Jeune professionnelle, une recherche de positionnement

DOI : 10.35562/canalpsy.1885

p. 22-25

Plan

Texte

Dans cet article, je vous propose un retour sur ma première année en tant que jeune psychologue. Doublement « jeune » puisque j’ai été diplômée en 2016, mais aussi parce que mes années de faculté ont directement suivi mes années lycéennes. Il sera donc question des différentes expériences que j’ai vécues, de stagiaire à professionnelle, de mes questionnements quant à mon positionnement au sein des équipes, mais aussi face à une clinique qui m’était jusqu’alors peu connue.

De stagiaire à professionnelle

Le passage d’étudiant à professionnel n’est pas le moindre des passages. L’année de Master 2 semble le préparer en douceur, amenant au fur et à mesure l’étudiant à prendre une position professionnelle. Dans mon cas, ce passage a été d’autant plus continu que j’ai remplacé une de mes maîtres de stage, partie en congé maternité.

Mon premier poste a donc été un remplacement en Centre Médico-Psychologique pour enfants et adolescents (CMP). Il avait sa part d’avantages et d’inconvénients, les deux étant liés. Ainsi je connaissais la structure dans laquelle j’effectuais le remplacement, ce qui était un avantage certain. L’inconvénient était le glissement de place, de stagiaire à professionnelle, qui entrait en résonance avec mes questionnements du moment et le passage du Master 2 à la vie professionnelle. Ce glissement, que j’ai dû mettre au travail pour moi-même et qu’il aurait mieux fallu penser institutionnellement, trouvait sa plus belle illustration dans une des tâches qui m’incombait. Il m’était en effet demandé de remplacer mon ancienne maître de stage sur les « reprises de groupe » (temps d’aide à l’élaboration avec les animateurs d’un groupe thérapeutique). En soi, cette tâche était fort intéressante et très formatrice, cependant, et c’est là que le bât blessait, j’ai dû assurer la reprise d’un groupe que j’avais moi-même co-animé. Il m’était demandé de « passer de l’autre côté », du côté du superviseur, un côté plus neutre, plus en retrait. La distance m’a semblé bien trop mince pour pouvoir convenablement aider à l’élaboration de ce qui pouvait se jouer au sein de ce groupe, ayant moi-même connu les patients, ayant été touchée par les mouvements groupaux.

Ce remplacement, sans rupture nette entre stagiaire et professionnelle, m’a amené à mettre au travail mon positionnement de jeune psychologue, aussi bien pour moi que pour l’équipe du CMP. J’ai aussi dû interroger la représentation que j’avais de mon ancienne maître de stage. Il m’a ainsi fallu me confronter, élaborer, dépasser l’image idéalisée que j’avais d’elle afin de pouvoir trouver une façon de travailler au sein de cette institution.

De plus, la situation générale de remplacement a mis en exergue ce qui me taraudait alors. Tout comme devenir parent revient à tuer « fantasmatiquement » ses propres parents, je suis tentée de transposer cette théorie au champ des études : est-ce que passer de la vie étudiante à la vie professionnelle n’amènerait pas à tuer « fantasmatiquement » ses « parents d’étude » (maîtres de stage notamment) ? C’est tout du moins ce que j’ai été amenée à élaborer en « prenant la place » de ma maître de stage pour son remplacement.

Ce remplacement a été un premier pas dans mon début de carrière. Ne travaillant pas à temps plein, je me suis mise en recherche d’autres postes. Ces recherches ont été fastidieuses, me remettant souvent en cause narcissiquement du fait de nombreux refus. Bien consciente de la difficulté à trouver un emploi en tant que jeune psychologue sur la région lyonnaise, j’étais prête à faire différentes concessions, notamment faire de la route ou déménager, selon les opportunités qui s’offriraient à moi. J’avais fixé une limite à mes recherches : l’emploi ne devait pas être à plus d’une heure porte-à-porte de mon domicile ou pouvait se situer en Auvergne, région dont je suis originaire, et ce sous peine d’un déménagement. Cependant, j’ai été amenée à refuser certaines propositions du fait d’une route trop importante, ce que je n’avais pas toujours justement calculé en postulant.

J’ai finalement trouvé un CDI à mi-temps dans un Service d’Éducation Spéciale et de Soins A Domicile (SESSAD, dispositif ITEP) en Auvergne. Pendant quelques mois, pour ne pas passer à côté de ce travail en CDI (ce qui me semblait être une pépite !), j’ai fait des allers-retours entre Lyon, lieu de mon remplacement, et l’Auvergne. Ces mois ont été coûteux en énergie, aussi bien physique que psychique. Découvrir une nouvelle structure, pour un premier poste, en ne retrouvant mon « chez moi » que de temps à autre a été extrêmement coûteux. À la fin de mon remplacement, j’ai donc déménagé et de nouveau, j’ai cherché un emploi pour compléter celui en SESSAD. Quelques semaines après mon déménagement, j’ai trouvé deux postes en CDI dans deux Établissements d’Hébergement pour Personnes Âgées Dépendantes (ou EHPAD), cette fois-ci dans la Loire. Bien que me faisant aussi faire de la route, j’imagine que ces postes me feront acquérir une expérience qui me permettra, d’ici quelque temps, de rapprocher mon lieu de travail de mon domicile. Certaines concessions me semblent indispensables pour trouver un premier emploi, les miennes ont été de déménager et de faire de la route.

Mes postes en tant que titulaire m’ont permis de mesurer un autre aspect du remplacement : la question de l’investissement. Pour moi il s’agissait de s’investir, mais tout en ayant une limite, celle d’un temps bien défini. Il n’était alors pas question de projets, de mettre des choses en place alors que ma collègue reviendrait. Au contraire, en tant que titulaire d’un poste, il n’est pas question d’un temps limité. L’investissement et la projection me semblent pouvoir se développer entièrement : conduire à bien des projets, se laisser rêver à ce qui pourra être mis en place. De même par rapport à une place de stagiaire où tout est bordé (le stagiaire participe à tel groupe, fait des entretiens…) et où ici aussi la fin est déterminée, une certaine liberté s’offre au professionnel titulaire. Liberté d’action, qui vient aussi de notre fonction, liberté dans le choix des outils. La place est donc à construire.

Le travail en équipe

Une des problématiques principales qui occupe ma vie de jeune professionnelle et qui a été présente aussi bien lors de mon remplacement qu’actuellement, est celle de la place à prendre, parfois à faire au sein des institutions. Alors que stagiaire, avec d’autres étudiants, il nous est arrivé de critiquer nos maîtres de stage, leur positionnement dans les institutions, j’ai eu à me confronter directement à ces questions. Je me suis ainsi rendu compte que la place du psychologue est à occuper, à façonner.

Au SESSAD, il me semble que la place du psychologue auprès des équipes était déjà « faite » en ce que j’ai été bien accueillie et que j’ai rapidement été intégrée. Au contraire, dans l’un des EHPAD où je travaille, le rapport avec l’équipe soignante est à construire petit à petit. À mon arrivée, j’ai ressenti un clivage important entre les soignants et ma position de psychologue, ce que j’essaie actuellement d’atténuer. Il me faut respecter les réticences, les défenses, les peurs de chacun face à ma fonction tout en m’imposant lorsque les situations cliniques le nécessitent. Dans ce bain somatique, les corps vieillissants, l’action sont au premier plan. Amener la question de vie psychique, celle des angoisses n’est pas toujours simple. C’est ici à moi de construire la place que je souhaite occuper : quel est le juste positionnement, la juste distance face aux soignants ? Quelle place ai-je envie de prendre aux côtés des équipes ? Comment atténuer le clivage qui existe entre nos positionnements ?

En tant que stagiaire, je ne m’étais jamais posé cette question de la sorte. Il me semble que je m’adossais à la place qu’occupaient mes maîtres de stage. Je prenais appui sur la leur pour construire la mienne, parfois dans l’opposition, parfois dans la similitude.

Dans ce début de vie professionnelle, il est donc question, pour moi, d’une place à construire, d’une façon pour soi et face aux autres, aux équipes, d’être psychologue. Comment donc être soi-même psychologue avec les réformes de notre parcours, de nos stages et de nos expériences ? Comment trouver aussi de la continuité dans la rupture que constitue ce changement de statut (stagiaire/professionnelle) ?

Découvertes cliniques et confrontation à l’idéal

Au cours de mes stages, j’ai rencontré des publics divers, ce qui m’a permis de développer des représentations du travail de psychologue avec ces différentes populations. Ainsi, mes expériences de stage auprès d’enfants me paraissent avoir facilité le travail au SESSAD en ce qu’il ne m’est pas complètement inconnu. La clinique, les situations ne sont, bien entendu, pas identiques, mais les dispositifs cliniques, les problématiques infantiles et adolescentes, les thérapies par le jeu, commencent à m’être familières.

Au contraire, je n’avais jamais fait de stage en EHPAD, je ne connaissais la population âgée que par deux semaines de stage dans un accueil de jour. Il a donc été question pour moi (ce qui est toujours le cas aujourd’hui), en prenant ce poste, de me forger une représentation du travail du psychologue dans ces structures. De nombreuses interrogations se posent ainsi régulièrement à moi, aussi bien dans le travail avec les soignants qu’avec les patients. Mes premières interrogations concernent des données cliniques très diverses : comment rencontrer les patients ? Dans leur chambre ? Dans un bureau ? Quelles sont les incidences d’une rencontre dans un lieu intime comme la chambre ? Comment les rencontrer alors qu’ils ne sont pas demandeurs et dans ce cas, comment susciter une potentielle demande ? Comment accompagner les soignants ? Que faire de leurs sollicitations ?

Cette clinique est aussi particulière de par le peu de moyens dont je dispose. Dans un des EHPAD, je travaille à 35 % avec 70 résidents dans l’établissement. Quel travail est-il alors possible d’accomplir ? Je ne suis en effet pas en capacité de rencontrer tous les résidents alors qu’ils seraient nombreux à avoir besoin d’un accompagnement. Il me paraît nécessaire d’établir des priorités, ce qui n’est pas sans provoquer de nombreux cas de conscience. Qui prioriser ? Les personnes atteintes de démence ? Celles qui ont toute leur tête, mais une autonomie physique réduite ? Faudrait-il rencontrer les plus souffrantes ? Et alors, comment quantifier leur souffrance ? Un PASA (Pôle d’Activités et de Soins Adaptés, structure de type accueil de jour accompagnant des résidents atteints de démence) est présent dans cet EHPAD, certains résidents y sont reçus plusieurs fois par semaine. Pour ceux accompagnés dans ce service, la question d’un suivi psychologique avec moi se pose aussi : ont-ils droit à un soin psychique alors qu’ils ont déjà un accompagnement ?

Alors que dans d’autres structures, des listes d’attente existent, ce qui me semble aussi protéger le psychologue de nécessaires choix, ce n’est pas le cas en EHPAD. Les résidents sont nombreux, et j’essaie de discerner, malgré toutes les questions éthiques que cela pose, lesquels sont à prioriser, tout en essayant de veiller à ce que mes défenses, mon contre-transfert, interfèrent le moins possible avec ces choix. La limite de la clinique est donc aussi celle des moyens temporels alloués au psychologue. Je me confronte donc actuellement à l’idéal que j’avais de ma fonction : être présente, accompagnée les personnes en souffrance.

Ce manque de moyens semble cependant engendrer une certaine créativité quant au positionnement et aux dispositifs que le psychologue peut mettre en place. Ainsi, dans le second EHPAD, j’ai été embauchée sur une création de poste, avec un très petit temps (3 %, ce qui représente 2 h 15 toutes les deux semaines) pour une trentaine de résidents. Dans ce lieu, où le travail du psychologue est une grande inconnue, il m’a fallu interroger la direction quant à ses attentes puis me questionner sur l’apport de ma fonction avec une telle quotité de temps. Une liberté importante m’a été laissée, la direction ne connaissant pas ma fonction, ni quelles missions m’attribuer. J’ai ainsi imaginé travailler quasi exclusivement avec les équipes, des suivis me semblant peu souhaitables sur un temps aussi réduit. J’ai donc eu à aménager le cadre, à proposer une façon de travailler qui me semblait la plus efficiente au vu de ma présence. Je n’en suis encore qu’aux prémices du travail avec cette institution ; j’ai trouvé la façon dont je souhaite travailler, mais la mise en place du dispositif que je propose met aussi du temps, et il me faut être patiente, me montrer malléable.

Pour conclure, cette première année de travail a été riche en découvertes et en interrogations. Ce qui me semble particulièrement important, et qui m’a soutenu cette année, a été la possibilité de partager mes questionnements avec d’autres personnes. Ces temps de réflexions mettant en jeu de l’extérieur – aussi bien avec d’autres professionnels lors d’intervisions, que par le moyen de supports théoriques comme des lectures ou colloques – sont des moments de respirations, des temps qui me permettent de penser la clinique que je côtoie quotidiennement. Il est donc primordial de s’éprouver en tant que jeune professionnel, mais aussi de trouver d’autres appuis qui nous permettent d’aller plus loin.

 

 

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Citer cet article

Référence papier

Méliné Talpin, « Jeune professionnelle, une recherche de positionnement », Canal Psy, 122 | 2018, 22-25.

Référence électronique

Méliné Talpin, « Jeune professionnelle, une recherche de positionnement », Canal Psy [En ligne], 122 | 2018, mis en ligne le 01 janvier 2021, consulté le 18 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=1885

Auteur

Méliné Talpin

Psychologue clinicienne