Xavier-Laurent Salvador, Le Pont des âmes. De Zoroastre à l’imaginaire médiéval

Saint-Martin-de-Castillon, Signatura, 2012, 107 p.

p. 192-193

Référence(s) :

Xavier-Laurent Salvador, Le Pont des âmes. De Zoroastre à l’imaginaire médiéval, Saint-Martin-de-Castillon, Signatura, 2012, 107 p.

Texte

L’ouvrage retient l’attention par son sous-titre : « De Zoroastre à l’imaginaire médiéval ». Il s’agit d’une étude argumentée sur un motif récurrent des récits médiévaux de voyages dans l’au-delà : le pont que doivent franchir les âmes lors de leur pérégrination après la mort. Seules les âmes des justes pourront le franchir sans encombre. Les infâmes seront confrontés à son rétrécissement, prélude à une chute inéluctable dans le fleuve des enfers. Le point de départ de l’enquête est une image : une fresque de l’église Santa Maria de Loreto dans les Abruzzes. L’auteur se livre à une enquête passionnante sur le trajet culturel de cette image dont il croit trouver la source directe dans la tradition iranienne. Un bel article de A. Saly, dûment signalé dans le présent ouvrage, avait montré la voie d’une enquête. L’auteur s’y engage courageusement mais parfois imprudemment. On est surpris par la thèse centrale du livre selon laquelle la source directe et unique des légendes chrétiennes focalisées sur le Pont de l’au-delà serait les textes fondateurs du zoroastrisme. Il est très douteux, comme le laisse entendre l’auteur, que le trajet soit aussi direct entre la Perse zoroastrienne et la plume des clercs médiévaux. Il convient de rappeler à ce propos l’hypothèse indo-européenne bien formulée par G. Dumézil. Les similitudes et analogies relevées entre des motifs mythiques appartenant à des cultures différentes de l’aire linguistique indo-européenne ne s’expliquent pas nécessairement par une imitation directe (un copier-coller !) qui se serait produit au Moyen Âge par exemple. Pour pouvoir affirmer l’imitation directe, il faudrait exclure une possible source commune plus ancienne. Or, dans le cas présent, cette source existe : elle remonte à l’Inde. On se reportera au bel ouvrage de A. Coomaraswamy, La porte du ciel. Essais sur la métaphysique de l’architecture traditionnelle (Paris, Dervy, 2008), et plus particulièrement au chapitre intitulé « Le Pont périlleux du bonheur » écrit par D. L. Coomaraswamy, épouse de l’auteur qui a révisé et annoté la contribution de sa femme (p. 191-211). Ce grand indianiste décédé en 1947 livre des clés incomparables pour saisir les fondements mythiques des motifs merveilleux attestés au Moyen Âge : leur signification spirituelle (pas nécessairement « religieuse ») et ontologique dans la perspective d’un messianisme bien incarné par Lancelot. D’autres affirmations de X. L. Salvador ne laissent pas de surprendre. Chrétien ne présente nullement l’épée géante formant le pont comme celle de Lancelot (p. 18). Le mot « pontife » aurait été peu employé au Moyen Âge (p. 19) ; c’est peut-être vrai pour le français mais certainement pas pour le latin puisque pontifex est le titre ordinaire du pape ! La légende du pontife saint Bénézet, constructeur du pont d’Avignon, méritait d’être (au moins) citée (voir l’article « Saint Bénézet et le Pont d’Avignon » paru dans D. James-Raoul et C. Thomasset (éds), Les Ponts au Moyen Âge, Paris, Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 2005, p. 59-70). Ce serait Grégoire qui aurait introduit Zarathoustra dans le christianisme (p. 53). Affirmation légère qui fait peu de cas de tous les récits commodément rassemblés par A. Micha, Voyages dans l’au-delà d’après les textes médiévaux (ive-xiiie siècles) (Paris, Klincksieck, 1992), ainsi que la grande étude de C. Carozzi, Le voyage de l’âme dans l’au-delà d’après la littérature latine : viiie-xiiie siècles (Rome, École française de Rome, 1994). Les médiévaux ne savent de Zarathoustra que ce qu’en dit Pline au livre VII de son Histoire naturelle. C’est tout. Il n’est pas du tout démontré (loin de là !) qu’ils faisaient un lien direct entre Zarathoustra et le Pont Tchinvat ou l’inverse ! L’absence du nom (même déformé) de Zoroastre dans l’onomastique des récits médiévaux est quand même un indice inquiétant à cet égard. Pour conclure, le comparatisme en matière d’histoire des religions est une affaire délicate qui exige des mises en perspective anthropologiques et mythologiques, une distance critique par rapport à des sources médiévales et antiques souvent très fragiles pour ne pas dire évanescentes, et surtout une bonne connaissance de la « grammaire » comparée, autant de qualités dont cet ouvrage nous semble insuffisamment doté. En revanche, il faut remercier et féliciter l’auteur de penser l’imaginaire dans la longue durée des cultures et des civilisations, et de redonner ainsi aux textes médiévaux une profondeur et une richesse qu’on leur dénie trop souvent.

Citer cet article

Référence papier

Philippe Walter, « Xavier-Laurent Salvador, Le Pont des âmes. De Zoroastre à l’imaginaire médiéval », IRIS, 35 | 2014, 192-193.

Référence électronique

Philippe Walter, « Xavier-Laurent Salvador, Le Pont des âmes. De Zoroastre à l’imaginaire médiéval », IRIS [En ligne], 35 | 2014, mis en ligne le 31 janvier 2021, consulté le 28 mars 2024. URL : https://publications-prairial.fr/iris/index.php?id=1720

Auteur

Philippe Walter

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