Le sens du vide dans l’art de l’installation de Yasuaki Onishi

  • The Sense of Emptiness in the Art of Installation of Yasuaki Onishi

DOI : 10.35562/iris.1252

Abstracts

Lorsque nous parlons généralement d’un espace vide, ce vide n’est pas réellement vide physiquement. L’espace vide est rempli d’air, de matière invisible, mais il ne peut pas être vu ou capturé. Pourtant, nous savons bien que l’air, élément indispensable pour tous les êtres vivants, est également présent autour de nous. Devrions-nous alors considérer différemment l’espace vide et l’air dans l’installation ? Pour Yasuaki Onishi (1979-), sculpteur et installateur in situ, l’espace vide est un lieu essentiel pour l’installation et l’inspiration. Il s’intéresse à l’invisible, à l’espace, à l’air, à l’espace négatif, etc. Il révèle ce qui est invisible, en utilisant un matériau léger tel qu’un adhésif liquide noir (colle chaude) et le support de matériaux immatériels tels que la lumière, l’air ou d’autres matériaux intangibles. Parmi ses travaux, en particulier, en analysant les œuvres de la série Vertical Volume, Daily Distance, Gawa (ring), Shaping AirA Breath of Mobility et Vertical Space, nous cherchons dans cette étude la signification de l’air invisible, du ki (氣, « souffle primordial »), du svi (mot issu du sanscrit sunyata), du wonsang (원상, 圓相) et le sens du vide du Tao et du bouddhisme. Quel est le sens du vide dans une installation de Yasuaki Onishi ? Et quel est l’enjeu entre l’espace vide et l’espace plein, l’espace visible et l’espace invisible, la matérialité et l’immatérialité ? Dans son travail, qui ne suit pas le processus général de la sculpture traditionnelle, nous trouverons le lien avec la signification de l’espace négatif et avec le terme coréen gan (간, 間, « entre, inter-espace »), l’espace-temps, avec le mot japonais ma (間) qui constitue un concept esthétique au Japon.

When we generally speak of an empty space, this empty is not really physically empty. The empty space is filled with air, invisible matter, but it cannot be seen or captured. However, we know that air, an essential element for all living things, is also present around us. So should we consider differently the empty space and air in the installation? For Yasuaki Onishi (1979-), sculptor and installator in situ, the empty space is an essential place for installation work and inspiration. The empty space that we think is empty is filled with substances that are invisible. The empty space is filled with air, but it can’t be seen or captured. He is interested in the invisible, space, air, negative space, etc. He reveals what is invisible, using a light material such as a black liquid adhesive (hot glue), with the support of non-material materials such as light, air or other intangible materials. Among his works, in particular, by analyzing the works of the series Vertical Volume, Daily Distance, Gawa (ring), Shaping AirA Breath of Mobility and Vertical Space, we look for the meaning of invisible air, breath, ki (, primordial breath), svi, the etymology of sunyata, wonsang 원상 (圓相), and the meaning of emptiness of Tao and Buddhism. Through the work of Yasuaki Onishi, what is the meaning of the emptiness in his installation? And what is at stake between empty space and full space, visible space and invisible space, materialism and immateriality. In his work, which does not follow the general process of typical sculpture, we will find the connection with the meaning of “negative space” and the term Korean gan (, between, interspace), the space-time, as the Japanese word ma () that use as a concept of aesthetics in Japan.

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Le souffle et Vertical Volume de Yasuaki Onishi

Yasuaki Onishi est né en 1979 à Osaka, au Japon où il vit et travaille actuellement. Il a été formé comme sculpteur à l’École d’art & de design à l’université de Tsukuba au Japon, pendant quatre ans, de 1997 à 2001. Il a obtenu son Master de sculpture à l’Université des Arts de la ville de Kyoto au Japon, en 2004. Comme pour la plupart des installateurs, pour Onishi, l’espace vide est un support indispensable de l’installation, un lieu de travail et un lieu d’inspiration. En effet, il crée son installation selon le lieu de l’exposition, in situ. Cet espace est rempli d’air, invisible et insaisissable. Tout ce qui est invisible ne veut pas dire inexistant. Un coup de vent nous fait percevoir le mouvement de l’air par un frémissement des feuilles ou le flux de l’air par un déplacement des nuages. Nous respirons l’air à tout moment, dès la naissance, nous respirons instinctivement pour survivre, mais nous ne faisons pas attention à l’air en raison de son invisibilité. Le fonctionnement de la respiration nous est habituel. Nous respirons ainsi sans réfléchir.

Devons-nous considérer différemment l’espace vide et l’air dans l’installation ? Onishi s’intéresse à ce qui est invisible, comme l’espace vide, l’air, l’espace négatif… Il utilise la légèreté de la matière : celle de fines feuilles de polyéthylène, ou bien de la colle noire chaude qui révèlent l’invisible à l’aide de substances immatérielles telles que la lumière, l’air ou d’autres matériaux. En observant ses œuvres, en particulier la série Vertical Volume, installée depuis 2008 dans plusieurs pays, Gawa (ring) réalisé en 2001 pour son projet de diplôme à l’université de Tsukuba, Shaping Air réalisé en 2013 pour un projet de vidéo avec Mercedes-Benz CLA à Stuttgart, et Vertical Space effectué au Newman Club en Australie en 2015, nous allons réfléchir sur le souffle, le ki (氣, « souffle primordial »), le sens du vide en rapport au wonsang (원상, 圓相, enso) et l’espace négatif ; nous étudierons également le terme espace en coréen, gonggan (공간, « vide-entre-inter ») et gan (간, « entre-inter »). De même, nous allons analyser la relation entre espace vide et plein, entre espace visible et invisible, entre matérialité et immatérialité.

De nombreux artistes sont inspirés par les éléments tels que l’air, le souffle, le souffle de l’air, la fumée ou la vapeur. Ces substances immatérielles, éphémères et changeantes suggèrent ce qui est invisible dans l’espace. Citons le cas d’Anish Kapoor qui montre une mystérieuse vapeur montant vers l’oculus du dôme de l’église San Giorgio à Venise dans Ascension (2011). Olafur Eliasson nous fait reconsidérer la légèreté de l’air et de la vapeur dans Vær i verjret (2016), ou en créant des bulles de savon par le souffle de l’air dans Happiness (2011). Giuseppe Penone laisse l’empreinte de son corps et de son souffle dans un tas de feuilles dans son œuvre intitulée Soffio di foglie (1979 et 2009). Oscar Muñoz fait apparaître instantanément une photographie des morts, comme une image fantomatique, en soufflant sur sept miroirs métalliques dans l’œuvre Aliento (1995). Le souffle est un élément indispensable et un acte primordial pour les êtres vivants. D’ailleurs, le souffle est un des fondements des dix mille êtres dans le quarante-deuxième chapitre de Daodejing de Lao Tseu :

Le Dao engendre un, un engendre deux ; le yin et le yang, deux engendre trois ; le yin, le yang et le souffle (chung 충, 沖), trois engendre les dix mille êtres. Toute chose s’adosse au yin, embrasse le yang. Tout est harmonieux par l’énergie du souffle (chungki 충기, 沖氣)1. (Noza, 1994, p. 148)

Si chung (충, 沖) signifie « au milieu du vide » ou le « vide relatif », en l’associant avec ki (氣, « souffle primordial ») chungki (충기, 沖氣) peut être interprété comme l’« énergie au milieu du vide ». C’est cette « énergie au milieu du vide » qui est constamment engendrée dans le monde par des rencontres du yin et du yang en créant l’énergie du souffle ou l’énergie vitale. François Cheng traduit le terme de chungki par « le souffle du Vide médian » : « Les dix mille êtres s’adossent au Yin et embrassent le Yang. L’harmonie naît au souffle du Vide médian » (Cheng, 1991, p. 59) qui intègre tous les phénomènes et les harmonise. Ce souffle, qui a pour rôle d’engendrer les dix mille êtres, est suggéré par le mouvement de l’air dans la série Vertical Volume d’Onishi (fig. 1). Cette œuvre est réalisée avec de fines feuilles de polyéthylène translucide qui créent des sortes de volumes en forme de pilier vertical comme le titre l’indique. Une dizaine de ces volumes en polyéthylène translucide sont rassemblés dans le même espace et ressemblent à un ensemble de buildings ou à une foule regroupée. Le nombre de ces volumes varie selon le lieu de l’exposition. L’artiste produit le souffle à l’aide de l’air de l’espace vide, en employant un ventilateur, une minuterie et un éclairage. Le ventilateur crée le mouvement de l’air, en amenant celui-ci de l’extérieur vers l’intérieur, et en évacuant l’air de l’intérieur vers l’extérieur comme le fonctionnement de nos poumons. Le mouvement a une vitesse extrêmement lente. L’existence du souffle de l’air dans Vertical Volume est actif, mais les atomes de l’air sont invisibles. Nous constatons le souffle de l’air lorsque le volume est rempli et qu’il rebondit légèrement deux ou trois fois dans l’air comme un ballon, de même lorsqu’il se rétrécit jusqu’à s’aplatir au sol comme s’il expirait. Le mouvement de Vertical Volume est maintenu par le fonctionnement de la minuterie et du ventilateur qui sont ajustés pour former des volumes de différentes tailles. Le mouvement de ces volumes se répète en douceur ainsi continuellement.

Figure 1. – Yasuaki Onishi, Vertical Volume ACG, feuille polyéthylène, ventilateur, minuterie, etc., hauteur 700, largeur 570, profondeur 890 cm, Artcourt galerie, Osaka, Japon, 2014, photographie de Seiji Toyonaga, reproduction autorisée par la Artcourt galerie. © 2017 Yasuaki Onishi.

Figure 1. – Yasuaki Onishi, Vertical Volume ACG, feuille polyéthylène, ventilateur, minuterie, etc., hauteur 700, largeur 570, profondeur 890 cm, Artcourt galerie, Osaka, Japon, 2014, photographie de Seiji Toyonaga, reproduction autorisée par la Artcourt galerie. © 2017 Yasuaki Onishi.

Le processus de réalisation de Daily Distance (fig. 2), qui a été exposé en 2008 au Danemark, est le même que pour Vertical Volume. La différence, c’est qu’un seul volume, constitué d’une grande feuille de polyéthylène translucide, enveloppe une table sur le dessus de laquelle sont disposés des assiettes et des plats blancs. Onishi nous fait reconsidérer l’air et l’espace proches de nous à travers cette scène familière et quotidienne. L’air et l’espace, ces substances immatérielles, sont essentiels à nos vies. Pourtant notre cerveau oublie la plupart des choses omniprésentes à nos côtés et nos yeux ne les perçoivent pas, comme si elles étaient invisibles. Kim Dae-shik, spécialiste du cerveau et chercheur sur l’intelligence artificielle, déclare ainsi : « Le cerveau considère que ce qui ne change pas, n’existe pas. » (Kim, 2016, p. 105) Ce n’est pas seulement que nous ne sommes plus conscients de l’air et de l’espace, mais nous oublions même leur pouvoir dans notre vie ; nous oublions l’importance de l’air pour survivre et de la nécessité de l’espace vide pour vivre quotidiennement. Leur valeur nous est trop habituelle.

Figure 2. – Yasuaki Onishi, Daily Distance, feuille polyéthylène, ventilateur, minuterie, hauteur 244, largeur 743, profondeur 370 cm, Artists in Residence Center, Jyderup, Danemark, 2008. © 2017 Yasuaki Onishi.

Figure 2. – Yasuaki Onishi, Daily Distance, feuille polyéthylène, ventilateur, minuterie, hauteur 244, largeur 743, profondeur 370 cm, Artists in Residence Center, Jyderup, Danemark, 2008. © 2017 Yasuaki Onishi.

L’intérieur des volumes de la série Vertical Volume et de Daily Distance semble vide, mais le changement de la contraction et l’expansion du volume prouvent que l’air circule. Selon l’affirmation de Lucio Fontana : « Le vide n’est pas une absence, c’est l’ensemble des communications et des mouvements des souffles » (Rochat de La Vallée et Larre, 1995, p. 55). Dans la série Vertical Volume et dans Daily Distance, l’air en mouvement dans les volumes semble établir une communication continuelle en circulant et en se déplaçant sans cesse entre l’intérieur et l’extérieur. Ce mouvement de l’air nous fait penser à une forme immatérielle, le souffle, ki (氣, qi ou chi), chungki, l’énergie au milieu du vide. Dans le qigong (气功, « énergie-travailler »), « le qi est compris comme l’énergie animatrice de l’univers, une substance qui circule dans et à travers le corps » (Palmer, 2005, p. 15). Par le travail du mouvement du corps, l’air externe s’unifie avec l’air interne de notre corps, et ainsi la maîtrise de l’air externe et interne crée une énergie vitale. Cela dit, l’air, une forme « d’énergie vide », se transforme en énergie vitale dans notre corps par un entraînement physique. L’air se dit en coréen gongki (공기, 空氣, « vide-souffle »). Il est composé en deux caractères : gong (공, « vide ») et ki (기, « souffle, énergie vitale »). L’air, vide sans énergie, coopère avec d’autres éléments invisibles et se transforme en énergie vitale qui circule de manière invisible en nous, autour de nous, et de même dans la nature, pour faire germer les graines, faire pousser les arbres… Dans la série Vertical Volume et dans Daily Distance, le rebondissement du volume lorsqu’il est rempli d’air peut suggérer une énergie active. Ces œuvres rappellent ainsi le souffle corporel, ki (« énergie primordiale ») ou chungki (« énergie au milieu du vide »). L’artiste accentue cet espace vide où se constitue l’énergie invisible, en installant une lumière au centre, dans le bas du volume comme le danjeon (단전, 丹田) qui signifie le « centre de l’énergie de notre corps ». Si la série Vertical Volume nous fait réaliser le souffle intérieur de notre corps, Daily Distance nous suggère de réfléchir à l’air qui nous entoure dans notre vie quotidienne.

Le mouvement du volume répétitif et au ralenti nous apaise comme le souffle calme lors de la pratique de la méditation. La méditation réveille nos sens et nous aide à ressentir la circulation de l’air dans notre corps. La maîtrise du souffle est abordée fréquemment dans la pratique de la méditation du Yoga ou du bouddhisme, mais sa corrélation avec le Dao se trouve aussi au dixième chapitre du Dao de jing de Lao Tseu, lors d’un commentaire de l’interprète Lee Min-su : « L’implication de la manière de la méditation est présente en particulier par le ki selon le terme jeonki (전기, 專氣, « énergie concentrée en un point ») qui se réfère à la respiration visant à ajuster le ki, le “souffle”. » (Noza, 1994, p. 48) Le contrôle de la respiration apporte le souffle dans un seul lieu et l’énergie concentrée devient la base de la vertu mystérieuse du Dao :

Puisque l’esprit est concentré sur le Dao, si le ki peut se concentrer en unité (jeonki 전기, 專氣) sans être dispersé, le ki embrasse l’unité et obtient la docilité qui est l’habitude du Dao, afin d’atteindre un état pur et clair comme le nouveau-né. […] Le monde est rempli de vie et toutes choses prospèrent. C’est ce qu’on appelle hyeondeok 현덕, une vertu de sagesse profonde, merveilleuse, et mystérieuse2. (Noza, 1994, p. 48-49)

Atteindre un « état pur et clair » est comparable à la recherche des choses fondamentales, au Dao (la voie que l’on devrait suivre en tant qu’être humain).

L’espace négatif et l’espace vide et invisible

Avec le souffle de l’air, on peut créer un volume gonflé. Lorsque la série Vertical Volume prend un volume qui semble vide, elle est la représentation du mot svi, issu du sanscrit sunya ou sunyata qui désigne « le vide ». Svi, qui signifie « ce qui est à la fois gonflé et vide à l’intérieur », peut se percevoir aussi dans la sculpture Gawa (ring) d’Onishi (fig. 3).

Figure 3. – Yasuaki Onishi, Gawa (ring), bois, clous, fer, etc., hauteur 40, largeur 240, profondeur 240 cm, projet du diplôme Art & Design de Tsukuba Université, Japon, 2001. © 2017 Yasuaki Onishi.

Figure 3. – Yasuaki Onishi, Gawa (ring), bois, clous, fer, etc., hauteur 40, largeur 240, profondeur 240 cm, projet du diplôme Art & Design de Tsukuba Université, Japon, 2001. © 2017 Yasuaki Onishi.

Comme le titre l’indique, Gawa (ring) est formé d’un cylindre de métal similaire à une grosse bouée ayant de petits trous tout autour, grâce auxquels nous constatons que l’intérieur est vide. Selon le processus habituel de la sculpture classique, le sculpteur crée une forme positive (objet visible) en sculptant ou en moulant. Le moulage est une étape pour reproduire une forme originale en matière visible par le coulage d’une autre matière. Par comparaison avec ce processus, Gawa semble s’arrêter au stade de la préparation du moule, car à travers cette enveloppe nous imaginons la forme originale d’un objet à mouler. Onishi nous explique comment il a réalisé Gawa à l’université de Tsukuba :

J’ai trouvé un pin. Je l’ai coupé et ai créé la forme d’un cercle. Je l’ai peu à peu couvert de petits morceaux de métal et finalement je l’ai brûlé jusqu’à ce qu’il soit vide à l’intérieur. […] Mes amis sculptaient en pierre ou en bois, mais créer une forme originale ne m’intéressait pas. Je voulais suivre la transformation de la forme. (Meller-Yamaguchi, 2012, p. 57)

La plupart des sculpteurs cherchent à montrer leur œuvre par la matière visible. Ce qui est invisible, comme l’air qui nous entoure ou l’espace autour des objets, est figuré et matérialisé. Si, dans Soffio 6 (1978), Giuseppe Penone a réalisé la forme de l’air ou de notre souffle en terre cuite, à taille humaine, Rachel Whiteread nous montre l’espace invisible autour de nous et réalise l’espace négatif à partir d’une variété d’objets du quotidien tels que chaises, escaliers, étagères, etc., en créant leurs moules. Elle représente l’espace négatif à échelle humaine, en plâtre, en polystyrène ou en béton, etc., comme pour la maison de son œuvre House (1993). Les éléments immatériels invisibles sont représentés en matière visible par un objet concret. Le vide est devenu plein.

Onishi ne réalise qu’une forme négative, sans effectuer l’étape du moulage. En d’autres termes, il ne fabrique pas une copie de la forme d’origine (la nature de la chose), mais il cherche plutôt la forme négative que nous pouvons imaginer. En effet, il veut nous faire voir ce qui est invisible par la forme négative, vide. Contrairement au processus habituel du moulage, pour lequel on remplit de matériaux visibles l’intérieur d’un moule, l’artiste fait couler de la colle (qui constitue la forme positive) à l’extérieur de la forme négative. Par conséquent, l’intérieur de la forme négative est vide ou se substitue à la matière immatérielle. La forme positive du bois, un des matériaux visibles de Gawa, s’est transformé en cendres en laissant la forme négative, vide, du fer. Le plein est devenu le vide. La forme de Gawa rappelle le wonsang (원상, 圓相, enso), le symbole du vide du bouddhisme.

Si la série Delocazione de Claudio Parmiggiani montre la trace de l’absence des livres d’une bibliothèque par de la suie comme si les livres avaient tous été brûlés, Onishi ne se contente pas de montrer seulement la trace de l’absence. Il représente réellement l’absence elle-même par l’espace vide du fait de l’incinération du bois de Gawa. Que signifie ce vide ? La disparition n’est pas un manque. Elle laisse libre cours à l’imagination grâce à cet espace négatif, vide. Cet espace négatif, vide d’Onishi rappelle « le non-être » de Laozi (Lao Tseu) dans le onzième chapitre de Daodejing :

Trente rayons convergents, réunis au moyeu, forment une roue ; mais son vide central permet l’utilisation du char. Les vases sont faits d’argile, mais c’est grâce à leur vide que l’on peut s’en servir. Une maison est percée de portes et de fenêtres, et c’est son vide qui la rend habitable. Ainsi, l’être produit l’utile ; mais c’est le non-être qui le rend efficace. (Lao Tseu, 1991, p. 31)

L’espace vide concrétise la valeur d’un objet. Le non-être redonne ainsi son efficacité à l’être. Dans la série Reverse of Volume et A Breath of Mobility (fig. 4), Onishi montre une forme négative à l’aide d’une grande feuille de polyéthylène translucide suspendue et liée par des centaines de coulures de colle noire. Par la gravité, la coulure s’amincit et traverse verticalement l’espace vide en allant vers le sol et rencontre une grande feuille de polyéthylène largement étendue. Lorsque la colle touche la feuille de polyéthylène, celle-ci descend vers le sol du fait de la gravitation, malgré la colle qui tire la feuille de polyéthylène vers le haut. De ces deux forces contraires, chaque coulure de colle crée un petit espace négatif, un vide dans l’espace, d’où apparaît la forme d’une petite montagne. Et selon les diverses longueurs de coulures qui forment des sinuosités, l’ensemble de cette feuille étendue forme une grande silhouette de montagne.

Figure 4. – Yasuaki Onishi, Shaping Air, The Making of A breath of Mobility, projet avec Mercedes-Benz CLA, Stuttgart, Allemagne : vidéo (3’11), 2013. © 2017 Yasuaki Onishi.

Figure 4. – Yasuaki Onishi, Shaping Air, The Making of A breath of Mobility, projet avec Mercedes-Benz CLA, Stuttgart, Allemagne : vidéo (3’11), 2013. © 2017 Yasuaki Onishi.

En effet, des centaines de silhouettes de petites montagnes existent déjà sous la forme de plis minutieusement pré-froissés et préalablement préparés. La grande feuille est à la fois enflée et vide à l’intérieur. L’espace négatif sous la feuille de polyéthylène est vide, quoique rempli d’air. Une centaine de coulures de colle retient cette forme négative. Onishi s’intéresse plutôt à la forme vide. À travers l’espace vide et l’air qui est invisible, il nous invite à trouver une forme fondamentale. On ne peut pas utiliser le processus général de la sculpture pour moduler l’air et l’espace vide. Pourtant, l’artiste fait couler la colle noire dans l’espace vide. Dans la série Reverse of Volume et dans A Breath of Mobility, une mise en forme de l’air et de l’espace vide, à la manière d’un nuage flottant, nous place dans un état de rêverie où règne l’imagination. La grande feuille translucide en matériau visible désigne ainsi l’espace négatif et ce qui est invisible, le vide immatériel. Nous retrouvons la pensée de Lao Tseu, celle du quarantième chapitre du Daodejing : « Toutes choses naissent de l’être. L’être naît du non-être. » (Lao Tseu, 2008) Onishi crée l’espace négatif, le lieu de tangence, un espace visible et invisible, en utilisant des éléments immatériels comme l’espace vide, l’air, mais aussi le temps et la gravité.

L’espace vide, le gan (間, « entre-inter »), et Vertical Space de Yasuaki Onishi

Dans les installations d’Onishi, la feuille de polyéthylène translucide, qui ressemble à de la brume, se situe à la frontière entre ce qui est visible et invisible. Cette feuille translucide représente comme la peau de l’espace négatif, infra-mince, entre intérieur et extérieur, entre espace visible et invisible. Cette feuille translucide se place entre l’espace matériel et l’espace immatériel. Dans Vertical Space, les coulures descendent jusqu’au sol comme une pluie fine. Sans feuille de polyéthylène, aucune forme concrète n’apparaît dans Vertical Space (fig. 5). L’artiste s’explique ainsi à propos de la colle noire, nous pouvons comprendre son idée principale :

Généralement, nous ne pouvons pas voir la partie de la colle. Par exemple, lorsque le papier est collé au mur, la colle est entre papier et mur. Mais dans l’ensemble de mon installation, je montre cette partie de la colle. Je pense que cela peut suggérer la chose invisible. (correspondance par email entre Yasuaki Onishi et l’auteur, 28 février 2016)

Figure 5. – Yasuaki Onishi, Vertical Space, colle noire, autre, Newman Club, Newman, Australie, 2015, photographie de Bo Wong. © 2017 Yasuaki Onishi.

Figure 5. – Yasuaki Onishi, Vertical Space, colle noire, autre, Newman Club, Newman, Australie, 2015, photographie de Bo Wong. © 2017 Yasuaki Onishi.

En effet, dans Vertical Space, Onishi accentue cet aspect et le rend visible grâce à des centaines de coulures de colle. Avec ces coulures fines, Onishi dessine le plein dans l’espace. Il ouvre une voie par laquelle les visiteurs expérimentent un parcours au milieu de ces coulures qui découpent verticalement l’espace. Les traits noirs créent un espace vertical. Entre ces parties de colle noire, des centaines de petits espaces verticaux sont créés. Ces espaces verticaux apparaissent dès le commencement de la coulure de la colle grâce au geste de l’artiste. Ils rappellent l’idéogramme jian (間) qui illustre les deux battants d’une porte entrouverte par laquelle passent les rayons de la lune ou du soleil. Entre ces deux battants, il y a un interstice. Cet idéogramme 間 se prononce gan (간) et kan (칸) en coréen, kan et ma en japonais. En l’assemblant avec d’autres mots, l’artiste l’utilise comme une pause entre deux actes, un silence entre deux phrases musicales. En Corée, le mot gan signifie « l’intervalle de lieu, de temps, un silence entre deux sons ou entre deux mots, l’espace vide ouvert, l’espace entre des objets, entre inspiration et expiration », etc. Par exemple, 막간 (幕間, « écran-entre ») désigne « l’entracte », 시간 (時間, « heure-entre ») a le sens de « temps », 인간 (人間, « homme-entre ») signifie « humain », etc. Le mot gan s’utilise dans divers domaines comme la musique, le théâtre, les arts martiaux, l’architecture… Au Japon, le caractère 間 en kanji se prononce kan et ma. Lorsqu’il s’assemble avec d’autres mots, on prononce kan, mais s’il est seul on lit ma. Le mot ma s’utilise dans la mode pour parler de l’intervalle entre la peau et le tissu, pour signifier un espace-temps entre deux adversaires, et un espace-temps dans l’architecture. D’ailleurs, le ma est devenu un terme conceptuel d’esthétique lors de l’exposition Espace-Temps du Japon, à Paris en 19783, grâce à la présentation de l’architecte Arata Isozaki (1931-) et du compositeur Toru Takemitsu, collaborant avec des artistes de différents domaines comme des sculpteurs, des photographes, des graphistes, un styliste, des musiciens, des architectes, etc., et les membres de l’atelier Isozaki. Arata Isozaki nous explique ce ma du Japon :

Au Japon les notions de temps et d’espace sont unies dans un seul concept traduit par le mot ma : « distance existant naturellement entre deux ou plusieurs objets placés l’un à la suite de l’autre ; l’intervalle, l’espace ou le vide entre deux éléments, ou encore des actions successives ». […] Le concept ma définit un intervalle spatial et temporel. […] Cette identification de l’espace du temps, en une même et unique entité, peut être considérée comme une des raisons essentielles de la différence entre les expressions artistiques japonaises et occidentales. (Isozaki & Toru, 1978, p. 10)

Selon Augustin Berque, « le ma serait indissociablement espace et temps, et de ce fait n’existerait pas dans la culture occidentale, laquelle dissocierait le temps de l’espace » (Berque & Sauzet, 2004, p. 29). La notion de ma, c’est façonner le vide, l’espace vide entre les murs où peut circuler l’énergie de l’être vivant. Le concept de ma est un art de l’espace vide qui travaille l’espace et aussi l’espace-temps. On retrouve le ma dans Vertical Space entre les coulures de la colle et les centaines de petits espaces verticaux. Entre les coulures de la colle, et plus précisément dans cet interstice de l’espace vertical, sont présents une circulation d’air, une énergie invisible, un flux de lumière, ou une autre substance immatérielle. Au milieu de ces nombreux espaces verticaux entre ces coulures, se révèle la présence du visiteur. Dans ce lieu vide vertical, dans ce ma, le visiteur est là. Au milieu de centaines de coulures de la colle, le visiteur joue le rôle d’un pont. D’ailleurs, le sculpteur Shiro Kuramara développe son idée de ma en employant le mot hashi (橋) dans le catalogue de l’exposition MA, Espace-Temps au Japon ; « hashi (橋) signifie à la fois bord et pont, et il signifiait autrefois échelle » (Isozaki & Toru, 1978). Le ma correspond à un lieu neutre comme tous les ponts qui joignent deux terrains éloignés. Il est comme le nombre zéro qui relie les deux suites opposées en étant neutre. Dans Vertical Space, Onishi crée cet espace neutre qui nous entoure. La colle relie l’espace du haut et du bas comme pour relier le ciel et la terre. Nous vivons dans cet espace qui s’étend entre le ciel et la terre. L’espace qui est autour de nous est lié à l’espace du ciel ou du plus lointain, comme une profondeur bleue auprès du corps dans ANT 148 (1960), une œuvre de la série Anthropométries d’Yves Klein. Le monde dans lequel nous vivons appartient au monde visible. Pourtant le monde invisible (qui appartient au monde visible) est près de nous, ici et maintenant.

Le mot gan ou ma ne sépare pas deux éléments, il les unit comme et, ce mot traité par Gilles Deleuze et Claire Parnet dans l’ouvrage Dialogues : « S’il n’y a que deux termes, il y a un ET entre les deux, qui n’est ni l’un ni l’autre, ni l’un qui devient l’autre, mais qui constitue précisément la multiplicité. » (Deleuze & Parnet, 1996, p. 43) Il les unit comme la fadeur de François Jullien, dans l’Éloge de la fadeur : « La fadeur qui seule dénote cette constante transition : tandis que la saveur oppose et sépare, la fadeur relie entre eux les divers aspects du réel, les ouvre l’un à l’autre, les fait communiquer. » (Jullien, 1991, p. 47)

La « circulation de l’air » (Barthes, 2005, p. 63) dans la peinture traditionnelle extrême-orientale s’avère proche de cette notion de ma. Cette circulation apparaît dans la peinture par un espace blanc, vide ou le vide médian qui décrit parfois un chemin, la terre, la rivière, des nuages, ou le ciel, etc. Elle est l’espace blanc et vide, entre (gan 간) les branches du pin, ou le ciel ouvert dans la photographie contemporaine de Bae Byeong-U (Bae Bien U, 1950-). La circulation de l’air se produit également dans les arrangements floraux (ikebana), qui sont liés à l’espace environnant autour des fleurs et des tiges. Augustin Berque nous éclaire sur la caractéristique essentielle du ma :

Il semble que nous tenions là une caractéristique essentielle du ma. Celui-ci serait produit par la combinaison d’un vide (un blanc, un silence, un arrêt, une pause) et d’un décalage (lequel chargerait sémantiquement ce vide, non seulement du contenu qu’une stricte régularité laisserait y escompter, mais aussi d’une infinité de possibles puisque le vide n’impose rien). (Berque & Sauzet, 2004, p. 32)

L’espace du ciel ou l’espace vide est intégré à l’installation, tout comme il l’est dans la sculpture ou dans l’architecture. L’architecte coréen Hyun-jun Yoo définit la différence de compréhension de la notion d’espace entre les Occidentaux et les Extrême-Orientaux dans son ouvrage Dosineun mu-eot euro saneuga (En quoi vit la ville) :

« Espace » se dit space en anglais, mot qui signifie aussi « univers ». L’acception « univers » correspond à trois termes anglais : universe, cosmos et space. […] En Extrême-Orient, le mot gonggan (공간, « espace ») est composé de deux caractères gong (공, « vide ») et gan (간, « entre ») ; cela correspond aussi au rapprochement des termes bi-um (비움, « vide ») et gwangye (관계, « relation »). Par ces mots, les Extrême-Orientaux appréhendent l’espace comme ayant une valeur relative entre vide et relation, il s’agit d’une potentialité plus que d’un simple espace. (Yoo, 2015, p. 333)

L’installation, in situ, crée inévitablement une relation avec le gonggan 공간, « vide-entre-inter » qui est indissociable de l’espace et du temps. L’espace se dit kukan en japonais (空間, kōngjiān en chinois, gonggan en coréen). Le « vide » (gong 공) et le « entre » (gan 간) sont aussi présents dans l’espace de l’installation d’Onishi. Lors de la visite d’une installation in situ, le rapport de ce gong (« vide ») et de ce gan (« entre ») est inévitablement convoqué entre l’installation et celui qui la perçoit. De même, le « vide » et le « entre » évoluent durant sa visite. En effet, le temps se manifeste lors de la réalisation de l’œuvre dans cet espace, ainsi que pendant la visite du spectateur. Autrement dit, tout comme Vertical Volume inclut un espace-temps, dans Vertical Space l’espace-temps est intégré par les visiteurs. Précisément dans ce lieu unique, in situ, toutes les connexions entre l’œuvre et l’observateur se réalisent. Vertical Space rempli de colle chaude désigne le rapport du vide et du plein, du visible et de l’invisible, du matériel et de l’immatériel. En citant Arata Isolaki, Shir Meller-Yamaguchi développe la notion d’espace :

Dans son livre Ma: Space-Time au Japon, Arata Isozaki discute de la différence entre les perceptions spatio-temporelles occidentales et japonaises. Alors que l’Occident se rapporte au temps en tant qu’une séquence linéaire infinie, une entité distincte de l’espace, au Japon, l’espace et les événements, qui se déroulent en son sein, sont perçus comme une essence unique. (Meller-Yamaguchi, 2012, p. 53)

Le mot vide évoque l’absence de matière comme s’il s’agissait d’un objet intouchable. Si le vide signifie le rien, le néant, l’absence d’être pour les Occidentaux, ce vide est employé au sens du vide matériel comme un espace vide. Pour les Asiatiques, le vide est aussi relatif à l’espace vide, à l’absence. Mais le vide est, avant tout, une vacuité de l’esprit et le vide immatériel du bouddhisme.

Le vide et ce qui est invisible

Nous savons que quand on dit « vide » dans la vie quotidienne, ce vide indique souvent l’espace vide, un récipient vide, une page blanche, un espace vide entre des mots, etc. L’espace vide, empli de lumière, rend visible les personnes ou les objets. L’espace vide, qui nous entoure, est occupé par l’air, par la lumière ou par les autres substances immatérielles. Cet espace nous aide à vivre. Notre corps et notre esprit respirent dans cet espace. L’espace où nous vivons semble vide, mais il est déjà rempli d’une grande quantité d’air, de molécules et aussi de choses imperceptibles que l’on ne peut distinguer avec nos yeux.

En général, nous ne croyons pas ce que nous n’avons pas constaté avec nos yeux. Pourtant nos yeux ne peuvent pas capter tous les phénomènes du monde, notamment l’espace invisible qui appartient à l’espace visible. Vertical Space rappelle la série Pénétrables que Jesus-Rafael Soto a conçue en 1967. Lorsque nous passons dans l’installation, grâce à l’impression du vent qui se manifeste (selon notre allure), nous pouvons toucher ce qui est dans l’espace. Un Pénétrable de Soto réveille nos sens par le contact de la main et le bruit des très longs tubes. Ces tubes sont solides, contrairement aux minces fils de colle liquide, si fragiles, comme le temps de la vie dans Vertical Space. Dans l’œuvre Ganzpeld Apani de James Turrell, nous ne pouvons voir ce qui est dans l’espace. L’espace est entièrement rempli de lumière éblouissante, nous ne pouvons ni la toucher, ni rien saisir avec la main ; la couleur est le vide intouchable, le vide est la couleur visible. Cette couleur de la lumière qui ne peut être touchée correspond au vide que signifie le gong (공, 空) dans le bouddhisme. On retrouve la fameuse phrase du bouddha dans Prajna Paramita Sutra (Sutra de la sagesse suprême) : « La couleur est donc le vide, le vide est donc la couleur. » (« saekjeuk sigong, gongjeuk sisaek ») (Gautama, 1991, p. 63). L’air, invisible, comme toute chose immatérielle, nous échappe du fait de nos habitudes qui souvent nous rendent aveugles. C’est que nos yeux nous trompent et parfois nous les croyons. Nous ne pouvons pas voir la nature du soleil, nous ne voyons que la lumière et l’effet du soleil. La lumière indique la présence du soleil, l’entité existe. Le bouddha historique explique le vide en le comparant au vent :

Le vide est comparable au vent, car la forme du vent est invisible et insaisissable, mais cela ne signifie pas qu’il n’y a rien. De même, on ne peut pas voir la forme du vide, mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a rien. (Seong-Cheol, 1987, p. 129)

Ces installations nous invitent ainsi à un moment de méditation dans ces espaces verticaux où se combinent les matières légères et les non-matériaux tels que la lumière et l’air se combinent. L’installation propose au spectateur un lieu pour regarder et ressentir la scène, in situ. Parfois, tout n’est pas visible immédiatement. D’ailleurs, Atta Kim, artiste, photographe coréen, prétend que « ce qui est visible réellement n’est pas tout ». (A. Kim, 2014, p. 59) Tout n’est pas visible, mais tout est là, dedans. Si le vide, qui est semblable au non-être, rend visible par la présence de l’être, comme dit la pensée de Lao Tseu, le vide, gong (공, 空), du bouddhisme, qui est invisible et insaisissable, est comparable au vent (comme dit le bouddha historique). Le caractère 空, au sens du bouddhisme, représente une image de recherche sur soi. Comme la résonance du mot gong qui vient de nous, le vide du bouddhisme, gong, ce vide immanent demeure en nous. En se référant à la fameuse phrase du bouddha, « la couleur est donc le vide, le vide est donc la couleur », Atta Kim déclare que « la lumière existe dans toutes les couleurs. La couleur d’ici est la chose et tout ce qui existe » (A. Kim, 2014, p. 162). Alors il n’est pas nécessaire de chercher la couleur dans la lumière, car la lumière gong, le vide immanent, se trouve dans tout lieu et dans toute chose (H.-S. Kim, 2014, p. 33). Les œuvres d’Onishi nous proposent de saisir et de considérer attentivement cet espace, et d’apercevoir ce qui est invisible en nous rappelant à notre espace intérieur. Il désigne cet espace à travers ses installations. Ses œuvres nous montrent à la fois un espace réel et l’espace invisible pour révéler l’espace immanent qui est en nous. Cet espace immanent est comparable au Dao (Tao) de Lao Tseu : « Le Tao est tel un puits : sans cesse utilisé mais jamais tari. Il est comme le vide éternel : empli d’infinies possibilités. Il est caché mais toujours présent. » (Lao Tseu, 2008, chap. 4)

Bibliography

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Notes

1 Sauf mention contraire, les traductions du coréen et de l’anglais sont du fait de l’auteur de l’article. Return to text

2 Voir Lao Tseu : « Maintenir le corps et l’âme [esprit] sensitive dans l’unité, pour qu’ils ne puissent se séparer ; contenir la force vitale et la rendre docile, afin de devenir comme le nouveau-né ; se purifier en s’abstenant de scruter les mystères, pour rester sain ; […] étant inondé de lumière de tous côtés, pouvoir être ignorant ; donner la vie, l’entretenir, produire sans s’approprier ; agir sans rien escompter ; diriger sans asservir. Telle est la Vertu mystérieuse. » (Lao Tseu, 1991, p. 30) Return to text

3 Musée des arts décoratifs, festival d’automne à Paris, du 11 octobre au 11 décembre 1978. Return to text

Illustrations

  • Figure 1. – Yasuaki Onishi, Vertical Volume ACG, feuille polyéthylène, ventilateur, minuterie, etc., hauteur 700, largeur 570, profondeur 890 cm, Artcourt galerie, Osaka, Japon, 2014, photographie de Seiji Toyonaga, reproduction autorisée par la Artcourt galerie. © 2017 Yasuaki Onishi.

    Figure 1. – Yasuaki Onishi, Vertical Volume ACG, feuille polyéthylène, ventilateur, minuterie, etc., hauteur 700, largeur 570, profondeur 890 cm, Artcourt galerie, Osaka, Japon, 2014, photographie de Seiji Toyonaga, reproduction autorisée par la Artcourt galerie. © 2017 Yasuaki Onishi.

  • Figure 2. – Yasuaki Onishi, Daily Distance, feuille polyéthylène, ventilateur, minuterie, hauteur 244, largeur 743, profondeur 370 cm, Artists in Residence Center, Jyderup, Danemark, 2008. © 2017 Yasuaki Onishi.

    Figure 2. – Yasuaki Onishi, Daily Distance, feuille polyéthylène, ventilateur, minuterie, hauteur 244, largeur 743, profondeur 370 cm, Artists in Residence Center, Jyderup, Danemark, 2008. © 2017 Yasuaki Onishi.

  • Figure 3. – Yasuaki Onishi, Gawa (ring), bois, clous, fer, etc., hauteur 40, largeur 240, profondeur 240 cm, projet du diplôme Art & Design de Tsukuba Université, Japon, 2001. © 2017 Yasuaki Onishi.

    Figure 3. – Yasuaki Onishi, Gawa (ring), bois, clous, fer, etc., hauteur 40, largeur 240, profondeur 240 cm, projet du diplôme Art & Design de Tsukuba Université, Japon, 2001. © 2017 Yasuaki Onishi.

  • Figure 4. – Yasuaki Onishi, Shaping Air, The Making of A breath of Mobility, projet avec Mercedes-Benz CLA, Stuttgart, Allemagne : vidéo (3’11), 2013. © 2017 Yasuaki Onishi.

    Figure 4. – Yasuaki Onishi, Shaping Air, The Making of A breath of Mobility, projet avec Mercedes-Benz CLA, Stuttgart, Allemagne : vidéo (3’11), 2013. © 2017 Yasuaki Onishi.

  • Figure 5. – Yasuaki Onishi, Vertical Space, colle noire, autre, Newman Club, Newman, Australie, 2015, photographie de Bo Wong. © 2017 Yasuaki Onishi.

    Figure 5. – Yasuaki Onishi, Vertical Space, colle noire, autre, Newman Club, Newman, Australie, 2015, photographie de Bo Wong. © 2017 Yasuaki Onishi.

References

Electronic reference

Hyeon-Suk Kim, « Le sens du vide dans l’art de l’installation de Yasuaki Onishi », IRIS [Online], 40 | 2020, Online since 15 décembre 2020, connection on 19 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/iris/index.php?id=1252

Author

Hyeon-Suk Kim

Docteure en esthétique des arts (université Paris 8), artiste peintre, photographe, chargée de cours (université Paris 8), chercheuse associée (TEAMeD/AIAC EA 4010, université Paris 8)

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