Co-construire des vérités, à l’aune de l’empathie, de la confrontation des points de vue, pour rendre compte de la complexité et faire société

DOI : 10.35562/marge.351

Plan

Texte

          « Administrer la vérité » : voilà bien une question complexe au plan de la réflexion comme à celui de l’action… Sans aucun doute, cette problématique, multiforme, requiert des approches interdisciplinaires et commande aussi que, quel que soit son cadre théorique, on n’en soit pas prisonnier ni qu’on considère que ses hypothèses soient les seules pertinentes. J’aurais voulu traiter de la question en linguiste, spécialiste d’énonciation. Je me sentais particulièrement habilité à le faire, parce que je me suis souvent confronté à des analyses de discours, intéressé au discours médiatique – qui est sans doute le domaine le plus visiblement affecté par la question de la (post-)vérité, du mensonge, avec les fake news, hoaxes, trolls qui se répandent sur les réseaux, et alimentent des discours sur la post-truth –anglicismes qui ne doivent pas nous conduire à penser que ce serait là un mal récent, venu d’ailleurs, dont nous aurions été indemnes jusqu’à la dernière élection de Donald Trump, tant il est vrai que les rumeurs, intoxications ne datent pas d’aujourd’hui, même si la propagation des fausses nouvelles sur les réseaux est en soi un phénomène qualitativement et quantitativement nouveau.

          Comme nous sommes invités à réfléchir sur l’administration de la vérité, et non sur son expression, je ne traiterai pas ici de la question de savoir s’il est linguistiquement possible de déterminer les conditions auxquelles un énoncé peut être dit vrai, faux, mensonger, parce que je suis convaincu, en premier lieu, que l’on peut utiliser les mêmes marques dans tous les cas, et que le diagnostic repose sur une confrontation des discours avec la réalité extralinguistique, concernant le monde ou le locuteur. Quant à l’administration de la vérité, elle oblige à remonter d’un cran dans la réflexion sur les conditions extralinguistiques qui permettent d’établir des vérités, de les formuler, de vérifier leur réalité comme la pertinence des discours. C’est du moins mon hypothèse, si on traite du sujet, comme je ferai, en privilégiant les discours médiatiques. Cette question de l’administration de la vérité est une problématique globale, qu’il est, comme chacun sait, difficile de traiter à partir de cas particuliers. Je tiendrai donc un discours général, non sans éprouver un certain malaise, en tant que linguiste habitué à traiter de la matérialité des discours. Mais le linguiste serait-il radicalement illégitime dès lors qu’il abandonne le terrain des études de cas ? Je surmonterai mon malaise en me permettant de renvoyer aux analyses que j’ai rassemblées1 dans un ouvrage. De plus, je me sens autorisé à tenir un discours général, à l’aune de réflexions translinguistiques : en effet, les notions de point de vue2 (PDV) en confrontation, d’empathie et de mobilité empathique relèvent de considérations linguistiques, textuelles, discursives, énonciatives, rhétorico-argumentatives, qui sont utiles à l’ensemble des sciences humaines, et, au-delà, à l’ensemble des acteurs sociaux, notamment à la sphère médiatico-politique, qui entretient un rapport complexe à la vérité.

          Je m’interrogerai d’abord, à partir d’un témoignage émouvant de Varela sur le coup d’État au Chili, sur les notions de vérité (absolue, relative), sur le relativisme (au sens fort ou faible), sur la relativité (des savoirs et de « la » vérité), sur le danger de prétendre au monopole de la vérité et à délégitimer le rapport que les autres entretiennent avec la vérité. J’interrogerai ensuite la notion d’« administration » de la vérité, qui renvoie aux origines utilitaristes puis marxistes de l’administration des choses et des hommes. Qui administre ? Comment administrer ? Je considèrerai que l’empathie, la confrontation des points de vue et la co-construction de vérités situées sont des moyens d’administration de la vérité (parmi d’autres) au service d’une fin – le vivre ensemble – qui ne peut être approchée que si l’on prend en compte la complexité de nos organisations contemporaines. J’essaierai de le montrer en prolongeant une réflexion amorcée dans mon dernier ouvrage sur le phénomène du fact-checking, qui est bien évidemment au cœur de la traque des fake news, i.e. des fausses nouvelles, ou « infox3 », comme nous sommes invités à dire, par un mot-valise qui cumule info et intox. Et je conclurai en réfléchissant aux résistances médiatiques ou politiques qu’entrainent les tentatives de régulation dans l’administration de la vérité, avec l’analyse des réactions mitigées suscitées par diverses propositions relatives à des questions de déontologie.

1. Vérité ou vérités, relativité des savoirs, relativisme, aux plans scientifique, politique et éthique.

          Je voudrais commencer par commenter un texte de Varela dans lequel le chercheur chilien revient sur son expérience de la situation de son pays avant le coup d’État d’un autre onze septembre dont on a un peu perdu la mémoire après l’attentat contre les Twinsisters de New York, le 11 septembre 2001, je veux parler du coup d’État du général Pinochet, avec la complicité des USA, contre la République chilienne et son président, Salvador Allende, le 11 septembre 1973. Cela va sans dire, je ne cherche pas à jouer une date contre une autre, ce n’est pas ma façon de penser en général, ni ma façon de penser en politique en particulier ; ce serait de plus un contresens total par rapport au témoignage de Varela et aux questions dérangeantes qu’il nous pose.

          Quelques mots de contextualisation tout d’abord. Varela est un chercheur chilien, de renommée mondiale, qui, après une thèse de biologie, rencontra Maturana, et joua un rôle moteur dans l’émergence de la théorie de l’énaction, de l’embodiement. Peu avant le coup d’État, il était alors un jeune intellectuel enseignant à l’université de Santiago du Chili, supporter du Front populaire. Huit ans après le coup d’État, Varela publie dans le numéro 8 de Lindisfarne Letter ses « Reflections on the Chilean Civil War », qui ne seront traduites en français qu’en 2017, dans Le cercle créateur-Écrits 1976-2001.4 Ce texte m’a beaucoup marqué, car il était totalement en phase avec le livre que je venais de publier juste auparavant5. Voici, sans plus attendre, un premier extrait :

Je ne pourrais jamais trop insister sur le fait que le pays était divisé en deux au sens propre du terme. Devant le kiosque à journaux le matin, vous étiez informé par l’un des journaux qu’« il pleut », alors que l’autre vous disait qu’« il ne pleut pas ». « Untel est un vrai salaud » ; « Untel est le roi de l’univers ». C’était littéralement ainsi. Et vous devez savoir que, trois ans auparavant, ces deux journaux étaient parfaitement raisonnables et s’accordaient à dire qu’une table est une table et que le bleu est bleu. Mais, en 1973, cela n’était plus possible. Les journaux n’étaient plus d’accord sur quoi que ce soit, même pas sur l’heure qu’il était ou sur la couleur du ciel. La scission était totale, le pays était complètement divisé, juste en son milieu. Et cette polarité donna lieu au sentiment que « nous avons raison », qu’« ils ont raison »6 ; elle produisit une exagération continue du sens des lignes de démarcation et de territorialité : « ce territoire est à nous ; sortez d’ici ».
C’est à ce moment-là que la situation est devenue très déroutante pour moi. Au début, j’avais été entièrement favorable à ce qui se passait. […] Mais la deuxième année, quand j’ai vu à quel point la polarité s’était accentuée, j’ai commencé à me demander si cela avait du sens ou pas. Je n’arrivais pas à croire que les autres, ceux qui se situaient de l’autre côté, étaient aussi mauvais, aussi stupides, aussi entièrement dans l’erreur, aussi immoraux, aussi laids, et ainsi de suite, que j’étais supposé le croire. Il y avait quelque chose qui ne collait plus. La situation me rendait très, très perplexe, et j’étais pris dans un conflit de loyauté par rapport à ceux que je percevais comme les miens, c’est-à-dire mes amis solidaires de la cause du Front populaire. Je ne me sentais pas prêt à leur faire faux bond, mais ma conviction commençait à être ébranlée, je n’étais plus sûr de vouloir défendre cette cause.
Tel était l’état d’esprit dans lequel je me trouvais à la fin de l’année 1973. […] tout était absolument et entièrement chaotique, au sens propre du mot chaos. Il était devenu impossible de trouver le moindre vestige d’ordre, ou de quelques règles que ce soit7.

          La description que fait Varela du climat du pays est effrayante, avec une coupure générale, profonde, à tous les niveaux de la société chilienne, traversant les élites politiques, les médias, les militants, la population dans son ensemble. De tels désaccords pourraient sembler normaux, dans toute société, avec des classes ayant des intérêts différents, voire antagonistes. Les démocraties sont par définition des régimes où ces différences – idéologiques, culturelles, religieuses, économiques… – peuvent le plus favorablement s’exprimer. Mais cela ne dit rien sur les formes que peut prendre la discussion, sur la façon de régler les désaccords : par des négociations, des compromis plus ou moins à l’avantage de telle ou telle force, par des actions violentes allant jusqu’au coup d’État, comme cela s’est passé au Chili. Varela évoque une « scission totale », « une situation entièrement chaotique » due au fait que les gens n’étaient d’accord sur rien, y compris sur des évidences premières (e.g. le « temps qu’il fait » – et non celui qu’il va faire, qui peut prêter à des prévisions différentes – ou la « couleur du ciel »). De plus, il cherche non pas à rendre compte d’une situation à l’instant T, mais essaie d’analyser un processus général qui a conduit à ce que des journaux « parfaitement raisonnables » deviennent incapables de voir la réalité autrement qu’à travers une « polarisation » partisane, dont les manifestations pratiques se concrétisent par la conviction absolue d’avoir absolument raison et que l’autre a radicalement tort. Le résultat va plus loin que la délégitimation de l’adversaire, puisqu’il revient à revendiquer l’exclusion de l’Autre hors du territoire, hors de la communauté nationale. Tel est le processus qui frappe les deux camps en présence et gangrène l’ensemble de la société.

          Certes, nous connaissons bien les discours de délégitimation, voire les procès en légitimité qu’en général la droite conservatrice oppose aux forces de gauche, dans beaucoup de pays, les rares fois où elles accèdent aux responsabilités8. L’histoire de France des xxe et xxie siècles a été particulièrement marquée par ce phénomène, parce que les affrontements idéologiques y sont plus structurants qu’ailleurs, en Europe du moins, et que le rapport de force a été, sur la longue durée, largement en faveur du camp des conservateurs, qui ont occupé si souvent le pouvoir que cela semble un dû quasi naturel.

          Mais ici Varela ne réfléchit pas sur ses adversaires ; ses interrogations portent donc sur son camp, celui de la gauche, du Front populaire, englué dans un affrontement camp contre camp qu’il juge stérile, et, en filigrane, elles ont une portée générale, car le camp adverse est tombé dans la même logique. Mais Varela refuse de pointer les défauts des autres, ces autres aient-ils joué le rôle historique que l’on sait, il cherche à pointer les défauts et responsabilités de son camp, et sa responsabilité dans l’écheveau des responsabilités collectives. Ce faisant, il essaie de ne pas diaboliser l’Autre, ni d’idéaliser son propre camp, ce qui est sans doute sage, eu égard à une bonne administration de la vérité.

On pourrait discuter pour savoir si ce point de vue correspond bien à la situation chilienne ou pas. Mais mon propos n’est pas celui d’un historien, tout au plus celui d’un linguiste engagé « mais non enragé », selon le mot d’Arendt, qui réfléchit au rôle des discours dans leur rapport à la vérité, leur rapport à la conflictualité et à leur contribution à la vie bonne (l’éthique) et au souci démocratique de construire un commun équitable (et soutenable) pour tous. C’est pourquoi l’analyse de Varela m’importe moins en rapport à la situation extrême du Chili qu’en référence à un problème plus général, concernant l’ensemble de nos sociétés, qui deviennent de moins en moins gouvernables, parce que les conditions d’un dialogue et de ce sur quoi il est possible de faire consensus, et donc aussi société, sont de moins en moins réunies, non seulement en raison d’une anomie déjà ancienne, mais encore parce que les contours idéologiques des forces de gauche et de droite se sont estompés et que cela conduit le personnel politique à surjouer leurs différences en frappant les adversaires d’illégitimité.

          Je ne veux pas donner à croire que tout le monde devrait se parler, s’aimer, que tous les problèmes pourraient se régler par le seul pouvoir magique de la parole. La gestion de la parole, des discours, notamment sous son rapport à la vérité et au respect des interlocuteurs, requiert des principes d’organisation, qui peuvent permettre de réguler les échanges, les arguments, de gérer les désaccords : c’est le cas dans le domaine de la pragma-dialectique9 et dans celui des interactions10 dans le domaine des maximes conversationnelles11. L’ensemble de ces principes et règles aident à faire déboucher la conflictualité vers des prises de décision susceptibles d’être à l’avantage de l’intérêt général, ou susceptibles, à tout le moins – selon l’organisation de la discussion et aussi selon l’évolution des rapports de force, sur lesquels influe partiellement l’organisation des discours –, de corriger partiellement les décisions antérieures en faveur des groupes lésés. C’est dire que je me situe dans une optique démocratique, sociale, que je crois aux intérêts de classe, mais pas à l’idée qu’une classe représenterait à elle seule les intérêts collectifs, qu’il s’agisse des élites, du patronat, de la classe ouvrière, des classes moyennes. Et je n’adhère pas davantage à l’idée que des castes, par exemple des groupes cultuels, puissent prétendre exercer un contrôle sur l’ensemble du corps social. Cette conviction repose sur l’idée que toute prétention à la vérité absolue, pire, à son monopole (au nom de Dieu, des lois d’airain de l’économie, de la science ou de la technique), tout cela mérite discussion au nom d’un idéal démocratique qui peut sembler naïf, comme on le dit des travaux d’Habermas, de ceux de Bidar, comme si leur croyance en un idéal commun était une vieillerie idéaliste. Mais a-t-on trouvé mieux que ces formes, à sans cesse revivifier ?

        Néanmoins, il faut se garder de tomber dans un angélisme béat. C’est la ligne de pente de Varela, comme on peut le lire dans la suite de son article, notamment lorsqu’il évoque « la logique du paradis », une logique « essentiellement positive » reposant sur le « lien qui existe entre une vision du monde, l’action politique et la transformation personnelle »12 qui se concrétise par son adhésion (ou sa conversion ?) au bouddhisme, en raison de l’importance qu’il accorde aux questions de spiritualité et d’ascèse personnelle. On peut ne pas partager ce choix personnel. Pour ma part, je suis athée, matérialiste ; mais je ne laisserai pas penser que la dimension spirituelle, l’ascèse, le dépassement de soi seraient réservés aux religions : ces dimensions sont également cruciales pour les relations entre pensée et action, politique et morale ou éthique. Je le dis avec force, même si ces questions morales ont par exemple été souvent très relativisées, voire considérées avec commisération par certains marxistes, notamment (et cela peut se dire encore au présent), pour qui les questions morales étaient des questions bourgeoises (« d’abord la bouffe, ensuite la morale », ainsi que le dit un des personnages de L’Opéra de quat’sous), comme cela s’est vu à partir des réserves que suscitèrent les travaux de Lucien Sève et d’Yvon Quiniou, par exemple, dans la sphère intellectuelle et politique d’influence du Parti communiste français, à l’époque pas si lointaine (quarante ans quand même) où le PCF était encore la première force politique de gauche en France. Je le dis d’autant plus avec force que Varela me semble ne voir que le beau côté des religions, alors que leur mauvais côté l’emporte de beaucoup, avec les phénomènes d’intolérances religieuses, de guerres, qui ont causé et causent encore tant de dégâts, dans toutes les civilisations, y compris celles où existe le bouddhisme13 : on renverra aux analyses de C. Hagège et, d’un point de vue d’historien des religions, aux travaux passionnants d’Assmann14 qui rappellent que si les religions n’ont que les mots d’amour à la bouche, elles sont néanmoins aux sources de la violence religieuse, non seulement dans leurs textes fondateurs, mais encore dans les pratiques qui ont conduit à d’incessantes contraintes violentes, dès lors qu’elles sont dans une situation d’hégémonie religieuse et politique. Mais au fond, ce ne sont pas ces questions qui m’importent ici essentiellement (encore qu’elles soient tout sauf mineures). Ce qui compte, plus que le choix factuel et tout personnel de Varela, c’est le fondement empathique et éthique de cette vision de la vie personnelle et de la vie politique, fondement qui me semble utile dans nos sociétés actuelles. Voici donc comment Varela formule sa conception de la vie, qui informe ses conceptions politiques et éthiques, sans coupure ou contradiction entre les choix du dehors et du dedans :

Dans ces conditions, je dis que nous devons incorporer, dans la mise en œuvre et dans la projection de nos conceptions du monde, la compréhension simultanée que cette projection n’est que l’une des perspectives possibles, qu’elle n’est qu’un cadre relatif qui doit contenir en lui les moyens par lesquels il peut s’abolir lui-même, je suis loin d’avancer une simple proposition abstraite. […] Nous devons essayer de voir jusqu’à quel point nos opinions politiques et nos projections sur le monde peuvent exprimer cette forme de relativité, c’est-à-dire le fait que toute position que nous pouvons prendre contient en elle son contraire. Il ne m’est plus possible de m’associer à une action politique basée sur la seule vérité (= une vérité unique). Je ne peux plus dire que ma position politique est vraie et que la vôtre est fausse. Toute position politique contient les éléments sur lesquels est basée la vérité de l’autre, et nous ne faisons qu’exécuter un pas de deux. Je dois, bien sûr, prendre parti ; mais comment puis-je incarner dans cette action, le fait que je reconnais l’importance de l’autre point de vue, ainsi que la fraternité essentielle entre ces deux positions ? Comment faire pour dire à Pinochet : « Salut, mon frère » ? Je l’ignore. Je ne crois pas être assez éclairé pour cela. […].
Ce qui m’intéresse désormais, c’est de créer une forme de culture, de connaissance, de religion ou de politique qui ne considère pas qu’elle se substitue à une autre et qui puisse contenir les moyens de se défaire d’elle-même15.

          Varela met l’accent sur la nécessité d’exercer une attention scrupuleuse envers soi-même pour ne pas tolérer les contradictions entre sphères publique et privée, pour ne pas imposer aux autres des règles ou principes dont on se dispense, notamment dans le domaine politique, comme si la fin justifiait les moyens. L’affirmation que nul n’est détenteur de la vérité, qu’il n’est pas de vérité unique, mais seulement des vérités relatives, à construire ensemble, tout cela prémunit contre une pensée totale, totalisante, et potentiellement totalitaire, et doit aider à promouvoir une approche éthique de la politique, qui repose sur l’idée de partage, de respect, de fraternité, au fond, qui est, des trois notions de la devise de la République française, celle qui est encore plus difficile à faire vivre que celles de liberté et d’égalité – voir le beau commentaire de Bidar, « Fraterniser », sur le formidable récit hugolien de la rencontre entre Jean Valjean et monseigneur Myriel, dans Les Misérables16. Lorsqu’il témoigne de sa volonté de refuser toute prétention à détenir le vrai et à rejeter l’autre dans l’erreur, il émet une proposition qui n’est pas d’abord scientifique – même si elle n’est pas en rupture avec le domaine scientifique, par l’attention aux faits –, mais politique. Cela renvoie à l’idée que toute expérience, tout vécu se dit dans une prétention à la vérité, et que cette prétention doit être entendue, comprise, respectée, et sans doute aussi discutée, car toutes les vérités qui reposent sur des rapports à partiels doivent composer pour faire non pas une vérité unique, mais être prises en compte pour dégager un consensus qui satisfasse autant que faire se peut les intérêts des uns et des autres, tout en relativisant ces intérêts particuliers à l’aune de l’intérêt général (mais bien sûr cet intérêt général ne doit pas être le cache-sexe des intérêts particuliers d’un groupe, comme c’est quasi systématiquement le cas jusqu’à aujourd’hui). Le type de position de Varela concerne le vrai dans les domaines politique et médiatique. Il me semble en effet que c’est l’arrière-plan de formulations telles que « toute position que nous pouvons prendre contient en elle son contraire », sinon, dans le domaine des controverses scientifiques, on verserait dans des impasses. Cela signifie qu’il n’y a dans le domaine politique que des vérités partielles ancrées dans des situations, des intérêts singuliers, et qu’il faut faire effort pour voir en quoi des propositions différentes des siennes peuvent exprimer aussi des vérités (tout aussi partielles que les siennes) à intégrer dans une approche plus globale, plus commune17. « Je dois, bien sûr, prendre parti, écrit Varela ; mais comment puis-je incarner dans cette action, le fait que je reconnais l’importance de l’autre point de vue, ainsi que la fraternité essentielle entre ces deux positions ? Comment faire pour dire à Pinochet : "Salut, mon frère" ? ». Citer Pinochet est vraiment limite, et pourrait être interprété comme une provocation. Mais en une autre circonstance, alors que le coup d’État se développe et que Varela est cloîtré pour échapper aux balles, il évoque un militaire, « jeune garçon de 19 ans ». Son raisonnement est peut-être, à ce moment-là, plus aisément partageable, parce que moins choquant :

Pendant que j’étais enfermé dans cette pièce avec les autres, je voyais très clairement que ce n’était pas nous ici et eux là-bas. Je voyais clairement que l’armée, et le garçon de 19 ans qui avait tué un homme, n’étaient pas vraiment différents de moi-même. Je pouvais concevoir ce meurtre avec, en même temps, un sentiment de fraternité. La polarité n’était plus de ce côté et de l’autre côté, mais plutôt quelque chose que nous avions collectivement construit. Elle était, littéralement, le résultat d’une action que nous avions tous accomplie. À mesure que cela devenait clair à mes yeux, je comprenais que, quelles qu’aient été mes idées politiques, mes opinions, ou celles des autres (celles des ouvriers et bien d’autres), tout cela n’avait été que les fragments qui avaient constitué cette totalité, cette sorte de mandala complet. Brusquement, j’ai vu la folie de la situation, une folie complète. […] Ce qui était fou, c’était de réaliser qu’il y avait un schéma collectif dont j’étais responsable, où chacun de nous avait une part de responsabilité, où mes opinions n’étaient rien de plus que quelques fragments d’un puzzle plus vaste sur lequel je n’avais aucune prise18.

          Il me semble par conséquent qu’il s’agit moins de voir dans le bourreau du Chili un « frère », à ce moment dramatique de l’histoire, que de penser un processus politique qui, en amont du coup d’État, aurait essayé d’enrayer la spirale du chaos et de la haine, laquelle a conduit à séparer y compris des fratries, au sens propre, ou à enrayer le sentiment de fraternité, au sens figuré. C’est donc en tant que construction d’un processus politique de gestion des désaccords et au fond, d’administration de vérités relatives que le point de vue de Varela m’intéresse et me semble d’une brûlante actualité. Cependant, je crois qu’il faudrait aller plus loin et considérer qu’il y a de l’intérêt à rapprocher le domaine des opinions de la science, du moins au plan des méthodes de réflexion sur la fabrication des idées et la gestion de leur confrontation, non pas seulement par rapport à d’autres opinions, mais aussi par rapport au réel.

          On pourrait cependant objecter qu’il ne faut pas confondre l’éthique de la discussion avec l’éthique de la science. Dans une de mes recherches19 je citais notamment, en appui de cette thèse, ces propos de M. Conche :

La méthode du dialogue ne pouvait être un moyen de connaissance : ce n’est pas par un échange de mots que l’on peut parvenir à une connaissance des choses. Il ne s’agit que de réaliser l’accord des esprits. « Faisons en sorte, dit Socrate à Nicias, que tu n’aies pas sur le courage une opinion et nous une autre » (Lachès 198b). Il s’agit de remédier au désordre des jugements et de réaliser, entre citoyens d’une même cité – en l’occurrence Athènes –, un accord sur les valeurs et les principes moraux. Ainsi, prenant le mal à la racine, on pourra remédier au conflit des factions, rétablir et fonder la paix civile. Socrate n’écrit pas. Le livre, qui est figé, ne peut dire des choses différentes à des lecteurs différents, alors que la parole s’adapte à l’interlocuteur ; de plus, le livre, en l’absence de son auteur, ne peut répondre aux questionneurs ou objecteurs20.

Et j’écrivais que « cette opposition entre l’homme social et le savant ou le métaphysicien qui traitent du Tout de la réalité est discutable car elle reconduit une coupure très ancienne entre science, spéculation et action, comme si le monde des opinions et de l’action devait s’interdire de tendre vers un universel partagé/partageable, en focalisant sur une analyse adéquate des choses, disqualifiant par avance poétique et rhétorique, qui sont deux façons complémentaires (et différentes) d’envisager le contingent21 ». Un fait est vrai ou faux, du moins relativement à l’état des savoirs du moment et aux hypothèses des travaux scientifiques. Les controverses scientifiques sont fondamentales pour faire avancer les connaissances sur les faits, et nul savant ne saurait prétendre dire à lui seul le vrai, et surtout un vrai définitif, sauf à verser dans une démesure déraisonnable. Au fond, l’épistémologie des sciences, et d’abord celle des sciences dures, conduit à cette idée de la relativité des savoirs, et laisse les certitudes au domaine métaphysique. Mais cette conclusion commande qu’en matière de relativité, on ne confonde pas deux approches qui, dans leur conception, sont très différentes, en dépit d’un air de famille qui semble les réunir. De fait, on peut bien invoquer l’idée que les sciences sont relatives. Mais l’adjectif renvoie autant à l’idée de relativité qu’à celle de relativisme, sans que les dictionnaires de langue aident toujours à les distinguer, comme c’est le cas dans Le Grand Larousse de la langue française :

Relativisme : Doctrine qui affirme que toute connaissance humaine est relative.
Relativité : Caractère de ce qui est relatif.22

Les dictionnaires de langue sont d’une aide limitée, même s’il y a un saut entre la qualification d’un rapport (relativité) et la formulation d’une doctrine (relativisme). Car cette doctrine peut se décliner en un sens restreint ou descriptif, renvoyant à la relativité du savoir humain, qui n’est pas niable, et en un sens étendu, qui consiste à penser que tous les savoirs étant relatifs, ils se vaudraient tous, au point que toute idée de hiérarchiser les savoirs serait vaine. En ce cas, le rapport à la vérité (des faits) est abandonné par un principe radical (relativisme généralisé), tandis que dans le relativisme restreint, le rapport à la vérité est maintenu, fût-ce sous une forme critique.

          Revenons à Varela. La formulation centrale de son propos relève-t-elle du relativisme ou de la relativité ? Son propos récuse, me semble-t-il, l’idée d’un relativisme total, et plaide pour une relativité généralisée à l’ensemble de la vie, qui concerne autant la question morale ou éthique que la question politique ou la question scientifique, ainsi qu’il le dit dans la conclusion de son propos : « Ce qui m’intéresse désormais, c’est de créer une forme de culture, de connaissance, de religion ou de politique qui ne considère pas qu’elle se substitue à une autre et qui puisse contenir les moyens de se défaire d’elle-même. ». Une telle approche est précieuse au plan individuel, mais aussi au plan collectif, sur lequel je voudrais me focaliser à présent, en m’intéressant au rôle des médias relativement à l’administration de la vérité.

          En conclusion, je dirais que les sciences humaines, comme les discours médiatiques ou politiques, s’ils veulent contribuer à un bon fonctionnement de la démocratie, devraient se fixer une aussi grande exigence que les savants dans le domaine des sciences dites « exactes », pour co-construire, vérifier des vérités, basées sur des faits aussi incontestables que possible. Leur but, selon moi, n’est pas de juxtaposer des représentations, qui seraient toutes à prendre en compte au nom de l’égale dignité de leurs auteurs, ce qui conduit à un relativisme mortifère23. Cette affaire de dignité n’a rien à voir avec l’établissement de vérités établies, sur le socle desquelles il est ensuite possible de bâtir des hypothèses, des analyses, des projets. Rapportée à la question des médias en démocratie, cela revient à dire que la bonne administration de la vérité me semble être celle qui organise le dialogue en s’appuyant sur « la connaissance des choses » établie par les savants, et par un égal travail d’honnêteté intellectuelle de tous les acteurs publics pour éviter de dire n’importe quoi, ou éviter aussi de formuler des opinions qui relèvent du café du commerce.

2. Administrer la vérité/des vérités, au prisme des médias, des codes de déontologie et du fact-checking.

          La notion d’« administration » de la vérité renvoie aux origines utilitaristes puis marxistes de l’administration des choses et des hommes. Qui administre ou devrait administrer ? L’État, les politiques, ou, plutôt, les corps intermédiaires, les fonctionnaires ? La réponse dépend bien sûr du contenu plus ou moins politique de la notion d’administration. Quelle place pour le marché, pour les décideurs, propriétaires, financeurs, dans cette "administration" ? Quelle place pour les acteurs de la recherche, dans le travail des médias ? Ces derniers acceptent-ils de s’autoréguler, à travers des chartes, des codes ? Ceux-ci sont-ils efficaces ? Quelle place également pour le public (par exemple pour ceux qui, sur le net, traquent les erreurs) ? Ces quatre niveaux, politique, économique, professionnel, public, sont-ils en interaction ? Cela fait beaucoup de questions, et il est impossible de répondre à toutes, de façon approfondie et complète, dans le cadre d’un article. Aussi, dès à présent, je vais abandonner le terrain des spéculations/considérations générales pour mieux les confronter au réel, tout du moins à un pan de la réalité qu’il me semble important d’investiguer à l’aune de la problématique de l’administration de la vérité, je veux parler des médias et de leur rôle dans la façon dont ils informent et aident les lecteurs/citoyens à s’insérer dans le débat public et à faire en sorte que ce débat débouche sur des vérités utiles. Pour ce faire, je prolongerai une réflexion amorcée dans plusieurs publications sur la pratique de la vérification des sources, le fact-checking24 en confrontant mes analyses aux derniers travaux sur la question et, plus particulièrement, à la thèse de Bigot25.

          Une dernière précision : les analyses suivantes sont critiques, mais elles ne tombent pas dans les utopies de la société de l’information que pourfend Monnier26, d’une façon à mon sens bien rapide (il est vrai que le format de The Conversation France n’est pas favorable à des analyses plus dialectiques). Monnier s’insurge contre les fantasmes de ceux qui pensent que les médias feraient l’opinion. Il est vrai qu’à certains moments, l’opinion échappe aux médias qui ont pignon sur rue, comme l’ont montré les résultats de certaines élections (référendum de 2005 sur le traité constitutionnel de Maastricht, résultats du Brexit, élection de D. Trump). Mais ces contre-exemples, plutôt rares, n’empêchent pas qu’il soit légitime de parler du poids des médias dans la fabrique de l’opinion, d’autant que ce poids ne se mesure pas qu’à l’aune des médias bien établis. Par conséquent, si certains ont de ce pouvoir une vision fantasmatique, ce n’est pas « fantasmer » que de souligner leur rôle, qui n’est pas exclusif, dans la fabrique de l’opinion au jour le jour ! En outre, l’auteure met en garde contre le « fantasme autour d’un journalisme d’investigation, remède aux maux de la société et aux failles du système médiatique ». La formulation est ambiguë : Monnier ne dit pas que les médias ne sont pas le remède, mais le contexte le laisse penser. Or, s’il n’est pas question de pointer une responsabilité unique, rien n’interdit de réfléchir sur des responsabilités particulières, lesquelles sont bien sûr compatibles avec d’autres ! De même, il est certes utile de ne pas idéaliser le journalisme d’investigation ni de croire qu’il aurait réponse à tout et règlerait tous les problèmes. Mais la question du moment, c’est de savoir si nous souffrons de trop ou de pas assez de journalisme d’investigation, question qui ne dissuade pas par ailleurs de réfléchir sur d’autres pratiques journalistiques !

2.1 Quel type d’administration de la vérité pour les médias ?

          Je voudrais d’abord réfléchir à la question du Qui ? Qui doit administrer la vérité, dans le domaine des médias, en précisant d’abord les contours de l’administration de la vérité dans ce domaine. Les réponses ne vont pas de soi, car il n’y a pas consensus sur la vérité, ni sur les missions de la presse (informer vs investiguer), ni sur la façon de vérifier la vérité des informations. On sait qu’il existe, notamment dans les traditions anglo-saxonnes, une coupure entre faits et commentaires, qui peut laisser penser que seule la subjectivité intervient au moment du commentaire et que les faits seraient objectifs et existeraient indépendamment de tous choix subjectifs. Comment établit-on les faits ? Fait-on confiance au travail préalable des dépêches d’agence et se contente-t-on de les réécrire, sans s’interroger davantage sur leur bien-fondé ?27 Comment promouvoir le journalisme d’investigation ? Les médias ont-ils (encore) les moyens de payer des journalistes pour faire ce travail ? Les journalistes ont-ils non seulement les moyens, mais encore le temps d’enquêter ?

          Tout le monde sait que les moyens des médias ont considérablement diminué, que le nombre de journalistes a baissé, celui des journalistes d’investigation aussi, que la pression médiatique, avec la concurrence, les sites d’infotainment c’est-à-dire d’information en continu, tout cela pèse sur le travail d’investigation et de vérification. C’était vrai depuis longtemps pour les médias quotidiens, presse écrite, radio ou télévision, et c’est désormais la règle aussi pour les hebdomadaires ou mensuels. Naguère, ils pouvaient prendre le temps de l’analyse en profitant de leur rythme de parution qui les mettait relativement à l’abri de la tyrannie de l’instant, de l’internet et du fast-journalism. Mais ces digues ont sauté, dès lors que ces médias ont un site, consultable à tout moment, en sorte qu’ils se sont soumis à cette logique, en cédant à une concurrence qui n’est bonne, en matière de vérité de l’information, pour aucun des supports28. Désormais, les seuls médias échappant à cette dérive29 sont les pure players qui ne fonctionnent que sur l’internet et se choisissent un créneau médiacritique, et, ce faisant, investiguent, comme par exemple Arrêt sur images (Daniel Schneidermann), Mediapart (Edwy Pleynel) ou Rue 89 (Pierre Haski).

          Il existe de nombreuses chartes censées rég(u)ler le travail des journalistes et aider à administrer la vérité : c’est le cas de la « Déclaration des devoirs et des droits des journalistes », (« Charte de Munich », 24 novembre 1971, Fédération européenne des journalistes30), qui est le texte de référence en la matière, de la « Charte de la qualité de l’info » lancée lors des Assises internationales du journalisme de 2007, de la « Charte d’éthique professionnelle des journalistes » adoptée par le Syndicat national des journalistes en France le 2 mars 201131, etc. Bigot32 cite bien d’autres textes de la profession, ou encore bien des manuels à destination des futurs journalistes33 qui soulignent tous l’importance du processus de vérification ; mais ces beaux principes sont mis à mal par les conditions pratiques d’exercice du métier.

          C’est pourquoi il semble nécessaire d’ajouter aux textes des institutions censées les faire respecter. Les débats sur la nécessité d’une instance nationale de déontologie, sous la forme d’un Conseil de presse, n’ont jamais abouti, à la différence de ce qui existe dans plusieurs pays d’Europe.34Ainsi, dès 2006, Jean-Luc Martin-Lagardette cofonde l’Association de préfiguration d’un Conseil de presse (APCP35) qui rassemble « tout journaliste, lecteur/citoyen, sociologue, juriste ou autre expert, sensible aux enjeux démocratiques de la qualité de l’information ». L’APCP souligne que l’objectif n’est pas :

d’imaginer une police de l’information, ni de créer une instance ordinale pour surveiller les pratiques de la profession, mais de réguler les pratiques journalistiques pour éviter tant les dérives que la judiciarisation36.

Mais l’affaire n’avance pas au niveau national. En 2013, la ministre Aurélie Filippetti commande un rapport à Marie Sirinelli, première conseillère à la cour administrative d’appel de Paris, sur « la question de la création en France d’une instance de déontologie de la presse et des médias, à l’image des conseils de presse qui existent dans plusieurs pays européens ». Cependant, rien ne débouche concrètement, même si l’APCP a créé en 2012 un Observatoire de la déontologie et de l’information qui présente un rapport annuel ; mais ses travaux restent purement incitatifs, sont peu répercutés par les médias et n’ont pas de statut officiel37. De même, l’organisme officiel qu’est le CSA est certes habilité à faire des observations, des mises en garde, mais cela lui arrive rarement ; la plupart des manquements échappent à ses critiques, lesquelles sont loin d’être toujours suivies d’effet. En l’absence de règles reconnues par tous et d’instance effective de régulation nationale, la critique des manquements est ainsi renvoyée au niveau de chaque média… C’est dans ce cadre qu’on peut apprécier les expériences de fact-checking.

2.2 Administrer la vérité/des vérités, au prisme du fact-checking

          Je ne reviens pas sur les débats relatifs au statut du fact-checking : aujourd’hui, on est bien face à un genre, même si ce genre émergent ne s’est pas considérablement développé en France du moins.

          Bigot, après d’autres témoignages38 allègue des résistances profondes, une absence de consensus en raison de la persistance de cultures journalistiques très différentes. Ceux qui accordent une importance prédominante à la sacralité des faits – dans une optique constructiviste, approchant progressivement la vérité, par approximation, en considérant que la relativité des savoirs (ce que Martin-Lagardette appelle une « démarche véritale39 ») n’empêche pas un énorme travail d’investigation et de vérification – s’opposent à ceux qui entretiennent des contacts privilégiés avec les hommes politiques, veulent absolument protéger leur accès à ces sources privilégiées et se sentent quasi obligés de les ménager, donc de ne pas mettre en avant leurs éventuelles approximations ou intoxications, pour ne pas se voir fermer l’accès à l’information. Cette double culture se double encore d’une coupure hiérarchique et générationnelle : ceux qui pratiquent le fact-checking sont jeunes, souvent débutants, n’entretiennent pas de relations avec les politiques, tandis que les journalistes politiques sont les plus âgés, en position haute, et considèrent d’un très mauvais œil des concurrents qui empiètent sur leur champ de compétence40. Mais bien d’autres phénomènes expliquent les résistances à l’établissement de règles déontologiques générales et contraignantes, notamment une crise structurelle (concurrence, presse gratuite), qui pousse les médias traditionnels à réduire leurs coûts et à diminuer le nombre des journalistes41, dont la charge de travail augmente42, cependant que la multiplication des sollicitations du public (journalisme participatif) peut entrainer les médias à relayer des informations non fiables43 – même si les lecteurs peuvent aussi, par ailleurs, jouer un rôle de vérification qui peut s’avérer appréciable. Mais ce contrôle s’exerce une fois que l’information est donnée, et pas avant…

          Tout cela explique notamment la méfiance durable des journalistes traditionnels envers les équipes chargées dans les médias de pratiquer le fact-checking, et les arguments avancés pour dire que vérifier fait partie du B-A BA du métier44, d’autant que le journalisme français privilégie les commentaires au détriment de l’établissement des faits45. Ces résistances sont cependant étonnantes, si l’on pense à une autre crise, la crise de confiance qui frappe tous les médias français, et plus particulièrement la presse. La France est ainsi au 23e rang sur 26 pour la confiance, selon le Digital News Report 2016 du Reuters Institute for the Study of Journalism – parmi tant d’autres indicateurs46. Certes, cette crise de confiance est aussi vieille que la presse (ne surnommait-on pas le journal le menteur, au xixsiècle ?), mais son ampleur est sans précédent, sur la durée, d’autant plus qu’elle se conjugue avec le fait que la population, qui a accès à des sources très diversifiées grâce notamment à l’internet, peut elle-même procéder à des vérifications et est en capacité d’alimenter, avec parfois de solides arguments, le procès des médias : je ne parle pas là des partisans des théories du complot, qui fleurissent, mais d’usagers du net cultivés, activistes, qui jouent un rôle important – même s’il est difficile à apprécier.

Cela étant, l’administration de la vérité peut s’appréhender aussi à la façon dont la presse gère le phénomène et le développe. J’avais indiqué en son temps combien la direction de Libération avait mis en valeur le phénomène : en ce sens, il y a une exploitation du fact-checking qui produit un effet de vitrine. Cependant, le nombre de fact-checkers est très peu important (Cédric Mathiot est le seul journaliste permanent de la rubrique Désintox de Libération, par exemple) 47. D’un point de vue général, il y a peu de journalistes pratiquant le fact-checking en France, et somme toute, les principaux sites indépendants de fact-checking y sont en mauvaise santé48. Ils appartiennent tous à un média, à la différence des USA où ils travaillent dans des entreprises indépendantes, qui leur consacrent d’énormes moyens humains et technologiques49.

          À l’évidence, si le fact-checking présente de l’intérêt, comme technique qui permet à la presse de regagner un peu d’autonomie par rapport à la sphère politique, il comporte aussi des défauts50, dans la mesure où il présuppose et pose une méfiance structurelle envers le monde politique au risque d’alimenter la méfiance envers les seuls politiques, et, partant, diverses formes de populisme ; où il est et n’est que réactif, accréditant la thèse que les journalistes et les médias dans leur ensemble respectent la déontologie, alors qu’ils ne jouent qu’un rôle marginal dans le système médiatique ; enfin dans la mesure où le fact-checking peut alimenter souvent (mais heureusement pas toujours !), une vision réductrice des faits ou une vision relativement normative de l’argumentation.

          Bigot ajoute quelques autres éléments de réflexion qui interrogent : le fact-checking est orienté vers les autres médias, mais ne porte jamais sur les défauts, faiblesses, erreurs du journal auquel appartiennent les fact-checkers : Le Monde reconnaît que c’est là une « règle implicite » 51. En outre Bigot, qui a interrogé un certain nombre de fact-checkers, rapporte qu’ils ne publient pas toutes leurs enquêtes, mais seulement celles qui montrent que les responsables ont menti. Les autres articles passent à la trappe (Bigot 2017 : 295). On pourrait penser que cela renvoie au fait que, par défaut, les responsables qui ne sont pas corrigés disent vrai, mais cela serait une conclusion erronée, parce que beaucoup de mensonges ou de demi-vérités échappent au fact-checking ; de plus, cet argument d’une vérité par défaut, sauf correction des fact-checkers52, est en contradiction totale avec les jugements négatifs du public envers le personnel politique.

          On peut aussi s’interroger sur les limites de l’exercice, quand on voit que la puissance du fact-checking aux USA, qui dispose de moyens sans commune mesure avec ceux qui lui sont consacrés en France, n’a pas empêché les américains d’élire un démagogue. Les rectifications des médias n’ont pas atteint leur cible, dans la mesure où l’électorat de D. Trump n’avait pas envie d’entendre ces critiques. Sans doute le choix de Trump de combattre une presse hostile par des mensonges éhontés a flatté un électorat populaire souffrant de la coupure entre les élites et des franges déshéritées qui fournissent les gros bataillons électoraux des républicains (et de Trump), dans des États stratégiques, surreprésentés par rapport aux États industriels riches et peuplés53. On touche là à d’autres limites de l’administration de la vérité.

          Si le fact-checking est perfectible, il ne saurait à lui seul prétendre être l’alpha et l’oméga d’un processus de reconquête d’un journalisme augmenté éthique, indépendant du pouvoir. D’ailleurs, aucun défenseur du fact-checking n’a eu cette prétention, et il n’y a pas un remède miracle. Mais si l’on veut dépasser les limites d’une pratique réactive, il faut imaginer des pratiques journalistiques plus au cœur de la fabrique de l’information, de sa construction, plus à même de faire émerger des confrontations de PDV, sans se limiter à critiquer un seul PDV, ni se limiter à présenter des PDV qui se neutralisent, dans un discours primaire (réduit souvent à peu de chose) ; c’est ce que j’avais montré à partir de l’emploi de la technique de l’hypertexte et de l’hyperstructure médiatique, à partir du moment où la multiplication des suicides à France Télécom avait rendu intenable le traitement de l’information consistant à réécrire les dépêches d’agence et à opposer les déclarations syndicales et patronales54. Mais je ne souhaite pas me répéter, et je prendrai donc un exemple inédit qui croise le fact-checking (dont je viens de souligner les réserves qu’il m’inspire, non sans apprécier en même temps la contribution qu’il apporte à la construction critique des faits) et la question plus générale de la déontologie et de l’éthique journalistique – car le respect de certaines règles déontologiques n’épuise pas le souci éthique. Je voudrais à présent essayer de voir si, face aux réticences ou aux blocages des médias, le politique est en capacité de faire des propositions de nature à améliorer l’administration de la vérité.

3. L’administration de la vérité au prisme du politique : la difficile lutte contre les infox sur l’internet

          Dans la Revista de Estudos da Linguagem55, j’avais été amené à réfléchir sur une approche politique de la gestion des conflits et des phénomènes d’invisibilité, et je voudrais faire écho aux dernières propositions que j’y avais avancées alors.

3.1 La mobilité empathique comme réponse au monologisme théorique et/ou politique

          J’évoquais notamment, sur la base de nombreuses expériences malheureuses du siècle passé, les ravages du totalitarisme et des prétentions à offrir des vérités uniques, qui veulent imposer leurs conceptions à l’ensemble du corps politique. Nulle théorie, nulle doctrine politique ou programme, nulle vision du monde ne peut avoir réponse à tout ; partant de là, pour éviter les dangers de théories ou partis uniques, dominants et autocentrés, il vaut mieux croiser les approches, les mettre en discussion. C’est ce que j’ai appelé la nécessité de confronter les points de vue56. Cela entraine des exercices de mobilité empathique57, pour se mettre à la place des autres – de tous les autres, c’est-à-dire non seulement ceux dont on se sent proche, ou qui semblent dignes d’attention, de respect, e.g. pour les invisibles, sans omettre de se mettre à la place de leurs adversaires ou de tiers indifférents, etc. L’empathie, ce n’est pas seulement se mettre à la place des autres, c’est aussi se décentrer en envisageant d’autres points de vue théoriques possibles pour mieux tourner autour des objets58, afin de faire émerger une compréhension plus complète de ces derniers, d’enrichir, éventuellement de modifier ses hypothèses. Cette faculté de décentration ne se limite pas aux individus mais s’ouvre aux collectifs comme aux problématiques collectives, à l’instar de celles qui sont au cœur de la dimension politique de l’empathie chez Nussbaum59. Ces décentrements constants prémunissent ainsi contre toute forme d’idéalisation et de diabolisation des individus comme des groupes.

3.2 Une gestion (théorique et politique) des désaccords qui pense le (bien) commun

          Pour cela, il faut favoriser l’émergence de solutions favorables à l’ensemble du corps social, en ayant le souci du commun. L’éthique du bien commun prend ici un sens social, politique, renvoyant à des principes de régulation négociés par les sujets et les forces sociales qui coopèrent autour de problématiques communes. Je ne définis pas l’éthique par des considérations morales normatives ou par des aprioris théorico-politiques, car mes convictions sont confrontées perpétuellement aux « leçons de l’histoire ». Je ne suis donc pas un adepte béat du consensus, ni ne verse dans une conception irénique de la communication ou de la vie sociale.

          Comme il n’y a pas une seule conception légitime du (bien) commun, je crois à l’intérêt de la conflictualité60, et, surtout, à son organisation. Dans la suite de cet article, j’abordais un certain nombre de dysfonctionnements politiques, au regard de l’administration de la vérité en faveur d’un bien commun, et terminais par quelques pistes d’expérimentations politiques qui me semblaient plus à même de conjuguer politique, éthique et bien commun : je me permets de renvoyer le lecteur à cette publication61. Je voudrais à présent conclure en réfléchissant aux expérimentations possibles à tenter ou à développer dans l’ordre des médias, en ayant en tête cette gestion empathique de la conflictualité et le souci de faire émerger des vérités utiles au corps social et politique. Je discuterai donc des propositions récentes du président de la République en faveur d’un contrôle des fake news, du moins durant les campagnes électorales, et des réactions de quelques opposants et de certains médias. Faute de place, ce corpus ne sera pas exhaustif, mais mon propos n’est pas de l’être relativement à la couverture de l’événement médiatique, il est d’interroger des prises de position relativement aux problématiques de mobilité empathique et de gestion de la conflictualité, à la lumière de la réflexion de Varela.

          Lors de ses vœux à la presse, le 3 janvier 2018, le président de la République a proposé de faire voter une loi, au printemps 2018, pour lutter contre « les fausses nouvelles », en période électorale. Les campagnes d’intoxication sur le net qui ont pollué les débats lors de la dernière élection présidentielle française (E. Macron faisait allusion au rôle joué par les sites russes Russian Today France et Sputnik) coûtent peu d’argent (quelques dizaines de milliers d’euros, lancés par des anonymes) et ont une grande efficacité en étant ensuite largement répercutées par les grands sites de l’internet. Ces campagnes ont pu influencer les résultats électoraux, comme dans le cas du Brexit et de l’élection de Trump. E. Macron propose donc que la loi considère les plateformes non plus comme de simples hébergeurs, non responsables des contenus qu’ils accueillent, donc non tenus de déréférencer des contenus mensongers, mais comme des éditeurs, responsables, et pouvant dès lors être mis en demeure de supprimer ces fausses informations, faute de quoi les sites pourraient être frappés par des amendes, voire bloqués, sur demande d’un juge. E. Macron propose également que le CSA puisse restreindre l’octroi de canal à une chaine responsable de la propagation de fausses nouvelles.

          Cette proposition a été très vite jugée liberticide en raison du flou autour de la notion de fausse nouvelle, voire inutile compte tenu de l’arsenal juridique actuel, et, à tout le moins, précipitée, vu les délais fixés : le projet de loi du gouvernement (ou la proposition de l’Assemblée nationale) doit venir en discussion devant les Assemblées au printemps 2018, pour être voté en 2018, soit avant les prochaines élections européennes de 2019, alors que la question est complexe62.

          La loi serait inutile, puisqu’il existe des lois qui permettent ou permettraient de traiter le problème : en effet, la loi sur la presse de 1881 punit de 45 000 euros d’amende les fausses nouvelles qui déstabilisent l’ordre public. À supposer qu’on établisse la fausse nouvelle, ce qui n’est pas toujours facile, mais néanmoins pas impossible, il faut encore prouver qu’il y a déstabilisation de l’ordre public, et ce lien direct est tout sauf simple à établir en justice. De même, il existe une loi pour la confiance dans l’économie numérique (21 juin 2004), qui sanctionne l’incitation à la haine, à la discrimination et qui prévoit la possibilité que le juge des référés fasse retirer de l’internet ce qui enfreint la loi, selon l’avocat Christophe Bigot, spécialiste du droit de la presse. De même pour la diffamation. Mais il faut que soit prouvée la diffusion dans l’intention de nuire aux personnes ou aux groupes, et, là aussi, cette preuve ne va pas de soi (www.francetvinfo.fr, 04 janvier 2018, « Trois questions soulevées par la loi sur les "fakes news" souhaitée par Emmanuel Macron »). Bref, des lois existent. Elles ne sont pas toujours appliquées, ou ne donnent pas toujours naissance à poursuite, et cette situation donne lieu à deux arguments opposés : soit comme justification de la nécessité de préciser les choses, soit comme argument en faveur de la difficulté de légiférer en ces matières, incitant à la prudence.

          La difficulté essentielle réside dans la définition même de la notion de fausse nouvelle. Beaucoup évoquent un « concept fourre-tout »63 et s’inquiètent du danger possible pour la liberté d’expression et la liberté de la presse. De fait, il est compliqué de distinguer entre fausse information involontaire, information tendancieuse, oubli qui oriente l’interprétation, rumeur, diffamation, campagne de désinformation systématique, campagne de déstabilisation et jeu normal du combat politique avec des règles variables selon les lieux et les moments. Au nom de ces dangers, certains refusent absolument une telle proposition. C’est le cas de l’opposition, dans son ensemble. Un édito de La France insoumise du 10 janvier 2018 titre « La "fake news" c’est Macron ! » :

M. Macron annonce une future loi contre les « fake news », ces fausses informations dans les médias et les réseaux sociaux. Que vise-t-il en fait ? La loi punit déjà l’insulte, la diffamation, la dénonciation calomnieuse et même la diffusion de fausse nouvelle ! Macron veut-il inventer l’eau chaude ? Ou bien prépare-t-il une offensive liberticide contre des médias qui ne lui plaisent pas ? Les médias pro-russes seraient dans son viseur. Mais il n’a rien à dire contre les manipulations des médias pro-États-Unis ou pro-Allemagne qui pullulent dans notre pays ? Et s’il veut améliorer la qualité de l’information, pourquoi ne reprend-il par l’idée de créer un Conseil de déontologie du journalisme portée par Jean-Luc Mélenchon ?
C’est que les plus grands fabricants de « fake news » sont au pouvoir ! La conseillère en communication de M. Macron déclarait « assumer parfaitement de mentir pour défendre le président ». Ainsi, le secrétaire d’État au logement affirme contre l’évidence qu’il y a « beaucoup moins de sans-abris dans les rues » et le délégué général de La République en marche Christophe Castaner que ceux qui dorment dehors « refusent d’être logés ». Il faut dire que M. Macron lui-même avait annoncé qu’il n’y aurait « plus personne dans les rues » cet hiver. Iront-ils jusqu’à dire que les 403 morts de SDF en 2017 étaient des « fake news » ?
[…]
Libéral, productiviste, monarchique, atlantiste, le macronisme n’est qu’un pot-pourri de recettes archaïques, loin du « renouvellement » prétendu. La première mesure anti « fake news » serait donc la défaite des candidats macronistes aux élections législatives partielles à venir à Belfort, dans le Val d’Oise, le Loiret, la Haute-Garonne et en Guyane.
Matthias Tavel, https://lafranceinsoumise.fr/2018/01/10/fake-news-cest-macron/

          Un point de vue analogue (« la politique entière de Macron n’est qu’une gigantesque fake news, parachevée, en bonne logique, par une loi sur les fake news »64), mais plus théorique, est défendu par Frédéric Lordon dans son « blog du Diplo » (Le Monde diplomatique) le 8 janvier 2018, sous le titre « Macron décodeur en chef ». Le point de vue défendu part de l’idée que le principe du fact-checking est intellectuellement vide (« l’indigence intrinsèque de la notion ») et politiquement suspect, car les décodeurs ou désintoxicateurs sont eux-mêmes au moins naïfs, au pire des agents de l’ordre. Il cite à l’appui de ses dires « la parfaite candeur » avec laquelle Cédric Mathiot reconnaît que Libération travaille pour Facebook :

« Nous par exemple, on travaille pour Facebook, comme un certain nombre de médias en France travaillent pour Facebook et rémunérés par Facebook pour faire le ménage dans les contenus qui circulent » déclare Cédric Mathiot avec une complète absence de malice65.

On pourrait interpréter le fait que les fact-checkers traquent les fausses nouvelles au positif, mais ce n’est pas l’avis de Lordon, qui pense qu’il y a là un lien d’inféodation à des groupes capitalistes hyperconcentrés qui viennent parachever l’intoxication des masses après les avoir exploitées pour empêcher tout sursaut libérateur :

la dénonciation de la fake news des gueux a pour objet de faire oublier la fake news des puissants (ou des bons contre les mauvais), la fake news protégée par les habitudes de la respectabilité et les tolérances de l’entre-soi.

Et il ajoute que cette problématique des fakes news occulte le seul véritable problème, qui est celui de « la détention – actionnariale ».

          Que la concentration économique soit un vrai problème, c’est indéniable. Mais n’y aurait-il que la concentration du capital à critiquer ? Qu’en est-il de la concentration et de la totale subordination des moyens de presse et de propagande dans les dictatures ? Qu’en est-il du rapport à la vérité des médias qui contestent l’ordre capitaliste, mais qui n’hésitent pas à tordre la vérité (et parfois à propager des mensonges), comme cela est bien connu : voir par exemple la couverture des démocraties populaires ou des luttes par L’Humanité ou Rouge, ainsi que les démissions de journalistes de Le Média, ou les prises de distances de nombre d’intellectuels qui avaient soutenu la naissance de cette webtélé qui devait être indépendante de La France insoumise. Non pas que tout y soit faux, mais tout y est instrumentalisé, sous l’angle du combat, et le plus souvent, sous l’angle d’une vision unilatérale qui n’hésite pas à faire violence à la réalité dès lors qu’elle est susceptible de contrecarrer leurs discours. Nous revoilà confrontés à l’expérience de Varela, que visiblement F. Lordon doit trouver inconsistante et affligeante…

          Cependant, toutes les réactions ne sont pas négatives, même si les réactions plus ouvertes restent minoritaires. Ainsi, Pierre Haski, président de Reporters sans fontières, directeur de Rue 89 et chroniqueur à L’Obs, estime qu’« imposer une transparence totale sur l’identité de ceux qui sponsorisent les contenus est une bonne idée lors des périodes électorales », tout en mettant en garde contre les atteintes aux libertés de la presse. Nicolas Vanderbiest, un blogueur belge, pense que la vraie question, ce sont les réseaux sociaux, qui hébergent des infox et aident via leurs algorithmes à leur propagation en ciblant les usagers selon leur comportement sur la toile et en les enfermant dans les sites correspondant à leurs affinités idéologiques ou politiques. Il reconnaît que la volonté de Macron de viser les groupes comme Facebook, sans doute courageuse, ne sera pas facile à mettre en œuvre, en droit français, sans compter que ce dernier peut se trouver bien impuissant face à des sociétés internationales. Il faut aussi prendre en compte que, comme le montrent déjà les montages financiers pour échapper à l’impôt ou les intoxications d’ampleur, il est toujours possible de créer des sociétés écrans en cascade qui retardent (au mieux) ou rendent impossible (au pire), le traçage des responsables et plus encore des donneurs d’ordre66. Là encore, ces difficultés peuvent argumenter en faveur de l’abandon d’une proposition de loi jugée sans efficacité, ou au contraire inciter à renforcer l’arsenal – et dès lors ce renforcement doit se faire sans nuire aux libertés fondamentales. C’est le point de vue défendu par Pascal Froissart, universitaire spécialiste en sciences de l’information et de la communication qui concède que traiter les plateformes numériques comme des éditeurs, et plus simplement des hébergeurs, « semble très compliqué à mettre en place, mais c’est une bonne idée ». D’ailleurs, des expériences existent en ce sens, telles Cross Check, plateforme collaborative antifact-checking lancée par le réseau de médias First Draft, qui est soutenu par Google67 : ces tentatives limitées montrent que les plateformes ne sont pas définitivement insensibles à ces interrogations sur la vérité des informations et leurs responsabilités dans ce domaine68.

          Au total, et sans distribuer des bons points, on constate une difficulté à discuter au positif de la notion, et un premier mouvement qui réfléchit aux inconvénients ou aux difficultés de la mise en œuvre, et pas aux raisons qui justifieraient qu’on propose des mesures plus adaptées aux évolutions qu’entrainent les nouvelles technologies. Ces réactions sont compréhensibles, mais comme elles sont unilatérales, elles en deviennent, somme toute, frileuses ou trop prudentes, finalement décourageantes : pour elles, il semble que ce soit toujours « trop tôt », « trop flou », « liberticide », « inapplicable » ou « inutile ». Leur approche est le plus souvent réactive, déconstructive, et ne s’interroge guère sur le fait que, si l’arsenal juridique est dit suffisant, il est néanmoins inopérant, et donc ne réfléchit pas vraiment sur les raisons de cet état de fait imputable aux imperfections des lois, ou à un manque de volonté. De même, rares sont les analyses qui reviennent sur les effets de l’internet. Il est significatif que les réactions de l’opposition abordent la question au prisme des droits de l’opposition, et, à ce titre, refusent toute innovation : faudrait-il en conclure que les oppositions, toutes confondues, pensent que la lutte pour le pouvoir justifie des arrangements avec la vérité – ces mêmes arrangements que les oppositions reprochent aux pouvoirs en place, et avec lesquels il leur arrive de composer, une fois au pouvoir ? Assurément, les droits de l’opposition sont à défendre, mais justifient-ils qu’on ne régule pas des dérives dangereuses pour toute démocratie ?

          N’est-il pas regrettable que le président de la République fasse une proposition sans évoquer, ni tenir compte d’aucune manière, de la proposition récente de J.-L. Mélenchon ? Ce dernier, mécontent de la façon dont il avait été interrogé, lors de l’émission politique de France 2, le 30 novembre 2017, venait de proposer, par une pétition lancée le 5 décembre, de créer un Conseil de déontologie du journalisme, sur le modèle du Conseil de déontologie belge créé en 2009. Assurément, les deux propositions sont différentes, dans leur objet comme dans leurs buts, mais ne sont-elles pas complémentaires au regard d’une bonne administration de la vérité ? En effet, s’il faut se méfier de l’influence des médias et du pouvoir, s’il faut trouver les voies pour empêcher leurs mauvaises pratiques en matière d’information, cela ne doit pas conduire à négliger le fait que les fausses informations viennent aussi d’en bas, des usagers, d’officines non institutionnelles qui peuvent servir de paravent à des institutions, et que mettre en demeure des réseaux de déréférencer des fausses nouvelles avérées représenterait une avancée. Or, compte tenu de la nécessité et de la difficulté de trouver un consensus, en matière de législation sur la liberté de la presse et la liberté d’expression, en raison des relations complexes entre presse, opposition et pouvoir, il est dommage, d’un côté comme de l’autre, qu’on ne se saisisse pas de ce qui pourrait faire consensus, pour avancer concrètement, dès la phase des propositions, a fortiori lors de leur discussion. C’est là un objectif qui devrait s’imposer aux uns comme aux autres, par-delà la recherche du coup politique et de la posture. Je ne suis pas naïf au point de sous-estimer les questions d’ego, le poids des intérêts liés aux situations, mais les situations sont si bloquées qu’un raisonnement pragmatique devrait pouvoir être entendu. N’est-il pas regrettable que les commentaires des journalistes ne cherchent guère si les propositions de Mélenchon sur la déontologie et celles de Macron offrent des convergences, en essayant d’éviter de tomber dans les dangers susmentionnés ? Ainsi, chacun, acteur du monde politique ou médiatique, campe sur des positions de principe, joue un jeu de rôle qui devient stérile, dès lors que les problèmes continuent de ne pas être traités, en essayant de préserver les droits à la liberté d’expression, les droits de l’opposition, et les droits des citoyens à une information fiable, vérifiée, droits qui devraient s’imposer aux médias, aux pouvoirs en place comme à l’opposition, aux pouvoirs politiques comme aux pouvoirs économiques et médiatiques, droits qui devraient pouvoir être effectifs, et non pas en rester à des déclarations de principes dépourvues d’effet, et donc devraient s’articuler avec des devoirs, et, sans doute, des obligations.

          Plus fondamentalement, peut-on concilier droit à la liberté d’expression et devoir de vérité ? Est-il légitime de ne réfléchir à ce genre de question que d’après la notion de droit, et jamais celle de devoir ? N’y a-t-il pas une sorte d’impensé à ne considérer les droits que sous leur dimension progressiste, libertaire, et les devoirs sous leur versant conservateur, autoritaire ? De fait, la voix de Simone Weil est bien peu audible, qui met en avant le caractère fondamental de la notion de devoir, comme je l’évoquais dans l’introduction de mon dernier ouvrage. Dans L’enracinement, Simone Weil plaide pour une approche éthique de la politique, en subordonnant la notion de « droit » à celle de « devoir » ; il n’est au demeurant pas sans importance que S. Weil utilise plus souvent l’expression alternative d’« obligation », pour mieux souligner combien la notion de devoir oblige tout être humain envers les autres comme envers lui-même :

La notion d’obligation prime celle de droit, qui lui est subordonnée et relative. Un droit n’est pas efficace par lui-même, mais seulement par l’obligation à laquelle il correspond ; l’accomplissement effectif d’un droit ne provient pas non plus de celui qui le possède, mais des autres hommes qui se reconnaissent obligés à quelque chose envers lui. L’obligation n’est efficace que si elle est reconnue. Une obligation ne serait-elle reconnue par personne, elle ne perd rien de la plénitude de son être. Un droit qui n’est reconnu par personne n’est pas grand-chose.
Cela n’a pas de sens de dire que les hommes ont, d’une part des droits, d’autre part des devoirs. Ces mots n’expriment que des différences de point de vue. Leur relation est celle de l’objet et du sujet. Un homme, considéré en lui-même, a seulement des devoirs, parmi lesquels se trouvent certains devoirs envers lui-même. Les autres, considérés de son point de vue, ont seulement des droits. Il a des droits à son tour quand il est considéré du point de vue des autres, qui se reconnaissent des obligations envers lui. Un homme qui serait seul dans l’univers n’aurait aucun droit, mais il aurait des obligations69.

          Il me semble que, à l’aune de l’expérience vive de Varela, comme des injonctions théoriques de Weil, une autre voie politique est possible, dans l’ordre des rapports sociaux, ce qui n’est pas sans conséquences relativement à l’administration de vérité. Il serait particulièrement intéressant de se demander ce que pourraient être les (ré)actions des médias comme des politiques, s’ils partaient d’abord de ce que pourraient être leurs obligations (et envers qui : leur clientèle électorale, le peuple français, les citoyens du monde, les générations futures) et s’ils traitaient ensuite des droits qui découlent de ces obligations. Bien sûr, la difficulté politique et juridique augmente lorsqu’il s’agit de dépasser l’obligation morale, relativement inopérante dans le monde tel qu’il est, pour lui donner un cadre juridique. La difficulté augmente aussi dès lors qu’on cherche à mieux associer acteurs et citoyens à des exigences de vérité qui sont censées s’imposer à tous, sans limiter les débats aux experts patentés d’un petit monde endogamique. Qui peut prétendre, à cette aune, qu’une bonne administration de la vérité aurait intérêt à ne pas verser au pot commun de l’intelligence collective l’une et l’autre de ces deux propositions concrètes – sans préjuger de bien d’autres, qui n’ont même pas eu le privilège d’être répercutées par les médias généralistes, comme on l’a vu supra, en 2 – et aussi, et surtout, d’autres conceptions théoriques et pratiques de la vérité, de son administration, en redonnant à cette expression sa dimension politique et éthique, qui s’impose à tous, et qui ne saurait se réduire à une technique administrative qui ne serait réservée qu’à des élites ?

          Bien sûr, je n’ignore pas que parmi les résistances actuelles, il existe des obstacles très forts liés à la détention des médias par des groupes privés, représentant de grands intérêts économiques, sachant trouver des relais efficaces dans le monde politique et médiatique, qui leur est largement subordonné. C’est une des raisons pour lesquelles je pense que les politiques, qui souffrent de cette inféodation (y compris les politiques conservateurs, qui ne sont pas à l’abri de campagnes de presse), auraient intérêt à peser davantage en s’associant avec ceux de l’autre bord. De même pour les journalistes, dont la profession est très hétérogène. Et de même pour les acteurs de ces deux petits mondes, s’ils s’appuyaient davantage sur une société civile non instrumentalisée. Il est à parier que le rapport de forces, si une majorité travaillait à la recherche de convergences démocratiques, serait bénéfique à la vérité comme à son administration.

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Notes

1 Alain Rabatel, Pour une lecture linguistique et critique des médias. Empathie, éthique, point(s) de vue, Limoges, Lambert-Lucas, 2017. Retour au texte

2 Voir Alain Rabatel 1998, 2008a, 2008b, 2012, 2017 ibid., « la mobilité empathique ». Retour au texte

3 Bernard Cerquiglini, France Culture, 20/03/2018. Retour au texte

4 Francesco Varela, « Reflections on the Chilean Civil War », Lindisfarne letter, n° 8, 1979, p. 13-20, in Le cercle créateur-Écrits 1976-2001, Paris, Éditions du Seuil, 2017, p. 359-374. Retour au texte

5 Alain Rabatel, op. cit., 2017. Retour au texte

6 Les traducteurs essaient d’expliquer de façon assez peu concluante cet « ils ont raison », qui existe bien dans l’original (ibid., p. 367). Vu le contexte très dichotomique (nous vs eux), j’interprète « ils ont raison » (= tort) comme une coquille, due à l’empreinte mémorielle de la prédication précédente. Retour au texte

7 Francesco Varela, op. cit., 2017, p. 367-368. Retour au texte

8 Mais l’inverse est également possible, quoique moins fréquent, comme l’a montré la révolution russe puis l’extension du système soviétique dans les démocraties populaires après la deuxième guerre mondiale. Retour au texte

9 Frans Van Eemeren et Rob Grootendorst, La nouvelle dialectique, Paris, Éditions Kimé, 1996. Retour au texte

10 Catherine Kerbrat-Orecchioni, La conversation, Paris, Édition du Seuil, 1996. Retour au texte

11 H. Paul Grice, « Logique et conversation », Communications, n° 30, 1979, p. 57-72. Retour au texte

12 Francesco Varela, op. cit., 2017, p. 372. Retour au texte

13 Claude Hagège, Les Religions, la Parole, et la Violence, Paris, Éditions Odile Jacob, 2017. Retour au texte

14 Jan Assmann, Totale religion. Ursprüngeund Formenpuritanischer Verschärfung, Wien, Picus Verlag, 2016. Retour au texte

15 Francesco Varela, op. cit., 2017, p. 373-374. Retour au texte

16 Abdennour Bidar, Quelles valeurs partager et transmettre aujourd’hui ? Paris, Albin Michel, 2016, p. 17-23. Retour au texte

17 Cf. Pascal : « Tous leurs principes sont vrais, des pyrrhoniens, des stoïques, des athées, etc., mais leurs conclusions sont fausses, parce que les principes opposés sont vrais aussi. » (fr. 526) Ou encore : « Ni la contradiction n’est marque de fausseté ni l’incontradiction n’est marque de vérité. » (fr. 166) (Pensées, éd. Michel Le Guern.) Merci à F. Boissiéras de m’avoir rappelé ces fortes citations, que j’intègre volontiers à mon propos, non sans souligner que je ne partage pas d’autres pensées pascaliennes qui plaident en faveur d’un relativisme radical à l’instar des fragments 86 ou 624. C’est pour cette raison que je préfère la notion de relativité à celle de relativisme, qui s’entend trop souvent en son sens absolu. Retour au texte

18 Francesco Varela, op. cit., 2017, p. 371-372. Retour au texte

19 Alain Rabatel, op. cit., 2017, p. 142. Retour au texte

20 Marcel Conche, Corsica, Paris, Presses universitaires de France, 2010, p. 110-111. Retour au texte

21 M. Meyer, Developing transcultural competence : case studies of advanced foreign language learners, in D. Buttjes and M. Byram (Eds.), Mediating languages and cultures, Clevedon, Multilingual Matters, 1991, p. 168. Retour au texte

22 GLLF, p. 5034. Retour au texte

23 Alain Rabatel, op. cit., 2017, p. 325. Retour au texte

24 Travaux que j’ai repris dans les chapitres 14 à 26 de Alain Rabatel, op. cit., 2017. Retour au texte

25 Laurent Bigot, L’essor du fact-checking : de l’émergence d’un genre journalistique au questionnement des pratiques professionnelles, thèse de doctorat, université de Paris 2 Panthéon-Assas, 2017. Depuis l’écriture de ce texte, L. Bigot a extrait un ouvrage de sa thèse, Fact-checking vs Fake news. Vérifier pour mieux informer, Paris, INA, 2019. Retour au texte

26 Angeliki Monnier, « Mise en récit des fake news et utopies de la société de l’information », The Conversation France, 2018, http://the.conversation.com/mise-en-récit-des-fakes-news-et-utopies-de-la-societe-de-linformation-91203. Retour au texte

27 Alain Rabatel, op. cit., 2017, chapitres 20 et 21. Retour au texte

28 Laurent Bigot, op. cit., 2017, p. 53-54. Retour au texte

29 Ce qui ne signifie pas qu’ils sont en bonne santé économique, en France du moins, voir infra. Retour au texte

30 FIJ, disponible sur : http://www.journalisme.com/images/stories/pdf/charte-munich.pdf. Retour au texte

31 SNJ, 2 mars 2011. Disponible sur : http://www.snj.fr/sites/default/files/documents/Charte2011-SNJ.pdf. Retour au texte

32 L. Bigot, op. cit., 2017, p. 36-38. Retour au texte

33 Y. Agnès, J-L. Martin-Lagardette, R. Debray, id., p. 39-41. Retour au texte

34 Martin-Largardette, Bigot, id., 2017, p. 44-45. Retour au texte

35 « Pourquoi un conseil de presse en France », Association de préfiguration d’un Conseil de presse en France, 2007 : http://apcp.unblog.fr/pourquoi-un-conseil-de-presse. Retour au texte

36 Jean-Luc Martin-Largadette, Le guide de l’écriture journalistique, Paris, La Découverte, 2009, p. 19. Retour au texte

37 Laurent Bigot, op. cit., 2017, p. 45-46. Retour au texte

38 Alain Rabatel, op. cit., 2017. Retour au texte

39 « Ce néologisme désigne une expression publique pour laquelle son rédacteur s’est engagé à respecter, à l’instar de la démarche scientifique, un certain nombre d’exigences nécessaires, permettant d’affirmer qu’il a été le plus objectif possible et qu’il a établi une information ayant le plus haut degré de vérité possible, dans la mesure de ses moyens. » (Martin-Lagardette, id., 2009, pp. 192-193). L’auteur ajoute que cette démarche véritale doit aussi viser le public qui doit « comprendre que la vérité est toujours relative, partielle, évolutive » (Ibid.). Retour au texte

40 Bigot, id., 2017, p. 59-63, p. 166-174, p. 214-217, p. 245-246. Retour au texte

41 Le nombre des cartes de presse en France baisse depuis sept ans ; le chiffre d’affaires de la presse payante est passé de 10 milliards d’euros en 2000 à 7,2 milliards en 2015, la diffusion annuelle de la presse payante de 5,2 milliards d’exemplaires en 2000 à 3,5 milliards d’exemplaires en 2014 : voir Bigot 2017 : p. 193 et http://www.culturecommunication.gouv.fr/Thematiques/Presse/Chiffres-statistiques Retour au texte

42 Ibid. p. 64-77. Retour au texte

43 Ibid., p. 85-86. Retour au texte

44 Rabatel, id., 2017, p. 273-275. Retour au texte

45 Il existe, depuis La Gazette de Renaudot (1631), des spécificités françaises, en matière de journalisme, de rapport au pouvoir, aux faits, qui le rendent très différent du journalisme anglo-saxon ou allemand, par exemple. Le rapport à la vérité des faits est plus net au Royaume-Uni et aux USA. Cependant, il est vrai qu’aux sources du fact-checking, ce qu’on a pu appeler le watchdo journalism, dans le magazine Time, en 1923, puis dans The New Yorker cherchait à vérifier (une fois que l’article était écrit), la véracité des faits, des déclarations, mais c’était surtout pour éviter les contentieux juridiques (Bigot, Idem, 2017, p. 99-105). On est donc assez loin du journalisme augmenté qui, grâce à l’internet, peut rapidement interroger d’énormes banques de données et vérifier la véracité de telle ou telle déclaration. Retour au texte

46 Bigot, id., 2017, p. 184-190. Retour au texte

47 Rabatel, id., 2017. Bigot, id., 2017, p. 229-230. Retour au texte

48 On trouvera dans Bigot, ibid, p. 163, un très utile tableau des principaux sites ou rubriques de fact-checking en France. Retour au texte

49 Bigot, ibid., 2017, p. 137 et 164. Retour au texte

50 Voir Rabatel, id., 2017, p. 290-293 et le chapitre 6 de Bigot id., 2017, consacré à un genre contestable et contesté, Bigot reprenant d’ailleurs une large partie de mes analyses. Retour au texte

51 Bigot, id., 2017, p. 210. Retour au texte

52 Ou fact-checkeurs, si l’on francise (mais uniquement le suffixe). Retour au texte

53 C’est ce qui explique qu’un candidat ayant obtenu le plus grand nombre de voix soit battu par celui qui a le plus grand nombre d’électeurs, comme cela a été le cas pour H. Clinton, et, auparavant, A. Gore face à G.W. Bush Jr. Retour au texte

54 Rabatel, id., 2017, p. 207-208, p. 220-221. Retour au texte

55 p. 757-788. Retour au texte

56 Voir Rabatel, id., 2017, chap. 5. Retour au texte

57 L’empathie est l’aptitude à se mettre à la place des autres, à imaginer ce qu’ils peuvent (veulent, doivent, ou pas) percevoir, ressentir, penser, dire, faire. Pour de plus amples détails sur la mobilité hétéro- ou auto- empathique, ainsi que sur le lien entre l’empathie et la problématique linguistique du point de vue, voir Rabatel, id., 2017, chap. 2. Retour au texte

58 Bruno Latour, Changer de société – Refaire de la sociologie, Paris, Éditions La Découverte, 2006, p. 210-213. Retour au texte

59 Voir aussi Nussbaum, id., 2011, p. 37- 61 ; 2013, p. 341 et suivantes. Retour au texte

60 Notion différente de la polémique, dont je ne ferai pas un éloge sans réserve. Je renvoie à Ruth Amossy, Apologie de la Polémique, Paris, PUF, (coll. « L’interrogation philosophique »), 2014, p. 81 et suivantes et à Michèle Monte, Comment les medias parlent des émotions, Limoges, Lambert-Lucas, 2015, p. 54. Retour au texte

61 Reprise dans Rabatel, id., 2017, chap. 8. Les propositions que je formule sur la gestion de la conflictualité peuvent paraître en première analyse compatibles avec l’agonistique que défend Chantal Mouffe, dans L’illusion du consensus, Paris, Albin Michel, 2016. Je m’en sépare en réalité parce qu’elle théorise le rejet du consensus, prônant un rapport de force qui repose sur l’idée que la politique, c’est imposer sa vision, sur la base d’une confrontation de projets très différents. C’est là une conception restrictive, qui ne tient pas compte de formes concrètes de démocraties pensant les désaccords dans le cadre dominant du consensus, par exemple les démocraties scandinaves, voire le modèle du capitalisme rhénan au cœur de la démocratie allemande de la deuxième moitié du xxe siècle. C. Mouffe privilégie donc une certaine forme de démocratie, en fait une certaine conception du pouvoir. Certes, elle proclame son attachement au pluralisme et condamne les excès révolutionnaires (ibid., p. 79-82). Mais son opposition de l’agonistique entre adversaires, avec l’approche antagoniste entre ennemis ne me convainc guère, compte tenu d’une absence d’analyses concrètes de situations concrètes (ibid., p. 49). La théorisation de la construction du peuple (Chantal Mouffe et Inigo Errejón, Construire le peuple, Paris, Éditions du Cerf, 2017) est a priori stimulante, avec l’idée de constructions politiques sui generis ; mais les contenus du peuple nous renvoient à un imaginaire post-démocratique, populiste, dont on a vu les ravages, de l’autre côté du rideau de fer ou au Venezuela. C’est une illusion de laisser croire qu’on pourrait avoir du peuple, fût-il reconfiguré, une représentation coextensive à l’ensemble du corps social qui serait convaincu que catégories populaires et supérieures auraient des intérêts convergents, une fois isolées les quelques forces qui dirigeraient l’économie (des « deux cents familles » d’autrefois, aux GAFA d’aujourd’hui). Je préfère parler d’un nous, d’une communauté qui se construit un corps politique avec partenaires et opposants, et qui essaie non seulement d’écouter ceux qui ne pensent pas comme nous, mais de passer des compromis avec eux. Bref, si je suis C. Mouffe dans sa critique de Beck ou de Giddens, qui vont un peu vite dans leur diagnostic que les formes du conflit droite/gauche seraient dépassées (alors que leur analyse des formes émergentes inédites de faire de la politique est vraiment stimulante), il me semble que ses analyses versent elles aussi dans l’imaginaire post-démocratique qu’elle leur reproche (ibid., p. 60-77), même si ses représentations ont un contenu fort différent. Retour au texte

62 Louis Hausalter, 10 janvier 2018, www.marianne.net, « loi contre les "fakes news" : pourquoi Macron est-il si pressé ? ». Retour au texte

63 Paul Laubacher, 4 janvier 2018, https://www.nouvelobs.com/medias, « Une loi contre les "fake news" : le projet de Macron risque-t-il de mettre en danger la presse ? ». Retour au texte

64 La loi n’est pas connue, mais elle est par essence mauvaise, car rien que de mauvais ne peut advenir de ce côté-ci… Retour au texte

65 Référence F. Lordon : Cédric Mathiot, journal de 13 heures, France Inter. https://www.franceinter.fr/emissions/le-journal-de-13h/le-journal-de-13h-30-décembre-2017. Retour au texte

66 Paul Laubacher, 4 janvier 2018, https://www.nouvelobs.com/medias, « Une loi contre les "fake news" : le projet de Macron risque-t-il de mettre en danger la presse ? ». Retour au texte

67 Marina Fabre, 6 janvier 2018, https://www.novethic.fr/actualite/social/droits-humains/isr-rse/fake-news-emmanuel-macron-apporte-une-reponse-de-politicien-145273.html Retour au texte

68 Voir sur ce sujet le livre de R. Badouard 2020, publié bien après l’écriture de cet article, notamment les chapitres 3 et 4. Retour au texte

69 Simone Weil, [1943], « L’enracinement. Prélude à une déclaration des devoirs envers l’être humain », in Œuvres, Quarto Gallimard, 1999, p. 1027-1218. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Alain Rabatel, « Co-construire des vérités, à l’aune de l’empathie, de la confrontation des points de vue, pour rendre compte de la complexité et faire société », Nouveaux cahiers de Marge [En ligne], 3 | 2021, mis en ligne le 11 mars 2021, consulté le 29 mars 2024. URL : https://publications-prairial.fr/marge/index.php?id=351

Auteur

Alain Rabatel

Université Lyon 1 (ICAR, UMR 5191)

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