Introduction

Introduction

Texte

Le 20 octobre 2015, les doctorants et doctorantes du Laboratoire de Recherche Historique Rhône-Alpes (LARHRA, UMR 5190) ont organisé leur journée d’études annuelle à Lyon sur le thème des archives de la répression. Il s’agissait de proposer une réflexion collective autour de cette notion de répression à travers l’analyse d’archives produites dans différents contextes, pour les périodes moderne et contemporaine.

Le terme de répression, souvent utilisé en histoire (répression coloniale, répression des mouvements sociaux, répression politique, répression religieuse), désigne, dans une première acception simple, une action visant à empêcher quelque chose de se produire et de se développer, afin de maintenir ou d’imposer l’ordre souhaité par une autorité. Peu interrogé par les historiens, ce terme a pourtant fait l’objet de multiples analyses dans les sciences sociales, notamment au prisme de l’action collective1. Les sociologues ont défini la répression comme « les efforts pour supprimer tout acte contestataire ou tout groupe ou organisation responsable de ces derniers »2. Ce premier apport conceptuel des sciences sociales conduit les historiens et historiennes vers différentes pistes. La définition invite d’abord à questionner les rapports entre l’individu, la société et les institutions, à travers une série de couples antinomiques : ordre/désordre, contestation/répression, État/groupes… Cette même définition pose également le postulat d’un ordre contesté – ou du moins remis en cause – selon le point de vue et le discours de l’entité qui réprime.

Ainsi, au-delà d’une typologie de la répression et des formes répressives, d’une étude sur les acteurs, institutions et corps répressifs ou réprimés, le projet de cette journée d’études était d’effectuer un retour aux sources, afin de redonner une historicité à ce concept utilisé dans de nombreux contextes socio-historiques, de repenser et de mettre à distance le discours hégémonique qui s’impose après la répression, et enfin de l’éclairer par une approche pluridisciplinaire.

Plusieurs pistes de réflexions ont animé la journée. La première a été la question de la matérialité des archives de la répression, notamment les contextes de leur production, leur nature, mais aussi leur conservation, ou pire leur absence ou disparition. Mario Cuxac et Alice Violeta Popescu ont notamment bien montré les régimes de production d’archives spécifiques et les potentialités de leur exploitation dans le cadre de régimes répressifs européens durant le XXe siècle. La seconde piste a interrogé les discours inhérents à ces sources, que ce soit dans la désignation de l’objet réprimé ou sa description. Il s’agissait d’approfondir une réflexion davantage méthodologique entre les sources et les évènements étudiés par les chercheurs. Dans cette démarche Myriam Deniel-Ternant, Émilie Leromain pour l’époque moderne, et Chantal Dhennin-Lalart pour la période contemporaine, ont présenté trois corpus d’archives spécifiques, proposant une réflexion historiographique sur les modes de production de la répression et sa désignation. Ces différents articles permettent ainsi de réinterroger l’acte de réprimer, en mettant en évidence des stratégies archivistiques et discursives de la part des différents acteurs.

Cette journée a été placée sous la présidence de Giovanni Romeo. Professeur d’Histoire moderne à l’Université de Naples, Giovanni Romeo est un spécialiste d’histoire sociale et religieuse de l’Italie des xvie et xviie siècles. Suivant les traces de Carlo Ginzburg, il a consacré ses premiers travaux à l’Inquisition et à la « chasse aux sorcières ». Durant les quelque quinze années qu’il a consacré à cette thématique, il a consulté une grande variété de sources, notamment les procès de l’Inquisition romaine du tribunal du Saint-Office en Italie, ainsi que les procès des tribunaux épiscopaux. Ses recherches sur la première organisation institutionnelle répressive religieuse de l’histoire, et les structures d’encadrement des peuples sur lesquelles elle s’appuyait, faisaient de Giovanni Romeo l’historien idoine pour parrainer la Journée d’études des doctorants et doctorantes du LARHRA consacrée aux sources de la répression de l’époque moderne à l’époque contemporaine3. Ses travaux sur l’Inquisition témoignent en effet d’un système d’encadrement et de répression situé au cœur du pouvoir religieux et interagissant avec le pouvoir politique, qui œuvre pour la transmission de normes tridentines dans les sociétés italiennes d’Ancien Régime du xvie au xviie siècle. Mais à contre-courant de cette acculturation forcée, il en ressort aussi des formes plus ou moins importantes de résistance laïque, révélant par exemple une identité populaire napolitaine spécifique en matière de piété et de croyances, mais aussi des phénomènes de subversions internes à l’Église malgré le poids inquisitorial. Causes, objets, acteurs, pratiques de la répression sont des notions centrales dans les recherches de Giovanni Romeo, auxquelles font écho les contributions proposées dans ce numéro des Carnets du LARHRA.

Nous remercions chaleureusement Giovanni Romeo pour son écoute lors de la journée, et pour la mise en perspective des contributions, à partir de ses propres travaux, qui constitue le premier article de ce recueil. Nous tenons également à remercier les différents auteurs pour leurs contributions. Notre gratitude va également à Bernard Hours, directeur du LARHRA, et Isabelle von Bueltzingsloewen, qui nous ont accompagné dans l’organisation de cette journée. Nous remercions enfin le LARHRA pour le financement de cette manifestation, ainsi que Sylvia Chiffoleau pour son aide précieuse dans la préparation de la publication.

1 Pour une synthèse, voir notamment Olivier Fillieule, Lilian Mathieu, Cécile Péchu (dir.), Dictionnaire des mouvements sociaux, Paris, Les Presses de

2 Doug Mc Adam, Sidney Tarrow, Charles Tilly (dir.), Dynamics of Contentions, Cambridge, Cambridge University Press, 2001, p. 69.

3 Voir en particulier : Giovanni Romeo, Inquisitori, esorcisti e streghe nell’Italia della Controriforma, RCS, Milan [Florence], 2004 [1990] ; idem

Notes

1 Pour une synthèse, voir notamment Olivier Fillieule, Lilian Mathieu, Cécile Péchu (dir.), Dictionnaire des mouvements sociaux, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2009.

2 Doug Mc Adam, Sidney Tarrow, Charles Tilly (dir.), Dynamics of Contentions, Cambridge, Cambridge University Press, 2001, p. 69.

3 Voir en particulier : Giovanni Romeo, Inquisitori, esorcisti e streghe nell’Italia della Controriforma, RCS, Milan [Florence], 2004 [1990] ; idem, Aspettando il boia. Condannati a morte, confortatori e inquisitori nella Napoli della Controriforma, Sansoni, Florence, 1993 ; idem, Ricerche su confessione dei peccati e Inquisizione nell’Italia del Cinquecento, La Città del Sole, Naples, 1997 ; idem, L’Inquisizione nell’Italia moderna, Laterza, Rome-Bari, 2002 ; idem, Esorcisti, confessori e sessualità femminile nell’Italia della Controriforma, Le Lettere, Florence, 1999 ; idem, Amori proibiti. I concubini tra Chiesa e Inquisizione, Laterza, Rome-Bari, 2008 ; idem, et Michele Mancino, Clero criminale. L’onore della Chiesa e i delitti degli ecclesiastici, Laterza, Rome-Bari, 2013.

Citer cet article

Référence électronique

Isabelle Blaha et Nicolas Guyard, « Introduction », Les Carnets du LARHRA [En ligne], 2016 | 1 | 2018, mis en ligne le 06 juillet 2018, consulté le 29 mars 2024. URL : https://publications-prairial.fr/larhra/index.php?id=140

Auteurs

Isabelle Blaha

Laboratoire LARHRA, UMR 5190

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Nicolas Guyard

Laboratoire LARHRA, UMR 5190

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