Les buzzwords d’origine anglaise dans la langue française : simples anglicismes ou véritables néologismes ?

DOI : 10.35562/elad-silda.303

Abstracts

Depuis la seconde moitié du XXe siècle, la mondialisation, l’expansion des médias et le développement des nouvelles technologies ont contribué à ériger l’anglais en langue internationale. Aussi est-il fréquent de rencontrer des anglicismes en français. Ces anglicismes pourraient être considérés comme des néologismes, n’étant pas issus de la langue française. Les buzzwords d’origine anglaise feraient partie de ces néologismes d’importation étrangère. Ces mots et expressions concourent à la création d’un phénomène de communication – le buzz – autour d’une idée perçue comme inédite. Ils tendent ensuite à disparaître ou à se banaliser, comme le ferait tout effet de mode. Les buzzwords d’origine anglaise sont cependant difficiles à cerner : sont-ils de simples anglicismes, ou comportent-ils des caractéristiques qui leur sont propres ? Comment, en outre, saisir l’essence du buzzword dont la vocation, semble-t-il, n’est pas de durer ?
Cette étude se veut indicative d’un phénomène de communication relativement récent et contemporain. Elle examine différents types de buzzwords d’origine anglaise dans la langue française et tente de dégager leurs caractéristiques linguistiques. Notre contribution s’appuie sur une base de données constituée à partir d’échantillons récoltés dans les médias français et dans notre quotidien. Nous tâcherons en conséquence de définir les relations entre buzzwords d’origine anglaise, anglicismes et néologismes. Nous espérons ainsi montrer l’intérêt que ces buzzwords représentent en matière de néologie.

Since the second half of the twentieth century, globalisation, media expansion and new technologies have contributed to making English a global language. Hence, Anglicisms are frequent in French. These borrowings may be considered neologisms, as their foreign origin introduces new lexical and semantic features. Buzzwords of English origin in French belong to these foreign neologisms. They are part of a new communication phenomenon – known as the buzz – around an idea perceived as innovative. They then tend either to disappear or to become commonplace, as every passing fad would do. Buzzwords of English origin in French are however hard to define: are they mere Anglicisms, or do they have proper characteristics of their own? Furthermore, how can we grasp the essence of a buzzword which is – apparently – not meant to last over time?
This study intends to be illustrative of a relatively recent and contemporary communication phenomenon. It examines different types of buzzwords of English origin in French and attempts to identify some of their characteristic features. Our contribution builds upon a database made up of samples collected in various French media and in daily life. We will thus endeavour to determine the relations between buzzwords of English origin, Anglicisms and neologisms. We therefore hope to show the relevance of buzzwords in terms of neology.

Index

Mots-clés

buzzword, anglicismes, mode, néologismes, néologicité, communication

Keywords

buzzword, anglicisms, fashion, neologisms, neologicity, communication

Outline

Text

Introduction

Buzz, swag, like, LOLAutant de mots et expressions d’origine anglaise que nous croisons aujourd’hui, dans les médias français, mais aussi dans les conversations de tous les jours, orales comme numériques. Nous nous situons d’ores et déjà dans le domaine du discours, c’est-à-dire, selon Jaubert [1990 : 22], « du langage en situation », avec un texte, un contexte et une intention, de forme orale et écrite. Nous considérerons par conséquent ces mots et expressions d’origine anglaise comme des lexies. Une lexie est une unité fonctionnelle significative, simple ou complexe, qui, selon Pottier [1962], est mémorisée comme signe individualisé. Les lexies d’origine anglaise évoquées dans cette étude sont à la mode chez certains locuteurs français : enfants, adolescents, jeunes adultes, mais aussi journalistes, blogueurs, ou encore hommes et femmes politiques. Nous les nommerons « buzzwords d’origine anglaise ».

Parce qu’ils sont diffusés à grande échelle et, au fil des années, de plus en plus rapidement par le biais des nouvelles technologies, les buzzwords d’origine anglaise paraissent s’immiscer dans les manières de s’exprimer du locuteur français standard. Il s’agit, pour parler familièrement, de monsieur tout le monde, c’est-à-dire de celui qui se tient informé au travers d’Internet et des autres médias, et qui interagit dans des contextes personnels et professionnels avec d’autres locuteurs. Aussi, lorsque l’on souhaite s’informer ou lorsque l’on converse, n’est-il pas rare aujourd’hui de rencontrer des énoncés tels que : « un look casual ou habillé »1, « le fact checking des fake news »2, ou encore « la reine de la punchline »3. Cependant, le phénomène ne date pas de l’essor sociomédiatique et technologique des années 2000. On observe en effet des modes langagières4 en fonction des décennies. Par exemple, dans les années 1980-1990, personne en France ne savait ce que signifiait « avoir le swag » ou « être swag ». En revanche, à cette époque, « être cool » était de mise. Dans les années 1960-1970, « être in » était de rigueur. Ces trois exemples renvoient plus ou moins à l’idée d’être dans le vent, d’avoir du style. Que signifie ce recours à l’anglais dans chacun de ces exemples ? Pourquoi cette évolution de mots en fonction des périodes ? Depuis la fin des années 1990, l’expression « créer l’événement » semble se faire supplanter par « créer ou faire le buzz »5. Que dira-t-on dans dix, vingt ou trente ans ? Ces buzzwords d’origine anglaise feront-ils toujours le buzz ? Ou passeront-ils de mode ? Seront-ils admis dans le dictionnaire – mais, auquel cas, cette intégration leur fera-t-elle perdre leur apparat de nouveauté et d’éclat ?

À première vue, la pertinence du concept de buzzword pour rendre compte d’un mot ou d’une expression en vogue s’amenuise à mesure que le temps passe et que la langue et les façons de parler évoluent en fonction des goûts et des événements. Cela présuppose que le buzzword n’a de réalité que si on lui accorde ce statut, ce qui constituera notre première hypothèse de recherche. Dans notre étude, il est question de lexies d’origine étrangère, donc relevant d’une certaine manière de l’emprunt linguistique. On envisagera les anglicismes comme étant des emprunts à l’anglais. Aussi notre deuxième hypothèse implique-t-elle qu’un buzzword d’origine anglaise est nécessairement un anglicisme. Si l’on considère que l’emprunt relève de la néologie, car il s’agit d’introduire dans sa langue un mot ou une expression appartenant au xénolexique, donc à une autre réalité lexicale, un buzzword d’origine anglaise serait alors un néologisme d’importation étrangère, emprunté de façon temporaire pour agrémenter son langage et ainsi communiquer en fonction de l’air du temps. Notre troisième et dernière hypothèse avance qu’un buzzword d’origine anglaise est nécessairement un néologisme. Ces trois hypothèses seront examinées à travers la question de la néologicité d’un buzzword d’origine anglaise. Comme un buzzword d’origine anglaise serait intimement lié à son époque et à son temps d’utilisation, la néologicité, c’est-à-dire le sentiment de nouveauté dépendant du temps qu’il dure, revêt toute son importance. En quoi la néologicité est-elle déterminante dans la compréhension d’un buzzword d’origine anglaise ?

Dans un premier temps, nous tenterons de définir ce qu’est un buzzword d’origine anglaise. Nous tâcherons, de ce fait, de déterminer les caractéristiques constitutives, ou traits sémantiques, du buzzword. Nous effectuerons à titre indicatif quelques rappels théoriques sur l’emprunt, la néologie et les anglicismes. Dans un deuxième temps, nous nous pencherons sur la relation entre néologicité et buzzwords d’origine anglaise à travers l’étude de leurs adaptations linguistiques. Cela nous amènera, dans un troisième temps, à considérer le rôle des buzzwords d’origine anglaise dans les pratiques langagières, notamment au niveau des fonctions pragmatiques des buzzwords d’origine anglaise dans la langue française. Nous verrons ainsi comment ces buzzwords participent à une certaine évolution des pratiques langagières. Les exemples qui illustreront cet article sont issus d’une base de données constituée à partir d’échantillons du monde de la télévision, de la publicité, de journaux et magazines (papier et en ligne), de forums en ligne, de chaînes Internet, de publications et messages privés sur des réseaux sociaux, et, plus fortuitement, d’expressions glanées au quotidien. Cela permettra ainsi de disposer d’un éventail que nous espérons relativement conséquent et représentatif de la culture populaire française de la fin des années 1940 à aujourd’hui.

1. Qu’est-ce qu’un buzzword d’origine anglaise ?

Dans cette section, nous tenterons d’abord de définir ce qu’est un buzzword, notamment en faisant ressortir les traits sémantiques qui le caractérisent. Nous nous interrogerons ensuite sur la différence entre un buzzword d’origine anglaise et un anglicisme. Nous procéderons aux rappels théoriques nécessaires pour ce faire.

1.1. Qu’est-ce qu’un buzzword ?

Le terme buzzword est un néologisme, c’est-à-dire une création lexicale forgée ici à partir de deux lexèmes anglais (buzz et word) associés par composition. Ce sont Hallgren et Weiss [1946 : 263] qui ont repéré en 1946 ce néologisme inventé par des étudiants de Harvard. Pour ces étudiants, le buzzword était une expression courte (d’un à quelques mots) servant à désigner les mots-clés d’un cours ou l’importance d’une notion. Plusieurs buzzwords ont par conséquent été créés en fonction des notions étudiées du moment, et n’ont été usités que sur des périodes limitées (en général, les périodes entre les cours et les examens). Cela implique un perpétuel renouvellement des buzzwords, induit par la diversité des cours enseignés, la durée des études des étudiants, et les promotions d’étudiants qui se succédaient. Un buzzword est donc à l’origine une création consciente, volontaire6, comportant un objectif, une fin. Un buzzword est également un moyen : la façon dont il est utilisé permet d’aboutir à un résultat. Aussi un buzzword peut-il être considéré à la fois comme une métaphore, une métonymie et une mise en abyme. Le mot qui bourdonne, car buzz en anglais signifie « bourdonner », est une métaphore à travers le bourdonnement et, par extension, le coup de sonnette qui provoque l’agitation autour du mot. C’est aussi une métonymie, car un buzzword remplace de façon logique pour ses utilisateurs un concept par un autre qui est plus court, plus marquant, plus efficace. Un buzzword est enfin une mise en abyme : c’est un terme d’importance pour une notion elle-même jugée importante. Un buzzword est surtout conditionné par le milieu et les individus qui le forgent, l’emploient et l’usent sur une durée limitée. Un buzzword est donc soumis aux usages de ses utilisateurs et au temps. Depuis, le néologisme forgé par les étudiants de Harvard dans le but de créer un raccourci percutant entre des concepts a quitté le cercle estudiantin américain pour devenir l’hyperonyme des mots à la mode dans la langue anglaise. Ce glissement sémantique peut s’expliquer par le fait que le buzzword soit par essence remarquable et à durée limitée, comme une mode. Certes, vogue word et fashionable word existent en anglais pour désigner un mot ou une expression à la mode. Cependant, ces alternatives ne forment pas un bloc lexicalisé comme buzzword7, et sont dépourvues des caractéristiques historiques et étymologiques qui ont conduit à la création du buzzword, puis à son attestation lexicographique depuis 19658. Après ce rappel étymologique, il s’agit à présent de voir quels sont les traits sémantiques constitutifs du buzzword.

1.2. Des traits sémantiques du buzzword

Nous avons choisi d’examiner les définitions de buzzword de cinq sites lexicographiques anglophones de référence : Cambridge English Dictionary (1), Oxford Dictionaries (2), Merriam-Webster (3), Collins Dictionary (4) et Literary Terms (5), ainsi que la définition fournie par le site français Le Journal du Net (6) qui tente de définir ce terme même s’il n’existe pas dans les dictionnaires français. À partir des définitions de ces sites, nous essaierons de déterminer les traits sémantiques d’un buzzword. Nous illustrerons chaque trait sémantique par des exemples de lexies d’origine anglaise usitées en français. Voici les définitions respectives que donnent ces sites :

  • (1) A word or expression from a particular subject area that has become fashionable by being used a lot, especially on television and in the newspapers.
    https://dictionary.cambridge.org/dictionary/english/buzzword

  • (2) A word or phrase, often an item of jargon, that is fashionable at a particular time or in a particular context. The latest buzzword in international trade is ‘ecotourism’.
    https://en.oxforddictionaries.com/definition/buzzword

  • (3) 1: an important sounding usually technical word or phrase often of little meaning used chiefly to impress laymen.
    2: a voguish word or phrase – called also buzz phrase.
    https://www.merriam-webster.com/dictionary/buzzword

  • (4) [A] word, often originating in a particular jargon, that becomes a vogueword in the community as a whole or among a particular group: Biodiversity was the buzzword of the Rio Earth Summit.
    [A] word or phrase used by members of some in-group, having little or imprecise meaning but sounding impressive to outsiders.
    https://www.collinsdictionary.com/dictionary/english/buzzword

  • (5) A buzzword is a word or phrase that has little meaning but becomes popular during a specific time.
    https://literaryterms.net/buzzword

  • (6) Dans un milieu sociologique au périmètre défini […], le mot « du moment ». Le « buzzword » ne doit pas être seulement un terme à la mode, mais il doit provoquer, lorsqu’il est prononcé, une réaction d’intérêt dans l’auditoire. Attention, comme tout phénomène de mode, le buzzword devient ringard dès qu’il est identifié comme tel. Par extension, « c’est le buzz » signifie « c’est le concept dominant en ce moment ». […] [O]rigine : inventée par des étudiants de Harvard Business School dans les années 40 […]. Se voulait en référence au coup de sonnette, « buzz », [pour] qualifier les mots à la mode mais dont les contours étaient peu précis et la signification floue pour le public. [Le Journal du Net 2017]

En recoupant ces définitions, certains traits sémantiques apparaissent. Il semble d’abord qu’un buzzword soit conditionné à la mode (définitions 1, 2, 3, 4, 5 et 6). La mode, c’est une manière temporaire d’agir, de vivre, de penser, liée à un milieu, à une époque déterminés, censée produire de l’effet le temps voulu9. Un mot ou une expression à la mode, c’est par conséquent un mot ou une expression suivant le goût d’un milieu à un moment donné. Son usage est donc éphémère, voué à disparaître ou à se fondre dans la masse. Par exemple, best-seller dans les années 1960 était très à la mode pour parler des meilleures ventes de disques de Johnny Halliday ou de Sylvie Vartan10. À l’époque, dire « best-seller » plutôt que « meilleure vente » ajoutait une couleur anglo-américaine branchée pour parler des ventes des disques de stars dont certaines arboraient des pseudonymes anglicisés (Johnny Halliday, Eddie Mitchell, Dick Rivers). À l’ère d’internet et de la communication ultra-rapide, les informations circulent à une vitesse fulgurante, particulièrement les rumeurs sensationnelles plus ou moins fondées et autres fausses informations. Aussi désigne-t-on désormais par fake news une information montée de toutes pièces, en général pour discréditer quelqu’un (des candidats aux dernières présidentielles américaines et françaises) ou pour induire délibérément en erreur sur un sujet particulier (les théories complotistes au sujet du voyage de l’homme sur la Lune en 1969). Le phénomène est actuellement très discuté (un projet de loi est en cours en France pour tenter de le contrer), pour ne pas dire à la mode, au point que des sites d’information lui consacrent des pages entières (Wikipédia, Le Point, 20 Minutes…).

L’autre caractéristique essentielle des buzzwords, pendant de la précédente, réside dans leur usage répété et répandu (définitions 1 et 6). Ceci est notamment dû aux millions de tirages des journaux d’informations et des magazines culturels, ainsi qu’aux médias que sont la radio, la télévision et internet qui participent grandement à la propagation des buzzwords d’origine anglaise dans la langue française. C’est bien sûr actuellement le cas de fake news que nous venons d’évoquer. Nous pensons aussi à process, focus et news particulièrement en vogue dans les médias depuis les années 2000-2010. Au Journal Télévisé du 20 heures de France 2 le 21 novembre 2017, un père se battant avec d’autres pour étendre la garde alternée des enfants de parents séparés déclare au micro du journaliste : « C’est un process qui est assez long et assez lourd ». Quotidiennement sur la chaîne d’informations France 24, un focus s’attache à analyser un point particulier de l’actualité. Les news ont vraisemblablement remplacé les informations ou les nouvelles (mais sont souvent couplées avec une rubrique « actualités » ou « actu ») sur des sites web français tels que France 24 (« News et actualité en continu ») ou Elle (« Toutes les news et Actualités en direct »). Même « direct » est sévèrement concurrencé par live (« Figaro Live », en rubrique d’info en direct sur le site du Figaro). Cependant, comme tout effet de mode, l’usage à répétition de ces mots et expressions peut finir par s’essouffler avec le temps (définitions 2, 5 et 6). Aujourd’hui, best-seller est un terme neutre, certes présent dans les dictionnaires français, mais qui désigne désormais un livre se vendant très bien. Best-seller a perdu de sa superbe en n’étant plus automatiquement relié aux succès des hits musicaux et des paillettes des années 1960-1970.

Un trait sémantique supplémentaire du buzzword que l’on peut dégager, réside dans l’effet qu’un tel mot est censé produire (définitions 3, 4 et 6). Il ne s’agit pas seulement d’être à la mode, mais également d’avoir une réaction en retour. Par exemple, un like incite à cliquer sur un pouce en l’air pour indiquer que l’on aime une publication dans le but de la populariser, soit dans son cercle intime, soit dans un cercle plus large. À terme, le verbe liker a été créé pour désigner cette action. La réaction provoquée dans cet exemple est celle de la manifestation de son émotion positive associée à une action concrète : un clic. Depuis 2017, la chaîne publique d’information française France Info affiche sur les écrans, outre son nouveau logo matérialisé par deux points, les messages « likez twittez commentez partagez » et « avec franceinfo écoutez regardez followez partagez l’info ». Dans ces deux messages publicitaires, trois verbes issus de mots anglais sont employés à l’impératif (likez, twittez, followez) : il s’agit, d’une certaine façon, de pousser les auditeurs, internautes et téléspectateurs à consommer l’info sur cette chaîne qui donne l’impression de toujours se mettre à la page en employant des buzzwords d’origine anglaise. Nous reviendrons plus en détail sur ces exemples dans les sections suivantes. En outre, ces nouveaux verbes sont liés aux réseaux sociaux faisant désormais partie du quotidien de nombre de Français. On peut alors ajouter que l’effet produit par un buzzword l’est parce que le mot et son concept sont nouveaux ou perçus comme tels : suivre l’info sur des réseaux sociaux est quelque chose de récent, ces nouveaux mots et expressions sont donc associés à cette nouveauté. Cette perception de la nouveauté se marie avec une volonté de susciter une émotion particulière, de préférence forte, non seulement de la part de l’énonciateur mais aussi de la part du sujet interprétant. Cela est d’autant plus vrai pour les buzzwords d’origine anglaise dans la langue française, car ces lexies ont des consonances étrangères, et sont donc perçues comme différentes : elles procurent un sentiment de nouveauté et suscitent en conséquence une certaine curiosité. Un des traits sémantiques majeurs constituant un buzzword réside par conséquent dans sa perception en tant que nouveauté doublée d’une réaction.

Toutefois, la connexion entre le buzzword et la notion à laquelle il est relié est logique pour ses utilisateurs, mais pas nécessairement pour les non-initiés (définitions 4 et 6) ; d’où la remarque de la définition (6) sur les « contours […] peu précis et la signification floue pour le public ». On noterait même, dans certaines définitions (3, 4 et 5), une sorte de jugement de valeur sur le sens d’un buzzword (« often of little meaning »), comme si dès le départ le lexicographe estimait que ce type de mots n’était au fond pas de très grand intérêt. Aussi, un trait sémantique non négligeable des buzzwords d’origine anglaise relèverait de l’interprétation que l’on en fait – interprétation de la part de l’utilisateur et interprétation de la part du sujet interprétant. Le locuteur qui emploie des buzzwords semble initié au sens qu’ils comportent et les utilise dans des contextes bien particuliers. À ce sujet, les définitions (2), (3) et (4) mentionnent le caractère technique des buzzwords, voire soulignent leur parenté avec le jargon11. En témoignent ces commentaires d’internautes extraits d’un vlog (blog vidéo) autour d’astuces beauté : « c’est quand que tu vas faire un ask » (sic) ; « pourrais-tu nous faire update du tagWhat’s on my phone’ » (sic) ; « pourrais-tu faire un GRWM ? »12. Ces internautes manient aisément des mots et expressions d’origine anglaise pouvant être considérés comme des buzzwords au vu du contexte spécifique d’utilisation et de la mode actuelle des chaînes Youtube dédiées aux astuces beauté et DIY13. Les autres internautes qui suivent ce type de chaînes et qui lisent ces commentaires peuvent comprendre et répondre sans difficulté, étant également, d’une certaine manière, initiés à ce vocabulaire – du moins, c’est ce qu’ils croient et/ou laissent croire – nous y reviendrons ultérieurement. En revanche, le sens d’un buzzword d’origine anglaise peut s’avérer problématique pour le sujet interprétant non initié à ces mots et expressions. Si l’on ne connaît pas le contexte ou que l’on ne fait pas partie de ce type d’environnement, l’on est tout simplement perdu… À titre d’exemple, l’encyclopédie libre en ligne Wikipédia, dans sa page française dédiée au buzzword, mentionne une citation prêtée à Jérôme Kerviel du temps où il était trader en réponse à une anomalie constatée. Cette citation est suivie d’un commentaire par l’auteur de la page Wikipédia :

« Ça matérialise des give up de fûts faits tardivement, je dois de l’argent à la contrepartie. On va le rebooker asap ». Selon l’analyse faite ultérieurement, cette phrase ne veut rien dire, mais la personne chargée des contrôles n’a pas demandé d’éclaircissements de peur de paraître stupide [Wikipédia 2017].

Cet exemple confirme le flou sémantique qui entoure les buzzwords d’origine anglaise dans la langue française (trois spécimens ici : give up, rebooker et asap) pour le sujet interprétant non initié. Autre exemple, ce commentaire d’une téléspectatrice sur le forum de l’émission Télématin de France 2 en novembre 2016, où elle exprime clairement son incompréhension (d’autant que les mots sont d’origine anglaise, ce qui ajoute sans doute au manque de clarté de l’ensemble de l’énoncé pour cette téléspectatrice) :

Dans le reportage sur le salon Equip Hôtel de Télématin d’aujourdhui, la responsable du salon a employé 3 mots anglais dans la même phrase et du coup je n’ai rien compris ! Pourriez-vous m’envoyer la traduction de son discours, s’il vous plait ? [Forum Télématin, France 2, 26/11/2016]

À partir de ces constats, nous pouvons en déduire que les traits sémantiques fondamentaux d’un buzzword sont associés à l’effet de mode combiné à la forte propagation et à la répétition du terme et du concept qu’il véhicule, au temps limité d’usage, à la spécificité du contexte d’usage, à la réaction qu’un buzzword provoque, à la perception de nouveauté que dégage une telle lexie, et à l’interprétation que l’on en fait, aussi bien en tant qu’usager qu’en tant que sujet interprétant. Dans cette étude, il est question des buzzwords d’origine anglaise dans la langue française, donc, d’une certaine manière, d’anglicismes à la mode. De ce fait, pourquoi ne pas tout simplement parler d’anglicismes ?

1.3. Buzzwords d’origine anglaise ou anglicismes ?

Afin de cerner la spécificité d’un buzzword d’origine anglaise par rapport à un anglicisme, il convient d’effectuer quelques rappels théoriques nécessaires sur les anglicismes et sur la relation entre emprunt et néologie.

Qu’est-ce qu’un anglicisme ? Selon la définition de Fortin14, « [un] anglicisme est un mot ou une expression qu’on emprunte à la langue anglaise en ce qui a trait au sens, à la forme, à la prononciation et à la structure syntaxique ». L’anglicisme en tant qu’emprunt se réalise sous diverses formes : anglicisme intégral ou lexical (timing), anglicisme sémantique (viral, réaliser), anglicisme morphologique (appel longue distance), anglicisme hybride (liker, surbooké), anglicisme phraséologique (faire sens), anglicisme syntaxique (être confiant que), anglicisme phonétique (« magnifaïque »15) et anglicisme graphique (mettre des majuscules dans les titres, utiliser les guillemets anglais)16.

Aussi un anglicisme est-il foncièrement un emprunt à l’anglais. L’emprunt en langue comporte deux sens distincts : il s’agit du procédé consistant à adopter dans son lexique un terme d’une autre langue, et de l’élément emprunté à la langue source. L’emprunt est donc, de manière assez conventionnelle, un mot, une expression ou, du moins, une base susceptible d’être modifiée dans la langue emprunteuse, qui existent déjà dans une autre langue. Peut-on alors lier emprunt et néologie, et de fait considérer l’élément emprunté comme un néologisme ? La néologie est le procédé qui consiste à créer ou à recycler des mots ou des expressions pour des usages nouveaux ; le néologisme en est le produit. Tournier [1985] définit l’emprunt comme étant une matrice lexicogénique relevant de la création lexicale externe, ce qui l’apparente à la néologi, et ce qui fait automatiquement de l’élément emprunté un néologisme. Guilbert [1973 : 18] pose le postulat suivant :

Une langue fonctionne selon son propre code en vertu duquel sont produits des actes de discours et des formations lexicales. Tout ce qui provient d’une langue autre doit être considéré comme relevant d’un autre code.

En conséquence, la typologie des néologismes qu’établit Guilbert comporte le néologisme d’emprunt :

La néologie par emprunt consiste à faire passer un signe linguistique tiré d’une langue où il fonctionnait selon les règles propres au code de cette langue dans une autre langue où il est inséré dans un nouveau système linguistique. [Guilbert 1973 : 23]

L’élément emprunté s’insérant dans la langue d’accueil en suit logiquement les règles.

En général, du moins d’après les idées reçues, si on emprunte, c’est pour combler une lacune dans la langue emprunteuse. C’est le cas pour nombre d’anglicismes adoptés en français dans des contextes spécifiques comme le sport (dribble), la musique (disc jockey), ou encore l’informatique (peer-to-peer). Cependant, Fortin ajoute une nuance dans sa définition d’un anglicisme : « [c]et emprunt devient inutile lorsqu’un mot français désignant le concept ou la réalité en cause existe déjà ». On observe en effet des anglicismes qui possèdent des équivalents déjà existants en français, du moins le croit-on (les news pour les informations, pour n’en citer qu’un). Ce phénomène se serait, d’après Walter [2006], amplifié depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale avec des emprunts – utiles comme peut-être moins utiles – majoritairement en provenance des États-Unis devenus la première puissance au monde. Le débat sur la présumée utilité et sur l’influence positive ou néfaste des anglicismes sur la langue française divise. On songe aux écrits de René Étiemble, de Maurice Pergnier, d’Alain Rey ou encore d’Henri Goursau qui a édité un dictionnaire des anglicismes. Le débat dépasse même le cadre de la linguistique. Nous reviendrons sur certains aspects de ce débat ultérieurement dans notre analyse.

Qu’en est-il des buzzwords d’origine anglaise ? Ils relèvent de l’emprunt à l’anglais, ce sont par conséquent des anglicismes. Sont-ils des emprunts utiles ? Rien n’est moins sûr, leur particularité étant qu’ils soient un temps à la mode, ce qui ne répond pas au critère d’utilité d’un emprunt. Par ailleurs, Starobová [2010] a réalisé une étude de corpus à partir de journaux et magazines français afin d’y repérer et d’analyser les néologismes. À propos des anglicismes et néologismes à base anglaise qu’elle relève, elle écrit ceci :

[L]a haute fréquence d’emplois d’emprunts ainsi que de néologismes formels dans la ‘presse branchée’ s’explique, avant tout, par la transparence de ces procédés de création. Le sens de ces néologismes est facilement déductible et le degré de néologicité moins élevé en raison de la similitude des radicaux du mot de base et du mot dérivé dans le cas de la néologie formelle. Ces créations lexicales frappent l’œil des lecteurs (ainsi que des chercheurs), attirent l’attention et rendent la lecture plus chique, branchée et attractive. [Starobová 2010 : 172]

Si l’on suit ce raisonnement, la motivation de ces emprunts et néologismes serait en conséquence purement stylistique ; on peinerait même à considérer ces mots comme des néologismes. En outre, si les buzzwords sont un temps à la mode, cela signifierait qu’ils se situent entre une période où l’anglicisme serait d’abord introduit dans la langue française et une période où l’anglicisme passerait ensuite de mode, tout en demeurerant un anglicisme. Si l’on suit la logique énoncée précédemment, comme ce sont des anglicismes, donc des emprunts, les buzzwords d’origine anglaise sont aussi des néologismes. Une contradiction cependant surgit : peut-on parler de néologie alors que les buzzwords d’origine anglaise, étant initialement des anglicismes, ont nécessairement passé un cap d’introduction dans la langue d’accueil au cours duquel la néologie s’est opérée ? Pešek [2007 : 16] rappelle que « [l]a néologie lexicale, quelle que soit sa nature, entraîne un changement, une modification au sein des unités lexicales de la langue ». Les buzzwords d’origine anglaise entraînent-ils ces changements ? Relèvent-ils alors de la néologie lexicale ?

Un élément de réponse peut être apporté grâce à un des traits sémantiques du buzzword, à savoir : la perception de nouveauté. Cette perception de nouveauté peut être rattachée au concept de néologicité, c’est-à-dire au sentiment de nouveauté que procure un mot ou une expression, dépendant d’une durée. La néologicité d’un buzzword d’origine anglaise se résume-t-elle au seul sentiment de nouveauté lié à la durée ? Garantit-elle le statut de néologisme d’un buzzword d’origine anglaise ? L’étude de leurs adaptations et des motifs sous-jacents pourra fournir quelques réponses.

2. De la néologicité des buzzwords d’origine anglaise : adaptations et motifs

Dans cette section, il s’agit de démontrer la néologicité qui entoure les buzzwords d’origine anglaise à travers leurs adaptations dans la langue française. Notre intention n’est pas de dresser une typologie, comme il en existe de très complètes sur les anglicismes – notamment celle de Saugera dans Remade in France [2017]. En revanche, voir comment ces lexies sont adaptées en français va nous permettre de saisir leur caractère néologique. Nous essaierons également de mettre en évidence les motifs qui accompagnent ces adaptations. Avant d’examiner tout cela plus en détail, il convient de souligner que les buzzwords d’origine anglaise, comme les anglicismes en général, s’adaptent au cadre syntaxique du français : l’attribution d’un déterminant de genre, la place de l’adjectif épithète, la conjugaison au premier groupe des verbes dérivés, pour ne citer que quelques cas d’adaptation syntaxique. C’est déjà une preuve d’une certaine intégration dans la langue hôte. Serait-ce un cas de code-mixing ? Peut-être pas, car le code-mixing implique que la personne soit bilingue, ce qui n’est pas nécessairement le cas pour les locuteurs qui emploient des buzzwords d’origine anglaise. La question toutefois se pose et mériterait d’être explorée dans d’autres études.

2.1. Adaptations sémantiques

La néologie dont relèvent les buzzwords d’origine anglaise est non seulement lexicale, mais aussi sémantique. Un buzzword d’origine anglaise implique un usage motivé par un choix : une nouvelle signification, particulière, inédite. Nous parlerons ici d’adaptations sémantiques. Divers motifs entrent en compte. Un premier motif serait lié à l’économie linguistique gagnée par rapport au français. Reprenons l’exemple de best-seller dans les années 1960, bien plus court qu’une périphrase équivalente telle que : « le disque qui obtient de grands succès de vente ». De nos jours, il est plus commode de parler du mode de vie vegan que du mode de vie excluant toute consommation de produits d’origine animale17. En invoquant toujours le souci d’économie linguistique, les sigles et acronymes, tels que LOL, OMG, ASAP, se croisent quotidiennement sur les réseaux sociaux ou même dans les échanges verbaux en vue d’exprimer un rire, une forte émotion ou la promptitude avec laquelle on va exécuter une action. L’argument d’économie linguistique se vérifie pour ASAP, sans doute plus efficace parce que plus court que son homologue français « dès que possible ». Cette efficacité s’associe au trait sémantique de rapidité que comporte ASAP et, d’une certaine façon, à l’efficacité qui caractérise un buzzword. Dinca [2009 : 84-85] écrit à ce sujet :

Moyen linguistique pratique et économe, le procédé de siglaison fait aussi partie des mécanismes linguistiques de la création néologique car la forme réduite a un statut autonome par rapport à la forme de base.

Le fait de passer par des sigles et acronymes anglais relève donc de la néologie, à la fois par l’emprunt et par l’unité autonome créée initialement en anglais. En effet, les sigles servent à remplacer des expressions entières ou des onomatopées. Dinca indique un peu plus loin que la siglaison est un « [p]rocédé très à la mode à l’époque de la vitesse et de la communication rapide » [2009 : 85] ; sur un clavier, ou même au cours d’un échange verbal, il est par conséquent plus pratique de passer par les sigles. Le français possède pourtant ses propres sigles (« MDR » pour « mort de rire »), mais aussi des onomatopées (« haha »18, « oh »), pour exprimer les mêmes idées – sigles et onomatopées qui sont finalement tout aussi courts que ceux empruntés à l’anglais. Dès lors, le seul motif d’économie linguistique ne suffit pas à expliquer le recours aux anglicismes.

L’autre motif d’emprunt à l’anglais consisterait à parer la notion d’une nouvelle coloration, parfois même spécifique par rapport à l’original anglais. Ainsi, story en français désigne-t-il une histoire teintée de mystère, auréolée de brillance. Sur la chaîne de télévision française C8, depuis 2016, de nombreuses émissions arborent pour titre « La story de… » (« La story de Céline Dion », « La story de Disney », etc.). Certes, les concepteurs de ces émissions auraient tout aussi bien pu employer l’équivalent français « L’histoire de… ». Toutefois, il ne s’agit pas de raconter n’importe quelle histoire, mais celle de stars (personnalités ou produits) au destin jugé hors norme. Depuis l’été 2017, le réseau social Facebook a ajouté une rubrique apparaissant en haut à droite du mur. Cette rubrique s’intitule « Stories », et comporte en-dessous la photo de profil d’un(e) ami(e) ainsi qu’une mention invitant à découvrir la story (sans doute incroyable, du moins digne d’intérêt, si l’on se met à penser comme le réseau social) de cette personne19. Il en est de même pour la chaîne d’informations France 24 avec des messages comme « Suivez nos stories sur Instagram» depuis l’automne 2017. De la même manière, dire success story, qui rajoute à story le nom success porteur de positivité, plutôt que dire « réussite » ou « histoire à succès », apporte une notion de réussite supplémentaire, plus performante, à travers l’emprunt à l’anglais. Par exemple, dans l’émission à reportages Capital diffusée le 12 février 2017 sur la chaîne M6, le présentateur annonce ceci : « Lego, une belle success story savamment mise en scène ». Ici, il s’agit d’évoquer le succès mondial qui accompagne cette marque de jouets depuis sa création. Au Journal Télévisé du 20 heures de France 2 du 20 juillet 2017, le présentateur parle de l’exportation réussie du concept du Puy du Fou à l’étranger : « Quels sont les ressorts de cette success story à la française ? ». On s’aperçoit qu’à travers cet usage, success story fonctionne comme un bloc lexicalisé, et constitue par conséquent une lexie à part entière20.

Dans ces exemples, utiliser les lexies d’origine anglaise story et success story plutôt que les équivalents français « histoire » et « histoire à succès » ajoute un côté anglo-américain, quasi hollywoodien, dont l’objectif est de susciter l’émerveillement autour de la personne ou de l’objet – ou, du moins, d’éveiller l’intérêt des auditeurs. Payback [2008] n’hésite pas à qualifier certains termes anglais importés dans d’autres langues de « hollywords », en référence au monde mythique d’Hollywood. Ces hollywords exercent, dit-il, une grande influence sur le langage. Bien que Payback ne mentionne principalement que les mots et expressions directement issus du cinéma hollywoodien, le concept pourrait être étendu à l’emprunt de termes d’origine anglaise qui contiennent cette impression de gloire, de brillance, de mystère, de mythe, typique du rêve américain pour les autres cultures – en effet, dans l’inconscient populaire, l’Amérique demeure la terre de tous les possibles. Cela concernerait même directement les buzzwords d’origine anglaise, car en plus d’être inspirées de l’anglais, ces lexies véhiculent en elles l’aspect sensationnel lié à l’effet de mode, ce qui peut être, d’une certaine manière, associé à une idée de prestige. La thèse du prestige qu’apporterait le recours à l’anglais est souvent invoquée par les chercheurs. Ainsi Ben-Rafael [2008 : 64] écrit-elle :

Furthermore, it is also undeniable that in today’s globalised world, English enjoys a particular prestige, and it seems that many a concept originating from American/English discourse is willingly adopted as a marker of ‘updatedness’, especially among the young, but not only among them. […] Borrowings often represent new realities and semantic shades; they are virtual reservoirs for new connotative and denotative values, and contribute to the building of new symbols.

Le prestige induit par le recours à l’anglais s’accompagne d’une ou de plusieurs nouvelles distinctions sémantiques pour la notion dont il est fait référence. Il y a injection de nouveaux sens aux éléments empruntés non seulement par rapport à leur signification en anglais, mais aussi par rapport aux équivalents en français. La remarque de Ben-Rafael sur la construction de nouveaux symboles est intéressante : les anglicismes véhiculeraient ainsi des nouveaux sens qui apporteraient une dimension symbolique à la notion en jeu. Cela se vérifie avec l’exemple de story. L’usage récent de story en français comporte une nouvelle dénotation – une histoire particulière – automatiquement assortie d’une nouvelle connotation – la particularité donc l’attrait d’une telle histoire –, ce qui la range immanquablement dans la catégorie des histoires qui font le buzz. Notons l’impression de nouveauté qui entoure story et son dérivé success story. Les stories de France 24 et de Facebook se renouvellent chaque jour. Si Lego, une marque de jouets qui existe depuis des décennies, et Le Puy du Fou, un parc d’attraction français à thématique historique, vivent une success story, c’est parce que leurs concepts ne cessent d’innover pour toujours attirer les consommateurs. Leurs success stories sont des symboles de réussite, tout comme les stories des stars retracent leur parcours glorieux. Ces nouveaux usages adaptés au français font de story et de success story des buzzwords. Ces lexies d’origine anglaise connaissent par conséquent un certain succès pour ce qui est de qualifier des histoires pas comme les autres.

Les cas de story et de success story ne sont pas isolés. Il y a battle, popularisé par l’émission The Voice depuis 2012. Une battle est un duel vocal décisif entre deux candidats d’une même équipe, qui se déroule dans les règles de l’art (performance à deux, respect mutuel) ; à l’issue, il n’en restera qu’un. C’est une compétition très prisée du public de cette émission. Avoir dénommé cette épreuve battle plutôt que « bataille » n’est pas anodin : en effet, l’équivalent français est automatiquement relié à la guerre, ce qui peut constituer une connotation négative. L’emprunt à l’anglais n’est quant à lui pas associé à la guerre, donc conserve une certaine virginité. Battle comporte ainsi une dimension symbolique. Citons également viral, employé dans la langue française avec une nouvelle signification à partir du développement massif des réseaux sociaux des années 2000. Bien qu’existant en français dans les champs lexical et sémantique de la santé, viral (prononcé à la française) a été calqué sur l’anglais viral, afin de qualifier une vidéo, un gag, etc., qui se propagent de façon épidémique et provoquent des réactions fortes chez le public, l’hilarité en général, parfois le choc. Seuls les traits sémantiques de contagion, de propagation et de réaction propres à un virus sont conservés. Le trait pathogène, quant à lui, est gommé21. Dans le cas de viral, on retrouve l’aspect sensationnel de la publication partagée en masse, dont le côté inédit est censé produire beaucoup d’effet, donc créer le buzz. Ce nouvel usage de viral fait de lui un buzzword, à la fois par le succès du contenu qu’il symbolise et par le succès du mot en lui-même pour qualifier le contenu diffusé.

En somme, tous ces exemples d’adaptations sémantiques démontrent la néologicité des buzzwords d’origine anglaise en français : à chaque fois, le sentiment de nouveauté transparaît à travers les effets ajoutés – pour ne pas dire surajoutés – que produisent ces lexies. Ce sont des lexies à succès pour exprimer une certaine idée du succès. La néologicité des buzzwords se fonde ainsi sur le sentiment de succès ; plus que d’ordre lexical, elle est d’ordre sémantique.

2.2. Adaptations morphosémantiques

Un autre type d’adaptation des buzzwords d’origine anglaise en français relève de la morphosémantique. On pense bien sûr aux nombreux verbes dérivés tels que liker ou follower. On note également l’ajout de suffixes nominaux, comme dans « le club des chilleuses » (titre d’une page Facebook) où chilleuses vient de chill ; ou des dérivés à partir de suffixes comme –gate à la suite du Watergate : Penelopegate (janvier 2017), couscousgate (septembre 2017), pour citer les plus récents. Il y a aussi l’emprunt avec francisation partielle, comme dans street crédibilité (avec ou sans trait d’union selon les occurrences) formé à partir de l’anglais street credibility, où credibility est remplacé par « crédibilité » sans doute parce qu’il s’agit d’un mot transparent. Ce sont tous des hybrides. Un hybride est « un néologisme issu principalement d’une hybridation, considérée comme un processus spécifique de créativité lexicale, qui combine les mécanismes de dérivation et d’emprunt direct » [Kortas 2009 : 533].

Ces exemples relèvent d’un jeu propre à la néologie, qui consiste à apporter des variations à un élément : on crée un nouvel élément à partir d’une base existante. Dans ces hybrides, il y a double néologie : emprunt à l’anglais, adaptation au français (par dérivation ou par traduction partielle), d’où la création d’une nouvelle entité lexicale comportant un sens et un usage bien particuliers. Liker n’a pas tous les sens et usages du verbe français « aimer » – on ne dit pas, du moins semble-t-il, « je like le chocolat » ou « je like aller au cinéma ». Liker s’emploie spécifiquement pour l’appréciation généralement accompagnée d’un clic d’une publication en ligne. Cette action est motivée par le ressenti immédiat de l’internaute face à la publication. L’internaute partage son ressenti pour une chose qu’il estime digne d’intérêt, voire sensationnelle. On peut ainsi liker le post d’un ami (message, photo, vidéo), un événement annoncé en ligne, une page Facebook dédiée à une œuvre artistique ou à une cause charitable, une chaîne sur YoutubeFollower n’est pas simplement suivre des contenus, mais suivre à la fois avec intérêt et pour être à la page une chaîne ou une personne sur le net – d’ailleurs, pour follower, il faut en général liker et s’abonner à la chaîne. Les chilleuses ne sont pas n’importe quelles filles, mais des filles détendues et enclines à passer du bon temps ensemble en partageant toujours de nouvelles astuces. La street crédibilité représente l’enjeu d’être sur la même longueur d’onde qu’un groupe, que ce soit dans son vécu, son style ou encore ses actes. Il s’agit donc d’être à la page avec le groupe. Perdre toute street crédibilité, c’est pire que de perdre la face, comme le suggère le titre de cet article de 2016 en ligne : « Ces rappeurs qui ont perdu toute street crédibilité ». Cela suggère que la street crédibilité ne dure qu’un temps, ou doit s’entretenir et s’adapter si on veut rester crédible. Là encore, il est question d’une certaine idée de succès, plus ou moins positive ou négative en fonction du contexte d’usage ; on se situerait presque dans le domaine du symbole. Quant aux dérivés en –gate, il s’agit d’annexer directement le nom de la personne (Penelope, l’épouse d’un candidat à la présidentielle) ou de l’objet du délit (le couscous qu’aurait mangé un cadre haut placé d’un parti d’extrême droite) à –gate qui devient le morphème lié privilégié pour désigner une affaire politique sulfureuse – affaire dont on ne parle qu’un temps aussi, en général jusqu’à la fin de la polémique (affaire résolue, démission, défaite, assignation en justice…). Emprunter par aphérèse un élément d’une grande affaire comme le Watergate contribue à faire de l’hybride un buzzword : il y a nécessairement l’écho du scandale qui résonne, ce qui confère une dimension symbolique à l’affaire désignée ainsi. C’est aussi tout le côté des agissements dans l’ombre qui ressort : le candidat de la probité qui cache les salaires faramineux qu’aurait touchés sa femme, un cadre d’extrême droite défenseur du terroir français qui ose manger un couscous en comité restreint… C’est tellement gros, pour parler familièrement, que cela n’en est que plus scandaleux – et même, de la part des journalistes et médias qui emploient et diffusent l’hybride, quelque peu dérisoire : manger un couscous relève-t-il vraiment du crime symbolique ? Quoi qu’il en soit, les ingrédients pour faire le buzz sont réunis dans ces hybrides : scandales, people politiques, argent, symboles. Le sentiment de succès – succès de la lexie et de son référent – joue encore un rôle essentiel dans ces adaptations morphosémantiques.

Un cas particulier d’adaptation morphosémantique est celui des buzzwords appartenant aux faux anglicismes. Sablayrolles indique au sujet des faux anglicismes que ce sont « des composés avec des éléments empruntés, mais les créations sont françaises » [2009 : 22]. Ce sont des néologismes créés presque ex nihilo, car ils prennent l’anglais pour modèle, mais inventent une nouvelle lexie pour désigner une nouvelle notion ou une nouvelle tendance. Lorsqu’il y a nouvelle tendance, il y a souvent effet de mode. Aussi certains faux anglicismes se comportent-ils comme des buzzwords. Par exemple, il y a les néologismes d’apparence anglaise autour de la course à pied : le footing, et désormais le running – course à pied avec la particularité d’être considérée comme une discipline comportant un caractère communautaire, des objectifs et des défis – et les runnings (les baskets pour la course). À titre indicatif, un graphique sur Google Trends a permis de comparer la courbe d’utilisation des recherches quotidiennes sur le net de footing et de running en France de 2004 à 2017. La différence est flagrante : footing, autrefois prisé, se fait supplanter par running qui atteint des records de trafic journalier notamment depuis 2012. Le caractère particulier attribué actuellement à running, ainsi que son usage fréquent, concourent à en faire un buzzword. Le fait que running soit d’apparence anglaise contribue à son côté prestigieux, hors norme, quelque peu symbolique d’un nouveau type de course à part entière.

2.3. Adaptations phraséologiques

Les buzzwords d’origine anglaise s’adaptent également dans le monde des expressions françaises. On est ici dans le domaine de la phraséologie. Ainsi, des expressions plus ou moins hybrides telles que gros buzz, bad buzz, gros fail, date pourri, se forment et s’ancrent dans des contextes bien particuliers. En effectuant une recherche dans la base de données en ligne Europresse sur quatre journaux quotidiens différents (20 Minutes, Le Figaro, Le Monde et Libération) entre janvier 2010 et janvier 2018, on trouve 40 occurrences de gros buzz pour parler essentiellement de sorties de films, de livres et de chansons à succès. Les occurrences de gros buzz concernent aussi des publications polémiques, comme la parution de photos intimes sur les comptes Instagram de certaines stars. Cette expression oscille donc entre du positif et du négatif, en fonction du contexte. Plus répandu sur la même période (218 occurrences), bad buzz est véritablement une expression connotée négativement, entre scandales alimentaires et vidéos, paroles ou attitudes compromettantes. Bad buzz serait même le contraire de success story. On ne trouve pas bad story – sans doute parce que l’emprunt sémantique de story en français est déjà positif. Cependant, bad buzz ne s’est pas encore figé, car l’expression est modulable en fonction du contexte : on trouve en effet mauvais buzz, gros buzz, bon buzz, peut-être parce que buzz lui-même n’est ni positif, ni négatif. On parlera alors de substituabilité des éléments dans des séquences « pour lesquelles le sens de l’ensemble change en fonction du sémantisme particulier de l’élément qui a été substitué » [Pecman 2004 : 138]. La substituabilité se heurte néanmoins à quelques limites dans ces exemples, car, à notre connaissance, il n’y a semble-t-il pas d’occurrences avec des adjectifs autres que ceux exprimant un degré d’appréciation, de mesure ou de valeur. Aussi parlerons-nous de « collocations ».

Anctil et Tremblay [2016] rappellent que la collocation relève de « la combinatoire lexicale, qui renvoie au fait que chaque unité lexicale de la langue se combine à d’autres unités lexicales particulières ». Il y a une relation privilégiée entre les unités combinées. Dans le cas des buzzwords d’origine anglaise, la particularité de la relation réside dans l’expression du degré de valeur, de mesure ou d’appréciation. En effet, nous constatons que les adjectifs employés véhiculent tous plus ou moins des traits fortement connotés en français, soit positivement, soit négativement (« bon », « mauvais », « super », « pourri », etc.). C’est le cas de date pourri que l’on rencontrera davantage dans la presse en ligne populaire pour désigner un premier rendez-vous galant soit bizarre, soit raté, dont l’issue est immanquablement l’échec. Ainsi, Le Nouvel Obs en ligne lance en 2017 la série « Le date pourri de X », dont l’objectif est le suivant : « Loin des happy ends qu’on connaît déjà, il s’agit de documenter le côté obscur de ces applis » (publication du 20/05/2017). Le mot date en soi n’est ni positif, ni négatif : c’est l’adjectif qui lui donnera sa valeur. Parfois, le collocatif comporte des traits d’amplification, comme avec « gros » (indiquant une taille, une mesure) dans gros buzz ou dans gros fail. Dans gros fail, le collocatif se combine avec une base déjà connotée négativement (fail signifie « échec »). Gros fail est moins présent dans les journaux observés sur Europresse (seulement 9 occurrences sur la période 2010-2018), mais inonde les commentaires sur les réseaux sociaux pour parler d’un fiasco total. L’adjectif sert donc à amplifier la connotation négative que comporte déjà le nom.

On retrouve des collocatifs qui ont pour but d’amplifier avec des expressions intégrant les intensifieurs binge (binge watching et la locution verbale binge watcher) et so (so healthy). Ces expressions sont actuellement en vogue, respectivement dans le domaine des séries et programmes télévisés et dans le domaine de la santé et du bien-être. Dans le cas de binge watching et de binge watcher, équivalant à visionner des séries ou des programmes télé à l’excès (on parle de gavage télévisuel), binge joue le rôle d’intensifieur de par sa position en adverbe et surtout de par sa connotation négative d’excès (on se souvient du phénomène de binge drinking, des beuveries entre jeunes à l’excès). Un article publié le 22 février 2018 dans Télé Loisirs décrit brièvement cette « nouvelle » pratique jugée excessive et nuisible pour la santé suite à une étude américaine. L’expression binge-watch était déjà apparue dans les années 1990 pour désigner des réunions de fans autour d’une série. Il s’agissait d’en regarder plusieurs épisodes à la suite entre amis ou simples fans. Il y avait donc une dimension communautaire à l’époque, qui ne paraît plus dans l’usage actuel, lequel conserve toutefois le trait de visionnage à l’excès. L’adaptation phraséologique de binge en français souligne une intensification excessive, par conséquent nocive. À l’inverse, l’adverbe intensifieur so est bien plus positif dans son adaptation française. Tandis que l’intensifieur so en anglais se positionnera devant tout mot quelles que soient ses dénotations et ses connotations, l’intensifieur so en français se positionnera uniquement devant des mots à caractère positif, comme healthy (un mode de vie so healthy, un régime ou un aliment so healthy). Est-ce que cela viendrait de la locution ajdectivale figée so British qui véhicule la classe et le flegme à l’anglaise ? L’adaptation phraséologique de so en français relève, quoi qu’il en soit, d’une intensification positive.

Les adaptations phraséologiques des buzzwords d’origine anglaise indiquent un comportement intéressant de ces lexies, car il se produit une certaine intégration dans la langue française, avec des collocations précises qui se dessinent. C’est comme si les buzzwords se fondaient dans la masse des expressions en français. À ce stade, peut-on toujours parler de néologicité ? Oui, du moins pour l’instant, car ces expressions sont relativement récentes – moins de dix ans en moyenne : on note l’absence de la plupart de ces expressions avant 2010 dans les journaux examinés sur Europresse. Le sentiment de nouveauté en outre persiste : les contextes sont sans cesse renouvelés, les jugements portés sont variables de par les collocatifs de degré d’appréciation, de mesure ou de valeur. On pourrait également parler de prosodie sémantique, au même titre que l’entend Sinclair [1996 : 87-88] :

A semantic prosody […] is attitudinal, and on the pragmatic side of the semantics / pragmatics continuum. It is thus capable of a wide range of realisation, because in pragmatic expressions the normal semantic values of the words are not necessarily relevant. But once noticed among the variety of expressions, it is immediately clear that the semantic prosody has a leading role in the integration of an item with its surroundings. It expresses something close to the ‘function’ of an item – it shows how the rest of the item is to be interpreted functionally.

Dans le cas des expressions formées à partir des buzzwords d’origine anglaise, l’intégration de l’item à son environnement est possible grâce aux degrés de polarité exprimés à travers les collocatifs, et principalement grâce à la valeur que prend le buzzword dans son contexte d’utilisation. Si l’on regarde bien, cela vaut également pour les buzzwords qui ne sont pas nécessairement doublés d’une collocation. Il devient alors évident que les buzzwords d’origine anglaise ne peuvent être appréhendés hors contexte, et que le succès qui caractérise leur néologicité ne peut s’apprécier qu’en contexte.

À ces adaptations sémantiques, morphosémantiques et phraséologiques pourrait s’ajouter un cas à part : l’adaptation phonétique à l’anglais d’un buzzword français. Certes, les anglicismes en français sont prononcés à la française. Cependant, certains mots français comme « style » et « magnifique » sont parfois prononcés à l’anglaise, ce qui en fait des anglicismes phonétiques. Ces exemples peuvent être considérés comme des buzzwords d’ordre phonétique. Ainsi l’animatrice de la chaîne M6 Cristina Cordula en use-t-elle à tous vents dans ses émissions de relooking, notamment son fameux « Magnifaïque ! ». Depuis, d’autres animateurs d’émissions similaires apparues plus tard ont repris cette exclamation prononcée à l’anglaise, comme s’ils s’accaparaient une marque de fabrique selon eux gage de bon goût, de qualité, voire de succès. De même, des internautes sur Facebook écrivent « Magnifak ! » (sic) en réaction à des photos d’amies habillées et maquillées pour des sorties. L’écrit mime quelque peu la prononciation. Le motif d’un tel emploi n’est pas anodin : l’énonciateur souhaite mettre l’accent sur la transformation physique qu’il remarque. On retrouve certains caractères du buzzword, à savoir l’effet produit par une nouveauté sensationnelle (une transformation physique réussie) assorti à l’impression de nouveauté perçue à travers la consonance de la lexie elle-même à l’origine superlative.

En somme, la néologicité est présente dans ce qui est véhiculé par ces lexies, et ce quelle que soit leur adaptation. Si le sentiment néologique est variable, comme le souligne Sablayrolles [2000 : 182], « rien n’indique que la durée néologique soit identique pour tous les néologismes », donc soumis au temps et à l’appréciation des locuteurs, les buzzwords d’origine anglaise accomplissent néanmoins la prouesse de toujours se renouveler au fil des années et de toujours s’adapter dans la langue française. Les motifs qui sous-tendent ces adaptations sont à chaque fois d’ordre discursif : l’énonciateur opère un choix particulier en fonction du contexte lorsqu’il emploie des buzzwords d’origine anglaise. Les buzzwords d’origine anglaise traduisent l’expression d’une idée de succès censé entourer la notion dont il est question. Nous remarquons l’effet ajouté à travers le buzzword, comme s’il s’agissait de grossir le trait exprimé. Nous pouvons alors parler d’emphase ou de mise en relief dans le discours. La néologicité des buzzwords d’origine anglaise ne demeure donc pas seulement au niveau des adaptations dans la langue : elle se situe surtout au niveau du discours. En conséquence, nous pouvons nous interroger sur les rôles des buzzwords d’origine anglaise dans les pratiques langagières.

3. Buzzwords d’origine anglaise et pratiques langagières

Quels sont les rôles des buzzwords d’origine anglaise dans les pratiques langagières en France ? Peut-on parler d’évolution ? Par pratiques langagières, nous désignons des activités langagières ancrées dans des situations d’énonciation socialement déterminées. Nous nous référons notamment à la définition de Boutet [1994 : 61-62] qui mobilise les notions de pratiques et de formation langagières pour étudier la construction sociale du sens :

[L]a notion de pratiques langagières renvoie au fait que toute activité de langage est en interaction permanente avec les situations sociales au sein desquelles elle est produite […] la notion de pratiques langagières implique que celles-ci sont à la fois déterminées par les situations sociales, et qu’elles y produisent des effets.

Boutet ajoute plus loin que « les pratiques langagières ne sont pas seulement sous la dépendance de facteurs externes, elles sont un agent actif de l’élaboration des situations et elles y produisent des effets en retour » [1994 : 63]. Les pratiques langagières sont par conséquent des pratiques sociales qui produisent des effets sur le social. Elles diffèrent en fonction des situations d’interaction et du contexte social où l’interaction a lieu. De Weck [2003 : 26] écrit à ce sujet :

Les interlocuteurs en présence y prennent chacun une place énonciative qui peut être négociée, et qui peut varier aussi bien d’une interaction à l’autre qu’au cours d’une même interaction. Ces variations dépendent de facteurs externes et internes à l’interaction (pour une synthèse, voir Kerbrat-Orecchioni, 1992). En d’autres termes, chaque fois qu’un locuteur prend la parole (ou écrit), il réalise seul ou avec d’autres co-producteurs une pratique langagière, dans la mesure où cette parole s’inscrit toujours dans un contexte socio-interactif.

Les buzzwords d’origine anglaise s’inscrivent dans le cadre des pratiques langagières, car ils apparaissent dans des situations d’interactions sociales précises et ils produisent des effets dans le discours et sur les interlocuteurs. Les buzzwords d’origine anglaise sont des anglicismes dont le but est d’amplifier, du moins nécessairement de modifier le contenu du discours et d’interpeller les destinataires dans des contextes particuliers. Par ailleurs, ils véhiculent toujours un certain degré d’appréciation ou de valeur de la notion ou de la situation désignée (story et success story, bad buzz, fake news, fail…). Aussi, ce sont des éléments empruntés à l’étranger comportant des traits sémantiques spécifiques caractérisés par un sentiment de nouveauté qui ne dure qu’un temps, ce qui relève de la néologicité. La caractéristique essentielle en discours des buzzwords d’origine anglaise réside dans la mise en relief – voire le succès – de la notion qu’ils désignent. L’étude de leurs fonctions pragmatiques va nous permettre de mieux comprendre l’importance de cette mise en relief, ou emphase, dans les pratiques langagières. Les fonctions pragmatiques des buzzwords d’origine anglaise sont en effet l’application directe en contexte d’énonciation de leurs adaptations. Nous nous référons à la notion de fonction pragmatique telle que la conçoivent Austin [1962] et Benveniste [1966, 1974]. La fonction pragmatique révèle la dimension intersubjective de l’échange et le caractère intentionnel et performatif du message. Elle réside dans le rapport qu’entretient l’énoncé avec le contexte de son énonciation. On peut établir deux grandes fonctions pragmatiques, elles-mêmes contenant divers degrés de polarisation de l’énoncé vers l’une ou l’autre : la fonction pragmatique impressive, dans laquelle on va chercher à induire un comportement du destinataire, et la fonction pragmatique expressive, dans laquelle on va exprimer son ressenti.

3.1. Fonctions pragmatiques des buzzwords d’origine anglaise

La première fonction des buzzwords d’origine anglaise consiste à impressionner les destinataires, ce qui est cohérent avec le fait qu’ils sont censés produire de l’effet. Certains buzzwords sont utilisés à des fins commerciales, pour attirer l’attention et faire vendre quelque chose. Il y a par exemple light dans la dénomination et les publicités de la marque Coca Cola pour le produit Coca Cola Light (Diet Coke en anglais). Coca Cola Light a été importé en France en 1988, suite à la prise de conscience des boissons trop sucrées et du risque pour la ligne, et à terme pour la santé. En outre, light est plus facilement vendable en français que diet/diète qui peut contenir une connotation péjorative (privation, régime draconien). Light est donc gage à la fois de plaisir et de bonne santé. On fait croire au consommateur qu’il peut se diriger sereinement vers ce produit. Citons aussi must et number one, en vogue notamment dans les années 1980, pour parler du succès de certains tubes et de leurs chanteurs. Ainsi Marc Toesca dans le Top 30 1987 : « cette semaine consacrée exclusivement au must de l’année 1987 » ; « [Michael Jackson] va conserver cette place de number one pendant un mois et demi ». Outre le fait de vouloir paraître cool (pour rester dans un registre similaire), l’animateur fait plus ou moins consciemment passer le message suivant : son émission garantit que ces chansons et ces interprètes sont les meilleurs du moment, ils sont par conséquent incontournables, il faut acheter les disques, et bien sûr continuer de suivre le Top 30 et le Top 50 pour être toujours au courant. Dans Le Mad Mag sur NRJ12 (depuis 2011), quotidienne très suivie par les adolescents et jeunes adultes fans des people et friands d’humour potache, les chroniqueurs issus de la téléréalité se distinguent par leur langage à la pointe de la mode (MILF, punchline, « c’est mad », etc.). Plusieurs années après Marc Toesca, le principe est plus ou moins le même : des animateurs jeunes, célèbres dans le monde de la télévision, adoptent un vocabulaire branché et marquant de par ses consonances étrangères et l’aspect sensationnel qui en transparaît. L’objectif sous-jacent est d’inciter le public à consommer leurs infos et les produits liés aux thèmes de la chronique (vidéos sur Youtube, likes sur Instagram et Facebook, etc.) afin de toujours rester à la page. En anglais, on serait proche des slogans publicitaires caractérisés par des catchphrases, c’est-à-dire des expressions faites pour capter l’attention. Il s’agit d’un concept toutefois très large ; on n’en retiendra ici que le côté captivant.

L’emploi de buzzwords d’origine anglaise, de par la nouveauté et le succès qu’ils portent en eux, influence le destinataire du message et le pousse à réagir en consommant le produit, quelle que soit la forme de consommation (acheter le produit, suivre l’émission…). La consommation ne se limite pas seulement à l’achat d’un objet ou à l’abonnement sur un site – c’est-à-dire, à une consommation d’ordre matériel. La consommation peut prendre une forme plus abstraite, linguistique : les destinataires de ces messages adoptent en retour le même langage, prenant pour modèles les énonciateurs qu’ils considèrent comme les garants de la valeur des messages. Cela ne signifie pas nécessairement que les destinataires comprennent le sens exact des mots qu’ils entendent ou lisent : ce qui compte, c’est le statut d’énonciateur dans la situation d’énonciation. Les énonciateurs se situent dès lors dans une position légitime de force aux yeux des destinataires. Ebel et Fiala [1983 : 262] mentionnent les rapports de force qui sous-tendent les pratiques langagières à l’oral et à l’écrit, comme le montre leur étude des discours produits dans la presse suisse à l’occasion d’un référendum :

Rappelons que les pratiques langagières non seulement portent traces ou reflètent les rapports de force existant dans une société, mais qu’elles instaurent des rapports de force. Le fonctionnement du discours de la presse nous paraît à cet égard exemplaire : dans un journal la parole est distribuée à des locuteurs représentatifs à un titre ou à un autre (ces prises de parole reflètent les rapports de force existants) ; en outre, par le type de cautions sociales qu’il recherche, le discours de la presse consolide les rapports de force existants.

L’exemple de la presse comme celui des publicités et des émissions de télévision démontrent la légitimation des énonciateurs à travers leurs discours. En conséquence, les destinataires sont influencés et chercheront à s’identifier à ces modèles. Le locuteur projette une certaine image de lui en utilisant ce vocabulaire ; cependant cette image, comme l’explique Amossy [2010 : 156], « n’est pas seulement la sienne, mais aussi celle du groupe auquel il appartient ». Ainsi, employer des buzzwords d’origine anglaise revient à utiliser un code linguistique commun à un groupe auquel on souhaite être associé. Dès les années 1950, les buzzwords d’origine anglaise étaient utilisés comme des marqueurs d’influence et, corollairement, comme des signes identitaires d’appartenance à un groupe. Prenons le premier film publicitaire de la marque française (au nom américain) Hollywood Chewing Gum en 1958 :

Trois films, « la fête foraine », « l’auto-stoppeuse » et « la surprise-partie » mettent en scène des jeunes qui ont, pour tout mot de passe, « Hello » et comme seul signe de reconnaissance une tablette de chewing-gum Hollywood. [Watin-Augouard : 1997]

La communication, tout comme l’admission au sein du groupe, n’est possible qu’avec ces signes distinctifs : une salutation anglo-américaine et une tablette de chewing-gum, produit originellement américain. Hello est ici un mot de code véhiculant le rêve américain qui émerveillait les jeunes de l’époque22. Aussi la signification linguistique du buzzword se double-t-elle d’une dimension sémiotique – en plus de la dimension symbolique du buzzword déjà évoquée : ce qui importe, c’est le signe auquel le buzzword est rattaché, fondé sur l’apparence (sonore et/ou visuelle) et non forcément sur la consistance.

On trouve des fonctions pragmatiques similaires dans des énoncés où les locuteurs peuvent émettre des encouragements, des critiques positives et négatives, ou encore des demandes. La volonté d’influencer le destinataire du message est toujours présente. On peut lire le commentaire « big up à mon pays » sur le mur Facebook de la chaîne d’informations Guyane 1ère en avril 2017, en guise d’encouragement aux mouvements sociaux de mars et d’avril de la même année. La personne qui a posté ce message manifeste son soutien personnel et appelle, au travers de big up, à défendre le mouvement – nous remarquons d’ailleurs l’emploi affectif de « mon pays » pour parler de la Guyane –, ce qui concourt à renchérir l’énoncé en lui donnant une dimension communautaire symbolique. Une internaute critique vigoureusement la youtubeuse EnjoyPhoenix en écrivant « t’es un fake », dans un commentaire de vlog en avril 2016. Le caractère agressif de cette critique est renforcé par le recours à fake qui est connoté négativement : fake fait plus mal que « escroc » ou « charlatan », de par sa brièveté, sa sonorité percutante et surtout le trait sémantique renforcé de la triche et de l’artificialité qu’on perçoit d’ailleurs dans fake news mentionné dans la première section. Depuis les années 2010, sur les réseaux sociaux, on observe un emploi particulier de please pour marquer une insistance supplémentaire par rapport au français « s’il te plaît / s’il vous plaît ». Par exemple, « Please commentaire » constitue en seulement deux mots la demande écrite d’une blogueuse à ses abonnés sur YouTube le 26 avril 2016, parce qu’il s’agit de la première fois qu’elle fait une vidéo. L’énonciatrice cherche ainsi à attendrir son public, tout en étant péremptoire de par la brièveté de son message et le recours à please, plus percutant que « s’il vous plaît ». Parallèlement, la jeune fille affiche un mot d’origine anglaise très répandu dans les réseaux sociaux français : non seulement elle emploie, sans doute inconsciemment, un buzzword en espérant elle-même faire le buzz avec sa première vidéo, mais aussi elle montre qu’elle utilise un code linguistique partagé sur les réseaux sociaux, ce qui l’intègre d’une certaine façon à la communauté des vidéastes sur le net.

L’autre fonction pragmatique des buzzwords d’origine anglaise se trouve dans l’expression de ses sentiments ou de son humeur. L’énonciateur a besoin d’exprimer son ressenti par rapport à quelque chose et le fait au travers d’un buzzword d’origine anglaise : ainsi, l’émoi d’une passante lorsqu’elle voit Tom Cruise à Paris sur le tournage du dernier Mission Impossible : « Oh my God ! » (répété plus d’une fois), dans un reportage de France 24 du 6 mai 2017. « Oh my God ! » tend à supplanter « Oh mon Dieu ! » chez les jeunes adultes, les adolescents et les enfants ; il s’agit d’une exclamation exprimant une très vive surprise (bonne comme mauvaise), voire un choc. Ici, c’est la vive émotion de l’énonciatrice qui ressort – vive émotion causée par la surprise de voir Tom Cruise dans la rue où elle passe tous les jours. La raison inconsciente de cette exclamation d’origine anglaise dans ce contexte se situe peut-être aussi dans le côté glamour et people d’Hollywood représenté par le célèbre acteur. Lorsqu’un candidat des Princes de l’Amour sur W9 s’exclame en février 2017 : « C’est difficult de la séduire », il insiste en réalité sur l’inaccessibilité de la belle qu’il convoite. Dire difficult plutôt que « difficile » matérialise davantage le désarroi que ce candidat éprouve. L’amour qu’une marraine a mis dans un cadeau confectionné par ses soins se manifeste dans le commentaire « dedans y a tout mon love » (sic, publié sur Facebook le 06/05/2017). Exprimer tout son love plutôt que tout son amour comporte peut-être une valeur à la fois plus actuelle (la couture d’accessoires est une tendance chez les jeunes mamans) et plus symbolique pour cette marraine qui a pris le temps de fabriquer le cadeau pour sa filleule. Un électeur affiche son sarcasme suite à la piètre prestation d’une candidate dans un débat présidentiel : « Pour moi elle s’est loosé et en beauté ! » (sic, commentaire Facebook publié le 04/05/2017). La lose, dans le langage familier (mot entré dans le dictionnaire en 2018), c’est l’échec soit provoqué par malchance, soit provoqué par sa propre volonté – un mauvais calcul stratégique par exemple –, ce qui est le cas dans ce à quoi réfère l’internaute qui en a dérivé un verbe pronominal du même type que « se planter ». « Elle s’est loosé » est plus fort toutefois que « elle s’est plantée » : le trait sémantique d’être minable, également associé à la lose, se révèle également. Dans cet exemple, on pourrait aussi s’interroger sur le statut de néologisme occasionnel de loosé. L’orthographe a été adaptée selon la représentation graphique « oo » que le français se fait du son « ou » en anglais. Notons enfin que dans un contexte écrit, n’importe lequel de ces buzzwords peut être suivi d’émoticônes ou emojis qui serviraient à retranscrire de façon picturale (donc visible) l’humeur de l’énonciateur (des cœurs, des visages souriants, joyeux, tristes, colériques, etc.). On retrouve ainsi une dimension sémiotique associée au buzzword.

À mi-chemin entre la fonction pragmatique impressive et la fonction pragmatique expressive, il y a ce que nous pourrions appeler la fonction phatique des buzzwords d’origine anglaise. Certains d’entre eux peuvent en effet servir à établir, à maintenir ou à rompre la communication, ce qui constitue un emploi phatique. Aussi, LOL, outre l’expression d’un rire franc ou ironique, ponctue parfois un énoncé et montre ainsi à l’interlocuteur qu’on le suit. Par exemple, lors d’un échange standard sur Facebook à propos d’un projet d’excursion, on lit ceci : « Je ne pêche pas, je n’aime pas me baigner. » « Lol, effectivement. » (19/07/2016). LOL devient une sorte d’interjection pour combler un vide communicationnel tout en conservant une légère pointe d’humour. Dans cet exemple se côtoient donc à la fois la fonction phatique et la fonction expressive. Bye peut également être considéré comme un buzzword à usage phatique. Bien qu’entré dans le dictionnaire français depuis longtemps, bye est en vogue de nos jours pour interrompre un contact jugé déplaisant : « Va te plaindre ailleurs. Bye. » (Facebook, 18/12/2015) ; « Quand on est marié on ne sort pas ce genre de discours. Je vais prévenir [ta femme]. Bye » (Facebook, 15/04/2017). En août 2017, nous avons eu l’occasion d’entendre un jeune enseignant raconter qu’il s’était étonné qu’une de ses amies se vexe après lui avoir écrit « Bye » dans une conversation sur un réseau social. Le trentenaire ignorait cette nouvelle utilisation de bye dans la communication. C’est après avoir repris contact avec son amie que celle-ci lui a expliqué qu’effectivement, dire bye aujourd’hui pour clore une conversation équivaut à exprimer un désagrément et à couper net le contact. L’exemple de bye relève à la fois de la fonction phatique (couper l’interaction), de la fonction expressive (manifester sa contrariété) et de la fonction impressive (faire comprendre à son interlocuteur qu’il a dépassé les limites). Aussi, dans le cadre de la fonction phatique des buzzwords d’origine anglaise, il ne s’agit pas seulement de gérer l’interaction avec l’interlocuteur : il s’agit aussi d’émettre un commentaire, d’exprimer son ressenti, ou d’influencer son interlocuteur, même si cela ne transparaît parfois que légèrement.

Au travers de ces fonctions pragmatiques ressort systématiquement l’emphase typique du buzzword, tantôt injonctive, tantôt émotive. Les lexies ainsi issues ou inspirées de l’anglais se chargent de nouveaux traits en discours, traits qui ont la particularité d’amplifier, voire d’exagérer. Il arrive alors que l’on s’amuse des buzzwords d’origine anglaise et autres manières de s’exprimer à la mode. L’émission humoristique littéraire Les Boloss des Belles Lettres, elle-même dérivée du blog éponyme de Quentin Leclerc et Michel Pimpant, caricature les façons de parler des jeunes d’aujourd’hui. L’acteur Jean Rochefort résume de façon décalée des chefs-d’œuvre de la littérature, ce qui donne par exemple : « Madame Bovary kiffe le swag » ; « Dracula, enfin un ptit bouquin bien dark » ; « Un freestyle ouf dingo qui enchaîne punchline sur punchline, résultat : gros buzz ! » (parodie de la tirade de Cyrano de Bergerac). Bien qu’il s’agisse là de traits d’humour, ces énoncés sont révélateurs de changements qu’induisent les buzzwords d’origine anglaise dans la langue française.

3.2. Vers une évolution de la communication ?

Dans Les néologismes, Pruvost et Sablayrolles [2012] rappellent le rôle social de la langue et la nécessité pour celle-ci d’évoluer avec son temps. Dans cette perspective, la langue doit être « conçue pour engendrer des néologismes » [Pruvost & Sablayrolles 2012 : 10]. Elle peut donc soit générer le nouveau lexique en s’appuyant sur ses propres bases, soit emprunter à une autre langue. À l’heure de la mondialisation où l’anglais domine comme langue d’échange entre divers milieux, la prolifération de termes d’origine anglaise dans la langue française n’est alors guère étonnante :

Par essence, dès que plusieurs langues sont en contact, en même temps que s’échangent des produits et des idées, un certain nombre de mots qui les accompagnent s’installent avec plus ou moins de force, de fascination ou de dépréciation. [Pruvost & Sablayrolles 2012 : 12]

La diffusion discursive des buzzwords d’origine anglaise est donc plus ou moins liée aux contacts entre les langues – l’anglais et le français – et aux contacts entre les concepts et produits qui franchissent de nos jours aisément les frontières – le binge watching, les likes, les affaires scandaleuses évoquant le Watergate (Penelopegate), etc. D’une certaine manière, on peut parler d’une évolution des pratiques langagières qui suit les mouvements de la société. Ensuite, tout dépend de la pérennisation de ces buzzwords : évoluent-ils vers des lexèmes intégrés à la langue française, et sont-ils alors menacés de passer de mode ? Pour certains, c’est le cas : hello, intégré dans le dictionnaire, devient une salutation usuelle entre amis ou collègues entretenant des relations cordiales. Cela rejoint ce qu’écrit Mortureux [2011 : 20] :

Le parcours de l’innovation entre l’hapax initial (qui, dans la plupart des discours, passe pour un effet stylistique) et la lexicalisation commence par la diffusion discursive du néologisme et s’achève par son inscription dans les dictionnaires de langue de référence.
La lexicalisation apparaît dans la synthèse qu’I. Tamba-Mecz (1988) a consacrée à La sémantique. Esquissant « une élaboration graduelle des structures signifiantes », elle distingue :
« 1) la désignation « in situ », [...] indétachable de relations vécues et dite désignation « floue » [...] 2) la lexicalisation qui permet de détacher les dénominations de leur emploi appellatif et de les mémoriser comme signes lexicaux, intégrés dans des systèmes de relations qui définissent oppositivement leurs signifiés. » (Tamba-Mecz, 1988 : 78)
Schéma qui s’applique parfaitement à l’évolution du néologisme au lexème.

En adoptant ce raisonnement, les buzzwords d’origine anglaise en seraient au stade de la « désignation in situ » : une désignation « floue », « indétachable » de son contexte. Cela corrobore l’idée de flou sémantique qui constitue l’un des traits sémantiques du buzzword : la signification peut être nébuleuse pour le sujet interprétant, et le concept lui-même peut être nébuleux car dépendant des circonstances du moment. Un buzzword qui s’est lexicalisé serait quant à lui intégré, donc parfaitement clair car indépendant de tout contexte pour être compris et réutilisé. Si les buzzwords d’origine anglaise entrent dans le dictionnaire, cela signifie-t-il pour autant qu’ils ne sont plus des buzzwords ? Nous ne le croyons pas, du moins partiellement, comme en témoignent l’usage actuel de bye, le caractère toujours aussi sensationnel d’une success story, ou encore les bad buzz et autres gros buzz qui ne cessent d’alimenter les médias populaires (buzz a fait son entrée dans le dictionnaire en 2010). Un autre exemple qui nous confirme qu’un buzzword d’origine anglaise peut toujours être un buzzword malgré sa lexicalisation est celui de low cost. Entré dans le dictionnaire en 2014, low cost (né dans les années 2000) est un nom qui désigne une stratégie commerciale consistant à proposer un produit ou un service à un prix inférieur à la norme. Low cost est essentiellement associé aux compagnies aériennes à bas coût. Cette expression a fait le buzz dans les années 2000, car le concept était nouveau et novateur – nous remarquons au passage la présence d’un adjectif de mesure ou d’appréciation (low). Cependant, depuis 2015 et la multiplication des attentats terroristes en Occident, on observe un nouvel usage de low cost : le terrorisme low cost, c’est-à-dire une forme de terrorisme qui emploie peu d’individus et utilise peu de moyens pour perpétrer ses méfaits. Nous ne notons aucune occurrence avant mai 2015 de l’expression terrorisme low cost dans les journaux Le Monde, Le Figaro, Libération et 20 Minutes archivés dans Europresse. L’expression surgit dans les médias au moment où un attentat de ce type se produit. Elle est donc « indétachable » de son contexte et, si l’on peut dire, au début de son cheminement vers une nouvelle acception de low cost. Ici, low cost perd sa valeur financière mais conserve deux traits majeurs qui font le succès de low cost depuis les années 2000 : le peu de moyens impliqués certes, mais pour une efficacité redoutable. Associé au terrorisme, low cost se teinte négativement. Par ailleurs, on remarque le renouvellement de certains anglicismes qui étaient à la mode à une certaine période, et qui reviennent sous d’autres formes plusieurs années après. Par exemple, fashion a été popularisé dans les années 1960-1970 dans le domaine de la mode avec notamment les magazines Vogue et Depeche Mode – on songe à fashion victim. De nos jours, fashion se présente sous d’autres formes comme fashion addict. Avec l’explosion des addictions en tous genres depuis les années 2000, il n’est guère étonnant de trouver des expressions contenant le mot addict comme dans fashion addict. Nous constatons d’ailleurs la connotation négative du nom (victim, puis addict) mais qui, associé à fashion, prend une nouvelle teinte – une personne accro à la mode –, mais pas de façon nécessairement nocive. Ainsi, un buzzword peut-il très bien se lexicaliser ou se laisser oublier quelque temps, avant de revenir avec un autre usage : cette nouvelle interprétaton concourt à lui redonner un nouveau souffle, donc à raviver son caractère néologique. Cette renaissance, comme l’apparition de tout buzzword, s’accompagne souvent de concepts différents, parfois nouveaux, du fait de l’évolution de la société.

L’évolution de la langue qui va de pair avec l’évolution de la société est cependant maintes fois pointée du doigt. En 1964, René Étiemble publie Parlez-vous franglais ? : il y dénonce le sabotage de la langue française envahie par les anglicismes. Dans le résumé présenté à la fin de son livre, Étiemble [1980] accuse la culture et les médias d’être responsables de la transformation du français en « un sabir, honteux de son illustre passé ». En 1994 et 1996, la loi Toubon impose que l’ensemble des services du pays, dont les médias et les publicités, utilisent le français ou indiquent clairement les traductions. Vingt ans plus tard, à l’automne 2016, des téléspectateurs saisissent le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel car ils estiment que la loi Toubon n’est pas respectée. Depuis, les journalistes traduisent presque systématiquement les anglicismes qu’ils utilisent : « les fake news, les balivernes ou les fausses informations » (Télématin, 20/04/2017).

Un clip vidéo promoteur de la semaine de la Francophonie 2015 (repris en 2017) tourne en dérision l’usage des buzzwords d’origine anglaise dans la langue française. Un jeune homme d’affaires est en plein date avec une jolie jeune femme. Lorsqu’il s’exprime, il émaille son discours de buzzwords d’origine anglaise : « je suis overbooké », « j’ai plus le time », « c’est no way », etc. La jeune femme est agacée par ce langage relevant d’un certain snobisme linguistique. Dans un anglais impeccable, elle invective son interlocuteur et l’enjoint à choisir entre le français ou l’anglais, avant de s’en aller sans demander son reste. Interloqué, le jeune homme qui n’a visiblement rien compris s’exclame : « What ?! ». Dépité, il conclut avec un accent bien français : « Single again ! ». La dimension phonologique est d’ailleurs tournée en ridicule par le blogueur Sebastian Marx. Ce jeune Américain a réalisé des vidéos humoristiques sur la complexité de la langue française, dont une sur les anglicismes en mai 2016. Dans cette vidéo, lorsque Sebastian Marx entend ses amis français prononcer des mots tels que hardcore, il ne comprend pas. Et lorsqu’il prononce borderline avec son accent américain, ce sont ses amis français qui ne comprennent pas. Désabusé, Sebastian Marx qualifie alors ces lexies de « bâtards mutants » !

Les buzzwords d’origine anglaise ne seraient-ils donc pas des barbarismes ? Car les employer serait en fait commettre une faute de langue. De plus, ces buzzwords seraient symptomatiques d’une invasion linguistique barbare en provenance d’outre-manche et d’outre-Atlantique. Cela est sans compter le site de l’Académie française qui affiche de façon péremptoire ce qu’il faut dire et ne pas dire en français – les anglicismes y figurent en nombre. Si l’on en croit ces points de vue, employer des buzzwords d’origine anglaise pour paraître à la mode et faire de l’esbroufe relèverait d’une anti-évolution de la langue française, voire d’une mise à mort de la langue française. Or, la peur de la mort du français ou « thanatophobie », comme dirait Calvet [2002], est présente dans les esprits. Dans l’émission à débat Flashtalk du 12 mars 2016, les journalistes posent la question : « La langue française est-elle morte ? ». Au passage, l’émission elle-même est truffée de buzzwords d’origine anglaise : « flashtalk », « hashtag », « story flash », « l’émission qui vous donne la parole en live dans les réseaux sociaux ». Les invités sont au nombre de trois : Valérie Youx, présidente de l’association française des enseignants de français, l’auteur français Jean-Loup Chiflet et l’auteur francophone turc d’origine kurde Seyhmus Dagtekin. Les avis des invités sont mitigés. Valérie Youx considère qu’emprunter à l’anglais relève d’un effet de mode pour paraître plus jeune et plus dynamique, et se refuse à dire qu’elle fait « du shopping » ou qu’elle a « un computer ». En revanche, Jean-Loup Chiflet et Seyhmus Dagtekin estiment qu’une langue vit et qu’il est normal qu’elle accueille des nouveautés ; il s’agit pour eux d’un signe d’adaptation avec son temps. Les avis du public sont quant à eux plus tranchés et reflètent quelque peu l’image de parasites linguistiques que produisent les buzzwords d’origine anglaise. Certains pensent qu’il y a appauvrissement, déperdition de la langue française, et donc de l’identité française. Un petit garçon croit même que les anglicismes qu’il entend sont « des insultes » (sic). Alors, les néologismes que sont les buzzwords d’origine anglaise représentent-ils un danger pour l’évolution de la langue française ? Une chose est sûre : ils révolutionnent la communication, car ils en bouleversent les standards et provoquent des réactions très franches entre interlocuteurs – choc, émoi, émotion, surprise, humour, ironie, colère, agacement, incompréhension –, pour n’en citer que quelques-unes. Comme le déclare l’écrivain Seyhmus Dagtekin en conclusion du débat, « [n]ous sommes des êtres en devenir, et la langue elle-même est en devenir ». En conséquence, il faut savoir parfois accepter l’évolution, ou du moins l’analyser pour mieux la comprendre.

Conclusion

Le buzzword est un concept à multiples facettes, ce qui rend sa définition instable et mouvante, dépendante des circonstances. Les adaptations des buzzwords d’origine anglaise dans la langue française ne peuvent en effet se concevoir hors discours. La considération de leurs rôles dans les pratiques langagières est donc nécessaire. Aussi, les buzzwords d’origine anglaise sont certes les reflets de modes peut-être vaniteuses, mais des indicateurs pertinents de changements en matière de communication. Les buzzwords d’origine anglaise seraient, pour reprendre un propos de Marcellesi [1974 : 100], des « [j]eux de langage certes, mais des jeux non gratuits ». Leur usage particulier, plus ou moins conscient, révèle une pertinence réelle, à la fois lexicale, sémantique, morphosémantique, phraséologique, pragmatique, sémiotique et symbolique, dans un monde où la communication s’accélère, où les frontières s’effacent et où les échanges deviennent plus brefs et plus percutants. Les buzzwords d’origine anglaise ne sont donc pas de simples anglicismes : ce sont des artefacts qui modifient le discours, qui apportent de nouvelles teintes aux référents, des teintes réparties sur une échelle de polarité, par conséquent variables. La variabilité d’appréciation que véhiculent les buzzwords leur confère leur caractère néologique : de leur interprétation et de leur succès conséquent découle leur statut même de buzzword. Dès lors, ce ne sont pas non plus de véritables néologismes : tantôt des emprunts plus ou moins directs à l’anglais, tantôt des items soit intégrés, soit oubliés mais revenant parés de nouvelles couleurs du fait de l’évolution des contextes d’interaction eux-mêmes dépendants de l’évolution de la société, les buzzwords d’origine anglaise oscillent entre néologie et sociologie. Leur étude se positionne ainsi clairement dans une perspective sociolinguistique. À notre connaissance, aucune enquête ni aucune recherche n’ont été conduites en France sur les buzzwords d’origine anglaise dans la langue française. Aussi espérons-nous que notre modeste contribution ouvre un nouvel horizon de recherches.

1 C’est Au Programme, France 2, émission du 5 avril 2017.

2 Télématin, France 2, émission du 20 avril 2017.

3 Le Mad Mag, NRJ 12, émission du 1er juillet 2016.

4 Dans l’acception du terme « langage » en tant que manière de parler, de s’exprimer.

5 À partir d’Europresse, nous avons examiné trois grands journaux nationaux (Le Monde, Le Figaro et Libération). Dès les années 1990, le terme buzz

6 Les étudiants qui ont forgé le néologisme buzzword et les mots qui s’en sont suivis pour leurs cours d’université l’ont fait dans une démarche

7 Buzzword s’écrit en un seul mot en anglais depuis son attestation dans les dictionnaires anglophones dans les années 1960. Cependant, on le trouve

8 D’après le site www.dictionary.com

9 Définition établie à partir du dictionnaire en ligne Larousse.

10 Nous notons plusieurs occurrences dans les tirages de l’époque du magazine jeunesse très populaire Salut Les Copains.

11 Le Larousse en ligne donne les définitions suivantes pour le mot « jargon ». La première, en langage courant, mentionne le vocabulaire propre à une

12 Commentaires YouTube associés à un vlog de la youtubeuse EnjoyPhoenix en avril 2016. EnjoyPhoenix est une jeune blogueuse et vidéaste française qui

13 DIY est un sigle anglais pour Do It Yourself, signifiant tout ce qui a trait au bricolage. Par extension, il s’agit des trucs et astuces pour

14 Extrait du cours « Anglicismes intégraux, hybrides, sémantiques, morphologiques, phraséologiques et syntaxiques » (https://cours.etsmtl.ca/seg/

15 Ce mot est français mais prononcé avec la diphtongue du « i » à l’anglaise, ce qui pourrait en faire une sorte d’anglicisme phonétique. Nous

16 Ce classement s’inspire du dictionnaire canadien Colpron.

17 En anglais, vegan relève de l’économie linguistique : il résulte de la syncope de vegetarian. Le français propose l’adaptation graphique française

18 Une étude menée par Facebook en 2015, et relatée dans un article du New Yorker, indique que LOL aux États-Unis se fait nettement supplanter par « 

19 En consultant quelques stories de nos amis sur Facebook, nous nous sommes aperçue qu’il s’agissait en fait de partages de manifestations

20 C’est sans doute pour cela que success-story (avec trait d’union) apparaît dans le Larousse en ligne.

21 Un parallèle pourrait être effectué avec la métaphore française bien ancrée du rire contagieux.

22 Watin-Augouard [2010] ajoute que « Le rêve américain se traduit même dans l’orthographe du mot ‘chlorophyll’ écrit sans ‘e’ jusqu'en 1984 ».

Bibliography

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Wikipédia, L’encyclopédie libre, définition en français de « buzzword ». Page consultée sur :
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Références audiovisuelles

C’est Au Programme, émission sur France 2 du 5 avril 2017.

C’est Au Programme, émission sur France 2 du 2 mai 2017.

Capital, émission sur M6 du 12février 2017.

Flashtalk, émission sur France Ô et LCP du 12 mars 2016.

France 2, chaîne télévisée tous publics suivie quotidiennement.

France 24, chaîne d’informations télévisée suivie quotidiennement.

Le Mad Mag, émission sur NRJ12 du 1er juillet 2016. Visionnée sur :
http://www.nrj12.fr/le-mad-mag-4990/

Les Boloss des Belles Lettres, chaîne Youtube créée en octobre 2016. Visionnée le 08/11/2016 sur Youtube :
https://www.youtube.com/channel/UC32vOdZp-NN4eZZhJrUNR6w

Les Princes de l’Amour 4, émission de téléréalité sur W9, février 2017.

Télématin, émission sur France 2 du 20 avril 2017.

The Voice, saison 6, émission sur TF1 diffusée du 18 février au 10 juin 2017.

Top 50, émission présentée par Marc Toesca sur Canal + diffusée de 1984 à 1993 : échantillons visionnés sur Youtube :

TV5 Monde, « Journée de la langue française dans les médias « Dites-le en français » : les anglicismes », 12 mars 2015.

Notes

1 C’est Au Programme, France 2, émission du 5 avril 2017.

2 Télématin, France 2, émission du 20 avril 2017.

3 Le Mad Mag, NRJ 12, émission du 1er juillet 2016.

4 Dans l’acception du terme « langage » en tant que manière de parler, de s’exprimer.

5 À partir d’Europresse, nous avons examiné trois grands journaux nationaux (Le Monde, Le Figaro et Libération). Dès les années 1990, le terme buzz faisait son apparition avec des significations ayant trait au bouche à oreille et à la sensation, et l’expression « créer le buzz » commençait à être utilisée (plus de 60 articles). À partir des années 2000, la percée de buzz et de « créer / faire le buzz » est très nette (plus de mille articles entre 2000 et 2010).

6 Les étudiants qui ont forgé le néologisme buzzword et les mots qui s’en sont suivis pour leurs cours d’université l’ont fait dans une démarche consciente et volontaire. Cependant, cela ne signifie pas que tous les buzzwords créés et employés depuis le sont systématiquement de façon consciente et volontaire.

7 Buzzword s’écrit en un seul mot en anglais depuis son attestation dans les dictionnaires anglophones dans les années 1960. Cependant, on le trouve parfois en deux mots distincts, notamment lors de son repérage en 1946 par Hallgren et Weiss.

8 D’après le site www.dictionary.com

9 Définition établie à partir du dictionnaire en ligne Larousse.

10 Nous notons plusieurs occurrences dans les tirages de l’époque du magazine jeunesse très populaire Salut Les Copains.

11 Le Larousse en ligne donne les définitions suivantes pour le mot « jargon ». La première, en langage courant, mentionne le vocabulaire propre à une discipline, généralement inconnu du profane. Les deux autres définitions rangent le mot « jargon » dans le registre familier. Il s’agit soit d’un langage incorrect employé de façon approximative, soit une langue que l’on ne comprend pas. De façon intéressante, les synonymes proposés sont « baragouin » et « charabia ».

12 Commentaires YouTube associés à un vlog de la youtubeuse EnjoyPhoenix en avril 2016. EnjoyPhoenix est une jeune blogueuse et vidéaste française qui traite de sujets de mode, beauté et lifestyle. Sa chaîne YouTube compte plus de deux millions d’abonnés en 2016 – principalement des jeunes filles.

13 DIY est un sigle anglais pour Do It Yourself, signifiant tout ce qui a trait au bricolage. Par extension, il s’agit des trucs et astuces pour bricoler chez soi, customiser ses affaires ou encore se débrouiller avec peu de moyens.

14 Extrait du cours « Anglicismes intégraux, hybrides, sémantiques, morphologiques, phraséologiques et syntaxiques » (https://cours.etsmtl.ca/seg/amfortin/com110/Documents/ANGLICISME.pdf).

15 Ce mot est français mais prononcé avec la diphtongue du « i » à l’anglaise, ce qui pourrait en faire une sorte d’anglicisme phonétique. Nous reviendrons sur ce cas en section 2.

16 Ce classement s’inspire du dictionnaire canadien Colpron.

17 En anglais, vegan relève de l’économie linguistique : il résulte de la syncope de vegetarian. Le français propose l’adaptation graphique française « végane » pour désigner la personne qui embrasse ce mode de vie.

18 Une étude menée par Facebook en 2015, et relatée dans un article du New Yorker, indique que LOL aux États-Unis se fait nettement supplanter par « haha » (51 % des internautes sur la période de référence contre seulement 1,9 % pour LOL). De même, cette étude affirme que les adolescents sont beaucoup plus enclins à utiliser des emojis, tandis que les adultes entre 25 et 40 ans emploient LOL ou d’autres expressions en toutes lettres.

19 En consultant quelques stories de nos amis sur Facebook, nous nous sommes aperçue qu’il s’agissait en fait de partages de manifestations culturelles à venir, de vidéos de matchs de football prises par eux, ou encore de modifications de statuts. En les mettant ainsi en exergue, le réseau social présente ces publications qui pourraient tout aussi bien apparaître sur le fil d’actualité comme étant des événements.

20 C’est sans doute pour cela que success-story (avec trait d’union) apparaît dans le Larousse en ligne.

21 Un parallèle pourrait être effectué avec la métaphore française bien ancrée du rire contagieux.

22 Watin-Augouard [2010] ajoute que « Le rêve américain se traduit même dans l’orthographe du mot ‘chlorophyll’ écrit sans ‘e’ jusqu'en 1984 ».

References

Electronic reference

Aliénor Jeandidier, « Les buzzwords d’origine anglaise dans la langue française : simples anglicismes ou véritables néologismes ? », ELAD-SILDA [Online], 1 | 2018, Online since 01 mai 2018, connection on 29 mars 2024. URL : https://publications-prairial.fr/elad-silda/index.php?id=303

Author

Aliénor Jeandidier

Université de Guyane, Centre d’Études Linguistiques (EA 1663), alienor.jeandidier@yahoo.fr

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