Le choix des médiations thérapeutiques : un combat contre une certaine manière de « penser » l’efficacité

DOI : 10.35562/canalpsy.1797

p. 5-9

Texte

Les différents articles que vous allez découvrir dans ce numéro ne se contentent pas de présenter quelques exemples de dispositifs de médiations thérapeutiques. Leur intérêt se situe en effet dans ce qu’ils nous apportent le témoignage vivant, palpitant, de la fécondité d’un double travail :

Un travail de terrain d’abord, car, même lorsque ces expériences de médiation ont été animées par des psychologues chercheurs, un dispositif/cadre de médiation ne peut exister sans les équipes professionnelles qui en rendent possibles la mise en place et le portage sur la scène institutionnelle. Ces témoignages écrits ne rendent compte que d’une infime part de ce qui est proposé, construit, par les différentes équipes et les différents professionnels qui interviennent dans le secteur médical ou médico-social : des centaines de milliers d’heures passées auprès de patients en groupe ou en individuel ; des dizaines de milliers d’heures passées à reprendre en équipe les observations réalisées et tenter de les re-tisser aux histoires individuelles, groupales et institutionnelles ; des cahiers de notes qui sont quotidiennement noircis de ces fragments issus de la pratique des médiations. Un article publié dans une revue de psychologie, toute prestigieuse soit-elle, ne peut rendre compte de ce foisonnement d’expériences et de rencontres cliniques qui forment et fondent l’action des générations successives de psychologues à l’exercice de la rencontre intersubjective médiatisée.

Une collègue me disait l’autre jour que « les psychologues ne savent pas valoriser leur travail » et que nous étions pourtant « assis sur des trésors ». Et en effet, les centres de soin croulent sous des piles de journaux cliniques, classeurs de notes, comptes rendus de journées théorico-cliniques, jusqu’à ce que ces centres déménagent et que tous ces « trésors » finissent, humblement, dans une benne à papier (dans le meilleur des cas, on triera le papier). J’écris « humblement », car ce matériel ne tire sa grande valeur que de représenter en mots le travail clinique qui a été vécu et partagé entre le patient et son/ses thérapeute(s). Malgré tout, pour les nouvelles générations que nous sommes, quelles fondations solides et rassurantes représentent ces multiples supports, dans leur placard poussiéreux ! Et si nous avons la chance de rencontrer quelques « vieux dinosaures »1 (à l’orée d’une retraite bien méritée), ces archives deviennent effectivement un objet de transmission tout à fait passionnant.

Mais ces articles portent aussi la marque d’un conséquent travail de recherche, ou plutôt d’innombrables tricotages clinico-théoriques qui ont rendu possible – de boucles en lignes – la mise en forme progressive d’un maillage théorico-clinique plus conséquent. C’est de ce fin maillage qu’Anne Brun rend compte, dans son article, en décrivant les avancées et recherches que porte le CRPPC pour dégager une théorie de la médiation thérapeutique et de ses enjeux. Les thèses d’Anne Lorin de Reure, d’Alexandra Rogelet, de Tamara Guenoun rendent bien compte de ce travail où les modèles existant sont mis en tension, parfois en crise, par des dispositifs de recherche originaux mis en place dans le cadre de recherches-actions ou à l’occasion de « remontées de terrain » vers les hautes sphères universitaires qui viennent faire exister au niveau du discours savant les connaissances artisanales des cliniciens orpailleurs2. En lisant ces précieuses contributions, je me disais que le piège serait en effet d’imaginer que les dispositifs de médiation thérapeutique ne pourraient se développer qu’auprès des sources chaudes de la pensée universitaire. Au contraire, il faut se rappeler que ce sont aussi dans des « espaces à forte contrainte » que se développent les projets et les initiatives les plus originales, intéressantes et pertinentes sur le plan clinique. L’idée d’utiliser les règles du JDR, bien connu des lecteurs du magazine des années 80 Casus Belli, pour rencontrer des adolescents en grandes difficultés d’inscription sociale et présentant des troubles relationnels importants, est intéressante parce qu’elle a eu des effets imprévus et positifs sur les sujets qui ont participé à cette expérience, malgré toutes leurs résistances, les résistances de l’équipe et les résistances universitaires à penser l’usage de cette médiation3.

Ce qu’il y a de remarquable dans la persistance d’un foisonnement de la créativité, tout autant sur le plan de la recherche que sur celui des espaces professionnels, c’est que ceux-ci sont devenus depuis une dizaine d’années des espaces à forte contrainte où il est impossible ou impensable de s’investir, d’entreprendre et de créer. La restriction de budgets, de moyens, les obligations de résultats, ou de « valoriser sa pratique », les coercitions administratives, font de ces dispositifs à médiation des aventures qui ne reposent plus que sur la seule ressource personnelle du professionnel, ce qui a un « coût » humain important, ou sur l’émulation qui peut naître au sein des équipes et de pratiques parfois clandestines, précieusement cachées des stériles mises aux normes.

Pour reprendre le titre d’un bel ouvrage de Michèle Petit, « résister à l’adversité » du management moderne apporte aussi un certain « sens » à notre travail, un sens qui semble avoir pour la plupart des professionnels un vrai prix, une valeur supérieure aux sacrifices qu’ils réalisent inévitablement. Résister à l’adversité et combattre pour la pertinence de nos outils, de nos modèles, ne pas baisser les bras lorsqu’on nous dit que c’est trop cher, trop long, peu efficace… est un engagement qui n’est pas sans effets sur le dynamisme et la vitalité de certaines institutions. Cela suppose de jouer des coudes, prendre le contre-pied de certaines théories implicites ou explicites de ce qui soigne et de ce qui fonctionne, aller à contre-sens de certaines analyses faites à la va-vite sur l’efficacité à long terme d’un espace-temps de soin. Il va s’agir d’éprouver patiemment les capacités de survivance de nos choix méthodologiques, d’éreinter nos hypothèses et nos analyses, pour qu’à la prochaine mode les nouveaux machins flambant neufs ne soient balayés et remplacés par de nouveaux trucs jugés moins rétrogrades. Ce qui ne signifie pas que l’on refuse le changement (comme se plaisent à admonester les cadres d’une modernité galopante), mais que l’on rend possible, par nos positionnements et notre assurance, les conditions de véritables transformations, de profondes mutations qui correspondront vraiment aux modifications des paramètres que l’on rencontre dans la clinique. Et c’est vrai que lorsque l’on redécouvre la médiation conte, avec Bernard Chouvier, la médiation équine, avec Anne Lorin de Reure, les médiations marionnettes et photo-collage avec Yohann Milazzo et Alexandra Rogelet, la médiation théâtrale avec Tamara Guenoun, on se rend compte que c’est décidément dans les vieux pots que l’on fait les meilleures confitures !

Et pour cause, il y a des caractéristiques physiques et chimiques, des gestes qui ont été sélectionnées par des millénaires de cuisson gourmande qui sont à l’origine des choix matériels et des séquences de ces vieilles recettes ! De même, ces choix de médiation sont pertinents car ils rendent possible un certain type d’expérience subjective, une certaine façon de rencontrer l’objet-environnement. Cette dimension est sensible dans la rencontre avec Martin où l’utilisation de l’objet médiateur marionnette n’a tout d’abord pas été celle qui était « attendue » du clinicien. Pourtant c’est par l’intermédiaire de la matérialité de la marionnette co-construite qu’un dialogue médiatisé a pu s’instaurer entre Martin et Y. Milazzo. Comme le remarque René Roussillon, « le choix du médium, de l’offrande de l’objet de transfert, détermine en partie le type d’expériences subjectives qui peut être engagé. » (2011, p. 31)

Il est bien sûr dangereux de s’enfermer dans des pratiques soignantes, fermées sur l’extérieur, administrées automatiquement à tout type de patients, analysées plus ou moins toujours de la même manière. Les générations des psychologues qui sont arrivés dans les institutions de soin dans les années 90 se sont ainsi confrontées à des institutions où la pratique des médiations était fixée à quelques-uns et figée à une unique théorie explicative. Mais cette situation est beaucoup plus rare à notre époque où un poste sur deux n’est plus pérennisé, où les salariés sont constamment amenés à changer de poste, les services à réduire le nombre de ses places, à fusionner ou à fractionner ses actions pour toujours davantage de modularités ambulatoires. Aujourd’hui, les nouvelles directives (et directions) du soin et de la recherche nourrissent explicitement des ambitions « d’une excellence partagée » qui permettraient tout autant de « rassembler », de « rayonner » et d’« innover » tout en imposant sur certains secteurs des économies aussi brutales qu’inexpliquées.

Ce que sous-entendent par opposition toutes les campagnes de refonte visant l’excellence d’une institution c’est qu’il y aurait d’autres manières « médiocres » de fonctionner et d’aménager et d’organiser le soin. Nous trouvons le même implicite que dans les « recommandations de bonne pratique » qui sont mises en exergue dans le domaine médico-social concernant le soin aux usagers : en indiquant là où se trouve l’innovation, l’excellence, en un mot : « l’avenir », on désigne (clairement mais sans en avoir l’air) tout ce qui a trait au passé, comme médiocre et superflu… car nous le découvrons, les nuances des sciences humaines et sociales relèvent du domaine du superflu, c’est en tout cas la guerre que mène actuellement aux États-Unis le sociologue Kieran Healy qui juge les travaux en sciences humaines « trop fins et complexes » (sic.), et nous invite à dire « stop à la nuance » jugée « vaine et esthétisante » (re-sic.). C’est aussi dans ce contexte qu’en 2016, au pays du Soleil Levant, vingt-six universités ont annoncé qu’elles allaient devoir fermer leur département de sciences humaines et sociales afin de, selon Hakubun Shimomura, ministre de l’Éducation nationale japonais, « les transformer en départements répondant mieux aux besoins de la société » et de « se concentrer sur des domaines d’enseignement utiles à l’économie ».

Il n’est pas simple de résister à cette adversité-là, surtout lorsqu’elle participe d’un mouvement idéologique porté par tous les secteurs de l’exercice de l’état et par toutes les nations qui se voudraient modernes.

Quel rapport entretient toutes ces dimensions politiques et managériales avec la simple pratique des médiations thérapeutiques ?

J’entendais récemment une personnalité politique française affirmer que 25 % des actes médicaux étaient actuellement « redondants ou inutiles »4 et qu’il faudrait rationaliser ces pratiques pour réaliser des économies. En écoutant cela, j’ai curieusement immédiatement songé aux soins psychiques et notamment aux groupes à médiation hebdomadaires. Par quelle opération miraculeuse5, sans « preuves » de leur efficacité, ces groupes « soignants » pourraient-ils être épargnés de ces raisonnements économico-simplistes ?

Face à des suppressions de moyens, des restrictions de personnels, on peut se dire que ce n’est plus nous, professionnels, qui pilotons nos navires-institutions, que ce sont les agences nationales, les présidents, les directeurs, les comités de pilotage qui contrôlent désormais nos actions… On peut se dire qu’on n’a pas le choix, que c’est ça ou la disparition corps et biens de la psychologie clinique ; qu’il est fini le temps où cinq professionnels et un stagiaire avaient la possibilité deux à trois fois par semaine de se réunir pour accompagner en psychodrame individuel un enfant souffrant de psychose grave, ou de déficiences importantes. C’est certain que ce temps-là n’existe plus, « c’était le monde d’hier » écrivait Françoise Archirel dans un article amer (2010). L’hiver est bien là et pourtant c’est un très mauvais calcul de renoncer, c’est plus économique pour soi, mais cela tue à petit feu la signification de nos choix et de nos valeurs. On s’épargne les risques d’un éventuel épuisement professionnel et de beaucoup de conflits, de controverses, voire de luttes perdues d’avance, mais on se met à portée d’un aquoibonisme et d’un désinvestissement tout aussi dévastateur et éreintant.

Le choix des médiations thérapeutiques, pour le professionnel, c’est déjà celui de réintroduire des possibilités de jeu entre soi et son patient. Les adolescents incasables rencontrés par Lydie Bonnet ne supportaient aucun cadre de soin, aucune « indication » (comme nous les nommons dans notre jargon lorsque l’on ne doit pas trop avoir l’air de vouloir quelque chose pour nos patients) ; Martin, le jeune homme accompagné par Yohann Milazzo, ne parvenait pas à être rencontré par ses éducateurs ni ses soignants ; Richard, dans le groupe décrit par Alexandra Rogelet restait collé à ses vécus archaïques, tout autant qu’il ne parvenait à s’en dégager dans le lien. Et que dire de l’espace inter-relationnel redevenu possible par la proposition d’une médiation équine avec des enfants souffrant d’autisme, problématique dont on connaît les effets d’usure et d’épuisement sur les équipes qui les accompagnent ? Le pouvoir de la médiation est celui de ré-enchanter la pratique clinique, de la même manière que, pour Bernard Chouvier, le conte ré-enchante par sa trame romanesque les épreuves et les vécus difficiles rencontrés par les sujets qui le trouvent et le retrouvent.

Ensuite, dans l’institution, la mise-en-place de médiations thérapeutiques est une formidable occasion de parler du soin, d’expliciter certains implicites partagés entre professionnels sur ce qui permet d’aider, de soutenir, de transformer. Mais aussi, à un autre niveau, sur ce qui coûte vraiment le plus. Quel est le coût du parcours de soins d’un enfant, devenu adolescent, qui devient la « patate chaude » de foyer en foyer, d’école en collège, d’équipes pédagogiques en équipes soignantes, de services externalisés en cellules de dé-radicalisation ? Car si la formule de Victor Hugo « ouvrez des écoles vous fermerez des prisons » pourrait être valable pour le soin, on ne pourra jamais rendre celui-ci obligatoire. C’est le grand malentendu qui existe lorsque certains établissements scolaires, dépassés par l’escalade de violence de certains élèves (et de la propagation de celle-ci lorsqu’une situation fait flamber les équipes pédagogiques), excluent ceux-ci « tant qu’ils n’auront pas vu un psychologue ou pris rendez-vous au CMP ». « Aller voir le psy » ou « aller au CMP » prend une autre dimension lorsque ce qui est proposé au sujet n’est pas de re-raconter son histoire face à une personne silencieuse (comme celui-ci s’y attend en faisant face à un « psy »), mais d’inventer de nouvelles histoires, de ré-enchanter son rapport aux autres et à soi par de nouvelles expériences. Un enfant qui a vécu tout un processus de création, de l’illusion anticipatrice jusqu’au travail de séparation, aura expérimenté le décours d’un tout autre tracé que celui, pathogène et pathophile, de ses traumatismes antérieurs.

Les médiations thérapeutiques re-mobilisent l’attention des professionnels sur les sujets et relancent les mécanismes d’investissement nécessaire à leur accompagnement. Elles restaurent les possibilités d’un dispositif soignant d’être symbolisant et « analysant » d’expériences vécues qui, par la double voie transférentielle, s’offrent ainsi de nouvelles issues de perlaboration. Elles offrent un nouveau vertex sur les sujets que nous accompagnons, mais aussi, en feed-back, un nouveau regard sur la manière dont nous avons l’habitude de les accompagner (Guinard F., Brun A., 2016).

 

 

Jean-Paul Petit.

Je me souviens que dans un Service d’accompagnement spécialisé où j’intervenais, il était convenu qu’un enfant commencerait son « parcours de soins » par un dispositif individuel, si possible médiatisé par le jeu et la parole, puis, lorsque des capacités langagières et d’abstraction étaient censées avoir été « obtenues » par celui-ci, des groupes commençaient seulement à être envisagés. « Il/elle n’en est pas encore là » est la phrase que j’entendais immanquablement, lorsque je proposais d’accueillir en premier lieu l’enfant dans un dispositif groupal. Outre le fait que d’autres services fonctionnent avec des présupposés radicalement différents, il est intéressant de remarquer que l’aménagement de groupes à médiation permet à une équipe d'expliciter ses résistances et de progressivement nuancer ses énoncés en anticipation négative (ou syndrome du Golem).

Pour conclure sur la question de l’efficacité et vous laisser enfin parcourir ces passionnants travaux, je dirai que ce qui est original et caractéristique des dispositifs de médiation qui se fondent sur une théorie psychodynamique de la médiation est qu’ils tendent à se médiatiser eux-mêmes : Tout en préservant un cadre-dispositif fixe, réglé, rythmé, sur lequel vont pouvoir se fixer les parties les plus symbiotiques du moi, mais aussi contre lequel une intériorisation des qualités de contenance va pouvoir se réaliser, ces articles montrent combien il est précieux d’associer à une médiation-cadre, une médiation-tact qui va en rendre possible la transitionnalisation.

Ainsi, au fil des articles, nous verrons comment le dispositif de photocollage est associé à une médiation jeu de rôle moins formelle qui a l’intérêt de ne pas considérer de manière symptomatique les refus d’utilisation de l’objet médiateur comme une défaillance du patient ou des animateurs. De même, la construction de la marionnette va être médiatisée par le jeu avec la marionnette en cours de construction ; les adolescents les plus en difficultés vont s’appuyer sur les exercices d’échauffement théâtral, rythmant la séance par des games réglés et prévisibles, pour pouvoir finalement s’essayer, se risquer, à des exercices d’improvisation. La présence des éducateurs dans le groupe JDR induit un jeu partagé entre les adolescents et leurs éducateurs sur une autre scène que celle des règles de fonctionnement de l’ITEP. Les adolescents et leurs éducateurs percevant différemment les limites de ce qui est possible et pas possible dans leur relation éducative. Le dispositif de captation vidéo permet lui aussi une autre circulation entre enfant, poney, soignant et observateur. La médiation équine est soutenue par une médiation cinématographique qui, étymologiquement, « grave le mouvement » rendant moins nécessaire les tendances du clinicien à s’auto-scoper pour vérifier ou évaluer s’il fait bien ou non. L’évaluation étant reportée à un temps second, la fonction observante, externalisée par la caméra, médiatise les interactions entre les soignants et libère leur spontanéité

Ces médiations secondes (et parfois non repérées comme telles) accompagnent la médiation officielle, qui labellise le groupe thérapeutique, comme une psyché, un appareil auto-réflexif. Les jeux d’aller-retour entre elles définissent progressivement un champ transférentiel où le prétexte à la symbolisation peut devenir contexte à la rencontre intersubjective médiatisée, qui peut devenir pré-texte, narration au service de la rencontre pour y trouver une substance et un plaisir.

Les potentialités auto-réflexives et malléables des médiations thérapeutiques sont précieuses dans le champ de l’accompagnement thérapeutique et permettent l’abord de situations cliniques extrêmes qu’il est peu aisé de prendre en charge habituellement. Pourtant, sous couvert d’efficacité, il nous est demandé de faire le minimum pour accompagner le plus grand nombre. Non pas le « minimum nécessaire » comme l’indiquait Winnicott en 1965, lorsqu’il comparait les cadres de la psychanalyse et de la psychiatrie infantile, mais un minimum qui place les cliniciens dans une double contrainte : celle de soigner (étymologiquement « s’occuper de ») tout en rencontrant très peu leurs patients et celle de « montrer que l’on soigne », tout en ayant que très peu de temps pour en douter et le vérifier ; et tout cela en restant très seul face à leurs questions, leurs impasses et leurs comptes rendus à faire sur le dossier informatisé du patient.

Nous réunir pour soigner, nous réunir pour écrire, nous réunir pour travailler est aujourd’hui un luxe que nous devons défendre pour véritablement penser l’efficience de nos interventions, mais défendre comme un « minimum nécessaire ». Une condition sine qua non du soin qui en rendrait possible une vraie efficacité, c’est-à-dire une efficacité qui sera ressentie, partagée, vécue comme suffisamment bonne et non calculée, déduite d’échelles et de tableurs, ou supposée d’après des déclarations impersonnelles.

La question de l’efficacité des médiations thérapeutiques doit rester quelque chose d’exigeant, qui ne se contente pas de cases à cocher ou de projets personnalisés d’accompagnement à remplir et signer. La proposition de médiation thérapeutique nous permet de souligner cette exigence et cette complexité avec laquelle nous avons à faire dans toutes les cliniques. La complexité de l’humain et les processus qui se déploient dans la relation soignante ne peuvent pas céder à la simplification qui est exigée de nous. Même si nous sommes à une époque où ce combat semble perdu d’avance, il nous appartient de souligner combien l’évaluation de nos dispositifs psychothérapeutiques peut et doit être rigoureuse, hyper-complexe, exigeante et nuancée (Brun A., Roussillon R., Attigui P., 2016). Bien plus exigeante en vérité que les stériles chiffrages que l’on attend de nous. L’écriture, la publication de ces « trésors », est une manière de témoigner de la valeur inestimable de ces pratiques. Une valeur et une plus-value qui dépassent tous les « frais réels » et toutes les économies que croient réaliser nos institutions sous couvert d’excellence, de scientificité et de pragmatisme. C’est pourquoi je remercie Canal Psy d’avoir ouvert ses pages aux praticiens et aux chercheurs qui font et soutiennent le choix des dispositifs à médiation thérapeutique.

1 En relisant Les corridors du quotidien de notre regretté Paul Fustier, je me disais que l’on était tous le « jeunot psychologue » de quelqu’un, et

2 En référence à l’introduction du numéro 95 de Canal Psy, « Pratiques partiales, pratiques partielles » (2011).

3 Lydie Bonnet a décrit plus complètement ces multiples niveaux de résistance à la mise en place d’un groupe JDR dans son travail de M2R : « Le jeu

4 En « réalité », une simple recherche sur internet permet de constater que l’on retrouve régulièrement dans la presse, depuis cinq ou six ans

5 Le « miracle » consisterait à simplement s’intéresser aux pratiques et tenter de les comprendre avant de les supprimer ou de les mettre en danger.

Notes

1 En relisant Les corridors du quotidien de notre regretté Paul Fustier, je me disais que l’on était tous le « jeunot psychologue » de quelqu’un, et que l’on finit par tous devenir le « vieux dinosaure » de quelques autres.

2 En référence à l’introduction du numéro 95 de Canal Psy, « Pratiques partiales, pratiques partielles » (2011).

3 Lydie Bonnet a décrit plus complètement ces multiples niveaux de résistance à la mise en place d’un groupe JDR dans son travail de M2R : « Le jeu de rôle, un outil thérapeutique qui defreeze l’imaginaire », sous la direction de Patricia Attigui, 2016.

4 En « réalité », une simple recherche sur internet permet de constater que l’on retrouve régulièrement dans la presse, depuis cinq ou six ans, exactement le même chiffre accompagné de ces qualificatifs « redondants ou inutiles », prononcés par des politiques ou des instances à chaque fois différentes pour réformer l’hôpital public et le fonctionnement de la sécurité sociale.

5 Le « miracle » consisterait à simplement s’intéresser aux pratiques et tenter de les comprendre avant de les supprimer ou de les mettre en danger.

Illustrations

 

 

Jean-Paul Petit.

Citer cet article

Référence papier

Frédérik Guinard, « Le choix des médiations thérapeutiques : un combat contre une certaine manière de « penser » l’efficacité », Canal Psy, 120 | 2017, 5-9.

Référence électronique

Frédérik Guinard, « Le choix des médiations thérapeutiques : un combat contre une certaine manière de « penser » l’efficacité », Canal Psy [En ligne], 120 | 2017, mis en ligne le 01 mai 2020, consulté le 19 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=1797

Auteur

Frédérik Guinard

Psychologue clinicien, docteur en psychopathologie et psychologie clinique, chargé de cours à l’université Lumière Lyon 2

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