Camille de Neufville, pouvoir et fortune

Texte

Estienne Gantrel, Camille de Neufville de Villeroy, 1606 - 1693. Archevêque de Lyon

Estienne Gantrel, Camille de Neufville de Villeroy, 1606 - 1693. Archevêque de Lyon

UP N 57, gravure, 46,20 cm

National Galleries of Scotland, Creative Commons CC by NC

Comment un troisième fils d’une famille de noblesse récente a-t-il eu tous les pouvoirs sur la province du Lyonnais, Forez et Beaujolais, sous le règne de Louis XIV ? Telle est l’interrogation à l’origine de cette thèse. En effet, Camille de Neufville cumule les charges de lieutenant général (1646-1693) et d’archevêque (1653-1693) durant un demi-siècle. L’étude est menée autour de deux mots clés, pouvoir et fortune. Le premier implique plusieurs domaines. Le pouvoir politique amène à penser à son exercice et au ressenti de ceux qui sont dirigés. La charge de lieutenant général de Camille de Neufville lui octroie des pouvoirs politiques et militaires. La reconnaissance royale, en lui accordant le poste d’archevêque, y ajoute des pouvoirs religieux et spirituels. Les conditions d’un tel cumul peuvent provenir de la famille, de la personne, d’une position, d’un poste, d’argent, d’où l’apposition du second mot-clé, fortune. Dans son sens moderne, cette dernière se réfère à la richesse, l’abondance de biens, mais l’étymologie latine issue de fortuna rappelle la déesse romaine du hasard, de la destinée. À partir de là, le travail est élaboré autour de plusieurs interrogations qui concernent les conditions d’acquisition d’un tel pouvoir, son exercice, et les moyens qui permettent sa croissance et sa conservation.

La première partie établit les prérequis à l’obtention de tels pouvoirs. Elle analyse la famille par l’élaboration d’une généalogie. Elle permet d’examiner une ascension faite d’opportunités, de valeurs devenues transgénérationnelles qui, reconnues par les souverains, deviennent des atouts permettant l’intégration et la reconnaissance d’une famille anoblie dans l’entourage royal. La formation de Camille, l’œuvre de son précepteur Bésian Arroy, et les rencontres qu’il a faites sont étudiées afin de détecter si certaines influences peuvent se retrouver ensuite dans sa manière de penser, de diriger, de décider. De même, l’administration de ses premiers bénéfices ecclésiastiques est analysée. Enfin, la façon dont il a accueilli ces nominations à ces grandes charges est examinée. Celle au poste de lieutenant général du roi semble se mettre en place naturellement car correspondant en tous points à ces appétences et à la formation donnée par son père. Celle à la place enviée d’archevêque de Lyon semble en revanche plus problématique. Il hésite, demande conseil, avant d’accepter, poussé par sa famille. Or, Camille de Neufville prend d’habitude ses décisions rapidement, il semble donc ici que le domaine lui convient moins.

La deuxième partie est basée sur l’analyse de l’exercice du pouvoir, ventilée en trois entrées. Les deux premières correspondent aux deux postes occupés, la troisième évoque les deux châteaux qui veillent à garantir l’étanchéité des pouvoirs temporels et spirituels que Camille de Neufville tente d’instaurer.

Le lieutenant général ayant un vif intérêt pour le domaine militaire, il excelle en la matière et le démontre dans son administration des hommes, du matériel, du régiment du Lyonnais, de l’application des ordres, de la collecte de renseignements. L’étude de ses rapports avec les intendants montre une alternance d’entente ou de confrontation entre ces deux représentants du roi dans la province. Enfin, ses rapports avec la municipalité de Lyon sont examinés car Camille constitue le lien entre pouvoir central et local. Plusieurs points sont ciblés : le commerce, la fiscalité, les problèmes de préséances résolus par l’établissement d’un cérémonial public à l’hôtel de ville de Lyon en 1680, la gestion des crises.

Le pouvoir religieux est partagé en deux ensembles, le premier étant lié à son action dans le diocèse, le second ayant trait à sa qualité de primat des Gaules. Le prélat nouvellement nommé commence par la visite générale de son diocèse qui permet un constat de l’état des paroisses et complète sa vision de lieutenant général. Elle lui assure une connaissance des hommes et la mise en place de relais compétents. Elle est à l’origine de nombreuses réformes et ordonnances. Le prélat applique les recommandations du Concile de Trente, accorde la création d’établissements religieux et de séminaires. Mais derrière la main de Camille qui acte, se trouve un homme de l’ombre, Antoine de Neufville, issu de la relation de son père avec une moniale. Toujours dénommé dans les actes « abbé de Saint-Just », il est l’éminence grise de l’archevêque et est à l’origine de toutes les innovations mises en place dans le diocèse. Camille en est l’administrateur et montre ses compétences tant dans la gestion de l’ordre moral, du jansénisme que des protestants, ou dans celle matérielle de l’archevêché. Archevêque de Lyon, il accède au titre de primat des Gaules. Il possède une juridiction englobant les diocèses de Lyon, Tours, Sens, Paris avec une officialité primatiale. Il bénéficie de la préséance et de l’autorité dans les assemblées du clergé, les conciles. Il doit donc intervenir, dès sa nomination, dans l’affaire du cardinal de Retz. En 1661, il se heurte aux archevêques de Rouen et d’Arles pour la préséance dans la remise de la croix de l’ordre du Saint-Esprit. Il exige que sa primauté soit reconnue et obtient gain de cause. Dans les affaires de justice, les appels sont étudiés avec soin. Par contre, il participe peu aux grandes assemblées du clergé car le roi demande à François Harlay de Champvallon de les présider. C’est ce même homme, devenu archevêque de Paris, qui s’était opposé à notre prélat en qualité d’archevêque de Rouen, dans la querelle de préséance. Or, sa présidence explique l’absence de l’archevêque de Lyon aux assemblées où il ne peut tenir son rang. La mise en place de l’Église gallicane gêne l’archevêque de Lyon, éduqué par les Jésuites. Il donne son opinion au roi sans faire la moindre remarque une fois le tout acté. Est-ce cela qui l’éloigne d’un chapeau de cardinal, ou plutôt son hésitation lors de la nomination à ce poste ou son peu d’appétence pour une carrière ecclésiastique nationale ? Toujours est-il que le diocèse est bien dirigé par ses soins conformément aux attentes du Concile de Trente.

Le dernier point de cette partie tente de montrer l’étanchéité de ses pouvoirs, à travers la réalisation de deux domaines distincts, et évoque ses bienfaits pour une paroisse, Vimy devenue Neufville (aujourd’hui Neuville-sur-Saône), qui montrent son côté d’évergète local. C’est dans cette commune que se trouve le domaine d’Ombreval, que Camille de Neufville achète en 1630. L’évolution de ce domaine reflète l’œuvre de Neufville qui n’a de cesse toute sa vie de l’améliorer. En effet, une de ses missions est de constituer un ancrage foncier local pour sa famille. Camille va donc réaliser le marquisat de Neufville avec château, écuries, jardins, domaine qui lui permet de donner une image digne d’un représentant du pouvoir central. Le second domaine procède de l’humilité d’un évêque, mise en scène dans l’acquisition du domaine de la Saulsaye, en 1662. Un château plus austère y est construit où l’archevêque peut recevoir des dignitaires religieux. Il constitue une réponse au côté luxueux qu’arbore par ailleurs le représentant du roi dans ses fonctions séculières. À sa mort, ce domaine est vendu.

La dernière partie de la thèse, déclinée en trois points, se concentre sur les moyens qui ont permis à Camille de Neufville de garder le pouvoir. Le premier point étudie le lien avec le pouvoir central localisé à Paris. Il analyse la confiance du roi, les liens qu’il entretient avec le souverain, sans omettre le poids de sa famille. Ainsi est soulignée l’importance du père puis du frère Nicolas, gouverneur de la province, avec lequel il dirige de manière bicéphale (après le décès de ce dernier, Camille voit ou pense son pouvoir amoindri car ses relations diffèrent ensuite avec un neveu peu apprécié). Chacun a ses attributions. Au niveau du pouvoir central, c’est Nicolas qui gère les affaires, les emprunts, les informations à donner, le réseau. Camille s’occupe de la gestion et du réseau au niveau local. Il arrive sur un terrain défriché par son père. Il a donc des appuis mais va avoir à cœur de développer son réseau dans les domaines civil et militaire. Des familles lyonnaises vont se mettre au service des Neufville et vont occuper des fonctions de manière pérenne. Dans son entourage proche, il choisit des personnes pour leurs compétences. Force est de remarquer qu’il se trompe peu dans le choix de ses assistants qu’ils soient médecins, domestiques, secrétaires ou notaires. Il en est de même dans le domaine religieux. Le chapitre Saint-Jean n’obtient jamais sa confiance. Le seul à qui il délègue est Antoine de Neufville. Après la mort de celui-ci, il continue à gèrer son diocèse mais aucune innovation ne voit plus le jour. Il met en place un conseil empli d’hommes de confiance qui l’assistent dans ses tâches d’archevêque. Tous se retrouvent dans la compagnie du Saint-Sacrement où Antoine joue un grand rôle sans que Camille n’y soit jamais affilié. Enfin, le dernier point est basé sur l’augmentation de sa fortune par une estimation de son revenu annuel, l’étude de son testament et de son inventaire après décès. Le tout montre que Camille œuvre pour sa famille. La croissance du domaine d’Ombreval est centrale pour légitimer aux yeux de tous la fonction de gouverneur de la province de sa famille. La seule concession qu’il s’accorde est son plaisir pour la chasse, ses chevaux, ses chiens, et sa bibliothèque.

Ainsi, Camille de Neufville a administré toute la province de Lyon sur un demi-siècle. Son décès, le 3 juin 1693, la laisse pantelante et inaugure une nouvelle ère, celle d’une famille proche du pouvoir central qui va désormais gérer la circonscription à distance. Camille de Neufville est un homme de devoirs et sa mission, visant à ancrer sa famille dans cette province, est remplie. Il a géré la province, les hommes, leurs âmes, consolidé les réseaux, créé un domaine foncier. Son charisme au niveau local, issu d’une autorité légitime, son humilité au niveau national due à un service sans faille du roi, lui ont permis de conserver tous les pouvoirs dans cette province sous le règne de Louis XIV et de pérenniser la puissance de sa famille dans celle-ci

Thèse de doctorat en Histoire mention histoire religieuse, politique et culturelle, soutenue le 5 décembre 2017 à l’Université de Lyon, Jean Moulin – Lyon 3.

Jury : Bernard Hours (directeur, Université de Lyon, Jean Moulin – Lyon 3), Frédéric Meyer (Université de Savoie), Françoise Bayard (Université de Lyon, Lumière – Lyon 2), Albane Pialoux (Université Paris Sorbonne), Stefano Simiz (Université de Lorraine).

Illustrations

Estienne Gantrel, Camille de Neufville de Villeroy, 1606 - 1693. Archevêque de Lyon

Estienne Gantrel, Camille de Neufville de Villeroy, 1606 - 1693. Archevêque de Lyon

UP N 57, gravure, 46,20 cm

National Galleries of Scotland, Creative Commons CC by NC

Citer cet article

Référence électronique

Laurence Yaghlian, « Camille de Neufville, pouvoir et fortune », Les Carnets du LARHRA [En ligne], 2017/2018 | 1 | 2018, mis en ligne le 25 février 2019, consulté le 29 mars 2024. URL : https://publications-prairial.fr/larhra/index.php?id=369

Auteur

Laurence Yaghlian

lorence.yaghlian@orange.fr

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