Pulsion de savoir et irruption pulsionnelle et sexuelle à l’école

DOI : 10.35562/canalpsy.1777

p. 24-25

Texte

Nous nous sommes penchés également dans notre petit groupe de travail sur un autre public, un public en forte évolution actuellement, le public adolescent.

L’école, de plus en plus confrontée à la pulsionnalité adolescente et à l’irruption du sexuel à l’intérieur de ses murs, se retrouve prise au dépourvu, démunie et souvent en grande difficulté, mal à l’aise, pour penser, répondre, réagir.

Nous avons constaté qu’il s’agit là d’un véritable tabou institutionnel par rapport à cette caractéristique majeure de l’adolescence et d’un fort déni dans la formation des enseignants entre autres. En effet, dans le cadre scolaire seule la pulsion de savoir semble attendue du public alors que les enseignants sont quotidiennement confrontés à l’irruption du sexuel, du pulsionnel à travers les explosions adolescentes, à des affects d’amour et de haine, au déni de la différence de génération (réelle ou symbolique) et au rejet de l’autorité.

Cette problématique n’est pourtant pas nouvelle dans les lycées généraux et professionnels confrontés à un public d’adolescents et de jeunes adultes.

Dominique témoignait et moi aussi, à quel point cette problématique de l’irruption du sexuel dans l’école émerge de plus en plus souvent, à la fois dans les groupes Balint et dans un cadre d’écoute individuelle pour les enseignants.

La problématique que nous proposons reliant le désir de savoir au savoir sur le désir concerne l’origine du tabou institutionnel. Les fantasmes de séduction présents dans la relation d’enseignement et le risque de perversion de cette relation n’expliquent-ils pas le silence à ce propos ?

Freud nous a prouvé qu’un lien extrêmement puissant relie la pulsion de savoir aux pulsions sexuelles et nous faisons l’hypothèse que ce lien-là, s’il était connu, compris et développé (notamment auprès des enseignants), pourrait contribuer à rendre pensable et donc moins dangereuse la question du sexuel, l’énigme du sexuel telle qu’elle se pose à l’école et se rejoue fortement à l’adolescence.

Dans un lieu d’écoute institutionnel pour enseignants où j’ai travaillé dix ans en tant que psychologue clinicienne, j’ai rencontré Hélène, une ravissante jeune femme de 30 ans, au visage lumineux, enseignante en arts appliqués, que j’ai suivie pendant deux années suite à une forme d’agression sexuelle dont elle a été victime.

Passionnée par son métier, Hélène menait différents projets novateurs avec le souci d’intéresser et valoriser ses élèves. Elle avait un excellent parcours professionnel jusque-là, reconnue par les collègues et la hiérarchie. Au bout de quelques années, elle est nommée dans un lycée professionnel de banlieue difficile. Pour la première fois, elle rencontre alors beaucoup de difficultés avec une classe de BEP en échec, « des jeunes très difficiles », classe pour laquelle elle appelle au secours au moins quatre fois le chef d’établissement, son adjoint, les syndicats, écrit des courriers…

Pour seules réponses, elle entendait de la direction qu’« Il faut améliorer votre pédagogie », que cela relevait « de sa responsabilité ». Il lui a même été reproché d’être « trop jolie » alors qu’Hélène veillait par une tenue très sobre à ne pas être trop séduisante.

Peu après, Hélène est mise en congé pour accident du travail. Un individu extérieur à l’établissement scolaire, mais copain d’un de ses élèves s’est introduit dans cette classe particulièrement difficile, a mis ses mains dans les poches du pantalon de l’enseignante et tenu des propos sexuels d’appel à la violence, invitant les élèves à une tournante sur la jeune femme. L’enseignante est sidérée. Un élève de la classe sort appeler du secours. Lors de notre premier entretien, elle ne peut se souvenir des détails de cette agression : « En tant que femme, je reprends progressivement le dessus, me confiera-t-elle, mais en tant que prof, je suis touchée, déstabilisée, je n’ai plus envie d’être face à une classe et d’enseigner… j’ai le sentiment d’avoir été abandonnée. »

Après l’agression, les élèves ont été interrogés comme témoins… mais pas la jeune femme !

On l’a laissée rentrer seule chez elle sans l’avoir écoutée ou réconfortée. Elle n’a jamais pu remettre les pieds dans son lycée. « J’ai le sentiment d’avoir été morte », me confiera la jeune femme ; sa vie n’est plus pareille. Pour elle, maintenant, travailler est synonyme d’agression. Elle ne veut plus être exposée ni aux adolescents, ni aux groupes.

Un an plus tard, pour la première fois, elle parle de sexualité par rapport à cette agression et décrit la scène : « C’est cette agressivité sexuelle du jeune qui m’a traumatisée. J’ai été touchée en tant que prof et en tant que femme par ses propos à caractères sexuels. »

Hélène a dû quitter l’enseignement et se former dans une autre voie. Elle m’a autorisée et encouragée à me servir de son expérience pour informer et prévenir les enseignants.

La confusion ici entre la personne de l’enseignante et le savoir, objet de la transmission est frappante. Ce n’est pas le savoir qui est l’objet commun à s’approprier en groupe, mais le professeur qu’on met à la place. L’enseignante devient fantasmatiquement objet sexuel dominé, transmis, partagé (tournante) c’est-à-dire qu’elle est mise à la place du savoir, objet de la transmission.

On peut s’interroger aussi sur la porosité de l’école et du quartier, comment le quartier fait intrusion, irruption dans l’école avec ce jeune qui n’est pas un élève de l’établissement…

À la même période, Dominique Ginet intervient dans un lycée professionnel en crise à la demande de la direction ; il rencontre les lycéens, les interroge sur leurs attentes et leurs souhaits. Réponse des élèves (18 ans environ) au psychologue homme : « Nous voulons voir nos profs en string ». Ensemble, en groupe de recherche, nous réfléchissons à cette réponse. J’associe librement : « Les profs en string, ça me fait penser à l’énigme et aux théories sexuelles créées par les enfants. »

Quel est donc le lien entre l’émergence de la pulsion de savoir et la difficulté d’apprendre de ces adolescents qui projettent sur leurs enseignantes femmes une image érotisée, sexualisée et/ou énigmatique ?

Dans les écrits freudiens de 1905, 1908, 1910, la pulsion de savoir, de recherche ou d’investigation naît d’une confrontation de l’enfant avec une menace, celle de l’arrivée d’un nouvel enfant dans la famille, l’intelligence de l’enfant va alors s’éveiller, en lui posant de grands problèmes sexuels qui vont tenter de colmater ses angoisses.

La première grande énigme à résoudre ne porte pas sur la différence des sexes, mais sur l’origine des enfants ; les théories sexuelles infantiles vont alors tenter d’élaborer des réponses.

Ainsi, la pulsion de savoir, issue de la sublimation de la pulsion d’emprise, s’étaie sur le désir de voir. Nous constatons combien le voyeurisme de l’enfant y est stimulé.

En effet, la première théorie, extrêmement visuelle, est la représentation de la femme au pénis. Elle tente de maîtriser la menace de castration et la terreur suscitée. Dans l’ignorance de la réalité, cette théorie aboutira à un premier échec de la pulsion de savoir qui risque de paralyser l’effort de l’enfant par la suite. Cette première théorie est liée également à l’excitation du pénis.

On peut de se demander ce qui dans le retour à l’adolescence de la femme au pénis ou au string est en lien avec le réveil des pulsions sexuelles pubertaires et vient tenter de colmater ce qui est réactivé de la première énigme et de la menace de castration dans l’échec de l’apprentissage… Mais que nous apprennent à leur tour les autres théories sexuelles enfantines ?

Le deuxième travail de théorisation de l’enfant porte sur l’évacuation du bébé comme une selle. Son érotisme anal encore très présent le conforte dans cette seconde recherche qui, cette fois encore, lui permet d’éviter la question de la différence sexuelle.

La troisième théorie, la scène primitive, questionne le « fait d’être mariés » en plus de l’origine et de la conception. Quelle est l’importance de ces théories quant aux destins de la pulsion de savoir ?

Freud décrit trois destins possibles de la pulsion d’investigation (1910, p.85) : l’inhibition névrotique de l’investigation qui partage le destin de la sexualité (refoulement), la compulsion de rumination où la pensée elle-même est sexualisée ou encore la sublimation de la libido, dès le début, en avidité de savoir qui s’associe à la pulsion d’investigation.

Nous retrouvons aisément le second destin, celui de la pensée sexualisée et de la compulsion de rumination comme caractéristiques de nos adolescents en échec.

Avec Piera Aulagnier, nous apprenons que le premier désir de savoir que l’enfant éprouve concerne le désir de la mère. Mais que désire-t-elle donc ? Savoir et désir vont alors se cliver, car le regard du sujet va devoir affronter le savoir de la réalité de la différence des sexes : la castration maternelle.

Le sujet va devoir abandonner sa première illusion de savoir au profit de ce nouveau savoir sur la première loi, celle de l’interdit de l’inceste.

Ainsi, l’accès au savoir ne s’accomplit que dans l’acceptation de la castration et l’interdit de l’inceste. Il nécessitera un deuil, un risque d’illusion et cette première autonomie intellectuelle ne va pas sans être déprimante.

Confronté au déplaisir, à une résistance à son désir de penser, de mettre du sens, le sujet essaiera d’en savoir toujours plus, réussissant ainsi le passage du principe de plaisir au principe de réalité ou bien sera menacé dans son intelligence par la connexion permanente du désir de savoir avec la sexualité.

Nous comprenons rapidement que nos adolescents provocateurs en réclamant de voir leurs enseignantes en string nous laissent entendre à quel point leur désir de savoir est connecté à la sexualité et non sublimé et comment ils refusent l’interdit de l’inceste présent implicitement dans la relation profs-élèves…

En effet, la différence des générations symbolique entre les enseignants et les élèves marque bien la différenciation des rôles et des places de chacun dans l’institution (quel que soit l’âge des uns et des autres.)

De plus, les enseignants incarnent par leurs responsabilités vis-à-vis de leurs élèves une fonction parentale symbolique. L’interdit de l’inceste est omniprésent dans la relation éducative même s’il est rarement pensé et formulé en tant que tel.

La fantasmatique de la relation formé-formateur telle qu’elle a été étudiée par René Kaës dans son ouvrage « Fantasme et formation » est au cœur de notre problématique.

« L’offre comme la demande de formation se réfèrent à la quête d’une solution et d’une maîtrise concernant l’énigme de la fabrication des enfants, de la différence des sexes, de la vie et de la mort. C’est par là que la formation entretient des rapports étroits avec l’initiation entendue comme initiation sexuelle et qu’elle mobilise les fantasmes de séduction. » (pp.70-71)

En conclusion, nous avons pu constater à quel point la proximité entre le savoir et le désir rend possible et compréhensible l’irruption du sexuel et de fantasmes incestueux à l’école. L’adolescence, âge où les pulsions sexuelles tiennent les jeunes en éveil vient renforcer ce lien entre savoir et désir et c’est d’autant plus vrai pour les jeunes en difficultés scolaires pour qui la sublimation est en échec.

Dans un objectif de prévention de difficultés, voire traumatismes ou de méprises professionnelles, il me semble indispensable de former les enseignants à cette réalité psychique.

La prise en compte de toute la dimension pulsionnelle à la puberté et à l’adolescence nous semble également indispensable et fondamentale pour permettre aux enseignants de vivre leur quotidien relationnel avec les élèves sans tabou ni déni de la réalité.

 

 

Guilhem Gaillardhou (croustifruit.blogspot.fr)

Illustrations

 

Citer cet article

Référence papier

Nancy Bresson, « Pulsion de savoir et irruption pulsionnelle et sexuelle à l’école », Canal Psy, 103 | 2013, 24-25.

Référence électronique

Nancy Bresson, « Pulsion de savoir et irruption pulsionnelle et sexuelle à l’école », Canal Psy [En ligne], 103 | 2013, mis en ligne le 10 décembre 2020, consulté le 29 mars 2024. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=1777

Auteur

Nancy Bresson

Psychologue clinicienne, chargée d’enseignement, Université de Genève