Cinq années de journées du Master 2 Pro : un parcours de reconnaissance

p. 26-27

Texte

Mon rôle de rédacteur en chef de Canal Psy m’a donné le rare privilège d’assister aux différentes journées du Master 2 Professionnel qui se sont tenus depuis le 24 janvier 2009 sur l’initiative d’Albert Ciccone.

Ces journées ont été l’occasion pour moi de redécouvrir les enjeux de ce passage particulier dans le parcours d’un psychologue qu’est celui de l’obtention de son titre… Cependant, là où, à l’époque, nous étions sans ménagements plongés dans la vie active (enfin le plus souvent dans la recherche d’un « premier » poste de psy), cette journée du Master 2 Professionnel représente pour bien des nouveaux diplômés une sorte de rite de passage, de lieu de transmission et de transformation où il est question d’un échange entre générations de psychologues, entre promotions, mais aussi entre praticiens et universitaires, référents de stage et tuteurs.

Ce « lien de formation » qui trouve ainsi à se consolider et à s’assouplir dans une émulation réjouissante et conviviale, la première promotion l’avait situé dans un processus de Re-co-naissance. Ce terme fut année après année oublié, écarté, retrouvé, reperdu, selon les sensibilités et la dynamique d’appropriation des différentes promotions, mais je crois qu’au-delà de cette dénomination, ces journées ont été travaillées par ces dynamiques entrelacées de (re)naissance à la vie professionnelle, de transfert de connaissances théoriques et de leur appropriation, et de reconnaissance bien sûr, dans ce que ce vocable implique de saisie d’une pratique professionnelle par l’esprit, par la pensée, en reliant entre elles des représentations, des perceptions qui la concernent. Distinguer, identifier, connaître par la mémoire, le jugement ou l’action, mais aussi témoigner de la gratitude envers quelqu’un.

Ces journées me semblent après-coup se révéler comme un espace de partage et de travail de ces « parcours de reconnaissance » dont parle Paul Ricœur avec les enjeux de la reconnaissance comme identification, et en particulier de cette part méconnaissable de soi, de l’autre, de l’autre en soi et du soi en l’autre que les cliniciens repèrent comme un travail du négatif ; mais aussi du mouvement de se reconnaître soi-même et de se faire reconnaître au sein de cette université où l’on revient parfois après une longue Odyssée constituée de stages, d’épreuves sur table ou par dossier, d’examens de passage, d’années sabbatiques, de détours professionnels et personnels. Dans cette agora que représentent ces journées du Master 2 pro, les universitaires, les étudiants, les praticiens, telle la population d’lthaque accueillant cet étranger qu’est Ulysse, le reconnaissant peu à peu par des « signes » qui viennent en contrepoint de son déguisement, vont alors identifier les nouveaux diplômés comme faisant partie des leurs :

« Si vraiment c’est Ulysse qui rentre en sa maison, nous nous reconnaîtrons, et, sans peine, l’un l’autre, car il est entre nous de ces marques secrètes qu’ignorent tous les autres » (L’Odyssée, XXIII, pp.109-110).

Dans cette rubrique, je vous propose, au gré de mes souvenirs, de nous remémorer les événements marquants de ces cycles, renouvelés chaque année, de re-co-naissance.

La première journée se déroula dans le chaleureux « Amphi D », rempli à ras bord d’étudiants, d’enseignants et de praticiens… Dès les premières interventions de la journée, nous fûmes saisis par une liberté de ton jamais entendue dans pareilles manifestations, une impertinence savoureuse, tout autant qu’une qualité de contenu remarquable. Je me rappelle aussi de la surprise des professeurs les plus aguerris qui assistaient à cette journée, allant même jusqu’à conclure joyeusement qu’ils pouvaient à présent partir à la retraite « tranquillement »… « que la relève était assurée ». La relève avait beau être assurée, elle avait encore besoin du soutien de ses aînés dans un contexte politique et social déjà très tendu et inquiétant pour l’avenir de nos professions.

Pour cette présente réédition dans Canal Psy, nous avons retenu de cette journée le sulfureux texte de Julie Blanc-Bernard (Pascal) sur la question de l’écoute clinique et des « dialogues de sourd » qui peuvent s’instaurer parfois dans le lien de formation.

La deuxième journée, toujours dans le même amphithéâtre D, fut travaillée par la thématique de l’interprofessionnalité, avec une présence marquée et remarquée d’étudiants (et d’enseignants) issus du parcours de Formation Par la Pratique. Le point d’orgue de cette journée fut sans doute l’hilarant diaporama présenté par Françoise Guérin, qui vit pleurer de rire dans le public les enseignants pourtant réputés pour leur imperturbable neutralité.

À partir de cette journée très dense, nous avons choisi de mettre en exergue le très beau témoignage de Catherine Courade sur la thématique de la reconversion professionnelle et de la migration identitaire qui en procède…

La troisième journée fut l’occasion d’une réappropriation radicale du principe de cette journée. Le titre de la première journée « Re-co-naissance » (devenu entretemps le sous-titre de ces journées) se vit même volontairement écarté de l’affichage. Le programme, plié à la main à la manière d’un origami, se présentait comme à la fois original et appétissant (de même que les multiples douceurs préparées par le comité d’organisation pour notre pause déjeuner). Les contributions, très nombreuses, recentrées sur la pratique, firent assez peu références dans l’ensemble à la problématique de la formation du psychologue et prirent davantage les allures d’un « petit » colloque de psychopathologie dans le très confortable amphithéâtre culturel du campus de Bron de surcroît ! Ne diminuant en rien la valeur des interventions sur les enjeux de trouver-créer de « nouvelles » pratiques cliniques au contact de terrains où sont rencontrées des conditions extrêmes de la subjectivité, il est vrai que la dimension du « lien » de formation était moins soulignée dans ces contributions.

Malgré tout, nous vous conseillons de redécouvrir dans le Hors-série n° 4 de Canal Psy, le témoignage à deux voix de Matthieu Garot et Mathias Poitau, qui illustrent assez bien la créativité et la complicité qui peut naître entre un stagiaire et un maître de stage au contact d’une pratique de prise en soin en « côte à côte ».

La quatrième journée se déroula sous les auspices du chant, de la danse et de l’expression théâtrale. Toujours dans l’amphithéâtre culturel de Bron, la formule se déclina moins du côté du colloque scientifique que du théâtre grec, avec le souhait des organisateurs que le public participe aux échanges, en intervenant à l’oral ou en inscrivant sur de petits papiers ce que leur inspiraient les problématiques des corps engagés, corps langagiers…

Une invitation à parler, à se mouvoir dans l’espace d’élaboration ainsi ouvert, à s’émouvoir des différentes vignettes cliniques et des chansons de Michèle Bernard interprétées par ces psychologues nouveaux diplômés, qui nous prouvaient (si c’était nécessaire) que l’on pouvait prendre en compte les dimensions corporelles dans nos pratiques cliniques sans pour autant en perdre notre identité et notre « sacro-sainte » distance relationnelle.

Le texte de David Chandezon et Annelise Petit, histoire(s) d’accompagnement(s) à deux psychés et à deux corps, illustre bien cette désacralisation de la pratique et l’innovation qui devient alors possible dans la co-création de dispositifs à médiation afin d’accompagner l’émergence de processus associatifs et de favoriser l’alliance thérapeutique auprès de patientes comme enfermées dans leur propre corps.

Enfin, la cinquième journée, toute fraîche dans ma mémoire puisque nous venons tout juste de boucler la publication de ses actes, se constituait comme une invitation à penser les silences. Tout autant les silences désorganisateurs de l’effroi et de la sidération, que les silences « conteneurs » de l’écoute et de l’observation. Je me souviens d’une organisation conviviale presque familiale, le sentiment pour moi d’avoir retrouvé l’ambiance bon enfant de la première journée… la surprise renouvelée de la qualité des contributions soulignant toutes, à leur manière, la place du psychologue stagiaire dans l’emboîtement lieu de stage et université.

Durant le déroulement de cette journée, l’auditoire, en grand nombre comme à chaque année, fut peut-être maintenu en silence par la qualité des interventions des discutants qui, après chaque présentation, soulignait tel ou tel aspect nous permettant de nous raccrocher à la trame de cette journée thématique. Mais il y avait aussi que nous avions été invités à nous exprimer, en silence, par l’intermédiaire de petits dessins, sur ce que nous faisaient vivre en sourdine ces interventions.

Je me rappelle aussi, l’impression incroyable que me fit la synthèse conclusive de François Ronzon, malicieuse et nuancée… et sa manière incomparable de lier les histoires cliniques entre elles de manière à les faire dialoguer. Les applaudissements qui lui furent adressés durant de longues minutes, saluèrent ce remarquable travail de reprise.

Une fois n’est pas coutume, je vous invite à présent à (re)découvrir dans ce numéro les différents textes que nous avons choisis pour mettre en exergue cette belle et rare initiative qui lie d’une manière différente les professionnels de terrain et les étudiants en formation.

En vous souhaitant rétrospectivement une excellente lecture et en espérant vous croiser lors de la prochaine journée du Master 2 professionnel qui aura pour thème : Figures de la temporalité.

Citer cet article

Référence papier

Frédérik Guinard, « Cinq années de journées du Master 2 Pro : un parcours de reconnaissance », Canal Psy, 106 | 2013, 26-27.

Référence électronique

Frédérik Guinard, « Cinq années de journées du Master 2 Pro : un parcours de reconnaissance », Canal Psy [En ligne], 106 | 2013, mis en ligne le 10 décembre 2020, consulté le 16 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=1635

Auteur

Frédérik Guinard

Rédacteur en chef

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