La polis grecque a longtemps été étudiée selon une vision dichotomique, ville et campagne, intérieur et extérieur. Or, cette vision est à nuancer en raison de la présence d’une zone intermédiaire, l’espace périurbain, relevée par les derniers travaux portant sur la ville1. Ce concept est le résultat de réflexions modernes à propos de la géographie contemporaine et semble correspondre à une réalité des poleis grecques. En effet, les recherches récentes ont mis en évidence le terme de proasteion (προάστειον), signifiant « devant (pro-) la ville (astu) ». Archiloque l’emploie pour la première fois au viie s. av. J.‑C. pour évoquer un faubourg en dehors des murs de Paros2. En outre, les chercheurs ont mis l’accent sur la présence de différentes activités aux abords de l’enceinte des poleis et qui semblent être volontairement situées en marge de l’astu.
La définition de cet espace est encore relativement floue, notamment en ce qui concerne son extension topographique, en raison de son polymorphisme, du manque de documentation et des conceptions différentes dont il a fait l’objet selon les époques3. Dans le contexte du monde colonial grec d’Occident, H. Tréziny le définit comme composé de l’espace suburbain – à l’extérieur de la muraille, mais proche de celle-ci – et de l’espace para-urbain – à l’intérieur des murs, mais en marge de l’habitat4. De plus, des recherches estiment que, à l’instar de l’astu et de la chôra, cet espace était délimité et loti dès la naissance de la cité5. À cette définition, il semble pertinent d’ajouter la question du littoral, élément essentiel de la vie des colonies6.
Ainsi, en l’état des recherches actuelles, ce sont les activités présentes au sein de cet espace, considérées comme périurbaines, qui nous permettent de le comprendre, mais aussi de le délimiter. Les nécropoles rentrent toujours dans la problématique de l’espace périurbain dans la mesure où le monde des morts est rejeté en dehors des murs. En outre, les nécropoles les plus lointaines ont pu servir de marqueur de limite entre proasteion et chôra. Les sanctuaires périurbains peuvent également assurer ce rôle7. Ils honorent des divinités chtoniennes, principalement Perséphone et Déméter, des divinités protectrices, Héra, Artémis et Asklépios, ou encore des divinités liées au monde de l’agriculture8. Les ports, éléments indispensables de la vie des colonies, sont situés la plupart du temps extra-muros. J. Vélissaropoulos explique ce rejet par le fait que le port et l’emporion impliquent des contacts avec des populations extérieures à la cité9. Enfin, l’espace périurbain est composé de faubourgs. Malgré l’absence de documentation archéologique, notamment en ce qui concerne les habitants, il semble qu’ils peuvent présenter une différence sociale, économique ou ethnique avec l’astu. Ils peuvent également être installés à la suite d’une croissance démographique de la ville10.
Ainsi, cet espace, composé d’éléments issus à la fois du monde urbain et du monde rural, forme véritablement une transition entre ville et campagne. H. Tréziny souligne le paradoxe du proasteion, vu comme un espace d’exclusion et d’expansion de l’astu11. De fait, sa prise en compte permet une meilleure compréhension de l’organisation et du fonctionnement de la polis grecque dans son ensemble. L’étude du proasteion invite donc à repenser la polis comme un ensemble dont les espaces ne peuvent être envisagés seuls, sans lien avec les autres.
Neapolis, la Naples antique, a été fondée à la fin du vie s. av. J.‑C. par des Cumains et les habitants de Parthénope. Elle est située dans le territoire de Cumes, près de l’ancien établissement cumain de Parthénope, appelé Paleopolis à la fondation de Neapolis (fig. 1). À la fin du viiie s. av. J.‑C., Cumes a implanté divers epineia à l’emplacement de Misène, de Pouzzoles et de Naples, où il prend le nom de Parthénope-Paleopolis12. Ces établissements lui permettaient de posséder des ports naturels et des terres fertiles. Puis, une partie des Cumains, alliée aux habitants de Parthénope, a fondé Neapolis à la fin du vie s. av. J.‑C.13.
Neapolis est donc une colonie secondaire eubéenne, mais elle tient une place particulière dans le contexte de la colonisation eubéenne. En effet, l’implantation d’établissements secondaires eubéens, comme Parthénope-Paleopolis, Rhégion ou encore Himère, répond à une volonté de contrôle d’un vaste territoire ou du trafic maritime. En revanche, Neapolis a été fondée à l’intérieur de la chôra de sa métropole après la fuite des aristocrates14. Alors que Parthénope-Paleopolis est un simple epineion, Neapolis, elle, est une véritable polis structurée sur le plan institutionnel et matériel15. Les nouvelles données sur la Neapolis grecque16 et la prise en compte de l’espace périurbain17 invitent à revoir l’articulation et le fonctionnement de la polis afin de proposer une relecture de Neapolis.
Nouvelles données historiques et archéologiques sur Neapolis
Traditionnellement, l’historiographie a placé la fondation de Neapolis en 470 av. J.‑C. Cette date correspond d’une part à la reprise de puissance de Cumes en Campanie après sa victoire sur les Étrusques en 474 av. J.‑C., grâce à l’aide de Hiéron de Syracuse. D’autre part, elle s’appuie sur les données de la nécropole de Castel Capuano, la plus ancienne de la ville, et sur les premières émissions monétaires18. Cependant, les fouilles menées par la Surintendance de Naples depuis les années 1990 sur la muraille et pour la Metropolitana ont permis de revoir la chronologie de Parthénope-Paleopolis et de Neapolis19.
D. Giampaola a récemment réexaminé un dépôt de matériel mis au jour à la fin du xixe s. au vico Pallotino dans l’habitat de Parthénope-Paleopolis. Il documente deux phases qui ne sont pas présentes dans la nécropole de via Nicotera20. La première phase correspond à l’origine de l’établissement et est à situer entre la fin du viiie et le début du viie s. av. J.‑C. La seconde phase s’inscrit entre la seconde moitié du vie et le début du ve s. av. J.‑C. Cette période marque une continuité avec la fondation de Neapolis. En effet, l’emplekton de diverses parties de la muraille de la polis a révélé du matériel daté de la seconde moitié du vie et du début du ve s. av. J.‑C.21. Ainsi, la phase tardo-archaïque à Parthénope-Paleopolis, comme sur le plateau de Neapolis, ne correspond pas à une activité du territoire de Parthénope-Paleopolis, mais à l’arrivée des fondateurs de la nouvelle polis22.
Les données historiques corroborent les données archéologiques. Après la première bataille de Cumes contre les Étrusques en 524 av. J.‑C. et le siège d’Aricie par les Étrusques en 504 av. J.‑C., Aristodème est devenu le tyran de Cumes, rompant avec la tradition des rapports oligarchiques en place auparavant. Selon Denys d’Halicarnasse, Aristodème faisait exécuter ses opposants politiques, les aristocrates, qui auraient ainsi fui leur cité et se seraient réfugiés à Capoue23. Aucune source ne mentionne un quelconque déplacement à Parthénope-Paleopolis, mais B. D’Agostino estime que les Cumains y ont probablement trouvé refuge et qu’ils ont décidé d’y fonder une cité, Neapolis24. Cette volonté de fonder une nouvelle Cumes se traduit par la reprise de la division en phratries et la reprise des cultes poliades, Déméter et Apollon. La fondation de Neapolis aurait ainsi pris place à la fin du vie s. av. J.‑C. soit environ un demi-siècle avant la date habituellement indiquée par les traditions littéraires et historiques25.
Plus récemment, F. Longo et T. Tauro ont proposé une relecture de l’urbanisme de la ville, notamment de sa chronologie. En effet, F. Longo estime que le plan urbain a été mis en place au moment de la fondation de la cité ou peu après, soit dans le premier quart du ve s. av. J.‑C. Cette révision repose, d’une part, sur la nouvelle datation de la fondation de la cité et, d’autre part, sur une comparaison avec des cités archaïques et classiques. En effet, le plan urbain de Neapolis se rapproche bien plus de celui de Poseidonia, daté de 530‑520 av. J.‑C., que de celui de cités du milieu du ve s. av. J.‑C. comme Le Pirée à Athènes et Thourioi en Calabre26. De plus, la reconstruction d’Himère, une fondation eubéenne, accompagnée d’un réaménagement de l’urbanisme, au cours du second quart du vie s. av. J.‑C., révèle les mêmes caractéristiques urbanistiques que Poseidonia et Neapolis : la ville rénovée présente de larges plateiai, des stenopoi étroits ainsi que des insulae allongées27.
L’espace périurbain
En l’état actuel des connaissances, ce sont les activités qui définissent le proasteion de Neapolis (fig. 2). Les nécropoles urbaines sont toujours placées dans l’espace périurbain dans la mesure où les activités funéraires ne sont pas admises au sein du centre urbain28. Elles font donc partie du proasteion des cités tel qu’il est défini par les recherches actuelles29. À Neapolis, la nécropole la plus ancienne, celle de Castel Capuano, datée du second quart du ve s. av. J.‑C., est située à l’est, à l’extrémité de la via dei Tribunali, la plateia centrale de la ville. Les autres zones funéraires se développent plus tard à partir du début du ive s. av. J.‑C. Elles se situent au nord des via Carbonara-via Cirillo, à l’extrémité de la via Duomo, un des stenopoi de l’astu, et au nord-ouest de la via S. Teresa, également à l’extrémité de divers stenopoi de l’astu30. E. Gabrici considérait que cette nécropole s’est développée à la suite d’une croissance démographique31. Le dernier noyau est situé à l’emplacement de l’église de S. Domenico Maggiore, à l’ouest de la via San Biagio ai Librai, la plateia méridionale32. Enfin, quelques tombes ont été découvertes entre Neapolis et le pôle Parthénope-Paleopolis33. En particulier, les deux tombes mises au jour via S. Tommaso d’Aquino sont à relier plutôt à Parthénope-Paleopolis ou au port, selon l’hypothèse de M. Napoli34. Elles sont néanmoins liées à Neapolis par leur emplacement, près de la voie qui relie les deux sites.
Les activités du proasteion sont essentiellement concentrées dans les parties sud et sud-ouest de la cité où se trouvent le port et le pôle de Parthénope-Paleopolis. Le port de ce dernier, présent dans l’espace périurbain de l’établissement, était déjà situé dans la zone de piazza Municipio, comme en témoigne la découverte de matériel daté du viie s. av. J.‑C. Le port de Neapolis, ensuite, est établi à ce même endroit35.
Des ateliers artisanaux sont également implantés dans la zone sud. Les deux plus anciens connus sont situés piazza Nicola Amore, dans la partie sud en dehors de la muraille, et via Fiorentini, derrière le port. Ces deux ateliers ont produit des amphores gréco-italiques à partir du milieu du ive s. apr. J.‑C. et sont demeurés en activité jusqu’au ier s. apr. J.‑C.36 Les fouilles archéologiques ont mis au jour deux autres ateliers artisanaux, en activité à partir du iiie s. apr. J.‑C. Ils produisaient de la céramique campanienne A, une céramique à vernis noir produite uniquement à Naples37. Ces ateliers sont situés à l’intérieur des murs au vico S. Marcellino38 et près de la piazza Nicola Amore, sur le corso Umberto I39, en marge de l’habitat40. Comme les nécropoles, les ateliers sont en lien avec le réseau viaire de la ville et une importante voie reliait le centre urbain, le port et l’atelier artisanal situé à proximité.
Cette voie reliait également le pôle suburbain Parthénope-Paleopolis, auquel on prête une fonction résidentielle et cultuelle (culte à Parthénope)41. Le culte de la sirène Parthénope, antérieur à l’arrivée des Grecs dans cette zone, est le culte poliade de l’epineion et de Neapolis, fondée et refondée « nel suo nome e nel suo culto »42. En effet, Parthénope symbolise l’existence de Neapolis, sa fondation et sa refondation par Diotime correspondent au renouvellement du culte de la Sirène et elle est la garante de la vie de la cité.
Cependant, nous ignorons où se trouvait le tombeau de la sirène. Selon A. Mele et D. Giampaola, une structure liée au culte de Parthénope devait être située au sud de la ville, dans la zone côtière à l’extérieur des murs, à l’emplacement du temple des Giochi Isolimpici. Ce sanctuaire a été édifié par Auguste en 2 apr. J.‑C. à l’emplacement d’une structure sacrée du ive s. av. J.‑C. en lien avec le culte de la sirène43.
Le proasteion de Neapolis s’étend donc très peu au nord et à l’est de l’astu où il n’est composé que des zones de nécropoles. Cette non-utilisation est à mettre en relation avec la topographie de la région, en témoignerait l’occupation tardive de ces zones dans l’histoire de Naples. Le nord-est est en effet marqué par de nombreuses collines et vallées ; quant à l’est, il présente des zones marécageuses. Ces deux espaces sont donc plus malaisément utilisables. E. Greco soulignait déjà, pour Poseidonia, l’emplacement de nécropoles sur des zones non cultivables44.
La partie sud du proasteion est également peu étendue en raison de sa proximité avec la ligne côtière, mais est exploitée pour des activités artisanales et cultuelles. Enfin, la zone ouest est la plus étendue et la plus utilisée, avec des activités artisanales, portuaires, résidentielles et funéraires. Ainsi, nous retrouvons au sein de l’espace périurbain de Neapolis des éléments issus du monde urbain, des activités résidentielles, commerciales et religieuses, ainsi que des éléments issus du monde extra-urbain, des activités agricoles et funéraires. Cet espace est donc véritablement un espace de transition entre le centre urbain et le territoire, qu’il semble relier par les voies de communication.
Une polis pensée dès sa fondation ?
Le tissu urbain (fig. 3) présente une implantation per strigas, « tradizione ‛occidentale’ » selon E. Greco45. L’organisation urbaine de Naples se compose de trois plateiai est-ouest, correspondant aux actuelles via Anticaglia au nord (6 m de large), via dei Tribunali au centre (13 m de large) et la via San Biagio dei Librai au sud (6 m de large). Une vingtaine de stenopoi nord-sud (3 m de large) coupent les plateiai et délimitent ainsi de nombreux îlots longs et étroits (35 x 180 m), dont le rapport est de 1/546.
Au centre de l’astu se trouve l’agora (fig. 4), composée de deux parties, d’une superficie de six îlots chacune, séparées par la plateia centrale, suivant une structure parfaitement intégrée dans le plan urbain. La division de l’agora permettait de séparer ses deux fonctions. En effet, la partie supérieure semble correspondre au centre politique et religieux de la cité47, tandis que la partie inférieure posséderait des fonctions artisanales et commerciales48. Le manque de vestiges d’époque grecque sur l’agora ne permet pas de la dater précisément. E. Greco estime néanmoins que si l’agora n’a pas été constituée en même temps que le plan urbain, cette zone a cependant été réservée au moment de l’implantation du plan urbain49. Cela révèle le caractère programmé du plan d’urbanisme, c’est-à-dire que des espaces destinés aux fonctions publiques ont été réservés au moment de la mise en place du plan urbain afin d’anticiper l’évolution de la cité. H. Tréziny a déjà souligné cette caractéristique pour les cités doriennes et achéennes50.
Ainsi, les voies, les insulae, les espaces publics et les maisons de Neapolis sont régis selon un module qui organise l’ensemble de la polis. En outre, les dimensions des rues révèlent une hiérarchisation, les plus importantes, les plateiai, sont plus larges, notamment la plateia centrale qui serait flanquée d’un marchepied de 3,5 m de chaque côté51. L’urbanisme de l’époque tardo-archaïque est ainsi caractérisé par une hiérarchie des voies et par une rationalité nouvelle, fondée sur un module52.
Les principes d’unité et de zonage ainsi que le caractère programmé évoqués pour le centre urbain semblent s’étendre également à l’espace périurbain. En effet, en premier lieu, plusieurs éléments du proasteion de Neapolis étaient présents avant la cité et y ont été conservés à sa fondation. L’epineion de Parthénope-Paleopolis est alors devenu le second pôle périurbain de Neapolis. Les deux établissements fonctionnaient conjointement et étaient occupés par la même population53. De plus, nous pouvons noter une continuité d’utilisation de la zone portuaire, à l’emplacement de piazza Municipio, entre l’epineion de Parthénope-Paleopolis et la polis de Neapolis. F. Longo et T. Tauro ont également évoqué la colline de S. Martino au Vomero comme lien possible entre Parthénope-Paleopolis et Neapolis. En effet, le sommet de cette colline, qui surplombe les deux établissements, correspond à la prolongation de la plateia sud de Neapolis. T. Tauro émet l’hypothèse que cette colline pourrait être le lieu d’observation et de tracé de cette voie54. Ils concluent que « [loro] piace pensare come la collina di San Martino rappresenti dunque l’ideale collegamento tra la città vecchia e la città nuova » dans la mesure où cette colline appartient aux deux sites55.
Il faut aussi mentionner le sanctuaire de Parthénope, qui, semble-t-il, était situé à l’emplacement de l’actuelle piazza Nicola Amore, soit près de la muraille, à l’extérieur du centre urbain. Ce sanctuaire marque également une continuité entre l’epineion et la nouvelle polis dans la mesure où il était le sanctuaire principal des deux établissements. En outre, situé à l’extrémité de l’actuelle via Duomo, un des stenopoi grecs, il est directement en lien avec l’astu par le réseau viaire.
Ce lien entre les éléments du proasteion et l’urbanisme de l’astu est présent dans d’autres aspects de l’organisation de Neapolis. En effet, les plus anciens éléments du proasteion, le pôle de Parthénope-Paleopolis et le port sont liés à l’astu au moyen d’une voie qui part du plateau de Neapolis et se dirige vers Cumes. Cette voie existait déjà au viie s. av. J.‑C. et reliait la métropole à son epineion56. Les nécropoles et les ateliers artisanaux sont également en correspondance des plateiai et stenopoi de l’astu.
Ainsi, l’astu et le proasteion, bien que séparés par la muraille, forment un ensemble unitaire et homogène. En outre, l’analyse conjointe des deux espaces montre que le proasteion a été planifié, au même titre que l’espace urbain, dès la fondation de la polis57.
Le territoire et la question des contacts avec les populations extérieures
La question de la chôra de Neapolis est plus problématique. W. Johannowsky a mis en relation le manque de documentation pour le ve s. av. J.‑C. et la faible densité d’occupation du territoire pour cette période58. En effet, Neapolis est fondée au sein du territoire de sa métropole et son territoire serait donc englobé dans celui de Cumes si bien que la ville ne posséda pas de territoire propre dans les premières décennies de son existence, jusqu’à la prise de Cumes par les Campaniens en 421 av. J.‑C.59.
La chôra de Neapolis est définie par des éléments naturels, la topographie de la région jouant un rôle important dans l’organisation de la polis (fig. 5). Elle est délimitée à l’ouest par les dépressions du lac d’Agnano et de Soccavo, au nord par les collines de Camaldoli et de Capodimonte et à l’est par les zones marécageuses. Cela correspond à un territoire développé sur environ 17 km d’est en ouest et sur environ 6 km du sud au nord. Le territoire de Neapolis est donc extrêmement restreint et utilisé uniquement pour la subsistance de la cité60.
Cette question du territoire rapproche Neapolis des cités phocéennes. En effet, celles-ci présentent également un territoire restreint, pauvre, qui les oblige à se tourner vers la mer, selon les textes de Strabon et de Justin61. Et comme dans les cités phocéennes, notamment Vélia, voisine de Neapolis, le territoire n’est utilisé que pour assurer la subsistance de la cité.
L’économie de la ville est, en effet, centrée sur les activités maritimes. Les fondateurs de la cité étaient des navigateurs, comme les habitants de Cumes et de Parthénope-Paleopolis62. Les Eubéens ont un fort lien avec la mer et Parthénope-Paleopolis, le premier établissement napolitain, est un epineion, c’est-à-dire un établissement portuaire63. Pithécusses, première fondation grecque pérenne en Grande-Grèce, emporion ou apoikia64, se consacre au commerce maritime et, par sa position, est un point d’échange avec les populations grecques et non grecques. De même pour Cumes qui occupe une position stratégique sur le plan des échanges, notamment avec l’Étrurie métallifère. Rhégion et Zancle possèdent également une vocation commerciale due à leur position privilégiée autour du détroit de Messine. G. Vallet soutenait même dans sa thèse l’idée que leur rôle était de surveiller et de contrôler ce détroit et le commerce entre la Grèce et la région Tyrrhénienne65. Dans l’ensemble des colonies eubéennes de Grande Grèce et de Sicile, fondées aux viiie et viie s. av. J.‑C. la mer a joué un rôle primordial, à l’exception de Leontinoi, qui est implantée à l’intérieur des terres66. Neapolis, dont la fondation prend place bien plus tard, affiche également un fort rapport avec la mer, alors que les intérêts économiques et politiques ont changé. Cela démontre l’attachement des Eubéens à la mer et aux activités maritimes.
Dès sa fondation, Neapolis a connu d’importants échanges avec sa métropole et avec les cités italiques campaniennes. En effet, des voies de communication reliaient Neapolis à Parthénope-Paleopolis, Cumes, Pouzzoles et aux Champs Phlégréens vers l’ouest, et à Herculanum, Nola et Pompéi vers l’est67. D’importants liens économiques liaient Neapolis à Nola pour le commerce du blé. En effet, Neapolis, qui ne produisait pas de blé, faisait le lien entre les zones de productions agricoles, dont les cités italiques de Campanie, et Athènes, vers laquelle le blé était acheminé au Ve s. av. J.‑C.68.
Les données, presque uniquement funéraires, sont plus importantes dans l’arrière-pays de Neapolis à partir de la fin du ve s. av. J.‑C., soit après la prise de Cumes par les Campaniens et l’installation de ceux-ci à Neapolis, et surtout à partir du milieu du ive s. av. J.‑C.69. Cette intégration pourrait révéler un intérêt plus important des Campaniens envers le territoire et donc une occupation plus dense de celui-ci. Ce même phénomène se retrouve également à Poseidonia quelque temps après la prise de la ville par les Lucaniens, vers le milieu du ive s. av. J.‑C. Dans le monde grécocolonial, c’est généralement l’arrivée de nouveaux colons qui implique une plus grande exploitation du territoire, mais D. Asheri estime que dans le cas de Poseidonia c’est la conséquence d’une colonisation italique70. Les sites de l’arrière-pays napolitain sont connus uniquement par des nécropoles, qui présentent des similitudes pour le rituel funéraire, pour la composition de la tombe ainsi que pour le mobilier funéraire avec les tombes de la Cumes devenue samnite, ainsi qu’avec les sites de l’ager pompeianus. Les données des nécropoles se réfèrent non pas au monde grec, mais au monde samnite71. Nous pouvons ainsi élargir l’hypothèse de D. Asheri sur une ‟colonisation italique” pour expliquer l’occupation plus intensive du territoire au cas de Neapolis, même si, dans ce cas, il s’agit de l’arrière-pays et non de la chôra.
Conclusion : vers une relecture de la polis de Neapolis
L’organisation de Neapolis est entièrement dépendante de la topographie de la région. En premier lieu, Parthénope-Paleopolis, située sur l’actuelle colline de Pizzofalcone, est un établissement installé en hauteur, naturellement défendu et possédant un port à ses pieds. Les caractéristiques physiques du site de la future Neapolis ont motivé le choix de son implantation. En effet, elle est installée sur un plateau en pente vers la mer, qui permet de mettre en place un urbanisme régulier, contrairement à la colline de Pizzofalcone. Cependant, les collines et les vallées qui entourent le plateau empêchent une plus grande extension de l’astu. Celui-ci est limité à environ 72 ha alors que Cumes, sa métropole, possède un centre urbain de 110 ha. Vélia, qui présente pourtant les mêmes caractéristiques de ville maritime que Neapolis, dispose d’un centre urbain plus grand, d’environ 90 ha. De même, le proasteion se développe vers l’ouest en raison de la topographie. Les zones nord, escarpées, et est, marécageuses, sont dévolues aux activités funéraires. Quant à la zone sud, bien que la ligne côtière limite son extension, elle est utilisée en raison de sa proximité avec le port. Enfin, le territoire est restreint entre dépressions, collines et zones marécageuses.
Si, au cours des premières décennies de son existence, Neapolis ne semble pas posséder de territoire propre, mais est englobée dans celui de sa métropole, elle est néanmoins une véritable polis. L’établissement de Parthénope-Paleopolis, quant à lui, continue d’être occupé en tant que second pôle de la nouvelle cité. Le matériel de la nécropole et de l’habitat de Parthénope-Paleopolis révèle un hiatus entre le début et la fin du ve s. av. J.‑C. Ainsi, pour cette période, nous pouvons simplement faire l’hypothèse d’une occupation moins dense de l’établissement. En revanche, une occupation est avérée à partir de la fin du ve s. av. J.‑C.72. Le passage entre l’epineion de Parthénope-Paleopolis et la polis de Neapolis ne marque pas une rupture, mais une continuité. En effet, outre l’insertion de Parthénope-Paleopolis comme second pôle de Neapolis, la ville nouvelle continue d’utiliser la même zone portuaire que l’ancien epineion. Enfin, le sanctuaire de Parthénope, centre religieux des deux établissements, est « il legame tra il vecchio insediamento e il nuovo » selon A. Mele73.
Une voie, qui a conservé une grande importance tout au long de l’Antiquité, reliait les deux établissements ainsi que le port74. Cette voie menait jusqu’aux Champs Phlégréens et Cumes. Une autre voie partait de l’astu, de la plateia méridionale, pour rejoindre Herculanum, Pompéi et Nola à l’est75. Aux ive et iiie s. av. J.‑C., le proasteion se développe avec des ateliers artisanaux et des nécropoles. Ces éléments étaient toujours en correspondance avec le réseau viaire de l’astu.
Ainsi l’astu, le proasteion et la chôra ne sont pas fermés, mais ouverts les uns aux autres et présentent des activités qui les relient. Ils révèlent des liens topographiques par leur implantation et les voies de communication. Chaque espace ne peut ainsi être étudié individuellement sans être intégré dans la polis dans son ensemble ni le mettre en lien avec les autres. L’ensemble de la polis est si homogène et unitaire qu’elle semble avoir été implantée – ou du moins pensée – en un seul moment.