enjeu du silence dans la formation du psychologue clinicien, en l’évoquant depuis trois places singulières et entremêlées :

  • Depuis la place du stagiaire psychologue, en partant de mon expérience d’observateur silencieux dans un groupe de parole. À travers ce témoignage, je veux expliquer en quoi l’expérience de cette position silencieuse a contribué à la trans-formation que vise l’engagement du stagiaire dans une prise en charge groupale ou individuelle. À quoi ce silence m’a-t-il confronté ? Comment y ai-je réagi ? Quel aménagement/réaménagement a-t-il provoqué ?
  • Depuis la place du professionnel formateur. Elysé Linde animait ce groupe de parole. Comment a-t-il conçu cette place d’observateur silencieux dans le processus de formation professionnelle ? Comment a-t-il vécu la séquence que je présente ? Que peut-il en dire aujourd’hui ?
  • Enfin du point de vue du clinicien chevronné assurant le temps d’élaboration de la pratique que l’Université inclut dans le processus de formation des psychologues cliniciens. Dominique Murbach animait le temps « universitaire » d’élaboration pendant cette année de stage ; temps pendant lequel j’ai souvent évoqué mon expérience à La Chavannerie. Qu’est-ce que lui évoque mon témoignage, et plus généralement cette question du silence dans la construction de la posture clinique ?

Vincent Charazac

Je vous propose pour commencer de situer le groupe de parole dans son contexte institutionnel. La clinique psychiatrique La Chavannerie est un établissement lyonnais emblématique de la psychothérapie institutionnelle. Le groupe de parole, animé par Elysé, y occupe une place particulière :

  • D’abord parce qu’il témoigne du pari thérapeutique de son fondateur, Antoine Appeau, psychiatre kleinien qui a longtemps animé ce groupe. La clinique n’échappe pas au courant actuel de contestation de la légitimité de l’approche psychodynamique. Le groupe de parole reste cependant un temps et un lieu où le monde interne de chaque sujet peut se déployer pour appréhender les conflits et leur répétition à l’aune du transfert et de l’association libre.
  • Ensuite parce que depuis quelques années, les groupes à médiation se sont considérablement développés dans cette structure. Les groupes de parole constituent une vraie alternative thérapeutique : s’agissant d’un dispositif « ouvert », les patients n’ont pas à s’y inscrire dans la durée pour y participer. Ceci leur offre une modalité d’investissement alternative et un rapport singulier à l’objet groupal. Poursuivant le pari thérapeutique du fondateur, les patients peuvent transférer sur le groupe, l’animateur et les autres participants ; le groupe peut être aimé ou haï, attaqué ou surinvesti, sans que l’enjeu d’une place pérenne n’entrave ces mouvements. Au plan thérapeutique, cet espace peut compléter les prises en charge individuelles et être pensé lors des réunions institutionnelles.
  • Enfin, le groupe de parole a été un lieu de formation pour Elysé et moi, et comme pour chaque stagiaire passé par La Chavannerie. Il y aurait donc une sorte de « passage obligé » par ce groupe dans le processus de trans-formation du futur clinicien, même si les modalités ont pu être différentes. Historiquement, mon formateur (Elysé) a lui-même commencé par observer un sujet « sachant » dans l’exercice de sa pratique clinique (Antoine Appeau), avant de lui-même animer un groupe de parole dans cette institution.

Je vous propose à présent de témoigner de mon expérience et des réflexions qu’elle m’évoque.

Je rejoins le groupe de parole un mardi de septembre 2011, entamant ainsi mon stage en « psychiatrie adulte » du Master 2 Pro de psychopathologie et psychologie clinique. Je réaliserai a posteriori que je ne n’avais pas préliminairement questionné Elysé à propos de l’enjeu du silence dans cette position : « avait-il une fonction spécifique dans ma formation ? Comment la dynamique groupale s’en trouvait ou non affectée ? Comment allions-nous le penser dans les après-coups ? »

Je signale également que dans le processus de formation, Elysé et sa collègue clinicienne avaient proposé que mon stage commence avec cette place, complété par une co-animation de Photolangage© et la participation aux réunions institutionnelles. Les suivis individuels ne viendraient que plus tard, lorsque j’aurai « trouvé mes marques » et que nous l’aurions pensé tous les trois…

Pour témoigner de mon passage par le silence, je relèverais trois phases successives dans le temps, comme différents stades traversés dans cette position.

Mes premières semaines au sein du groupe de parole sont celles de la rencontre avec la souffrance psychique. Je dirais volontiers que j’assiste au groupe et non pas que j’y participe : j’écoute les éprouvés et les vécus individuels dont les patients témoignent ; j’entends les associations groupales qui se construisent progressivement ; j’observe certaines dynamiques. Mais sans me laisser porter par ces mouvements. Cette difficulté m’apparaîtra à travers ma tendance à vouloir comprendre la dynamique collective à la lumière de la théorie. Une théorie qui envahit concrètement mon appareil psychique alors que j’écoute les échanges groupaux. Ces concepts viendraient-ils me protéger du risque d’envahissement par la folie et la souffrance psychique ? Cette théorie participerait-elle d’un fantasme de toute-puissance ou plutôt de tout-savoir dans cette période de formation ? Tout comprendre d’une séance, pouvoir rapprocher tous les échanges d’un savoir théorique ? Cet engagement psychique défensif dans la posture d’observateur silencieux s’accompagne d’une abondante prise de notes après chaque séance : ne rien oublier, mais peut-être aussi ne pas tout garder en moi, trouver un espace auxiliaire pour déposer. Parce que cette place me confronte aussi à ma capacité à accueillir, à contenir sans faire de retour oral.

Après chaque séance du mardi matin, Elysé et moi prenons une quinzaine de minutes pour revenir sur nos éprouvés et le sens que nous avons construit de ces échanges depuis nos positions respectives. Ces temps me sont précieux. J’y constaterai progressivement combien la théorie me coupe de mes éprouvés contre-transférentiels. C’est aussi pendant ces après-coups que je peux questionner Elysé sur sa pratique : pourquoi a-t-il souligné tel mouvement groupal ? Comment a-t-il compris tel témoignage d’un participant ? Questions qui pourraient témoigner de la dynamique identificatoire dans ma construction professionnelle.

Un mardi, au sortir d’un groupe de parole, je croise Billy, un jeune patient, qui m’interpelle : « merci pour tout à l’heure ». Je ne comprends pas, entendant d’abord une apostrophe ironique : « il se moque de moi, je ne peux pas l’aider vu que je me tais » ; je lui demande « pourquoi me remerciez-vous ? » Billy me répond : « merci de m’avoir écouté tout à l’heure ». Peut-être retrouve-t-on ici l’hypothèse de toute-puissance (« si seulement je pouvais parler, c’est sûr, je l’aiderai »). Cette séquence m’indique surtout que l’enjeu de la posture clinique doit aussi se penser au-delà de la question de la parole. Pour Billy, l’important à ce moment-là était d’être en présence d’un sujet écoutant ; le fait qu’un interlocuteur se taise pouvait favoriser un transfert positif, le négatif pouvant éventuellement être dirigé contre l’animateur parlant. Peut-être représentais-je pour lui le double muet, le négatif de l’animateur parlant au sein du couple thérapeutique. Dans la perception du soin de ce patient, l’identification d’un thérapeute silencieux pouvait sans doute contrebalancer les mots « inacceptables » de l’autre thérapeute. Je me demanderais ainsi plus tard « par qui Billy n’a pas été écouté ? »

Deux mois plus tard, je commence à vivre cette posture d’observateur silencieux comme une place carencée, incomplète, frustrante, qui me prive de quelque chose ; je dirai plus tard à Elysé avoir été « assigné à cette place », comme si j’avais été « placé ici par un père castrateur, qui conserve un phallus parlant pour lui ».

C’est à la même période que je commence à assurer des prises en charge individuelles durant lesquelles j’expérimente la parole dans le soin psychique individuel. Sans doute m’est-il alors difficilement supportable de ne pas pouvoir en faire usage dans cet autre temps du soin ! Dans la réalité, le temps de suivi individuel a d’ailleurs remplacé ma participation au groupe de parole du jeudi, ne conservant plus que le groupe du mardi.

C’est aussi durant cette période qu’Elysé et moi ne trouvons matériellement plus le temps d’échanger dans l’après-coup du groupe de parole du mardi. Son emploi du temps est tendu, je propose moi-même des rendez-vous individuels sur ce créneau ; mais surtout je ne ressens pas le besoin de le solliciter dans cet après-coup. S’agit-il alors d’une expression de « la défiance contre un père symbolique » ? Le fantasme « d’y arriver tout seul, sans lui » ?

Mes notes manuscrites post-groupe s’allègent progressivement.

 

 

Simon Caruso (http://www.simoncaruso.com).

Quelques semaines plus tard, je reçois Fanette en consultation individuelle, qui participe également au groupe de parole. Fanette me dit après plusieurs séances qu’elle apprécie de pouvoir me voir dans différents lieux « avec vous en individuel, je peux travailler ; et je sais qu’en vous voyant en groupe de parole, même si vous ne parlez pas, ça me fait du temps de travail en plus ». Fanette me pousse à dépasser mon vécu de frustration pour penser ma position « de son point de vue ». Bien que ne parlant pas dans le groupe, ma présence sur ce mode silencieux produit des effets, par exemple en provoquant des mouvements identificatoires spécifiques.

Fanette pourrait illustrer une évolution dans mon parcours de formation. Si je travaille avec elle en individuel, Elysé est son thérapeute « parlant » en groupe de parole. Dans ce temps, je l’observe travailler avec Fanette avec ses mots, sa pratique, ses hypothèses… À ce stade de ma formation, mes questions ont changé. Après quelques mois de pratique, identifications et contre-identifications au formateur s’entrecroisent ; émerge alors l’enjeu d’une praxis et d’un style propres, et, dans l’ombre, la question de la rivalité entre pairs. Il me semble que cette double inscription « observateur silencieux/clinicien parlant » me permet d’être davantage au contact de cette évolution. D’ailleurs, nous pourrons l’évoquer avec Elysé.

Plus tard s’amorcera la troisième phase, plus complexe, de l’intégration de la position silencieuse dans ma posture clinique. Une phase d’intégration par opposition aux stades précédents, qui étaient davantage clivés. Une phase engagée, mais non-aboutie, sans doute encore au travail en moi. Elle témoigne que cette position silencieuse m’a fait vivre durant ma formation l’importance d’un engagement spécifique, passivé, en creux, « en retrait » pour reprendre les mots de Paul Fustier (2003). Comme l’amorce d’une prise de conscience que ce que j’expérimentais dans des places et des temps différents devait parvenir à s’intégrer à une même posture clinique et à un même appareil psychique ! Intégrer à la fois la parole et le silence. En repensant à l’interpellation de Billy, il me semble que l’observateur silencieux est aussi celui vers qui le patient crie sans forcément attendre de réponse, peut-être sans s’adresser spécifiquement à quelqu’un. En partant de la notion winnicottienne d’environnement « suffisamment bon » (1956), on pourrait dire que l’observateur silencieux accueille le cri, fait que l’appel ne tombe pas dans le vide, mais n’y répond pas, puisqu’il n’associe ou n’interprète pas. Peut-être contribue-t-il par ce retrait à « l’édification d’un moi personnel ».

Je constaterai aussi durant cette période combien ma position d’observation silencieuse me permet la rêverie, rendue possible par un « assouplissement » de mon cadre interne. C’est durant cette dernière période que nous reprenons progressivement avec Elysé le temps d’élaboration dans l’après-coup du mardi. Je réaliserai alors que le « passage par l’observation silencieuse » et son élaboration avec mon formateur m’a aidé à penser ma position défensive initiale. Il m’avait donc fallu faire le silence en moi pour pouvoir entendre la parole singulière du sujet. Faire le silence après avoir été envahi par la théorie qui me protégeait de mes éprouvés d’angoisse et de toute-puissance, puis après avoir été confronté à la frustration.

Je conclus mon intervention en disant quelques mots de mon élaboration à distance avec mon tuteur universitaire à propos de cette posture silencieuse. À la fin de mon stage, cet analyste chevronné m’interpelle : « c’est quoi cette place d’observateur qui ne parle pas ? » Il attirait ainsi mon attention sur une place qui serait restée inélaborée notamment dans sa dimension clinique et thérapeutique. Il me questionnait aussi sur une transmission opérée, mais qui serait restée impensée. Cette question du tuteur m’amène à élargir l’enjeu sous-tendu par cette place. Une position d’observateur silencieux mobilise le processus de formation, de transmission... Mais aussi de la co-élaboration. On pourrait dire qu’en interrogeant cette fonction d’observateur silencieux, mon tuteur me demandait « Comment avez-vous pensé et questionné cette place au fil des séances tous les deux avec Elysé ? » À travers cette question, on pressent que la formation de l’étudiant se déroule jusqu’à cette période, singulière, où il dépasse la position d’élève intégrant la praxis transmise par un professionnel sachant, dont il apprend l’art en l’observant « en pratique ». Il la dépasse pour s’inscrire dans une position de pair, réinterrogeant la pratique clinique et co-élaborant avec un autre psychologue un sens à donner à une prise en charge. Moment périlleux où stagiaire et maître de stage doivent quitter leur place respective pour se risquer à ce repositionnement. Mais comme l’écrit Friedrich Hölderlin (1802), « […] aux lieux du péril croît aussi ce qui sauve ».

Elysé Linde

D’abord j’aimerais remercier Vincent Charazac de m’avoir proposé de dire quelques mots concernant cette place d’observateur silencieux. Ce fut l’occasion de nombreuses réflexions, je vais essayer d’en partager quelques-unes ici tout en tentant de répondre aux questions adressées par Vincent.

La première fois que Vincent a évoqué ce travail autour du silence, j’ai été surpris lorsqu’il a exprimé ses éprouvés concernant sa position silencieuse dans le groupe. Jusqu’alors j’avais imaginé qu’être en place d’observateur silencieux dans un groupe était une place plutôt confortable… et comme vous l’avez entendu il n’en était rien.

En fait, comme Vincent l’a dit précédemment, j’avais moi-même expérimenté la position d’observateur silencieux, ce qui m’avait laissé envisager cette place comme un temps privilégié pour être à l’écoute de ce qui émergeait dans le groupe et en moi-même, tout en étant libéré de devoir formaliser un retour au groupe.

La rencontre avec l’altérité est toujours surprenante, et ce, même si on s’y attend.

Suite à cet échange, mes réflexions s’étaient portées sur les conditions de transmission lorsque l’on accompagne un stagiaire dans la construction de son identité professionnelle.

En fait, comme dans toute transmission il y a une grande part d’impensé et même de silence. C’est ainsi que parfois on se fait le porteur d’une histoire sans même le savoir.

Alors que dire de cette place d’observateur silencieux dans les groupes de parole ? D’abord qu’il y a une histoire institutionnelle. Il y a plus de 40 ans déjà, les soignants de la clinique de La Chavannerie étaient conviés à participer silencieusement aux « groupes larges1 », qui se réunissaient quotidiennement et rassemblaient l’ensemble des patients et soignants de la clinique. Puis les soignants se sont succédé, les dispositifs de groupe ont changé et la place accordée aux participants silencieux également. Avec le temps, cette place a fini par être exclusivement proposée aux soignants en formation.

Depuis quelques années maintenant, le groupe de parole que j’anime accueille des stagiaires en place d’observateurs silencieux. Cette présence est pensée comme une opportunité pour le clinicien en formation de prendre place dans un espace centré sur la rencontre clinique. Il nous permet également, à partir de cette expérience commune, d’avoir un temps de rencontre et d’échange.

Si la présence silencieuse d’un observateur fait partie du cadre du groupe de parole, il n’y a aucune pré-conception concernant ses effets sur le groupe. Clairement, elle n’a pas pour objectif de mettre au travail tel ou tel aspect de la vie psychique des participants du groupe.

D’ailleurs, nous sommes parfois surpris par la manière qu’ont les patients d’investir fantasmatiquement cette situation. Nous aurions pu attendre, à l’égard du silence de Vincent, qu’émerge dans le groupe des affects de persécution, qu’il prenne place de mauvais objet... or il n’en fut rien.

Il me revient à ce sujet une phrase de Claude Miollan, un de mes enseignants lorsque j’étais moi-même en formation pour devenir psychologue, qui disait que « la psychologie ne s’énonce pas, elle s’éprouve ».

En écoutant la séquence que tu présentes, Vincent, il me vient à l’idée qu’être en position silencieuse lorsqu’un autre s’autorise à parler est un élément de différenciation radical : ceux qui auraient droit à s’exprimer et ceux qui doivent se taire. Nous avions remarqué que ton silence était en partie investi par le groupe sous la forme d’une identification à « celui que l’on fait taire » à « celui qui n’a pas droit à la parole ». Il me semble que cela faisait écho aux nombreuses plaintes des participants qui exprimaient leur sentiment d’être peu considérés par les soignants, peu écoutés dans leurs souffrances (certains patients de la clinique ayant même fait circuler des pétitions « pour mieux se faire entendre »). Faute d’un travail suffisant, à l’époque, sur notre inter-transfert nous n’avons pas pu mettre en lien nos éprouvés avec celui des autres participants du groupe. Mais aujourd’hui, je ferais l’hypothèse que tes éprouvés n’étaient pas uniquement issus de ton vécu subjectif, mais que tu étais également le porteur d’un éprouvé groupal qui ne trouvait pas à se dire.

Le silence n’est pas l’absence et comme nous le montre Vincent, au détour de son exposé, il est la place que l’on accorde à l’autre. Encore faut-il se méfier qu’il ne devienne pas une posture. Le silence en lui-même n’est pas le gage d’un renoncement à la position phallique. Le risque étant de rester à la place du maître, non pas comme celui supposé-savoir, mais comme celui qui sait… et en l’occurrence qui ne dirait pas. L’immersion dans le tragique de la condition humaine amène le sujet à une confrontation à soi-même parfois insupportable et il est difficile de ne pas s’en défendre.

Il est souvent inconfortable d’accompagner les étudiants dans la rencontre de la souffrance du sujet et de ne pas répondre, comme l’écrit Jacques Cabassut (2007), « à l’appel à un maître susceptible de donner un mode d’emploi pour éviter la souffrance ».

Aussi permettez-moi de finir sur une phrase de Lucien Israël :

« Ce qui se transmet dans un enseignement, de même que dans ce qu’on appelle la formation d’un psychanalyste, ce n’est pas le positif, au sens photographique du terme, des connaissances d’un maître, mais les lacunes qu’il laisse entre ces connaissances de façon que chacun puisse y trouver sa place. »

Dominique Murbach

Vincent Charazac nous raconte comment il s’est senti frustré, au début de son stage lorsqu’il s’est trouvé assigné à cette place d’observateur silencieux. Il aurait pu tout aussi bien, se trouver rassuré, dans un confort à être dégagé de l’obligation d’intervenir, intéressé par l’observation distanciée des mouvements du groupe. À travers cette réflexion sur la question du silence imposé dans le groupe de parole, Vincent nous emmène dans une histoire qui pourrait s’appeler : « Je suis devenu psychologue en passant par ça ».

Jacques Dill nous parlait il y a peu du roman de formation que chacun se raconte, en voilà un. On pourrait parler aussi de « Construction dans la formation ». Et cette question du tuteur : « C’est quoi cette place d’observateur qui ne parle pas ? » posée vers la fin du stage a eu un effet de relance de l’élaboration, qu’elle n’aurait probablement pas eu si elle avait été posée au début.

Il y a un moment dans l’histoire de ce stage où Vincent Charazac et Elysé Linde ne se parlaient plus. Les reprises d’après groupe se sont interrompues, chacun ayant mieux à faire ailleurs. Quand ils se sont retrouvés pour parler du groupe, quelque chose avait changé…

Une association me vient à ce propos avec une modalité de la place des stagiaires à la Maison d’Accueil Psychothérapique (MAP), c’est le « contrat » sur les entretiens d’admission. Il est demandé au stagiaire psychologue de prendre en charge une admission, c’est-à-dire de rencontrer le patient pour les entretiens préalables, éventuellement sa famille, ses soignants habituels, bref, de conduire tout le processus. Le stagiaire choisit le moment où il proposera de le faire.

Cela amène une réflexion : quels dispositifs dans les terrains de stage de M2, sont co-créés par les partenaires institutionnels et stagiaires, qui sont à la fois une sorte d’épreuve initiatique et un révélateur du passage à une position professionnelle ?

Au début du stage, Vincent Charazac « assiste » au groupe et plus tard, il constate qu’il y « participe » dans une fonction soignante repérée comme telle par les patients et qui témoigne sans doute d’un changement de son mode de présence au groupe.

J’y vois un lien avec l’intégration de la règle d’abstinence qu’on peut énoncer comme la suspension de toute recherche de satisfaction libidinale ou narcissique dans le cadre de la séance. On peut aussi parler de l’aménagement d’une aire psychique où les préoccupations personnelles du clinicien sont neutralisées (J. Hochmann).

1 Les « groupes larges » constituent l’axe thérapeutique de la clinique, comme l’écrit Laurent Rey dans sa thèse de médecine de 1980 « c’est là que

Bibliographie

Cabassut Jacques (2007) « L’autorité subjectivante ou de “l’étrangeté” à l’altérité dans la rencontre clinique, institutionnelle et éducative », Tréma [En ligne], 27, 2007, mis en ligne le 2 décembre 2009.

Fustier Paul (2003) Les corridors du quotidien, Lyon, PUL.

Hölderlin Friedrich (1802) « Patmos », in Odes, Elégies, Hymnes, Paris, Gallimard, 1 993.

Israël Lucien (1989) Boiter n’est pas pécher, Denoël, rééd. 2010, Erès.

Winnicot Donald W. (1956) « La préoccupation maternelle primaire », in De la pédiatrie à la psychanalyse, Paris, Payot, 1990.

Notes

1 Les « groupes larges » constituent l’axe thérapeutique de la clinique, comme l’écrit Laurent Rey dans sa thèse de médecine de 1980 « c’est là que se joue l’originalité de la thérapie institutionnelle ».

Illustrations

 

Citer cet article

Référence papier

Vincent Charazac, Elysé Linde et Dominique Murbach, « Silencieux dans un groupe de parole », Canal Psy, 106 | 2013, 6-10.

Référence électronique

Vincent Charazac, Elysé Linde et Dominique Murbach, « Silencieux dans un groupe de parole », Canal Psy [En ligne], 106 | 2013, mis en ligne le 10 décembre 2020, consulté le 20 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=1625

Auteurs

Vincent Charazac

Psychologue clinicien

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