Texte

« Citoyen du monde », tel se présentait Socrate. À l’heure des murs – de béton, de barbelés ou de papier – qui montent dans tant de pays de notre monde, ce postulat du cosmopolitisme semble bien irréel. L’identité – clé de la construction de l’individu et des groupes – devient une arme de guerre. Un décret du 31 mai 2007 instaurait en France un « Ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Codéveloppement ». En novembre 2010, ce ministère, controversé, disparaît dans sa dénomination et sa fonction de « Ministère de l’Identité nationale ». Ce proche passé, mais aussi le passé plus lointain de la « Révolution nationale », celui de la colonisation ou celui, déjà légendaire, de la fondation de la République française, nous remettent devant les malaises que véhicule l’identité politique et nationale, appuyée originellement sur une Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en 1791, devenue « universelle » en 1948 dans un bel élan utopique d’après-guerre… qui oubliait les peuples colonisés. Difficile compagnonnage de l’universalité et de l’identité ! Trouble d’une identité universalisable mais toujours tellement particularisante ! On a, avec ces seuls exemples, la preuve de la nécessité de penser individus et groupes à travers la pluralité d’identités qui les construisent : quelle identité pour cette impossible citoyenne en 1791 qui mènera Olympe de Gouges à écrire son fabuleux pastiche et programme en 1793 ? Quelle identité de ce virtuel citoyen du monde qu’est le citoyen français ? Quelle identité nationale ou internationale pour « ce peuple souverain » construit en 1791 ? Ces actes d’un colloque organisé par des doctorants, faits de paroles de doctorants ou de jeunes docteurs venus de plusieurs disciplines des lettres et des arts, prennent à bras-le-corps ce difficile concept d’identité, font se croiser, dès le titre du projet, identité et identités et soumettent la notion à une interrogation déplacée – hors du discours politique identitaire ou anti-identitaire – vers les lieux où se construisent, se partagent et se réaffirment continûment nos identités : la littérature, le cinéma, le théâtre, la musique. L’éventail des analyses ouvre à une compréhension internationale, c’est peut-être la première force de ce recueil, mais aussi à une compréhension pragmatique : les identités ne sont pas une donnée stable et définitive mais reposent sur une expérimentation heureuse ou malheureuse de sa différence, toujours rejouée au gré des appartenances sociales, religieuses, des événements politiques ou épidémiologiques, des performances artistiques ou linguistiques… L’école doctorale « Lettres, Langues, Linguistique & Arts » a soutenu ce projet et redit, au moment de la publication des résultats, la nécessité de laisser ouverte et vive la réflexion sur les combinaisons identitaires contre le poison de l’identité unique, mortifère.

Citer cet article

Référence électronique

Michèle Clément, « Avant-propos », Nouveaux cahiers de Marge [En ligne], 1 | 2017, mis en ligne le 12 février 2018, consulté le 28 mars 2024. URL : https://publications-prairial.fr/marge/index.php?id=285

Auteur

Michèle Clément

Université Lyon 2

Autres ressources du même auteur

  • IDREF
  • HAL
  • ISNI
  • BNF

Droits d'auteur

CC BY-NC-SA