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Éclipse et renaissance contemporaine des facultés de droit d’Orléans et de Bourges : des réponses singulières aux ambitions urbaines et politiques et aux demandes sociales

Pierre Allorant

Résumés

En dépit de leur passé médiéval prestigieux, les facultés de droit d’Orléans et de Bourges connaissent une longue éclipse à partir de leur fermeture par la Convention en 1793. Tout au long du XIXe siècle, les notables citadins pétitionnent sans succès pour leur réouverture. La mobilisation des forces vives économiques et associatives et la pression politique, impulsée par le maire d’Orléans, Roger Secrétain, permettent dans les années 1960 la réouverture d’une université à Orléans, dans le contexte de la naissance controversée de la région Centre et de la volonté de rééquilibrer le poids universitaire de Paris. Ce recommencement se fait cependant sur des bases renouvelées : la faculté de droit d’Orléans n’est qu’un élément du développement d’un campus prioritairement axé sur les sciences et la technologie et Bourges n’obtient que l’ouverture d’une antenne de l’Université d’Orléans.

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Texte intégral

1En dépit d’un passé médiéval prestigieux, les facultés de droit d’Orléans et de Bourges ont subi une longue éclipse, de leur fermeture par la Convention en 1793 à leur renaissance sous la Cinquième République. Pétitionnant dans le désert au XIXe siècle, les notables citadins ont obtenu, par la mobilisation des forces vives économiques et associatives et la pression politique dans les années 1960, la réouverture d’une université à Orléans et de son antenne juridique à Bourges, dans le contexte de la naissance controversée de la région Centre. Toutefois, c’est un recommencement sur des bases renouvelées, les facultés de droit n’étant qu’un élément d’un développement prioritairement axé sur les sciences et la technologie (Prost, 2008).

I. Une si longue éclipse universitaire

  • 1 Pétition des habitants d’Orléans pour demander au roi de leur accorder une école de droit, 1814, re (...)

2Force est de constater que l’éclipse universitaire a été de longue durée, en dépit de vœux répétés des notables départementaux tout au long du XIXe siècle. Ainsi à la Restauration, une pétition est remise par « les habitants les plus recommandables de la ville d’Orléans » pour le rétablissement d'une école de droit « dont l'origine remonte aux premiers siècles de la monarchie et qui ferait « le bonheur de ses habitants en leur facilitant les moyens de se livrer à des études exigées par la loi pour l'exercice des fonctions les plus importantes de la société », alors que sa fermeture a eu le « grave inconvénient pour la jeunesse studieuse de l’Orléanais et des provinces circonvoisines (Pays chartrain, Blésois, Berry) d'aller soit dans la capitale, soit dans d'autres villes plus éloignées, chercher à grands frais et loin de la surveillance paternelle, une instruction qui semble être pour elle un besoin impérieux et qu’elle avait l'avantage de trouver dans ses propres foyers »1.

  • 2 Sur l’implantation de la famille Bengy-Puyvallée dans le Cher, de la Constituante à la Restauration (...)

3Déjà dans l’histoire des universités médiévales, Bourges a partie liée avec Orléans, échangeant professeurs comme étudiants, souvent étrangers, galopant derrière la science juridique de Bologne. Fondée par Louis XI en 1463, 157 ans après Orléans, et en dépit des craintes et des plaintes, des « murmures et [de] la jalousie » des universités de Paris, d’Orléans et d’Angers, l’université de Bourges a bénéficié du prestige de ses grands professeurs de droit, du Milanais Alciat à l’Allemand Melchior Wolmar et Cujas, et d’étudiants tels que Calvin, la faculté de droit canon et de droit civil écrasant Arts, Médecine et Théologie (Goldman, 1991). Son destin est parallèle à celui de sa voisine orléanaise avec une fermeture par la Convention républicaine en 1793 qui ne fait que sanctionner le déclin, puis une vaine revendication par les élites locales de réouverture un siècle et demi durant. Comme le déplore dès 1810 Bengy-Puyvallée, « Le grand malheur du département du Cher, c’est que sa position centrale est isolée, et dans l’éloignement des regards du gouvernement ; c’est qu’aucun de ses habitants n’est assez heureux pour approcher du chef de l’empire et pour pouvoir mettre sous ses yeux notre détresse et nos besoins »2

4Si, par souci d'équilibre territorial et d'accessibilité, mais aussi d'ancienneté de l'implantation universitaire, Orléans et Bourges reçoivent satisfaction de leur demande d'établissement d'un lycée en 1803, le pouvoir consulaire est également à l'écoute des pétitions d'en bas, des souhaits qui remontent des corps municipaux et des conseils généraux. Or Poitiers, se montre plus insistante et obtient satisfaction dans la distribution des écoles spéciales de droit en l’an XII. Pourtant, le rapport du ministre de la Justice, Abrial, s’arrête sur le cas de la ville d’Orléans pour reconnaître qu’elle « pourrait réclamer aussi une école de droit en considération de son université qui était des plus anciennes et des universités voisines de Bourges et d’Angers qui se trouvent supprimées sans remplacement de ce genre. Cependant, ce point n’étant pas bien éloignée des lieux où seront placées les écoles, on peut se dispenser d’en donner une à cette ville » (Tanchoux, 2008).

5La proximité de Paris et à un degré moindre, de Poitiers et de Dijon joue contre Orléans, alors que Bourges peut arguer à bon droit de l'absence de desserte du centre de la France. La substitution des facultés impériales aux écoles spéciales ne modifie pas la carte universitaire juridique, mais Orléans et Bourges ne se voient dotées en 1808 que d'une faculté de lettres comme simple prolongement de leur lycée et avec pour seul but de conférer la maîtrise ès arts, avec en prime la faculté de théologie à Bourges qui ne satisfait aucunement les milieux économiques et judiciaires berrichons (Goldman, 2011).

  • 3 Pétition du 31 mars 1822, AN, F/17/1712.

6L'exclusion de Bourges et d'Orléans du réseau universitaire s'aggrave même avec l'ordonnance du 15 août 1815 qui supprime 17 facultés des lettres dont celle d'Orléans. Pour compenser cette perte, Orléans multiplie les pétitions sous la Restauration, en une sorte d'union sacrée des forces vives et des notabilités locales, conseils territoriaux et professionnels du droit confondus. Les porte-paroles orléanais mettent en avant la splendeur de l'ancienne école de droit, le calme d'une ville acquise aux Bourbons et la détermination à soutenir financièrement l'implantation dans la ville, arguments constants. La proximité de Paris est avancée comme atout pour attirer les étudiants et soulager ainsi comme une « succursale » la faculté de droit surchargée de la capitale. L'idée d'aménagement du territoire et de desserte du centre est présentée avec prudence, car la ville de Bourges l'avance fortement en dénonçant le « vide immense [...] en sorte qu'il faut chercher l’instruction au lieu et avec des dépenses hors de proportion avec les ressources des départements du centre qui sont en général des plus pauvres »3.

7Le regret de la perte des établissements universitaires reste vif tout au long du XIXe siècle. L’argument avancé par le maire orléaniste Mayet-Génetry à l’appui d’une réimplantation universitaire à Bourges est proche de celui des acteurs orléanais : « les pays tranquilles sont les plus propres à l’étude des sciences. Tout est calme. Tout incite au travail et à la réflexion ». La détermination de l’administration municipale berruyère est telle qu’elle accepte de prendre à sa charge le déficit de fonctionnement et établit des centimes additionnels locaux afin de fournir les bâtiments nécessaires. Mais en lieu et place de la renaissance de sa prestigieuse École de droit médiévale, Bourges doit se consoler en accueillant l’École d’Artillerie, grâce au soutien financier du conseil général du Cher, en 1843. Pis encore, Bourges perd son académie, qui couvrait le vaste périmètre central du Loiret à la Creuse, rattachée à celle de Paris en 1854. En revanche, il est frappant de constater que, comme à Orléans, les municipalités de l’entre-deux-guerres ne font pas de la renaissance universitaire une priorité dans leur politique d’urbanisme, pourtant très active avec Henri Laudier.

II. Régionalisation et rivalités urbaines et universitaires

  • 4 Jacques Morane, La préfecture régionale, son action économique, son action sociale et économique, s (...)

8La régionalisation autoritaire de Vichy relance en 1941 la question universitaire dans les villes moyennes. La personnalité du préfet du Loiret, l’ingénieur Morane, appréciée du nouveau pouvoir, joue dans le choix d’Orléans comme point d’appui technocratique et déconcentré de la « Reconstruction nationale » par la « rénovation régionale », avec comme vecteurs essentiels l’université régionale liée à l’administration, selon le modèle du Sciences po d’Émile Boutmy, et l’hôpital régional fédérant les établissements municipaux4. Un Centre de documentation régionale chargé de coordonner des enquêtes sur le milieu local est confié au jeune journaliste Roger Secrétain, l’un des fondateurs locaux de Libération-Nord, futur député UDSR et maire d’Orléans porteur de la « recréation de l’université ». Ici comme en matière d’urbanisme, la continuité entre les milieux technocratiques issus de « X-Crise », dans l’entourage de Raoul Dautry et d’Alexandre Parodi, et les réalisations de l’après-guerre sera symbolisée par la présence de Morane à Paris lors de la présentation du « projet d’Orléans II-La Source » au Ritz (Allorant, 2012).

9C’est sur l’enseignement supérieur que porte le principal effort de rénovation par la régionalisation : « chaque capitale de province devra posséder son Université régionale », tout à la fois centre d’enseignement et foyer de recherche, de culture et de rayonnement ». L’aspect original résulte de l’adossement mutuel de l’administration régionale et de l’université : les hauts fonctionnaires de la région, remplaçant avantageusement les anciens notables républicains élus, fourniraient des enseignants professionnels à l’université et leurs enfants des « élèves distingués ». En effet, la spécificité de cette université régionale viendrait de son orientation administrative marquée par la création d’un Institut des Hautes Études régionales, sorte d’École des Sciences politiques axée sur des questions spécifiques au territoire régional.

  • 5 La Renaissance d’Orléans. Reconstruction et urbanisme, numéro spécial de La République du Centre, a (...)

10À la Libération, la municipalité issue de la Résistance place au cœur de ses projets ambitieux de reconstruction et d’urbanisme l’ambition régionale et universitaire5. Mais c’est en 1959 avec l’accession de Roger Secrétain à la mairie d’Orléans que les aspirations à la renaissance universitaire vont prendre corps, et en ricochet celles de Bourges, dont le maire Raymond Boisdé évoque « l’état d’esprit de symbiose universitaire » qui régnerait entre les départements du Centre prêts à accorder le leadership pour l’enseignement supérieur à Tours et à Orléans, Bourges se positionnant sur une vocation technologique fondée sur sa tradition industrielle (Goldman, 2018).

III. L’ambition orléanaise de décongestionner Paris

11C’est véritablement au lendemain de l’élection à la fonction de maire de Secrétain en 1959 que le dossier s’accélère, devient la priorité absolue, l’obsession de la politique municipale. L’Inspecteur d’Académie plaide en sa faveur « en raison de la situation géographique d’Orléans et de l’importance grandissante de la ville où s’intensifient l’industrialisation et l’évolution démographique qui en découle ; un recrutement substantiel et intéressant sera bientôt assuré » (AD Loiret, 1 R 1009).

12L’idée de résurrection universitaire fait vite son chemin, à Paris comme en province : une note de l’inspection académique de Paris souligne les résultats considérables que pourraient engendrer cette politique de décentralisation, « l’importance et l’urgence qui s’attache au développement des complexes périphériques du bassin parisien de Reims-Amiens et d’Orléans-Tours-Bourges dont l’organisation peut assurer dans des conditions optimales la décongestion physique de l’agglomération parisienne, à la fois sur le plan de l’Université et sur celui des administrations civiles et militaires ». Mais les obstacles sont nombreux, au premier rang des quels les facultés parisiennes jalouses de leurs amphis surpeuplés, sans considération de la qualité pédagogique et de la vie étudiante.

  • 6 Réunion présidée par le préfet du Loiret le 21 mars 1959 et rapport de l’inspecteur d’académie de P (...)
  • 7 Note du 7 juillet 1960 (AD Loiret, 1 R 1009.7).

13Toutefois, le maire d’Orléans, déterminé à faire de l’université le levier de la vocation régionale de la ville, est efficace dans son lobbying territorial, mettant habilement en avant les vœux exprimés par la CCI du Loiret et par les parents d’élèves du lycée Pothier en février 1960. Sa détermination opiniâtre peut objectivement s’appuyer sur les données du rectorat qui concluent que la zone de recrutement potentielle, de Blois à Bourges, justifie de « traduire dans les faits un recommencement universitaire à Orléans » : l’étude commandée par le recteur de Paris délimite une zone d’attraction d’un million deux cent mille habitants bénéficiant avec Orléans de « communications aisées et habituelles ». Croisant les effectifs des étudiants de cette région inscrits dans les facultés parisiennes avec les perspectives de forte croissance du nombre des bacheliers, l’étude conclut à une montée en puissance des effectifs de « l’éventuelle université orléanaise » de 2 000 à 5 000 en quelques années, la durée moyenne d’études supérieures étant alors de quatre ans6. Secrétain sait faire jouer ses réseaux tissés dans la Résistance au sein du mouvement Libération-nord, puis sous la Quatrième République à l’UDSR et au Palais Bourbon, du ministre de l’Urbanisme Claudius-Petit, chantre de l’aménagement du territoire, à celui de la Construction, Pierre Sudreau : Jean-François Gravier apporte son soutien, voyant dans Orléans un bon point d’appui, une oasis à même de faire reculer le « désert français », en commençant par l’université où Paris monopolise 42 % des étudiants7.

14Orléans a, selon la formule alors employée par le comité de décentralisation, « des titres évidents à profiter de la limitation de la zone d’attraction de Paris » et à contribuer à juguler le risque de thrombose de l’Île-de-France. Le 8 septembre 1959, une commission d'études est chargée d'étudier sur place l’avenir universitaire d'Orléans, la nature, la vocation et le volume des établissements d'enseignement supérieur à implanter. Relevant en septembre 1959 les points forts de la candidature d’Orléans pour postuler à une implantation universitaire, l’inspecteur d’académie insiste sur l’urgente nécessité de « décongestionner la faculté de Paris. La situation actuellement y est dramatique ». Il vante au ministère la « place privilégiée d’Orléans, au sud de la capitale, la facilité et le nombre des moyens de communication », mais il doit concéder qu’une « objection a été soulevée : Orléans est très proche de Paris, trop près peut-être, l’université orléanaise offrira-t-elle un barrage pour des provinciaux tentés par la capitale ; par ailleurs, les professeurs ne seront-ils pas tentés de résider à Paris ? » (AD Loiret, 1 R 1009). Si Secrétain réussit assez rapidement à convaincre qu’« en toute hypothèse, l’implantation doit se réaliser », il éprouve davantage de difficultés à imposer la construction des bâtiments nécessaires sur le grand domaine de La Source, si loin du centre ancien.

IV. À La Source du campus universitaire d'Orléans II

  • 8 Lettre à l’inspecteur d’académie le 18 juin 1960 (AD Loiret, 1 R 1009).

15C’est le soin accordé d’emblée au cadre de vie étudiant qui emporte la décision, conditionnée à un accord pour le transport en commun des étudiants, l’édification de trois villages de 450 chambres sur la « ville nouvelle d’Orléans II » et d’un restaurant universitaire de 500 places assises8. La renaissance de l’université d’Orléans est appuyée par le premier ministre Michel Debré lors des fêtes johanniques 1960 et elle trouve sa concrétisation dans le décret du 2 août qui crée le collège scientifique universitaire. Les fêtes de Jeanne d'Arc 1961 sont placées par le maire « sous le signe de la culture », avec une journée de « résurrection universitaire », suivie de la publication, financée par le conseil général du Loiret, des actes du congrès international célébrant l'ancienne université d'Orléans que Secrétain justifie par l’intérêt de « faire bénéficier l'Université nouvelle des lettres de noblesse de l'ancienne université ». Une exposition commémore ce passé à la salle des thèses, car pour le maire, il est essentiel que les citoyens partagent la fierté envers l’enseignement supérieur et la culture à Orléans, et il utilise à bon escient le quotidien régional qu’il dirige, La République du Centre.

16Le campus orléanais de La Source est original dans le contexte français d’avant mai 1968, « c’est Oxford-sur-Loire » selon l’expression du désormais ministre de l’Éducation nationale, le voisin blésois Pierre Sudreau (Allorant, 2017), « le premier campus français », une « université dans la chlorophylle » un demi-siècle avant la mode des éco-campus : « ce sera une barrière de charme et de verdure. Les bâtiments seront tous édifiés en plein bois » (Paris-Presse L’Intransigeant). Ainsi la recréation de l’université d’Orléans s’est faite hors de la ville, le choix du campus modèle dans la ville satellite d’Orléans II, à l’orée de la Sologne, est justifié par les « possibilités d’extension » qui l’emportent alors sur la proximité, même si une solution mixte a été envisagée. Ce choix a eu le mérite d’adosser l’université à la force scientifique du CNRS et du BRGM, au prix d’un éloignement de la cité, physique et surtout affectif chez bien des habitants du cœur historique de la cité johannique.

17Une deuxième étape est franchie grâce au ministre blésois Pierre Sudreau, avec la création en juillet 1961 de l’académie d’Orléans censée, avec celle des autres villes cathédrales de la grande couronne, décongestionner la macrocéphalie parisienne. Le recteur Gérald Antoine, universitaire humaniste issu du cabinet de Louis Joxe, est chargé de mettre en place une université bicéphale avec Tours, Orléans étant chef de file pour les sciences et l’école de droit, au nom de l’ancienneté du rayonnement en droit romain des maîtres civilistes orléanais et de la décentralisation des grands organismes de recherche nationaux : le CNRS et le BRGM. Le décret fondateur du 14 avril 1966 met en place une université académique bicéphale dont le siège est à Orléans. Mais le 1er janvier 1971, la rivalité urbaine va avoir raison de l’originalité de cette construction, l’académie compte désormais deux universités séparées et spécialisées.

18En termes d’effectifs étudiants, la barre avait été placée dans un premier temps à 5 000, dont un cinquième en droit, mais les résistances et contradictions des ministères ont réduit l’ambition initiale en contraignant l’université d’Orléans à une montée en puissance ralentie, l’objectif des 5 000 étudiants n’étant atteint qu’en 1971. En 1975, le rapport rédigé à l’initiative du secrétaire d’État Jean-Pierre Soisson suggère de s’appuyer sur les sciences de la terre et sur la Santé pour relancer le dynamisme de l’université d’Orléans (AD Loiret, 1026 W 74472).

V. L’espoir déçu de la renaissance universitaire de Bourges

  • 9 Boisdé, 1965. Derrière cette recherche d’authenticité des anciennes provinces, on peut déceler une (...)

19Cent ans après la disparition de l’académie de Bourges, le Conseil général du Cher réclame en décembre 1957 la création de classes de maths sup et maths spé, mais c’est véritablement l’accession à la mairie de Bourges en 1959 de Raymond Boisdé, professeur au CNAM, spécialiste de l’Organisation Scientifique du Travail, député républicain indépendant, qui relance l’ambition ; le député-maire entend, comme Secrétain à Orléans, faire de la renaissance universitaire le levier d’un renouveau urbain et d’une ambition de diriger une région. Il constitue à cet effet une commission extramunicipale chargée de « l’étude relative à la fondation de la Cité et du Centre universitaire ». Il reprend le projet d’antenne de la faculté de droit de Paris et apporte des gages immobiliers de son ambition d’ouvrir une école régionale de droit et une école du trésor afin de faire de Bourges « une grande ville universitaire ». Il se bat pour que sa ville ne soit pas l’oubliée de la décentralisation universitaire régionale des années soixante, « déshéritée et tenue à l'écart des équipements universitaires nouveaux » ; mais la bataille est rude, car Bourges est cernée par Dijon et Clermont, et concurrencée victorieusement au sein de la région Centre par Tours et Orléans. Aussi cette lutte d’influence universitaire et urbaine rejoint-elle les pressions politiques relatives au découpage administratif régional : s’appuyant sur l’histoire provinciale comme sur les sphères d’influence, Boisdé revendique pour Bourges la direction d’une région alternative à la supposée artificielle région Centre, la plus authentique « Berry-Nivernais-Bourbonnais », qui justifierait la création d’une université de plein exercice9. Boisdé est convaincu du retard éducatif à rattraper et du lien entre l’université et le développement urbain. À l’instar de Roger Secrétain, il s’appuie en 1964 sur un réseau de notables locaux éclairés, mais le soutien déterminant du recteur Antoine lui manque - il est acquis à Orléans. D’ailleurs, Boisdé est bien conscient du combat inégal qu’il mène contre les métropoles ligériennes, mais il garde l’espoir que l’aménagement du territoire milite pour un rééquilibrage. La politique de communication de la ville appuie sa revendication universitaire sur une exposition louant « l’université de Bourges et son rayonnement » et sur un « Comité d’action pour la création à Bourges d’un centre universitaire ».

  • 10 « L’Université d’Orléans est venue différer pour un temps la réalisation de ses espoirs. Un collège (...)
  • 11 Sur le développement des filières courtes technologiques, Prost, 1981, p. 542-546.

20À compter de 1964, l’accent est mis sur deux thématiques saillantes : la création d’un « Centre d’études supérieures de la civilisation européenne » et un conglomérat d’écoles supérieures pratiques et techniques, sorte d’ersatz au rétablissement universitaire mort-né10. Habilement, Boisdé prend acte de la suprématie des deux villes ligériennes et joue la carte du segment thématique complémentaire, du réalisme dans le refus de participer à la dissémination de facultés de plein exercice « squelettiques en moyens et en personnel, dont la clientèle serait mal servie ou servie au rabais, et dont le rayonnement trop faible ne servirait que les villes qui les organiseraient ». Pourtant, cette révision à la baisse des ambitions ne suffit pas à surmonter les réserves du recteur Antoine, soucieux de conforter la renaissance orléanaise, et il faut attendre 1968 pour voir s’ouvrir le département IUT gestion entreprise et administration à forte base pratique de droit, promis à Bourges en reconnaissance de sa vocation technologique11.

VI. Le développement inégal et second des facultés de droit

21À la suite de l’ouverture de l’IUT, le comité pour l’université de Bourges, puis l’Association pour le développement universitaire du Cher continuent à mobiliser les acteurs locaux, mais buttent sur le fait orléanais. Au milieu des années 80, l’ambition est relancée par le directeur de l’IUT et maire-adjoint à l’Enseignement, qui entend s’inscrire dans le cadre de la loi Chevènement pour créer, à l’instar de Compiègne, une Université de Technologie à Bourges. À la place, Bourges obtient au coup par coup des ouvertures de classes prépas, de départements d’IUT et d’une antenne IUFM qui l’installent bien à la 3e place régionale en nombre d’étudiants, mais sans le label de ville universitaire et sans les écoles d’ingénieurs et d’architecture ardemment souhaitées. Une véritable « Union sacrée pour une université technologique en Berry » se forme dans l’opinion locale, mais échoue. Dans un contexte polarisé par la rivalité Tours-Orléans et la course à l’ouverture d’antennes pour marquer son territoire d’influence, le pire advient avec le coup de tonnerre de l’ouverture d’un Deug de droit à Châteauroux, la méprisée qui devient rivale, dégradation confirmée par la promotion de Blois et de Nevers.

  • 12 « Le droit a repris un peu de son droit », Le Berry républicain, mercredi 1er février 2012.

22Face à cette Bérézina, les acteurs locaux se divisent mais obtiennent une antenne de la faculté de droit, deux siècles après la fermeture de la prestigieuse faculté berruyère : par-delà cette longue coupure, la continuité est soulignée par l’appellation de « salle Calvin », le temps de la réalisation des travaux rue Joyeuse, pour abriter les premiers étudiants, qui suivent les précurseurs du renouveau, la centaine annuelle de capacitaires en droit. En effet, l’accent mis sur la technologie n’est pas exclusif du combat pour fonder d’autres filières : le conseil municipal de Bourges avait décidé en octobre 1961 la création de l’École de Droit de la Ville de Bourges, sous la direction d’un avocat à la Cour d’Appel. La réussite de l’implantation de l’antenne de l’UFR droit d’Orléans est à mettre au crédit d’une convergence d’acteurs berruyers et orléanais qui s’appuient sur le statut de siège de cour d’appel pour transformer l’essai à la rentrée 1993 avec le concours de l’adjoint au maire Jean-Pierre Saulnier, spécialiste du droit du risque, et du doyen Michel Pertué. Le pari consiste à éviter la dispersion castelroussine des effectifs sur des filières fragilisées en concentrant l’effort sur le droit, mais le résultat est assez comparable : des taux de réussite élevés grâce à un encadrement plus serré, et de bonnes conditions de démarrage des études juridiques pour des étudiants issus de milieux modestes12.

  • 13 Pierre Allorant, « Les juristes gaullistes », in Les Gaullistes de 1958 à 1981 : diversité et origi (...)

23Quant à la faculté de droit d’Orléans, si elle n’est plus prépondérante en masse critique de chercheurs au sein d’une université majoritairement scientifique, elle a misé sur l’insertion professionnelle, les liens avec l’entreprise et surtout les collectivités territoriales, tant en recherche qu’en formation, avec l’appui des grands élus du territoire et pour accompagner la décentralisation. En revanche, les formations et les effectifs des facultés de droit demeurent prépondérants, alors que les laboratoires ont du mal à imposer leurs thématiques de recherche et à faire valoir leur spécificité. Dans la vie de la cité comme dans l’orientation de l’université, les personnalités les plus marquantes parmi les professeurs, de Léo Hamon à Roger-Gérard Schwartzenberg, de Patrick Gérard à Édouard Philippe, ont laissé peu de traces de leur passage13.

24Loin de son antique université de droit, l’université d’Orléans a assumé son rôle régional en essaimant à Bourges et à Châteauroux ; ce « prestigieux recommencement » salué par Secrétain a permis de « ressusciter, sous un aspect moderne, non seulement pour donner aux étudiants de la région le moyen de conquérir sur place leurs grades, mais parce que la capitale étouffe et qu’il est temps, dans une juste réparation, que Paris nous rende maintenant un peu de ce qu’il nous a pris jadis, et se décharge sur nous de sa surabondance » (Secrétain, 1974, p. 295).

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Bibliographie

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Notes

1 Pétition des habitants d’Orléans pour demander au roi de leur accorder une école de droit, 1814, reprise en 1815, 1816, 1818 et 1821 (AD Loiret, T 419).

2 Sur l’implantation de la famille Bengy-Puyvallée dans le Cher, de la Constituante à la Restauration, des fonctions municipales et de président du Conseil général à la sous-préfecture de Saint-Amand, Allorant, 2007, p. 162-163.

3 Pétition du 31 mars 1822, AN, F/17/1712.

4 Jacques Morane, La préfecture régionale, son action économique, son action sociale et économique, son régime financier, dossier dactylographié adressé au ministre de l’Intérieur par le préfet régional le 30 mars 1942, AD Loiret, cité par Durand, 1977, p. 516.

5 La Renaissance d’Orléans. Reconstruction et urbanisme, numéro spécial de La République du Centre, avril 1945, p. 34.

6 Réunion présidée par le préfet du Loiret le 21 mars 1959 et rapport de l’inspecteur d’académie de Paris en résidence à Orléans au Recteur le 19 mai 1959 (AD Loiret, 1 R 1009).

7 Note du 7 juillet 1960 (AD Loiret, 1 R 1009.7).

8 Lettre à l’inspecteur d’académie le 18 juin 1960 (AD Loiret, 1 R 1009).

9 Boisdé, 1965. Derrière cette recherche d’authenticité des anciennes provinces, on peut déceler une nostalgie proche de la vision régionaliste et corporatiste de certains courants de l’État français (voir Boisdé, 1941).

10 « L’Université d’Orléans est venue différer pour un temps la réalisation de ses espoirs. Un collège universitaire existe à Tours. Une concurrence est même établie entre les deux grandes villes de la Loire […] Il existe donc peu d’espoir de voir restaurer, à court terme, l’antique université de Bourges, car Orléans, Tours, et l’Éducation nationale ne peuvent plus donner la préférence à notre ville » (Goldman, 2005).

11 Sur le développement des filières courtes technologiques, Prost, 1981, p. 542-546.

12 « Le droit a repris un peu de son droit », Le Berry républicain, mercredi 1er février 2012.

13 Pierre Allorant, « Les juristes gaullistes », in Les Gaullistes de 1958 à 1981 : diversité et originalité d’une famille politique, actes du colloque de final de l’ANR Gaulhore à Bordeaux le 1er décembre 2011, sous presse.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Pierre Allorant, « Éclipse et renaissance contemporaine des facultés de droit d’Orléans et de Bourges : des réponses singulières aux ambitions urbaines et politiques et aux demandes sociales »Cahiers Jean Moulin [En ligne], 3 | 2017, mis en ligne le 01 janvier 2017, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/cjm/452 ; DOI : https://doi.org/10.4000/cjm.452

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Auteur

Pierre Allorant

Professeur d’histoire du droit et de l’administration (CEPOC-POLEN), doyen de la faculté de droit, d’économie et de gestion de l’université d’Orléans

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