Les dispositifs d’accompagnement de la souffrance psychique : enseigner leur complexité

DOI : 10.35562/canalpsy.205

p. 5-7

Plan

Texte

 

 

Marc-Antoine Buriez

Enseigner la psychologie est-ce déconstruire la sacro-sainte neutralité bienveillante, dont se parent au plus vite les jeunes étudiants, au risque de fissurer un positionnement professionnel idéal ? Comment aider, les étudiants en psychologie ou les psychologues en formation, à tenir une position praticienne, non jugeante et empathique, qui ne soit pas une mise à distance de la rencontre avec l’autre et sa singularité aux confins parfois du désengagement et de la non-implication ? Comment accompagner l’acceptation de l’inévitable partialité du professionnel impliqué dans une équipe et dans une institution accueillant la souffrance psychique ? Existerait-il une pédagogie spécifique initiant à la (re)connaissance de cette partialité ?

L’enseignement des futurs psychologues ou travailleurs sociaux prévient des contre-attitudes et du contre-transfert induits ou provoqués par des sujets souffrants. Mais qu’en est-il de la partialité dans les pratiques ?

Penser et théoriser les pratiques d’accompagnement de personnes ou de familles en difficultés est une nécessité pour le psychologue, mais aussi pour le professionnel de l’éducation, du soin ou de la formation. Ceci d’autant plus qu’elles se confrontent à de nouvelles méthodes managériales qui, mettant en avant une approche « rationnelle » et comptable du travail sanitaire et social, fractionnent et fragmentent en série d’actes codifiés les relations éducatives et thérapeutiques.

Cependant, nous ne pouvons comprendre l’actualité de nos pratiques sans faire appel à d’autres disciplines des sciences humaines afin de les resituer historiquement, sociologiquement et politiquement. Quels idéaux, quelles idéologies soutiennent le rapport de la société à la marginalité, la folie et la maladie ? Quelles représentations sociales orientent nos conceptions de la prévention, de l’aide ou du soin et nos interventions ?

Une unité d’enseignement de l’Institut de Psychologie de l’Université Lyon 2 est consacrée à l’approche complexe des pratiques d’accompagnement. Je présenterai ici cet enseignement, puis je reviendrai sur la notion de dispositif et enfin je développerai la compréhension plurielle de celui-ci afin d’en dévoiler la part imaginaire, donc partiale.

 

 

Marc-Antoine Buriez

L’enseignement en AEPS, Accompagnement, Éducation et Prévention Sociale, s’attelle à cet objet complexe, intersubjectif et groupal, qui regroupe des pratiques diverses sous le terme générique d’accompagnement. Il s’adresse à des étudiants qui désirent développer leurs connaissances et leurs expériences des terrains professionnels du secteur social, de l’éducation, de l’animation ou de la prévention. Les étudiants y approfondissent leurs connaissances de la réalité psychique dans les différentes situations institutionnelles où des personnes sont accueillies dans un objectif d’aide, d’éducation, de soutien ou d’accompagnement. Il repose sur un apprentissage « par l’expérience » pour permettre des allers-retours entre connaissances théoriques et situations pratiques. Une connaissance du milieu social ou environnemental est nécessaire pour être en mesure de percevoir, accueillir voire contenir des enjeux psychiques des sujets en souffrance ou en dépendance par rapport à autrui. L’objectif est de tenter de construire des repères pour envisager des positions praticiennes propres à l’accompagnement, à l’éducation ou à la prévention (positions qu’il conviendrait de situer par rapport à d’autres positions très directement thérapeutiques).

In fine, il permet aux étudiants de porter un regard critique et pluriel parce qu’à la fois historique, sociologique et clinique sur des dispositifs d’accompagnement de la souffrance psychique dans des institutions soignantes, éducatives ou de prévention.

De l’étrangeté d’un dispositif d’accompagnement

Le souhait ou la volonté d’accompagner des personnes en difficulté induit la création de dispositifs adaptés aux objectifs et aux attentes sociales de cet accompagnement. Ces dispositifs sont des paradigmes historiques et culturels. Ils révèlent la manière dont on accueille, tempère ou refoule l’étrangeté dans une institution et dont se prend le risque d’une rencontre avec l’autre, l’étranger que ce soit un SDF, un nourrisson, l’infans, pas encore humanisé, un enfant ou un adolescent en difficulté, le fou, une personne déficiente mentale.

Ainsi le dispositif parle de l’actuel et de l’histoire de l’institution où il est mis en place, dans sa double dimension synchronique et diachronique. Il y a des restes d’histoires institutionnelles dans l’intention pressentie lors d’un soin, d’un suivi éducatif ou d’une action de prévention à un moment donné. L’intention conceptrice se conjugue avec l’intention utilisatrice, les attentes des bénéficiaires. L’idée du soin, de la prévention ou de l’éducation, comporte une part consciente comme l’indique le terme « intention » et une part inconsciente, voire idéologique.

Mais dispositif partage la même étymologie que disposition et disponibilité, le verbe latin disponere. Un dispositif supposerait « se mettre à disposition de », « être disponible ». Il y aurait donc de l’attention dans la création d’un dispositif d’accompagnement, une attention maternelle contenante. Le dispositif jouerait alors un rôle de conteneur au sens de R. Kaës (1993), d’appareil de transformation, d’espace potentiel de créativité.

Enfin le dispositif d’accompagnement de la souffrance psychique confronte à l’autre, étranger à soi. « Que reste-t-il de négociable dans ce parcours hasardeux de la rencontre avec l’étranger ? D’abord la frontière ou l’interstice qui laisse toujours suffisamment de place pour le jeu à qui sait l’habiter » écrit Jean Ménéchal (1999). Le dispositif figure un espace intermédiaire, « d’en-jeu de la frontière ». Le déjà-là, le « trouvé » de Winnicott ne s’ajuste pas exactement à l’intention du destinataire et émergent alors du pulsionnel, de la créativité et de la transitionnalisation des lieux, créés par celui et ceux, usagers et professionnels, qui l’habitent. Le dispositif devient étrangeté, car remanié, muté, par les protagonistes et les enjeux au sein du lien d’accompagnement et de l’institution.

La rencontre des étudiants dans les institutions devrait être de deux ordres, celle avec des sujets en souffrance et celle avec des murs et des règles qui susciteraient l’étonnement. Dans un premier temps, les étudiants s’immergent dans le lieu, prennent place, sont présents et disponibles. Dans un second temps, ils prennent une position méta, subjectivent leur expérience et questionnent les liens d’accompagnement. Pour ce faire, la lecture doit être complexe et non se réduire à l’intention énoncée par un projet pédagogique ou éducatif. Le projet nous dit l’intention, mais non la pratique.

Dégager la partialité par une lecture complexe des dispositifs

Pour dérouler une approche de la complexité des dispositifs dans leurs aspects formels, conscients et inconscients, nous nous appuierons sur les travaux de Cornélius Castoriadis, psychanalyste, philosophe et économiste.

« L’imaginaire est création incessante et essentiellement indéterminée (social-historique et psychique) de figures/formes/images, à partir desquelles seulement il peut être question de quelque chose. Ce que nous appelons “réalité” et “rationalité” en sont des œuvres » écrit C. Castoriadis (1975, p.8).

D’une part, tout dysfonctionnement institutionnel provient de cet imaginaire qui conçoit aussi des issues aux situations critiques.

D’autre part, on ne peut penser qu’à partir de là où on est, car « toute pensée de la société et de l’histoire appartient à la société et à l’histoire » (ibid.).

La compréhension et l’interprétation d’une observation sont toujours empreintes de la culture du lecteur c’est pourquoi suivront trois axes de lecture des dispositifs d’accompagnement selon les champs définis par l’auteur : social, historique et psychique.

Social

R. Kaës (ibid.) introduit une troisième différence fondamentale, structurante de l’humain qui s’adjoint à la différence des sexes et des générations, la différence culturelle. La figure de l’étranger ébranle cette part intrinsèque du sujet, la part culturelle.

En parallèle, l’institution se fonde sur un environnement social déterminé et déterminant. Elle est constituée par « un ensemble résolument hétérogène comportant des discours, des institutions, des aménagements architecturaux, des décisions réglementaires, des lois, des mesures administratives, des énoncés scientifiques, des propositions philosophiques, morales, philanthropiques, bref : du dit aussi bien que du non-dit. Le dispositif lui-même, c’est le réseau qu’on peut établir entre ces éléments » (M. Foucault, 1975)

Les dispositifs de soin s’accordent avec l’organisation sociale, sont en congruence avec les organisateurs sociaux, les institutions, l’Institution.

Les dispositifs d’accompagnement sont traversés par les courants idéologiques, par les représentations de la marginalité, de la folie, de la dangerosité, de l’idée même de l’humain. Badinter écrit dans « La prison républicaine » (1992) que le niveau de vie des détenus ne peut dépasser celui des citoyens les plus pauvres. Cette assertion suppose une hiérarchisation des marges qui s’amplifie, se transforme, se module en fonction des aléas et des priorités socio-économico-psychiques de la société.

Les institutions d’accompagnement, éducatif ou de soin ne sont donc pas des isolas, mais se lient à des courants idéologiques consciemment ou non consciemment.

Historique

L’approche historique est à la fois réflexion sur l’histoire des conceptions de l’homme et de la marginalité. Par exemple, le concept d’enfant est né avec le XVIIe siècle, le nourrisson n’a d’existence humaine que depuis l’après-guerre. La figure du fou a évolué au cours des siècles. La folie se pensait hier à partir de la psychodynamique et de la pharmacologie, aujourd’hui à partir des neurosciences et d’une kyrielle de troubles de plus en plus partiels et précis. Pourtant à nouveau la lecture historique est toujours empreinte de notre ancrage socio-historique. On ne pense qu’à partir de cet ancrage. Donc double mouvement de lecture historique des dispositifs et de lecture de la lecture dans une prise de distance ou une interrogation sur cette pensée.

L’étudiant fait donc l’apprentissage d’une décentration, d’un dégagement, d’une déconstruction de sa position culturelle.

Psychique et intersubjectif

Cette lecture est plus familière aux psychologues puisqu’elle s’appuie sur les recherches psychanalytiques sur les groupes et les institutions, sur les notions d’alliances et de pactes développés par R. Kaës (2009) dans les équipes et les institutions.

En conclusion, cet enseignement sur « la clinique des pratiques » développe des capacités à les expliciter, en définir le sens, en comprendre les limites et les atouts. Il s’impose dans l’indispensable nécessité de penser et de théoriser plus fermement et plus précisément aujourd’hui nos pratiques cliniques afin de les sauvegarder et éventuellement de les exporter et d’en exposer les dynamiques.

Bibliographie

Badinter R., La prison républicaine, Fayard, Paris, 1992.

Castoriadis C., L’institution imaginaire de la société, Point essais, Paris, 1975.

Dessez P. et de La Vaissière H., Adolescents et conduites à risque, ASH éditions, 2007.

Foucault M., Surveiller et punir, Gallimard, Paris, 1975.

Kaës R., Le groupe et le sujet du groupe, Dunod, Paris, 1993.

Kaës R., Les alliances inconscientes, Dunod, Paris, 2009.

Ménéchal J. et coll., Le risque de l’étranger, Dunod, Paris, 1999.

Illustrations

 

 

Marc-Antoine Buriez

 

 

Marc-Antoine Buriez

Citer cet article

Référence papier

Hélène de La Vaissière, « Les dispositifs d’accompagnement de la souffrance psychique : enseigner leur complexité », Canal Psy, 102 | 2012, 5-7.

Référence électronique

Hélène de La Vaissière, « Les dispositifs d’accompagnement de la souffrance psychique : enseigner leur complexité », Canal Psy [En ligne], 102 | 2012, mis en ligne le 10 décembre 2020, consulté le 20 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/canalpsy/index.php?id=205

Auteur

Hélène de La Vaissière

Psychologue clinicienne, Docteur en psychologie, CH Le Vinatier, CRPPC-Université Lyon 2

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