Quelles pratiques cliniques autour de l’enfermement ?

DOI : 10.35562/canalpsy.1664

p. 17-19

Plan

Texte

Depuis quelques années, sont apparus dans le paysage sanitaire français de nouveaux types de services psychiatriques : il s’agit d’unités fermées spécialisées. Elles accueillent les patients les plus durs à prendre en charge, ceux qui sont résistants aux traitements, qui mettent les équipes soignantes en situation d’échec, qui n’ont plus leur place en service de soins classiques ou encore, qui nécessitent un enfermement strict durant leur hospitalisation. Ces bâtiments en béton gris, dotés de systèmes de vidéosurveillance, aux murs surmontés de grilles, aux portes closes imposantes, n’offrent qu’une seule entrée, via un sas, dont l’ouverture est contrôlée. Ils accueillent des hommes et des femmes, parfois mineurs, des patients dits « difficiles », pour ne pas dire dangereux. Arrivants avec leurs antécédents de passage à l’acte, tel un CV bien rempli, ils ont vécu, pour la plupart, de très longs séjours en chambres d’isolement durant leur parcours psychiatrique. Plus spécifiquement, retenons l’idée de patients auteurs de crime ou délit, pouvant être déclarés irresponsables au titre de l’article 122-1, 1er alinéa du Code pénal, ou en attente de jugement. Il peut s’agir de détenus présentant des troubles psychiatriques, une souffrance psychique, un comportement dangereux pour eux-mêmes et/ou pour autrui, accueillis en hospitalisation libre ou sous contrainte. Enfin, nous pouvons aussi rencontrer des patients avec de tels troubles du comportement qu’ils ont épuisé les équipes soignantes, rendu leur service d’origine impuissant et nécessitent alors un séjour de rupture.

Comment prendre en charge ces patients qui font peur et qu’il faut donc enfermer, pour leur bien et pour celui de la société ? Comment les aider à sortir un jour de cette souffrance, cette terreur constante que nous ne parvenons pas toujours à soulager et qui les ont menés à se défendre, à agir et parfois, à tuer ?

Espace de soin, espace d’enfermement

L’enfermement n’est pas vécu uniquement dans l’espace physique, mais touche différentes sphères de la personne. À un niveau psychopathologique la maladie constitue également un véritable enfermement qui peut déboucher sur le handicap. Parmi les pathologies rencontrées, les plus courantes sont les maladies psychotiques, les troubles dépressifs, ou encore, mais plus rarement, les troubles de la personnalité comme la psychopathie. Les patients sont décrits comme schizophrène, paranoïaque, pervers, psychopathe, ayant un trouble schizo-affectif type maniaque, une personnalité histrionique, une personnalité dyssociale… Le tableau clinique est si complexe et les symptômes tellement labiles qu’un même patient peut se voir attribuer trois diagnostics différents, parfois incompris, souvent inquiétants, pour lui.

L’enfermement désigne « le fait d’enfermer (quelqu’un ou quelque chose) ou d’être enfermé. Enfermer signifie mettre dans un lieu d’où il est impossible de sortir, fermé de tous côtés et plus particulièrement dans un asile psychiatrique ou dans une prison. » Cela veut également dire « serrer, mettre une chose dans un lieu, dans un meuble, que l’on ferme, pour mieux la conserver, pour la soustraire aux regards, pour la garder plus sûrement. Mettre à l’abri, en sûreté et enfin environner de toutes parts, contenir et comprendre » (Larousse). Cette définition limite donc un espace clos dans lequel l’objet ou la personne est retenu, contenu, parfois même par la contention, contre son gré, mais aussi, afin de mieux la comprendre.

Il apparaît très vite que pour créer du lien dans ces espaces clos, il faut détourner le cadre, faire preuve de souplesse. Il s’agit avant tout d’avoir un métacadre et de nouveaux dispositifs trouvés/créés. De nouveaux dispositifs adaptés à ce qui existe, mais que nous ne connaissons pas, ou mal, car la clinique de tels patients et les possibilités de soins qui existent en milieu fermé sont peu enseignées. Soins psychiatriques et enfermement, c’est-à-dire comment le psychologue tente de créer un espace de soin dans un espace fermé ? Une seconde notion apparaît en conséquence toute aussi intéressante : celle d’espace. Le mot vient du latin spatium, qui définit « un lieu plus ou moins délimité, un endroit où peut se situer quelque chose ». Il signifie également, « un lieu créé par l’imagination hors du monde réel, pour y placer des chimères ». Au contraire de l’enfermement, il devient alors possible, avec cette notion d’espace, d’envisager différents types d’espace, à étendue variable, susceptibles à la fois de renfermer un vide sans fond que de rendre possible le voyage hors du temps vers des contrées imaginaires. Dès lors, on peut décliner la notion d’espace d’incarcération comme un prolongement de la notion d’enfermement, de même que les questions d’espace de pensée, d’espace d’éprouvés, vont prolonger la question du soin dans un enfermement psychopathologique.

 

 

Adeline Bidon (http://methylaine.blogspot.fr).

Le positionnement du thérapeute

Parmi les fonctions saillantes du psychologue qui nous intéressent ici, nous retrouvons sa capacité d’écoute, tant des patients que de l’institution et de ses intervenants, d’intégration et de cohésion de l’équipe hospitalière, de maintien, de restauration de la continuité narcissique, de contenance, ainsi qu’une fonction de pare-excitations et d’objet externe. D’après Bleger J. (1979), « le cadre est donc une institution à l’intérieur des limites de laquelle se produisent certains phénomènes auxquels nous donnons le nom de comportements ». Il se compose d’hommes et de femmes avec des rôles et des places à tenir. La contenance physique des lieux, de l’espace a pour corollaire la contenance psychique allouée par chacun d’entre nous ; celle-ci passe alors par notre capacité à reconnaître et analyser nos liens transférentiels. Il va de soi que cette démarche est inhérente au métier de psychologue afin d’entrer en relation avec la juste distance relationnelle. Toutefois, dans ce cadre de rencontre entre le sujet et les professionnels de la santé, se pose d’emblée la question de notre capacité à subjectiver une violence associée aux troubles psychiques, nommés ou pas. Autrement dit, ne pas appréhender l’autre exclusivement pour et par sa violence, ni méconnaître celle-ci, mais l’entendre comme symptôme d’une souffrance, gérer les contre-attitudes, les potentiels mouvements de répulsions, de fascinations, etc.

Prenons par exemple le cas d’Arnaud qui a d’abord tué son père pour ensuite le mutiler et agir, sur ce dernier, un fantasme d’incorporation cannibalique : la prise en charge de ce patient tient en premier lieu sur la façon dont nous aurons de le porter en deçà et au-delà de son acte afin de ne pas le réduire à ce dernier.

Comment soigner et communiquer avec et autour de cette violence sans rapporter systématiquement le projet identitaire à cet agir ? Ceci nous amène à mettre en évidence la difficulté à maintenir une neutralité bienveillante lorsque nous sommes face à des victimes ou des agresseurs. La violence peut devenir l’objet de résistance, de dénégation et en ceci nous devons interagir en gardant à l’esprit qu’il est important d’humaniser, de ré-humaniser même, le sujet. Pour ce faire, il nous faut également nous attacher à symboliser, à penser, théoriser, impulser des échanges autour de ces agirs qui nous entourent et nous animent. Sans cela, sans une connaissance assez large de nous-mêmes et des autres, sans une mise au travail continuelle, le risque est de déplacer sur l’institution la violence de notre clinique.

En tant que thérapeutes, nous sommes amenés à investir une aire transitionnelle, située entre le dedans et le dehors, qui peut s’avérer par moments délicat. Nous partons donc d’un espace, tel que nous l’avons défini plus haut, confiné derrière des murs, des barreaux et/ou des grilles, qui possède une temporalité singulière. Pour certains le temps s’est arrêté à l’entrée de l’hôpital ou de la prison, pour d’autres, en cours de détention, d’autres enfin ne parviennent plus à se projeter tant la durée de leur condition les sidère dans un ici et maintenant. De cet espace et de ce temps, la psyché essaie de se frayer un passage et nous, nous sommes là pour les accompagner dans ce mouvement.

Il nous arrive ainsi d’aller chercher les patients dans leurs chambres, ce qui revient à ouvrir leur porte pour les emmener dans le bureau, puis à les ramener et refermer cette porte derrière eux. Nous pouvons ainsi nous interroger sur le caractère violent, ou non, en tant que soignant de devoir tenir cette place qui suggère une privation de liberté, alors qu’au cours de l’entretien nous avons tenté d’ouvrir un espace tiers. De là, naît une des spécificités de notre travail de psychologue en milieu fermé : il s’agit de travailler en lien avec une institution qui a pour vocation d’enfermer et de contenir là où nous tentons de créer ou libérer un espace psychique.

Un espace transitionnel au sein d’un espace mortifère

Dans cette volonté de ramener un espace d’ouverture au sein d’un milieu fermé, le travail de médiation représente un outil thérapeutique adéquat. En effet, puisque nous n’avons pas la possibilité de sortir le patient des murs pour le confronter aux éléments de réalité, nous tâchons de les lui apporter de façon détournée. Cela permet non seulement de recevoir les projections du patient, que le soignant ne peut assumer seul, mais également de matérialiser l’accès symbolique à un extérieur. L’incarcération, l’hospitalisation privent les sens de tout ce que le dehors nous propose. Le champ visuel est largement réduit, les palettes olfactives et auditives sont limitées. Ces bâtiments renferment toujours les mêmes odeurs, les mêmes bruits et rappelons que les patients peuvent y rester plusieurs mois, voire plusieurs années. Il est donc intéressant de travailler autour de la sensorialité et c’est notamment ce qui peut être proposé avec le groupe « Photolangage ». Au-delà du travail d’élaboration et de projection que sous-tend ce matériel, il y a la perception. Et à travers les images, le patient accède à la vision de percepts, qui ne font plus partie de son quotidien.

Par ailleurs, le travail de stimulation cognitive (exercices pratiques d’attention, de mémoire ou encore de langage), permet d’axer le soin sur la perte du niveau intellectuel que provoque l’enfermement. En ces lieux, le cerveau n’est plus stimulé par toute la diversité des actions que propose l’extérieur et qui le sollicite de façon automatique (conduite automobile, paiements en espèces, entretien d’un foyer…). Les patients se retrouvent alors dans une forme d’inertie, de routine, qui peut altérer leur fonctionnement cognitif. Les exercices ludiques viennent donc faire office de reproductions artificielles des stimulations extérieures. Enfermés physiquement, socialement, nous pouvons, à travers diverses médiations, mettre au travail avec le patient d’autres compétences. Par exemple, l’éducation thérapeutique (ou psycho-éducation) permet au patient de se saisir des enjeux de sa maladie, afin de ne plus se sentir aux prises d’un phénomène obscur, mais de nommer, comprendre et finalement, apprivoiser, ce qui fait partie de lui. Travailler autour des compétences sociales permet également au sujet enfermé de retrouver ou découvrir des situations de la vie courante qui n’ont plus cours dans l’espace au sein duquel il évolue. Peuvent alors être abordées la détection et l’expression des émotions, la communication verbale et infra verbale, la prise de décision et les normes sociales, ou encore le rapport à l’autre et à la loi.

Introduire de l’extérieur à l’intérieur

Entre les murs, le thérapeute se retrouve également enfermé, filmé et ses déplacements supervisés. Cependant, cet enfermement ne dure qu’un temps et en fin de journée, il retrouve sa « liberté ». Si nous évitons de rappeler cet élément de réalité au patient, ramener de l’extérieur à l’intérieur des murs, pour que le sujet puisse s’en saisir, représente cependant une possibilité d’entrer en relation.

Dans notre pratique, il est fréquent que nous soyons sollicités quant à ce que nous ramenons de nous-mêmes et plus particulièrement, du dehors. En effet, à nos retours de congés, les patients nous interrogent spontanément sur ce que nous avons pu voir ou faire. Ils s’y intéressent authentiquement et s’en saisissent positivement. Aussi, souhaiter une bonne journée, dire bonjour, apparaissent des échanges précieux dans la mesure où ils permettent d’éprouver le sentiment d’exister, d’être reconnu et respecté, malgré l’enfermement. Le patient est en demande, à travers notre propre subjectivité, d’un lien, nécessaire pour lui, vers l’extérieur. De la même façon, les visites des proches ramènent toujours un peu de vie et ne semblent pas être vécues comme un rappel cruel de ce qui peut être manqué dehors. Au contraire, cela laisse entrevoir l’idée, au moins inconsciente, qu’un passage, une ouverture reste possible entre cet intérieur isolé de tout et, cet extérieur, hors de portée. Certes, il peut s’avérer difficile pour un soignant de renvoyer un vécu de liberté à ces patients, néanmoins, s’en défendre et s’y opposer paraît tout aussi compliqué. Les murs et les barreaux leur rappellent à tout instant, qu’une vie, dont ils sont privés, se poursuit hors des murs. Nier cet espace extérieur, c’est finalement cloisonner l’espace psychique du patient déjà physiquement enfermé.

À ce propos, Cédric avait exprimé l’importance, voire la nécessité pour lui, de communiquer avec une personne extérieure. C’était ainsi une façon de ne pas perdre notion de l’existence d’une vie « normale », de conserver des repères et de ne pas demeurer barricadé entre quatre murs et, par là même, de se mettre à rêver. Nous sommes souvent l’objet et l’enjeu de pulsions de vie chez les patients, nous représentons ceux qui font le va-et-vient entre ces deux espaces. De ce fait, nous sommes en mesure de leur amener des éléments de ce qui se déroule dehors, de ce avec quoi ils tentent de maintenir un lien. Il apparaît alors important de ne pas redouter de donner un peu de soi et ainsi, de favoriser un lien plus authentique. Le passage à l’acte peut faire peur et pousser à renforcer le dispositif, la distance thérapeutique. Pourtant, ces patients sont au contraire en quête d’un vrai lien, qu’ils n’arrivent pas à établir entre eux et les autres et qu’il nous appartient, en tant que garants du soin, de leur transmettre le plus possible. Les murs sont solides et bien épais, à nous donc, de faire preuve de souplesse, de malléabilité, pour qu’ils puissent reprendre le contrôle sur leur condition de vie déjà bien figée. Il est important de ne pas se sentir manipulé ou attaqué lorsque nous accédons à une demande qui va à l’encontre des modalités de rencontres préalablement définies. Nous travaillons avec l’humain, tout est sans cesse en mouvement et, accepter ce mouvement, c’est finalement accéder à une forme de constance, apaisante et contenante, qui permet au patient de redevenir sujet.

Conclusion

Il existe donc différentes possibilités de soins en milieu fermé pour des patients aux profils riches et complexes, qui souvent, ne sont considérés que par rapport à leur « faire » et non à leur « être », mais dont la finalité demeure la même. Les aider à se remobiliser, grâce une autorité bienveillante, pour mettre en relation et en mots le travail qui est fait entre l’associativité verbale et sensori-motrice, l’implication du corps et de la pensée, le travail de symbolisation et de subjectivation par la médiation. Double mouvement donc de l’extérieur vers l’intérieur et de l’intérieur vers l’extérieur. Double mouvement du soin, entre crainte et contrainte, d’une co-construction d’un travail entre clinique de l’acte et clinique du lien pour tenter de relier les perceptions en représentations, de relancer une dynamique de vie dans un enfermement mortifère.

Accepter l’autre, enfin, dans sa différence, dans son humanité et sa souffrance, même s’il peut apparaître incompréhensible, dangereux et criminel. On ne peut pas guérir les fous les plus fous, mais tant qu’il y aura des hommes pour les accompagner, il sera possible d’enfermer et de soigner.

Bibliographie

Bleger J. (1979) « Psychanalyse du cadre psychanalytique », in Kaës R. (et coll.), Crise, rupture et dépassement, Paris, Dunod, pp. 257-276.

Illustrations

 

Citer cet article

Référence papier

Paul Béraud, Ivana Belouin et Delphine Carka, « Quelles pratiques cliniques autour de l’enfermement ? », Canal Psy, 105 | 2013, 17-19.

Référence électronique

Paul Béraud, Ivana Belouin et Delphine Carka, « Quelles pratiques cliniques autour de l’enfermement ? », Canal Psy [En ligne], 105 | 2013, mis en ligne le 10 décembre 2020, consulté le 28 mars 2024. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=1664

Auteurs

Paul Béraud

Psychologue clinicien et criminologue, UMD CH Le Vinatier

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Ivana Belouin

Psychologue clinicienne, spécialisée en neuropsychologie, UHSA, CH Le Vinatier

Delphine Carka

Psychologue clinicienne et criminologue, UHSA, CH Le Vinatier