L’engagement des femmes dans les sociétés françaises de la Croix-Rouge, 1864-1940

Texte

Les souverains et les peuples de l’Europe et de la France de la seconde moitié du XIXe siècle ont vu émerger une nouvelle organisation internationale marquant les prémices de l’aventure humanitaire. La création du Comité international de la Croix-Rouge et de la première société française de la Croix-Rouge est l’œuvre de l’immuable volonté d’un philanthrope franco-suisse, Henry Dunant. La bannière de cette institution est représentée par une croix rouge sur fond blanc en référence au drapeau helvétique inversé, symbolisant la générosité, la fraternité, et la solidarité. L’histoire des femmes et l’histoire des trois sociétés françaises de la Croix-Rouge s’entremêlent depuis la création ce celles-ci à la fin du xixe siècle. Les femmes volontaires s’engagent en effet à titre gracieux dans l’action sanitaire et sociale pour servir le pays. Elles apportent une aide précieuse et complémentaire à l’action d’une minorité masculine bénévole. Plusieurs générations de femmes exercent ainsi des responsabilités dans la direction des comités locaux et des hôpitaux auxiliaires, entrent à la direction des assemblées, commissions et divers conseils. Ces femmes bénévoles se distinguent par leur polyvalence dans la réalisation des tâches quotidiennes. Elles interviennent dans l’organisation matérielle et la récolte d’argent, le recrutement des bénévoles, exercent des activités professionnelles après avoir suivi des enseignements en médecine, et forment d’autres infirmières. Elles apportent un soutien moral et psychologique aux civils et aux militaires. Elles soignent les soldats blessés et malades. Elles s’illustrent pendant la guerre franco-prussienne (1870-1871) et lors des deux guerres mondiales.

Journée de la Croix-Rouge, 15 novembre : deux femmes quêtant à Paris devant une bouche du métropolitain

Journée de la Croix-Rouge, 15 novembre : deux femmes quêtant à Paris devant une bouche du métropolitain

[Agence Rol], © Gallica.bnf.fr, droits réservés.

Le rôle social des femmes laïques va être essentiel sous la IIIe République (1870-1940). Les progrès de la médecine associés à la professionnalisation du métier d’infirmière entraînent le remplacement des religieuses des congrégations féminines exerçant dans les établissements hospitaliers, mais aussi dans les écoles et à l’armée. À partir de 1879, leurs activités d’auxiliaires auprès des médecins s’accroît et se professionnalise avec la création d’écoles d’infirmières-ambulancières, l’élaboration de formations avec un unique diplôme d’État d’infirmière en 1922. Entre 1864 et 1940, dans une société française patriarcale, militarisée et conservatrice, les hommes au pouvoir conçoivent mal l’idée que des femmes puissent être auxiliaires des armées. Ces activités humanitaires offrent pourtant une possibilité aux femmes de sortir du foyer familial, et de s’émanciper.

À partir de la Première Guerre mondiale, les femmes constituent la majorité des effectifs de la main-d’œuvre bénévole au sein des trois sociétés françaises de la Croix-Rouge, la Sociétés de Secours aux Blessés Militaires (SSBM), l’Association des Dames Françaises (ADF) et l’Union des Femmes de France (UFF). Le manque d’hommes bénévoles dans la SSBM, dont les femmes étaient exclues au départ, avait mis en péril la Croix-Rouge dès la guerre franco-prussienne de 1870-1871, lui faisant courir le risque de ne plus pouvoir assurer sa mission d’auxiliaire du Service de Santé des armée. Sans la présence de ces femmes patriotes dans les rangs de la SSBM, comment aurait fait la Croix-Rouge SSBM pour soigner, soutenir et aider les milliers de soldats blessés, les familles des soldats défunts, les veuves et les orphelins ? Certes, ces femmes bénévoles improvisées infirmières méconnaissent alors les notions d’anatomie, d’hygiène, mais la faute en revient aux hommes de la SSBM qui ont refusé d’intégrer puis de former les femmes entre 1864 et 1870. La SSBM est alors en effet composée exclusivement de membres masculins et les femmes en sont exclues entre 1864 et 1870. Elles en sont exclues de nouveau en 1871, après leur arrivée l’année précédente dans les rangs de la SSBM, pourtant à la demande des hommes. Puis elles sont réintégrées en 1875 pour devenir majoritaire en 1914.

Hôpital Janson de Sailly, arrivée de blessés en 1914

Hôpital Janson de Sailly, arrivée de blessés en 1914

[Agence Rol], © Gallica.bnf.fr, droits réservés.

Les femmes bénévoles sont indispensables pour faire fonctionner les trois Croix-Rouges en temps de paix et de guerre. Elles sont polyvalentes et mènent des actions spécifiques. Elles récoltent de l’argent et des fonds grâce à des manifestations publiques (kermesses, bals, loteries, concerts, ventes de charité). Non seulement elles recrutent, mais elles forment également les nouvelles bénévoles au métier d’infirmière ou d’assistante sociale. À partir de 1879, elles suivent des formations afin d’apprendre des notions médicales et d’hygiène pour devenir de véritables professionnelles reconnues officiellement par l’État et par leurs collègues masculins. Elles font la promotion des actions des Croix-Rouges auprès du grand public, diffusent les principes d’humanité d’Henry Dunant, fondateur de la Croix-Rouge internationale et de la Croix-Rouge française, tissent des réseaux avec la classe politique, les entreprises, les autres associations. Ce travail de fond est considérable et inestimable mais il n’est pas toujours facile à percevoir et à quantifier dans les sources archivistiques. Les femmes gèrent en outre la publication mensuelle des bulletins destinés à informer les adhérents sur l’actualité des Comités locaux, les rubriques nécrologiques. Elles réalisent aussi des caisses de vêtements, de compresses, de bandages, de médicaments, de nourriture. D’autre part, les femmes des Croix-Rouges apportent une aide complémentaire à l’activité des hommes qui s’avère précieuse. En effet, hommes et femmes soignent les soldats blessés et malades. Mais les femmes deviennent aussi conductrices d’automobiles quand les hommes viennent à manquer, suppléant à leur fonction. Sans ces femmes bénévoles, les véhicules auraient manqué de chauffeurs pour acheminer les médicaments et transporter les soldats et civils blessés lors de la Seconde Guerre mondiale. Aussi les hommes, bénévoles à la SSBM, les hauts-gradés de l’armée française et les médecins du Service de Santé reconnaissent-ils, dans des déclarations officielles souvent présentes dans les dossiers individuels des archives, le courage, la bravoure, le dévouement et le zèle des femmes des Croix-Rouges en période de guerre. Ils admettent le rôle essentiel des femmes sur le front. Certaines d’entre elles sont décorées de la Légion d’honneur, de la Croix de guerre, au même titre que des soldats. Entre 1870 et 1920, les femmes volontaires se préparent à intervenir au cas où un conflit armé se déclare. Les trois sociétés nationales s’implantent sur l’ensemble du territoire et constituent un réseau dans la plupart des départements et communes françaises. Les hommes et les femmes contribuent ensemble à mailler le territoire en créant des Comités locaux. Ils viennent au secours des victimes de catastrophes naturelles. En effet, l’élargissement du champ d’action des Croix-Rouges, sous l’impulsion de la SDN et du CICR au début du xxe siècle, accentue le rôle joué par les femmes bénévoles, cheville ouvrière des Croix-Rouges en France. Les missions se multiplient : soigner les soldats blessés, aider les victimes de calamités publiques, lutter contre la mortalité infantile, les épidémies de tuberculose et les épidémies en général. Les hommes exercent des missions spécifiques comme par exemple brancardiers, médecins et chirurgiens dans la SSBM. Ils continuent à contrôler la SSBM malgré la présence majoritaire des femmes à partir de 1914.

D’après l’étude sociologique menée entre les années 1870 et les années 1930, les femmes du quart Sud-Ouest de la France, de Paris et d’Ile-de-France, et du reste du territoire national, appartiennent à une l’élite urbaine et aisée (noblesse, bourgeoisie). Elles possèdent des moyens financiers suffisants pour payer une cotisation annuelle, siéger à l’Assemblée générale de leurs sociétés respectives, et obtenir des diplômes des Écoles de formation pour devenir infirmières. Cette élite féminine issue de la société française reconstitue une élite dans l’humanitaire, excluant de fait les femmes de milieux modestes et ruraux. Ces femmes bénévoles dans les trois Croix-Rouges partagent des points communs. Elles désirent vivre des aventures humaines, découvrir de nouveaux horizons, rencontrer de nouvelles personnes, oublier des drames personnels (mort d’un père, d’un frère à la guerre, enfant décédé prématurément, etc.) en aidant des militaires et des civils blessés ou malades. Elles souhaitent aussi poursuivre l’action bénévole d’un membre de la famille. Et elles manifestent également un ardent patriotisme. Pour ces femmes, servir dans les Croix-Rouges est un moyen de s’émanciper.

Thèse de doctorat en Histoire mention histoire religieuse, politique et culturelle soutenue le 1er décembre 2017.

Jury : Éric Baratay (Université de Lyon, Jean Moulin-Lyon 3, directeur), Anne Carol (Aix-Marseille Université), Catherine Maurer (Université de Strasbourg), Odile Roynette (Université de Franche-Comté, Besançon), Christian Sorrel (Université de Lyon, Lumière-Lyon 2).

Accéder en ligne : https://scd-resnum.univ-lyon3.fr/out/theses/2017_out_roudiere_p.pdf

Illustrations

Journée de la Croix-Rouge, 15 novembre : deux femmes quêtant à Paris devant une bouche du métropolitain

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Hôpital Janson de Sailly, arrivée de blessés en 1914

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Référence électronique

Patrick Roudière, « L’engagement des femmes dans les sociétés françaises de la Croix-Rouge, 1864-1940 », Les Carnets du LARHRA [En ligne], 2017/2018 | 1 | 2018, mis en ligne le 25 février 2019, consulté le 28 mars 2024. URL : https://publications-prairial.fr/larhra/index.php?id=384

Auteur

Patrick Roudière

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