Valéry Raydon, Le chaudron du Dagda

Croix / Marseille, Éditions du Cénacle de France / Terre de promesse, 2015, 173 p.

p. 124-125

Référence(s) :

Valéry Raydon, Le chaudron du Dagda, Croix / Marseille, Éditions du Cénacle de France / Terre de promesse, 2015, 173 p.

Texte

Consacrer un ouvrage de 173 pages au chaudron du Dagda représente un beau défi que Valéry Raydon relève avec courage et talent. Car, il faut bien l’avouer, le Dagda et son chaudron apparaissent dans des sources si peu consistantes qu’ils n’ont guère suscité l’enthousiasme des mythologues. Pourtant, l’importance mythique de ce personnage divin est inversement proportionnelle à sa modeste présence dans les sources. Rappelons que le Dagda (ou « dieu bon ») est la plus importante divinité irlandaise dans le récit mythique de la Bataille de Mag-Tured (Cath Maighe Tuireadh). On a pu le définir comme un « dieu-druide et dieu des druides, maître des éléments, de la science (savoir sacerdotal), et aussi dieu de l’amitié et des contrats, du temps chronologique et atmosphérique, et de l’éternité tout en étant guerrier » (F. Le Roux et C.-J. Guyonvarc’h, Les Druides, Rennes, 1986, p. 379). Autrement dit, il domine les trois fonctions : souveraineté, guerre, abondance. Autant dire qu’il incarne la Souveraineté absolue. Il possède surtout d’éminents attributs : un chaudron et une massue qui lui confèrent une part essentielle de son statut mythique. Son chaudron dit d’abondance est capable de nourrir une foule de convives car il est inépuisable. Mais c’est aussi un chaudron d’immortalité et de résurrection dont la mission est parallèle (et complémentaire) à une massue qui tue les hommes par un bout et les ressuscite par l’autre.

Le premier chapitre examine de près cet objet chaudron en exploitant les textes gaéliques qui le mentionnent. Le deuxième chapitre élargit l’enquête au couplage du chaudron avec la massue à la lumière d’une comparaison au Succelus gaulois qui possède, quant à lui, une marmite et un maillet. Le troisième chapitre s’intéresse à un avatar épique du chaudron du Dagda : le chaudron royal de Cormac mac Airt. L’objet devient en effet un élément fondamental des demeures royales. D’ailleurs, ce chaudron du Dagda n’était pas seulement mythique ; il avait des répondants concrets dans la vie sociale de l’ancienne Irlande comme en témoigne la législation (c’est le thème du quatrième chapitre). Le cinquième chapitre traite des avatars hagiographiques du chaudron (perspective toujours indispensable pour compléter les sources mythologiques). Enfin, le dernier chapitre s’intéresse au souvenir du chaudron divin dans la toponymie celte (le mot maelstrom n’est toutefois pas d’origine celtique puisque strøm est un mot suédois et qu’il existe un mythe scandinave parallèle non évoqué ici). L’auteur se réfère toujours aux textes originaux en gaélique (accompagnés d’une traduction française) dans des éditions (souvent) anciennes et difficiles d’accès pour le public francophone. La bibliographie aurait gagné en lisibilité à être scindée en « sources premières » (éditions de textes) et « sources secondaires » (études critiques), mais elle est déjà copieuse pour un sujet si ténu. Hélas, le Lexique étymologique de l’irlandais ancien (incomplet à ce jour mais seul manuel réactualisé en français sur le gaélique) n’y figure pas. L’absence est compensée toutefois par le Dictionary of the Irish language de la Royal Irish Academy, 2013 (édition électronique). Sur le dieu gaulois au maillet, rajouter Marcel Chassaing, Le dieu au maillet, s. l., 1986 (étude descriptive sans prétention mais qui évite la reconstruction hasardeuse d’une divinité sur laquelle on ne sait strictement rien : aucun mythe d’époque antique pour faire parler les statues conservées dans les musées). On se demande ici si le tinel de certains héros épiques « français » ne serait pas de la même nature que la massue du Dagda (voir P. Walter, « Rainouart et le marteau-tonneau », L’information littéraire, no 46, 1994, p. 3-14). En fait, l’ouvrage dans son ensemble n’encourt qu’une seule véritable critique de fond. Les textes mythologiques irlandais qui servent de base à la présente étude et qui visent à reconstituer une antique mythologie celtique (de quelle époque d’ailleurs ?) ne datent pas de l’Antiquité : ils sont médiévaux. Ils sont l’expression parfaite de ce « paradoxe irlandais » que soulignait jadis Christian-J. Guyonvarc’h. Ce sont des moines chrétiens qui ont conservé l’essentiel du paganisme gaélique. Peut-on totalement leur faire confiance ? Bien conscient de cette faiblesse, Georges Dumézil s’était engagé vers un comparatisme mettant en parallèle (mythologiquement et linguistiquement) l’Inde, la Scandinavie, Rome, les Gaëls, les Slaves, etc., pour percevoir les variables culturelles propres à toutes ces cultures, mais aussi leurs invariants remontant à un lointain héritage mythologique commun. Malgré les contestations de sa méthode qui émanent le plus souvent d’idéologues aveuglés par le sectarisme, d’ignares en grammaire comparée ou d’incompétents en mythologie, il faut dire que l’on n’a guère trouvé mieux à ce jour. L’ouvrage de V. Raydon est d’une autre trempe : plus modeste dans son propos, il attire notre regard sur des éléments factuels mais révélateurs d’un imaginaire indiscutablement mythique dont il appartiendra à des études ultérieures de préciser l’ampleur géographique et la chronologie historique sur tout l’espace celtique.

Citer cet article

Référence papier

Philippe Walter, « Valéry Raydon, Le chaudron du Dagda », IRIS, 38 | 2017, 124-125.

Référence électronique

Philippe Walter, « Valéry Raydon, Le chaudron du Dagda », IRIS [En ligne], 38 | 2017, mis en ligne le 15 décembre 2020, consulté le 19 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/iris/index.php?id=1122

Auteur

Philippe Walter

Université Grenoble Alpes

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