Exploration des modalités de la rencontre entre autiste et poney à travers une sensorimotricité partagée

DOI : 10.35562/canalpsy.1800

p. 18-22

Plan

Texte

Introduction

La communication humaine est propositionnelle et nécessite une réponse de l’objet pour savoir quelles sont les propositions implicites du sujet et lui en refléter un sens potentiel. C’est ce qui est à l’œuvre dans la clinique du bébé avec les processus d’accordages sensori-affectif (Stern, 1985) et d’échoïsation corporelle (Cosnier, 2012) entre la mère et son bébé mettant en jeu toute la question cruciale de la réflexivité (Roussillon, 2007).

Dans mon travail de thèse1 portant sur les processus de communication entre enfant autiste et animal, je me suis centrée sur la modalité singulière d’entrer en contact l’un avec l’autre, et de façon plus générale avec un autre être vivant.

Pour observer finement les messages corporels et psychiques infra-verbaux en jeu lors des interactions entre l’enfant autiste et le poney nous avons construit un dispositif à l’intérieur duquel les interactions sont libres, impliquant que le poney est susceptible d’être très réceptif aux demandes implicites de l’enfant et de l’exprimer dans son attitude corporelle. Celle-ci prend le sens d’un miroir corporel et permet un travail d’échoïsation sur lequel le thérapeute peut s’appuyer.

La singularité de la pensée et du fonctionnement cognitivo-affectif des autistes (Mottron, 2004) semble de plus en plus admis. Cette vision de l’autisme est plus féconde que le piège d’une vision déficitaire et son inévitable contre-transfert négatif. Elle met l’accent sur ce qui est émergeant. Les « bizarreries » de l’enfant autiste (stéréotypies, déambulations, crachats) sont considérées ici comme une forme de symbolisation particulière ayant un impact dans ses processus de subjectivation et dans le lien à leur environnement. Ce travail de recherche s’inscrit dans l’étude des processus préalables et indispensables à l’émergence du processus de symbolisation, si essentiel dans l’émergence de la pensée. Chaque symptôme autistique pouvant être entendu comme une forme de message à part entière de cette forme de symbolisation et de ses avatars, propre au fonctionnement autistique.

Aussi bien du côté de la pratique que de la recherche, l’un des enjeux avec les enfants autistes est, non de les forcer à entrer dans notre monde, mais de chercher une alternative pour qu’une communication commune puisse s’établir entre nous et ces enfants, tout en restant authentique et tout en respectant leur individualité et leur différence. Selon la façon dont elle est pratiquée, la médiation animale peut-être une de ces alternatives et représenter un véritable « levier thérapeutique » (Brun, 2007), au sein d’une prise en charge globale.

Mode d’approche singulier de l’enfant autiste comme atout dans la rencontre avec le poney

L’embrayeur de cette recherche tient dans l’observation fréquente d’un mode d’approche particulier des enfants autistes envers des poneys. Du fait précisément de leur autisme et de leurs particularités (évitement de la rencontre directe, occupation de l’espace en périphérie, non utilisation de la main, recherche du contact du sol, activités stéréotypées, etc.), le mode d’approche de ces enfants semble souvent bien convenir aux poneys et être moins effrayant – moins prédateur et moins dans l’emprise – pour eux.

Ces particularités autistiques peuvent attiser la curiosité du poney. Un enfant autiste qui déambule sans cesse va provoquer à son insu (au moins au début) un phénomène d’« aspiration » du poney, celui-ci suivant alors l’enfant. De même, le mouvement créé par une stéréotypie va l’intriguer et le pousser à s’approcher pour voir et sentir ce qui s’agite au sol. Ces interactions, qui s’influencent l’une l’autre, s’apparentent à un processus d’apprivoisement du lien, de part et d’autre et peut expliquer l’attractivité que représente cet autre-être-vivant, pour l’enfant autiste et ces interactions facilitées souvent observées entre eux.

Vers une théorisation de la médiation équine

En s’intéressant aux fondements de ces pratiques et en cherchant à en analyser la dynamique de soin, cette recherche évite une impasse théorique : celle d’osciller entre deux approches opposées, dont l’une considère l’animal comme thérapeute et l’autre, au contraire, comme simple outil de ce dernier. Deux approches auxquelles il manque l’appui métapsychologique permettant de saisir la spécificité clinique de la médiation animale du point de vue d’une théorisation de la médiation thérapeutique.

La question initiale se pose alors ainsi : la parole n’étant pas la condition du lien, comment s’organisent les processus et les modalités d’échanges entre l’enfant autiste et l’animal et quels intérêts thérapeutiques l’enfant y trouverait-il ?

Principe méthodologique : que font les trois protagonistes et comment ?

Ne cherchant pas à prouver l’efficacité de la thérapie avec le poney, cette recherche s’est engagée dans une troisième direction consistant à examiner au plus près de quelles façons le contact s’établit entre l’enfant autiste et le poney. M’inspirant de travaux éthologiques (Limond et al., 1997 ; Servais et Millot, 2003) je me suis centrée à décrire et à analyser ce qui se passe concrètement entre chacun des protagonistes (poney, enfant et thérapeute) et de quelle manière. M’appuyant sur une triple observation, clinique, éthologique et vidéo, j’ai répertorié et décrit chaque interaction entre l’enfant et le poney ainsi que son contexte, l’initiateur de celle-ci, ce qui se passe avant et après, l’angle d’approche (frontale, latérale, arrière), les zones du corps touchées et comment (effleurement, contact appuyé, avec la main, le coude), etc.

Ma méthodologie repose sur « l’attitude éthologique » d’une psychologue clinicienne. Il ne s’agit pas de transposer des théories et des modèles éthologiques mais une attitude et des méthodes dans le champ de la communication humaine et en particulier de l’autisme.

Système partageable enfant autiste/animal comme fondement d’un langage commun

Le fil directeur de cette thèse part de l’hypothèse principale d’un partage d’une modalité d’appréhension de l’environnement et donc de l’autre, entre certains enfants autistes et certains mammifères. Ce partage sensori-cognitivo-affectif passerait par une communication corporelle et émotionnelle et un décodage des signaux émotionnels plus faciles à interpréter que l’expression d’affects nuancés et le traitement d’éléments verbaux complexes dont les enfants autistes peuvent se trouver saturés. Dans un dispositif de soin adéquat, cette sensorimotricité partagée réduirait l’angoisse, apportant un sentiment de sécurité, indispensable dans une approche de soin.

Il ne s’agit pas de prendre l’animal pour modèle mais de choisir « le système partageable enfant autiste/animal » comme axe de travail. Par exemple avec le poney le partage d’une certaine sensorimotricité. Leur monde sensoriel et perceptif (leur univers mental), bien que très différent, est dominé pour l’un comme pour l’autre par une hyper-sensorialité et une sensibilité émotionnelle extrême, ainsi qu’une certaine acuité à décoder des signes et des messages (non verbaux) sans pour autant pouvoir en faire la synthèse et y mettre un sens.

Un dispositif basé sur des interactions libres avec les poneys

Ainsi pour mettre à l’épreuve cette hypothèse et observer une potentielle communication spontanée entre l’enfant et l’animal, nous avons mis en place un dispositif de recherche et de soin dont les spécificités sont les suivantes : favoriser des interactions « spontanées » entre enfant et poney, avec une absence de contrainte, aussi bien pour l’enfant (pas de coupage classique de la séance de type pansage puis monte) que pour le poney qui, libre de ses mouvements, évolue sans licol (sauf en cas de portage).

La consigne donnée était de « laisser advenir les interactions entre l’enfant et le poney en essayant de les influencer le moins possible ». Il s’agit pour le soignant de réfréner son envie d’être dans « le faire » ou de combler le vide à tout prix, en privilégiant présence attentive du thérapeute dans l’accompagnement des interactions spontanées et le processus de réflexivité2.

Utilisation des connaissances d’éthologie équine en séance

Un soignant souhaitant proposer une thérapie avec un animal à un enfant autiste doit acquérir une idée de la façon dont l’animal perçoit et analyse son environnement et comment interpréter, sans anthropomorphisme, ses réactions, ses postures, ses mimiques, ses comportements. Dans le cas de la médiation équine, être cavalier ne garantit pas cette connaissance. Le cheval est un animal doué d’une hypersensibilité cénesthésique. Mieux ses modalités sensorielles et de communication sont connues du thérapeute, mieux ces connaissances pourront être utiles en séance pour analyser les interactions entre l’enfant et le poney. Prenons une situation concrète :

L’enfant est assis au sol occupé à exercer une activité stéréotypée avec un objet. Au bout d’un moment le poney s’approche de lui et vient flairer ses mains, puis ses cheveux.

Nos connaissances éthologiques nous indiquent que le poney voyant mal de loin et étant sensible aux mouvements va facilement s’approcher pour venir voir de près et sentir l’objet manipulé par l’enfant et l’enfant lui-même, créant ainsi un contexte de potentialité relationnelle. D’un point de vue clinique, nous chercherons à évaluer si l’enfant l’interprète comme une invitation au contact ou une intrusion, s’il recherche le regard, la présence du thérapeute lors de cette expérience. D’un point de vue thérapeutique ce qui nous intéresse est de savoir comment se modifie ou non ce type d’interaction au fur et à mesure de la prise en charge. Y a-t-il partage d’intérêt avec le thérapeute et recherche de communication ? Comment des expériences de contact deviennent-elles des expériences de lien ?

Les actions, les interactions de l’enfant envers le poney, le thérapeute ou le cadre – sa façon de bouger, de se déplacer, d’aborder l’animal, de le toucher, etc. – vont toutes occasionner une réponse (donc une communication) de la part du poney, plus ou moins facilement perceptibles. Tout percevoir, même avec la vidéo, n’est pas possible mais nous évaluerons si l’enfant semble percevoir ces signaux et en tenir compte, c’est-à-dire en observant sa façon d’observer le poney, sa façon de nous interroger (regard interrogateur, mimique ou question si l’enfant parle) et plus subtilement sa façon de modifier son mode d’entrée en contact, d’explorer son poney et d’être en lien avec lui. Je renvoie ici le lecteur à mon tableau de « Repères pour une évaluation qualitative de l’évolution des enfants autistes à l’aide de la médiation équine » (Lorin de Reure A., 2016).

Fonction messagère de la modalité d’entrée en contact

La comparaison de la première prise de contact d’enfants neurotypiques dans les mêmes conditions, montre qu’ils approchent le poney de façon plutôt directe vers la tête, que l’on peut considérer comme siège social, et la touche dès qu’elle est à portée de main. Tous le regardent dans les yeux ou cherchent son regard. La plupart verbalisent leurs craintes, ressentis, plaisirs.

Concernant les enfants autistes, l’élan social et relationnel envers un être vivant est bien présent mais leur façon d’y accéder prend un chemin détourné et prend plus de temps.

Cette analyse de données permet de modéliser de façon précise les modalités d’entrée en contact entre enfant et poney. Celles de l’enfant autiste peuvent être considérées à la fois comme une stratégie d’apprivoisement de l’autre (approche « adressée », « l’air de rien », « ravisée », « sans faire exprès », « en aller-retour ») mais aussi comme une exploration de l’espace interpersonnel (par « le crachat », par « contournement »). Celles repérées chez le poney se déclinent ainsi : approche « aléatoire en champ détendu » (forme d’approche indirecte sécurisante à potentiel interactif), par « aspiration » (aspiration sociale), « audacieuse » (potentiellement ludique), par « recherche de proximité corporelle » (collage et réassurance) et par « curiosité » (prémices d’une forme d’attention conjointe).

Ces différentes stratégies d’interaction entre enfant autiste et animal sont à comprendre comme une exploration d’un espace triangulé par le médium animal (médium malléable partiel), mais aussi comme une exploration de l’intentionnalité. Ces stratégies permettent d’observer le passage d’une sensorimotricité partagée, médiatisée et apaisante à une intersubjectivité retrouvée, dans un sentiment de sécurité, ouvrant à une potentialité d’un espace de jeu et facilitant les processus d’individuation-séparation.

Illustration clinique : vignette d’une approche « l’air de rien »

Sarah, 6 ans, souffre d’un autisme infantile grave. Pour donner une très brève image de son évolution lors de sa thérapie avec le poney, elle s’est, au début, focalisée sur l’animal, par le biais d’explorations corporelles, tandis qu’elle fuyait massivement le lien avec moi sa thérapeute. Celui-ci s’est apprivoisé et construit peu à peu par l’intermédiaire du poney dont elle a délaissé les interactions à pieds pour demander à être portée. Moins sollicitée socialement, la curiosité très présente du poney envers Sarah, s’est émoussée la seconde année. En revanche, le lien avec moi s’est considérablement enrichi, avec une baisse de l’anxiété, une continuité dans l’échange, une meilleure adaptation aux changements, un enrichissement du langage pré-verbal (babillages), des partages émotionnels, des ébauches d’accordages affectifs et d’imitation.

Plusieurs aspects dans sa façon d’aborder le poney ont retenu mon attention : ses approches que j’ai nommées « l’air de rien », « par le crachat », « ravisées », son attractivité spécifique pour l’œil du poney et ses réactions à l’éloignement du poney. Je propose ici une vignette de modalité de contact en l’air de rien :

S33 – I202

Avant : Le poney vient de s’éloigner après une interaction avec Sarah. Aussitôt celle-ci reprend son activité stéréotypée avec le brin de paille, puis elle explore et manipule une ficelle trouvée vers le filet de l’enclos.

Interaction : Sarah jette un coup d’œil à Sinaï (le poney). Elle regarde à travers les trous du filet qu’elle soulève un peu. Semblant ignorer le poney, elle marche le long du filet, puis soudain, souriante, l’aborde par le côté droit et colle son visage contre sa croupe. Le poney se tourne vers elle. Elle n’a pas de mouvement de crainte ni désapprobation [comme souvent avant]. Elle recule, le regarde dans les yeux, effectue une série de mimiques, regarde au loin, soupire, émet un son, cligne des yeux, grimace, secoue la tête, se frotte l’œil puis le caresse brièvement sur la cuisse avant de s’éloigner.

Après : ce vide créé une aspiration du poney qui la suit et conduit à une nouvelle interaction (I203).

Ce type d’approche « l’air de rien » semble correspondre à une stratégie d’apprivoisement du contact avec l’autre et nous donne des indices sur sa façon d’appréhender l’autre et d’interroger l’inter-subjectivité et l’inter-intentionalité. Cette modalité d’approche va à contre-courant de toute tentative d’un forçage du lien. Un lien trop direct et trop rapide dans son installation pouvant être ressenti comme forçage chez un enfant autiste et dans ce cas cherchant à être évité.

La manière dont l’enfant autiste entre en contact avec l’animal est un message. Elle indique sa façon d’appréhender l’autre et renvoie aux questions de l’inter-intentionnalité et de l’inter-subjectivité. L’animal favorise l’activation de la fonction messagère de la pulsion.

Conclusion

Ce travail de thèse permet de confirmer l’hypothèse que la médiation animale constitue un élément de choix à intégrer dans un dispositif de soins à proposer à un enfant autiste. Le poney en particulier représente un mammifère social au monde sensoriel omniprésent, doté d’une hypervigilance, d’une hypersensibilité cénesthésique, de grandes qualités de portage. Il est susceptible d’offrir un niveau de fonctionnement sensori-cognitivo-affectif rassurant, apaisant et échoïsant pour l’enfant autiste. Ces éléments permettent d’ouvrir un potentiel de disponibilité à la relation dans la thérapie, d’autant plus que les interactions entre enfant poney sont laissées libres de s’associer, seulement reprises par le thérapeute qui en assure la qualification et reste garant de la rythmicité et de la sécurité ses séances.

L’analyse des interactions entre enfant et poney, reprises dans le visionnage après coup des séquences vidéo, permet de découvrir que les principales modalités d’approche du poney par les enfants autistes s’effectuent sur un mode d’approche indirecte, souvent en écho du même mode d’approche de l’enfant par le poney, réalisant ainsi une forme d’échoïsation corporelle. Ces modalités semblent à envisager d’abord sous l’angle d’un apprivoisement du contact de l’autre mais aussi sous l’angle d’une exploration de l’espace interpersonnel et de l’intentionnalité. Ainsi, par exemple à partir d’une déambulation idiosyncrasique du poney et de l’enfant en interactions libres, va se créer de proche en proche un déplacement intentionnel adressé à l’autre.

L’interaction libre polymodale semble être un élément déterminant pour permettre à ces processus d’accordage et d’échoïsation de se dérouler, réanimant les processus attentionnels de l’enfant et ouvrant peu à peu la voie à une intersubjectivité et par là même à une potentialité de jeu.

Nous avons laissé plusieurs questions ouvertes au long de cette recherche qui pourraient être développées comme celle de la préhension mise en rapport avec l’emprise. La question de l’impact du regard de l’animal sur l’enfant autiste mériterait d’autres recherches ou encore l’impact de la gestalt de l’animal dans le pouvoir attracteur qu’il exerce sur l’enfant et sur nous humain.

 

 

Jean-Paul Petit.

1 Lorin de Reure A., « Interactions libres entre enfant autiste et animal (poney et dauphin). Étude des processus en jeu dans une sensorimotricité

2 René Roussillon a développé le processus de réflexivité c’est-à-dire la capacité du sujet à se sentir (s’auto-affecter), se voir, s’entendre.

Notes

1 Lorin de Reure A., « Interactions libres entre enfant autiste et animal (poney et dauphin). Étude des processus en jeu dans une sensorimotricité partagée par une triple approche clinique, éthologique et vidéo », Thèse de doctorat de psychologie, sous la direction du Pr. R. Roussillon, Lyon, Université Lumière Lyon 2, 10 octobre 2016, 534p.

2 René Roussillon a développé le processus de réflexivité c’est-à-dire la capacité du sujet à se sentir (s’auto-affecter), se voir, s’entendre.

Illustrations

 

 

Jean-Paul Petit.

Citer cet article

Référence papier

Anne Lorin de Reure, « Exploration des modalités de la rencontre entre autiste et poney à travers une sensorimotricité partagée », Canal Psy, 120 | 2017, 18-22.

Référence électronique

Anne Lorin de Reure, « Exploration des modalités de la rencontre entre autiste et poney à travers une sensorimotricité partagée », Canal Psy [En ligne], 120 | 2017, mis en ligne le 01 mai 2020, consulté le 20 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=1800

Auteur

Anne Lorin de Reure

Psychologue clinicienne, docteure en psychopathologie et psychologie clinique

Autres ressources du même auteur