Mémoire, oubli et invention historiographique des recueils collectifs du xviie siècle dans l’anthologie poétique française

DOI : 10.35562/pfl.232

Plan

Texte

Dans un article de 1949 jugé fondateur par la critique1, Alan Boase écrivait au sujet de la réception de la poésie du xviie siècle :

Une partie du travail de classement, de dépouillement systématique, de réimpressions complètes ou partielles est encore à faire en France. Le grand mérite des anthologies comme celles de Madame Aury, de Thierry Maulnier et d’autres est plutôt d’avoir révélé la richesse du terrain, d’avoir lancé dans le débat quelques formules qui aident à remettre en question des notions reçues sur l’évolution de la poésie française2.

La forme anthologique est ainsi au xxe siècle un mode de publication et de diffusion privilégié du baroque et contribue fortement à sa redécouverte3. Or, on relève dans cette citation une absence : celle des recueils collectifs de poésies du xviie siècle, devanciers des anthologies modernes, qui semblent absorbés par celles-ci. Cependant, il ne faudrait pas en conclure hâtivement qu’ils ne jouent aucun rôle dans le processus de réévaluation, de reconnaissance et de requalification historiographique de la poésie du xviie siècle évoqué par A. Boase. La question de leur statut dans ce processus se pose en effet : n’inventant pas la poésie baroque ex nihilo, les anthologistes ont fatalement rencontré sur leur chemin de tels recueils. L’une des particularités essentielles des anthologies poétiques du xviie siècle éditées aux xxe et xxie siècles est le phénomène d’entre-citation, d’hommage – si l’on est optimiste – ou de pillage – si l’on est pessimiste – réciproques. Les anthologies, tributaires d’un phénomène d’intertextualité, ne cessent de s’entre-citer : elles sont donc au premier chef des réservoirs de textes, dans lesquels chacun peut puiser à sa guise. En première instance, ceci semble encourager un oubli des recueils collectifs. Pour autant, ces derniers apparaissent régulièrement dans les anthologies modernes, qui s’y réfèrent parfois explicitement. Se pose alors la question des modalités de leur usage : y a-t-il en somme, dans l’anthologie moderne, une valeur historique et critique des recueils collectifs, ou ceux-ci ne sont-ils qu’un vernis attractif faisant office d’appât, de produit d’appel pour un lecteur potentiellement séduit par la couleur du passé ? De quoi les recueils collectifs sont-ils le nom ? Ce sont ces questions que j’aimerais tenter de mettre en ordre et d’éclaircir.

Oubli

Poète espagnol, Jorge Gimeno fait paraître en 2009 une anthologie de la poésie baroque française intitulée El amor negro4, en référence directe et explicite à Albert-Marie Schmidt, auteur en 1959 de L’Amour noir. Poèmes baroques5. Ce choix de titre rejoint les orientations bibliographiques du compilateur : J. Gimeno cite systématiquement, quand elles existent6, les éditions critiques modernes des poètes – même lorsqu’elles datent de près ou plus d’un siècle, comme celle de Vion d’Alibray (1906), des Plaintes d’Acante (1909), de Lingendes (1911), de Saint-Pavin (1912), ou encore des Entretiens solitaires de Brébeuf (1912)7 –, ainsi que les anthologies de Maurice Allem (1916), Thierry Maulnier (1945), Jean Rousset (1961), André Blanchard (1969), Gisèle Mathieu-Castellani (1979), Jean-Pierre Chauveau (1987), Jean Serroy (1999) ou encore Alain Niderst (2005)8, mais aucun recueil collectif. Un premier biais et une première torsion des archives apparaissent : l’anthologie moderne et les éditions critiques intégreraient en quelque sorte les recueils collectifs, ces compilations devenant alors de simples éléments référentiels jugés superfétatoires. Le retour aux sources originales s’opère en ce cas par un phénomène de citation d’anthologies et d’éditions modernes ou critiques, conçues en conséquence comme des médiateurs, des appareils s’interposant entre le passé et le présent pour assurer la transmission du savoir. Les recueils collectifs se retrouvent fondus au sein des anthologies historiques, et donc oblitérés. Anthologie et édition critique sont en somme autotéliques, dans la mesure où la provenance des textes ne se trouve plus dans un recueil d’époque, mais dans une collection qui a intégré un recueil d’époque, qu’il soit collectif ou autographique. Ceci justifie pleinement l’usage des anthologies, anciennes et modernes, comme bases de données disponibles aisément. L’exemple de Robert Kanters reprenant un texte initialement retenu par Jean Rousset rend sensible cet aspect de leur utilisation (fig. 1).

Fig. 1. À gauche, Jean Rousset, Anthologie de la poésie baroque française, Paris, Armand Colin, 1961 ; à droite, Robert Kanters, Anthologie de la poésie française. Le xviie siècle, t. I, Lausanne, Éditions Rencontre, 1967.

Fig. 1. À gauche, Jean Rousset, Anthologie de la poésie baroque française, Paris, Armand Colin, 1961 ; à droite, Robert Kanters, Anthologie de la poésie française. Le xviie siècle, t. I, Lausanne, Éditions Rencontre, 1967.

Le choix n’a rien pour étonner, « Au bord tristement doux » de Du Perron étant un texte canoniquement baroque9. En revanche, on remarque que le titre est strictement identique, italique en moins, qui signale chez J. Rousset que ce dernier est dû au compilateur10 : pillage ou hommage, les recueils collectifs paraissent ici bien négligés, évacués au profit d’une certaine facilité de l’entre-citation. On peut dès lors avancer la thèse suivante : il n’y a plus aucun rapport entre les anthologies et les recueils collectifs, car la pratique de l’anthologie comme stock de textes à réemployer librement a supplanté le principe philologique recommandant un recours aux recueils collectifs du xviie siècle. Mais s’agit-il d’un tropisme individuel et ultra-contemporain, imputable à la multiplication des anthologies et à la situation « en bout de chaîne » de J. Gimeno, ou d’une tendance lourde inhérente au genre même de l’anthologie poétique ?

Le cas d’Odette de Mourgues est plus complexe. La compilatrice écrit :

The newcomer to seventeenth-century poetry will notice that a number of works are not available in a modern edition, although one may hope for more good critical editions of the minor poets in the near future. What is also very noticeable is that a great many poets’poems works were published in Recueils collectifs, that is, selections of poems by various authors. Some appear only in these kinds of anthologies ; others were eventually collected by the author and published as a whole. The reader interested in pursuing his exploration of poems to be found only in Recueils collectifs will find some guidance in the second part of the bibliography11.

Les recueils collectifs sont présentés, dans une orientation pédagogique visant le lecteur contemporain, comme des cabinets secrets12, comme des trésors contenant raretés et curiosités, O. de Mourgues faisant état de la réalité de l’édition poétique au xviie siècle. On s’attend donc à en trouver plusieurs références dans la bibliographie. Il n’en est rien : la section intitulée « Anthologies » ne renvoie qu’à des compilations du xxe siècle. Par ailleurs, dans la citation que je viens de donner, la graphie marquée qu’est l’italique met à distance les recueils collectifs, en essentialisant une pratique éditoriale dont la diversité est le mot d’ordre13. Parmi les hypothèses permettant d’expliquer l’effacement qui en découle, on peut avancer qu’O. de Mourgues renvoie implicitement aux bibliographies des anthologies, qui comportent pour certaines des indications sur la question, mais cela n’est guère satisfaisant, car, dans l’immense majorité des cas, les anthologies qu’elle cite ne mentionnent que peu de recueils collectifs. On retiendra donc plutôt l’idée que l’accès aux recueils collectifs peut avoir lieu, par un phénomène de permutation, via les anthologies modernes, ces dernières faisant office d’intermédiaires. Les recueils collectifs sont présents dans les anthologies modernes, ces dernières citant parfois à partir d’eux, devenant en somme des recueils collectifs de seconde main – du moins est-ce l’impression qu’elles veulent donner. On retrouve, posé de manière plus aiguë, le questionnement suscité par la bibliographie de Jorge Gimeno : les recueils collectifs sont-ils encore présents dans les anthologies du xxe siècle, et selon quelles modalités ? J’aimerais essayer de répondre à cette interrogation, en montrant que certaines anthologies utilisent les recueils collectifs dans une optique historique ou esthétique ; je définirai en effet l’anthologie comme l’oscillation entre une visée critique et un projet esthétique, les deux entrant souvent en tension. Un tel habitus révèle une utilisation opportuniste des recueils collectifs, l’uniformisation de la dénomination tendant à créer de toutes pièces une catégorie formelle servant d’écran protecteur, derrière lequel les anthologistes s’emploient à développer un discours auto-promotionnel.

Usages

Bien évidemment, les anthologies prétendent avant tout utiliser les recueils collectifs comme des outils de référenciation historique, comme des documents de travail aidant à mieux comprendre la période poétique étudiée. C’est le cas chez Jean-Pierre Chauveau :

La grande éclosion poétique qui se manifeste dans les recueils collectifs au lendemain de la signature de l’Édit de Nantes se produit dans un climat d’intense fermentation religieuse et spirituelle ; au-delà de la confrontation de la Réforme et de la Contre-Réforme, nombreux sont les hommes de foi sincère et ardente qui se retrouvent dans une expression poétique mise au service de l’exaltation de la grandeur de Dieu ou de la quête obstinée par le croyant de la Vérité14.

Les recueils collectifs s’affichent comme des témoins – ou plutôt des produits – des orientations spirituelles de la poésie du temps ; ils sont supposés permettre à l’anthologiste d’éclairer les conditions de production et les lignes de force de son entreprise, de même que ses enjeux sociaux. Ils revêtent alors une double valeur : historique, en ce qu’ils sont pris comme des signes du contexte de création des poètes ; critique, en ce qu’ils orientent l’organisation thématique de la sélection anthologique – et cela sur un plan quantitatif et qualitatif : il faut, pour rendre compte efficacement, citer suffisamment, et bien citer. Dans un article de 1976 témoignant de sa réflexion sur la constitution de l’anthologie intitulée Éros baroque – publiée en 197915 –, G. Mathieu-Castellani note à propos de L’Académie des poètes françois, parue chez Du Breuil en 1599 :

Ce Recueil nous paraît important moins par les pièces qu’il donne ou redonne, que par le classement qu’il propose : Sponde est très largement en tête, suivi de Bouteroue, de Bertaut, de Du Perron. Cet ordre : Sponde, Bertaut, Du Perron, correspond à l’importance respective des trois grands telle qu’elle était sentie à la fin du siècle16.

Plus qu’un simple document de travail, les recueils collectifs sont pour l’anthologiste des preuves critiques : ils entrent dans le cadre d’une démarche se définissant comme historienne ; ils sont les garants d’un choix anthologique établi en pleine connaissance de cause17, et plus encore, ils

permettent en somme de dresser un bilan. Ils ne jouent en aucun cas le rôle de revues d’avant-garde : ils ont pour fonction, non d’annoncer, mais de rappeler les grands succès, et, leur titre même le dit, de recueillir, de conserver, soit des poèmes bien connus et aimés de leur public, soit des textes inédits, de poètes eux-mêmes célèbres. Ils sont donc des dépôts, le lieu où se maintient une tradition18.

Une telle base de travail et/ou de départ pour l’anthologie, qui entend procéder, en raison de sa visée patrimoniale, du même principe – l’anthologie recueille les textes qu’elle estime dignes d’être conservés – constitue une source offrant l’occasion d’établir un véritable dossier génétique de la poésie du temps : « les Recueils […] fournissent une mine de renseignements, notamment sur les goûts communs et la mentalité collective ou la psychologie collective, encore trop peu exploités aujourd’hui19 ». La sous-exploitation alléguée par G. Mathieu-Castellani vise bien entendu la critique, mais aussi les anthologistes, la métaphore de la mine se comprenant comme une image de l’interface à explorer, du trésor quasi inépuisable qu’il convient d’extraire. Ceci explique que le recueil collectif soit considéré comme un « répertoire des thèmes baroques20 », ou que L’Académie, déjà évoquée, soit envisagée comme un « répertoire des thèmes néo-pétrarquistes21 ». Il est évident que la compilatrice a puisé dans ces recueils collectifs pour concevoir Éros baroque, anthologie qui du reste pose la question du rapprochement entre baroque et néo-pétrarquisme22. Le recueil collectif procède d’un « travail de modélisation23 », destiné non seulement à éclairer les péritextes, qui relèvent proprement de la critique, mais aussi à innerver la constitution même de l’anthologie, et donc son esthétique. Le recueil collectif est en somme le stock de l’anthologie moderne, qui lui octroie une valeur marchande et symbolique, une couleur d’époque garantissant la validité de la pratique de compilation.

Dans leur anthologie de la poésie spirituelle initialement parue en 1972 et rééditée en 200724, Terence Cave et Michel Jeanneret rejettent l’ordre chronologique de présentation des textes, qu’ils jugent anachronique25, au profit d’un ordre thématique « capable de mettre au jour des structures conceptuelles profondément ancrées dans le contexte historique où les poèmes ont pris forme26 ». Or cet « ordre virtuel de lecture27 » se publie comme fondé sur celui des recueils des xvie et xviie siècles : « les recueils de bon nombre de nos poètes, ainsi que de leurs contemporains, sont déjà structurés selon un ordre en quelque sorte officiel ou orthodoxe28 ». T. Cave et M. Jeanneret prennent les recueils individuels et collectifs de poésie religieuse de l’époque comme modèles à imiter pour s’approcher au plus près de leur objet :

Arranger les textes de cette anthologie selon un ordre qui fut valable sur le plan thématique et en même temps sur celui, plus intime, d’un progrès spirituel, ce n’était donc qu’adopter – ou du moins adapter – la solution des poètes de l’époque29.

La dialectique « adopter/adapter » positionne les recueils du temps en mètre-étalon du classement et de l’ordonnancement des textes, et donc en modèles esthétiques et critiques : imaginer dans une anthologie qu’un parcours de lecture reproduise celui mis en place par les poètes et les compilateurs des xvie et xviie siècles revient à réactiver une mémoire culturelle, à faire surgir dans le présent la mémoire du passé, à situer l’anthologie dans une filiation relevant de la dynamique des formes : « ce sont les dispositifs élaborés par les manuels de dévotion qui fournissent le modèle et le mode d’emploi30 ». Les manuels de dévotion influencent les recueils, qui déterminent les anthologies : il s’agit là d’un manifeste de filiation relevant de l’histoire des formes. Les anthologistes ne construisent pas un modèle au sens d’idéal, mais au sens de prototype : comme chez G. Mathieu-Castellani, la démarche historienne se veut indissociable du projet esthétique. En « imitant » le mode de lecture qui était d’après eux celui des poètes du temps, T. Cave et M. Jeanneret ne se contentent pas de le réitérer, d’en appliquer le « mode d’emploi » ; ils en soulignent et en exacerbent la vitalité, en s’inscrivant dans une dynamique et une herméneutique du genre littéraire.

Du reste, la part d’adaptation est peut-être plus conséquente que T. Cave et M. Jeanneret veulent bien l’admettre : passer de « L’homme déchu » à « Dieu sur terre » ne suffit pas à rendre compte de toutes les dimensions offertes par la poésie spirituelle du temps, ce problème de disposition se greffant sur la question du choix des textes : il faut donc ajouter une troisième section, « L’âme ravie », prévue, rappellent T. Cave et M. Jeanneret, par les « manuels de méditation ». Par-là, le but est de concilier la perspective historienne et critique avec la part d’invention esthétique personnelle et propre au genre anthologique. T. Cave et M. Jeanneret inventent un dispositif, un « parcours de lecture » fondé sur ce que j’appellerais volontiers un hypotexte : les recueils collectifs sont des œuvres à part entière, des œuvres-sources imitées par les anthologies modernes, et des formes ouvertes et perméables à d’autres genres.

On discerne dans ces opérations une fabrique stratégique du recueil collectif, qui sert à l’évidence de caution, comme le montre l’exemple du recueil Barbin. Lors d’un colloque dont les actes furent édités en 1989, soit deux ans après son Anthologie de la poésie française du xviie siècle, J.-P. Chauveau note : « le choix des pièces est intéressant […] ça m’a frappé pour Théophile, j’ai moi-même fait une anthologie récemment, le choix que fait Fontenelle me convient assez bien31 ». J.-P. Chauveau signale par ailleurs que chez Fontenelle

le répertoire des poètes que nous appellerions aujourd’hui de l’époque Louis XIII est assez large et varié, englobant tout aussi bien Lingendes, Motin, L’Estoile, Théophile, Saint-Amant, Tristan, Desmarets, Godeau, Brébeuf et Le Moyne que Malherbe, Racan et Voiture32.

Ces poètes, le critique s’est battu toute sa carrière pour eux, pour les faire reconnaître, tombant parfois, il faut bien le dire, dans l’excès inverse33 afin d’atteindre son but, notamment en allant jusqu’à juger que la seconde moitié du xviie siècle évolue vers une raréfaction de la poésie, raréfaction qui déboucherait, au xviiie siècle, sur un désert poétique34. Pour J.-P. Chauveau, Fontenelle est un modèle à suivre, mais avec précaution. Le choix opéré par le concepteur du recueil Barbin est jugé « assez satisfaisant » dans la mesure où il gagne à se voir quelque peu amendé : l’auteur de Poètes et poésie au xviie siècle pense notamment à la dominante galante, incarnée par Benserade, qui commande le choix des compilateurs. Selon lui, il faut par conséquent réécrire l’histoire littéraire, en prenant conscience, pour y parvenir, de la place occupée par le recueil Barbin sur la scène historiographique.

En creusant ce sillon, on observe que le recueil Barbin n’est plus vraiment considéré comme un recueil d’éditeur, mais comme un recueil d’auteur : A. Blanchard, J.-P. Chauveau et R. Picard le situent dans la perspective de leurs anthologies rétrospectives, et non dans le corpus des recueils collectifs d’époque. En d’autres termes, considérer le recueil Barbin comme un modèle déporte la problématique de l’édition vers celle de l’auctorialité de l’anthologiste35. Si les productions imprimées de Chamhoudry, Du Breuil, Guillemot ou encore Estoc peuvent, en première instance, être utilisées comme des documents d’époque, c’est parce qu’elles ne portent pas une charge historiographique aussi forte que celle du recueil Barbin. L’ambivalence du modèle fontenellien est due à des frictions auctoriales : A. Niderst, en particulier, spécialiste de Fontenelle, veut être auteur au même titre que ce dernier, et être reconnu comme tel, en se plaçant ostensiblement dans une situation d’héritage vis-à-vis de celui qu’il considère comme une sorte de point de repère. Aussi cite-t-il abondamment Fontenelle pour justifier son propre projet anthologique, et tente-t-il d’analyser comme en anamorphose celui de son « maître » :

Le Recueil des plus belles pièces des poètes français présente au lecteur moderne un miroir du goût et de la création au fil des siècles […] le compilateur du Recueil ramasse les œuvres les plus connues des poètes les plus célèbres, et cette gerbe est finalement une histoire concrète de la poésie française36.

Fontenelle est l’activateur du système optique opérant cette réversibilité entre l’image de l’anthologie et celle du recueil collectif. A. Niderst cherche à appliquer la « méthode Fontenelle » à son propre travail, à recréer le recueil Barbin. Et pourtant, il décèle chez l’auteur de l’Histoire des Oracles un subjectivisme latent :

Avec ses réticences, ses hésitations, ses apparentes contradictions, ce texte met en évidence toutes les difficultés d’une anthologie. On souhaiterait n’être qu’un scrupuleux compilateur et s’effacer derrière l’histoire. Ainsi le lecteur aurait un document irréfutable qui devrait lui inspirer bien des surprises, bien des conjectures37.

Naturellement, il conclut que l’on met toujours son propre goût en scène, volontairement ou non. Fontenelle est une inspiration qu’il faut dépasser, voire corriger et améliorer : A. Niderst lecteur de Fontenelle se veut aussi sceptique que son modèle. Cependant, cette rhétorique préfacielle – il est topique, dans le discours anthologique, d’insister sur la nature nécessairement arbitraire du choix – dévoile davantage une fiction de lecture qu’une pratique critique désintéressée.

Fictions de lecture

La présentation des recueils collectifs par A. Niderst se fait sur le mode de la liste, comme pour mimer la vitalité poétique qu’ils recèlent :

De 1597 à 1620 les Rouennais Raphaël et David de Petit-Val, Claude le Villain, Nicolas Cabut, Jean Petit (car Rouen est après Paris la capitale de l’édition), les Lyonnais Barthélémy Ancelin et M. Courant, les Parisiens Nicolas et Pierre Bonfons, Mathieu Guillemot, Antoine du Brueil, Jean Fuzy, Toussaint du Bray, Jean Richer, Samuel Thiboust, Pierre Chevallier, Antoine Estoc, Antoine de Sommaville font paraître des recueils, qui d’ordinaire sont réédités, avec des additions et des remaniements, parfois un nouveau titre38.

L’anthologiste s’efforce de donner à voir l’espace littéraire des recueils collectifs dans l’espace discursif de la préface. De plus, sa bibliographie est la plus étoffée de toutes celles que proposent nos anthologies : elle ne comporte pas moins de quatre-vingt-sept recueils collectifs, en comptant les remaniements et les rééditions. L’objectif de cette recherche d’exhaustivité est de démontrer implicitement au lecteur que la sélection anthologique repose sur le dépouillement systématique de tous les recueils collectifs référencés ici. Ce mode de publication passe avant celui des anthologies modernes et avant même les recueils autographiques de poètes, qui ne sont même pas cités dans la bibliographie. On parlera donc de fiction d’accréditation critique, soit d’une entreprise de légitimation censée exposer, par le vertige de l’érudition et de la liste39, l’idée que l’anthologie puise aux sources mêmes de la création poétique du temps, les recueils collectifs étant alors la courroie de transmission essentielle à la diffusion des textes. La mise en scène de la circulation de ces derniers jusqu’à l’anthologie suscite une invention historiographique : A. Niderst institue les recueils en fondements du mode de publication des textes et affirme ainsi que son anthologie concorde avec les pratiques du temps. Le compilateur actualise, on l’a vu, le travail de Fontenelle, mais il le fait sur le mode d’une filiation avec d’autres éditions collectives, et développe par là une impression de complétude qui trahit son ambition de ré-énoncer les recueils collectifs pour les intégrer à son ethos et créer en quelque sorte l’œuvre complète d’un mode de publication fragmentaire.

On notera que M. Jeanneret également, qui cite dans sa bibliographie aussi bien des recueils collectifs que des recueils autographiques, accorde la primauté aux premiers car, comme celle d’A. Niderst, son anthologie se veut le reflet direct d’un « moment », soit, si l’on en croit Didier Alexandre,

une coupe opérée dans la durée où les mouvements du présent se fixent pour se faire lignes de force qui reconfigurent, en partie, le passé. L’anthologie fabrique des contemporains – des êtres qui partagent un même temps. Elle donne à lire le présent du présent et le présent du passé, sur le mode individuel et collectif40.

Ce « moment » singulier, c’est la déflagration satyrique du début du xviie siècle :

une nouveauté survient, au tout début du siècle, dans le marché du livre : la multiplication, sans précédent dans l’histoire de l’érotisme, d’anthologies de poèmes licencieux – les “Recueils collectifs” spécialisés dans le registre lascif et scabreux41.

Si l’anthologie est « présent du passé », elle est surtout un travail critique qui par sa tentation du miroir se veut la reconstruction « moderne », l’adaptation fidèle des recueils collectifs. La bibliographie accomplissant une mise en ordre hiérarchique du savoir, citer ces derniers en premier lieu confirme assez non seulement leur valeur critique, mais surtout le fait que l’anthologie se veut la mémoire des événements littéraires vers lesquels ils font signe. En cela, on peut considérer, avec Roger Chartier, qu’il s’agit de

marquer l’écart entre la mémoire telle que la saisit le regard intérieur et la mémoire comprise comme un processus collectif inscrit dans des cadres sociaux partagés par un groupe ou une société. Donc, d’un côté, une mémoire individuelle, intimement associée à l’intériorité, la conscience ou la connaissance de soi ; de l’autre, la dénonciation de l’attribution illusoire du souvenir au moi singulier et l’attention placée sur les représentations collectives42.

Ici, la mémoire saisie par le regard intérieur43 entend s’instaurer en mémoire collective, et l’anthologie se révèle un lieu de mémoire des recueils collectifs44, au sens où l’entend Pierre Nora : « les lieux de mémoire ne sont pas ce dont on se souvient, mais là où la mémoire travaille ; non la tradition elle-même, mais son laboratoire45 ». Le recueil collectif est le « laboratoire » à partir duquel l’anthologiste construit une cohérence historiographique, mais aussi le marqueur de la provenance du texte, réinséré visuellement au sein de l’anthologie. Ceci explique ces propos de J.-P. Chauveau :

Nous nous sommes appuyés, autant que faire se pouvait, sur les éditions originales, recueils collectifs ou recueils propres aux auteurs, dont les références sont indiquées après chaque poème avec la plus grande exactitude possible, et conformément au libellé figurant dans les bibliographies générales ou particulières46.

Citer d’après l’original, et dans ce cas, d’après un recueil collectif, c’est affirmer que le texte donné correspond à l’original, et même certifier que ce texte est l’original, qu’il ne subit pas de variations. Dans la mesure où la citation est en fait une appropriation du texte, déplacé dans un autre contexte, on a affaire à une fiction d’exemplarité critique. Chez A. Blanchard, la section qui clôt l’ouvrage (les « Anonymes précieux ») regroupe des pièces qui ont toutes paru dans le recueil Sercy (1660). A. Blanchard cite les parties 1, 3, 4 et 5 de ce recueil, mais dans le désordre, se réappropriant à l’aide de ce réagencement la mémoire collective promue par Sercy47 : citer d’après un recueil collectif équivaut à donner corps à un projet historien, tout en subordonnant implicitement ce dernier au projet esthétique, qui consiste, par exemple, à terminer l’anthologie par le « Tout n’est plein ici-bas que de vaine apparence » de Des Barreaux, en une sorte d’acmé mettant l’accent sur le thème de la vanité et réconciliant de la sorte préciosité et baroque48 (fig. 2). Par conséquent, l’anthologie se démarque en fait nettement du recueil : son potentiel de reconfiguration l’incite à évacuer subrepticement la portée historienne pour valoriser librement des notions construites rétrospectivement, comme le baroque, ou la préciosité, ce transfert produisant une fiction d’attribution générique et génésique.

Fig. 2. André Blanchard, Trésors de la poésie baroque et précieuse (1550-1650), Paris, Seghers, 1969.

Fig. 2. André Blanchard, Trésors de la poésie baroque et précieuse (1550-1650), Paris, Seghers, 1969.

A contrario, Raymond Picard entend récuser l’anthologie au profit du recueil, déclarant à plusieurs reprises que son ouvrage appartient à la seconde catégorie, la valeur déictique des tournures employées (« le présent recueil », « ce recueil »49) venant renforcer cette dimension assertorique. R. Picard s’ingénie à délivrer au lecteur un texte pur de toute intervention critique : son but avoué est de se contenter de restituer les textes, sans passer par les constructions structurantes de l’anthologie. Il vise en particulier la « méthode Rousset », qui, à ses yeux, parcellarise les textes et les soumet à l’arbitraire de grandes catégories thématiques, mais aussi les commentaires préfaciels de Th. Maulnier, qui téléologisent les œuvres poétiques du xviie siècle, en faisant par exemple de Théophile un surréaliste avant l’heure50. La mention complète, dans la bibliographie, de la dimension matérielle du livre51 redouble ce désir de mimétisme, perceptible également dans la préface :

Sercy […] s’efforce […] de réunir tout ce qui concerne les débats qui se sont émus dans l’Empire de la Poésie. Un des plus significatifs est connu sous le nom de Querelle des Sonnets ; Sercy a collectionné tous les petits vers auxquels il avait donné lieu : sans qu’il faille être aussi complet que l’astucieux éditeur, il a semblé utile de reproduire ici toute une série de ces appréciations, qui, mieux qu’un long discours, définissent un certain goût poétique, et révèlent ce que les contemporains attendaient de la poésie galante52.

R. Picard souhaite réaliser une reconstruction archéologique en modèle réduit. L’allusion à la pertinence stratégique de l’éditeur met discrètement en cause ses préoccupations économiques afin d’en dédouaner implicitement l’anthologiste, en garantissant de manière implicite le désintéressement de son action de compilation, qui concourt à fournir une copie prétendument conforme à l’original :

Après l’avertissement de l’éditeur et les Sonnets eux-mêmes, on va lire sur ce sujet une série de pièces de vers, dans l’ordre où elles sont reproduites, avec quelques autres, dès 1653, à la fin du Recueil des Poésies choisies de Sercy (Première partie)53.

L’anthologiste insiste pour nous faire comprendre qu’il ne propose pas une anthologie mais un recueil parce qu’il veut que soit accordée à son ouvrage la même valeur historique et critique qu’aux recueils collectifs du xviie siècle, et en particulier à Sercy, puisque son objet est ici la poésie galante. R. Picard veut être le reflet même de Sercy, l’anthologie se muant en calque du recueil collectif.

Les fictions de lecture que nous venons d’observer sont contrastées, mais chacune d’entre elles offre la possibilité de revenir sur le statut des textes : oscillant entre affichage historiciste et préoccupations esthétisantes, les anthologistes s’appliquent à justifier au mieux les secondes par le premier.

J.-P. Chauveau note au sujet d’un poète délaissé par la postérité :

protecteur des poètes, surtout des poètes libertins, parmi eux, Théophile de Viau, Cramail était lui-même poète à ses heures, et sa Nuit obtint un vif succès, comme en témoigne sa présence durable dans les recueils collectifs54.

Si cette « protection » est aujourd’hui très contestée car fondée sur des conjectures hasardeuses d’A. Adam, il n’en est que plus intéressant que J.-P. Chauveau s’appuie sur ce « biographème » pour établir la poéticité de l’œuvre de Cramail55. En effet, le critique cherche ici à faire coïncider son goût personnel – sensible dans le rappel de la protection que Cramail accorda à Théophile de Viau, ce qui le rend sympathique – et le goût de l’époque : de fait, J.-P. Chauveau cite bien La Nuit, dans la version donnée en 1618 par Les Délices de la poésie françoise (Toussaint du Bray). Il y a là une constante de compilation et de canonisation, dans laquelle passé et présent coïncident pour se féconder mutuellement. Mais naturellement, on repère des décalages de l’un à l’autre. Si l’on prend le cas de Lingendes, on constate que son texte le plus souvent cité par les anthologistes est « Alcidon parle56 » :

Fillis, auprès de cet ormeau
Où paissait son petit troupeau,
Étant toute triste et pensive,
De son doigt écrivait un jour
Sur le sablon de cette rive :
Alcidon est mon seul amour.

Je ne devais pas m’assurer
De voir sa promesse durer
Parce qu’en chose plus légère
Ni plus ressemblante à sa foi,
L’ingrate et parjure bergère
Ne pouvait se promettre à moi.

Un petit vent qui s’élevait
En même instant qu’elle écrivait
Cette preuve si peu durable
Effaça sans plus de longueur
Sa promesse dessus le sable
Et son amour dedans son cœur57.

Le baroque est évidemment passé par-là, et on reconnaîtra sans peine ici le motif de la promesse écrite sur le sable, symbole et symptôme d’inconstance blanche dans la pensée de J. Rousset. Par conséquent, le tropisme baroque informe fortement le choix des œuvres, et il conviendrait, pour prolonger l’analyse, de réfléchir plus précisément aux procédés de reprise des textes, que je ne fais qu’effleurer. Une telle réflexion permettrait de mesurer l’influence d’un monstre sacré de l’anthologie baroque : Jean Rousset, modèle ou repoussoir conscient ou inconscient de toutes les anthologies postérieures à 1961, et donc d’interroger avec davantage d’acuité le rapport de force qui s’établit entre recueils collectifs et anthologie. Entre un désir apparent de remonter à l’origine et l’interposition d’ouvrages « passeurs », un réel travail reste à mener sur l’interférence dans la réception, interférence causée par le propagateur de la notion de baroque en France. On observe en effet que l’anthologie moderne tend à réduire l’historiographique à l’esthétique, tout en s’ingéniant à masquer cette opération afin de légitimer son propos critique, le recours aux recueils collectifs procédant à la fois d’une stratégie d’évitement par essentialisation de l’objet d’étude et de la nécessité de trouver une instance légitimante propre à valider le projet de compilation.

On conclura donc provisoirement par ces mots d'Éric Méchoulan, qui voit en la mémoire « un appareil d’immédiation supposant une présence infatigable du passé, un lien immanent avec ce dont on hérite sans solution de continuité58 ». Tel est bien, me semble-t-il, l’enjeu : comment construire du sens à partir d’un héritage culturel et, surtout, quelles orientations lui donner dans la perspective, sensible dans le corpus étudié, d’une rhétorique du lecteur visant à institutionnaliser une histoire littéraire entièrement dévolue au devenir esthétique des textes.

Notes

1 Voir Guy Catusse, « Aux origines du “baroque littéraire” en France : 1935-1950. Aperçus historiographiques », Les Dossiers du Grihl, 2012-02, [en ligne] http://journals.openedition.org/dossiersgrihl/5060.

2 Alan Boase, « Poètes anglais et poètes français de l’époque baroque », Revue des sciences humaines, Lille, 1949, p. 155-156.

3 Sur ce paradigme, voir Maxime Cartron, L’Invention du baroque. Les anthologies de poésie française du premier xviie siècle (1844-2009), Paris, Classiques Garnier, « Lire le xviie siècle », série « Discours critique », à paraître en 2021.

4 Jorge Gimeno, El Amor Negro. Poesia del Barocco Francès, Valencia, Pre-Textos, « La Cruz del Sur », 2009 (rééd. sous le titre Mon âme, il faut partir. Anthologie de la poésie baroque française, trad. Jean-Hébert Armengaud, Paris, La Table Ronde, « La Petite vermillon », 2011).

5 Albert-Marie Schmidt, L’Amour noir. Poèmes baroques, Monaco, Éditions du Rocher, 1959 (rééd. Genève, Slatkine reprints, 1982).

6 « Les textes sont dans leur graphie originelle, c’est-à-dire celle des premières éditions ou des éditions d’époque, ou celle que reproduisent, presque sans intervention, les éditions critiques postérieures » (J. Gimeno, Mon âme, il faut partir, op. cit., p. 14). Seules exceptions : les Poésies diverses de Brébeuf (Guillaume de Luyne, 1658), les Poésies de Gombauld (Augustin Courbé, 1646), la Theanthropogamie en forme de dialogue par sonnets chrétiens de Marin Le Saulx (Londres, Thomas Vautrolier, 1577) et les Œuvres de Montreuil (Thomas Jolly, 1666), non disponibles dans une édition moderne.

7 Charles de Vion d’Alibray, Œuvres poétiques, éd. Adolphe Van Bever, Paris, E. Sansot et Cie, 1906 ; Tristan L’Hermite, Les Plaintes d’Acante et autres œuvres, éd. Jacques Madeleine, Paris, É. Cornély et Cie, 1909 ; Jean de Lingendes, Stances, éd. Jacques Madeleine, Paris, Sansot, 1911 ; Denis Sanguin de Saint-Pavin, Poésies choisies, éd. G. Michaut, Paris, Sansot, 1912 ; Georges de Brébeuf, Entretiens solitaires, éd. René Harmand, Paris, É. Cornély, « STFM », 1912. Dans le cas de Maynard, l’anthologiste cite l’édition Gohin (1927) et l’édition originale de 1646 ; dans celui de L’Astrée, seulement l’édition originale de 1633 (Augustin Courbé).

8 Maurice Allem, Anthologie poétique française. xviie siècle, 2 t., Paris, Garnier-Flammarion, 1965-1966 [1916] ; Thierry Maulnier, Poésie du xviie siècle, Paris, La Table Ronde, 1945 ; Jean Rousset, Anthologie de la poésie baroque française, 2 t., Paris, Armand Colin, « U », 1961 ; André Blanchard, Trésor de la poésie baroque et précieuse (1550-1650), Paris, Seghers, 1969 ; Gisèle Mathieu-Castellani, Éros baroque. Anthologie thématique de la poésie amoureuse (1570-1630), Paris, UGE, « 10/18 », 1979 ; Jean-Pierre Chauveau, Anthologie de la poésie française du xviie siècle, Paris, NRF/Gallimard, « Poésie/Gallimard », 1987 ; Jean Serroy, Poètes français de l’âge baroque. Anthologie (1571-1677), Paris, Imprimerie nationale, « La Salamandre », 1999 ; Alain Niderst, La Poésie à l’âge baroque (1598-1660), Paris, Robert Laffont, « Bouquins », 2005. De façon surprenante, A.-M. Schmidt est complètement oublié : on peut y voir une concurrence inavouée, J. Gimeno entendant s’imposer sur le « marché » anthologique et réactualiser, soit remplacer L’Amour noir.

9 Voir M. Cartron, L’Invention du baroque, op. cit.

10 « Les titres des poèmes sont tantôt ceux de l’auteur, et ils sont composés en romain ; tantôt ceux du présentateur, et ils sont alors composés soit en italique s’ils sont constitués par un fragment de vers, soit plus rarement en romain, mais placés entre crochets, s’ils sont entièrement dus au présentateur » (J. Rousset, Anthologie de la poésie baroque française, op. cit., t. I, p. 28).

11 Odette de Mourgues, An Anthology of French 17th century lyric poetry, Oxford University Press, 1966, p. 29 : « Le nouveau venu à la poésie du xviie siècle notera que nombre d’œuvres ne sont pas disponibles dans une édition moderne, bien que l’on puisse espérer disposer de davantage de bonnes éditions critiques des poètes mineurs dans un futur proche. Il est aussi notable que les poèmes de beaucoup de poètes majeurs furent publiés dans les Recueils collectifs, soit dans des sélections de poèmes de divers auteurs. Certains n’apparaissent que dans ces sortes d’anthologies ; d’autres étaient éventuellement collectés par l’auteur et publiés dans un ensemble. Le lecteur souhaitant poursuivre son exploration des poèmes que l’on ne peut trouver que dans les Recueils collectifs trouvera quelques suggestions dans la seconde partie de la bibliographie. » (Ma traduction)

12 On peut penser au Cabinet secret du Parnasse de Louis Perceau, qui joue sur les mêmes effets d’intitulation curieuse, à des fins publicitaires (Le Cabinet secret du Parnasse, recueil de poésies libres, rares ou peu connues, pour servir de supplément aux œuvres dites complètes des poètes français. Pierre de Ronsard et la Pléiade. Pierre de Ronsard. Estienne Jodelle. Joachim Du Bellay. Rémy Belleau. J.-Antoine de Baïf. Pontus de Tyard, etc. Textes revus sur les éditions anciennes et les manuscrits et publiés avec notes, variantes, bibliographie et glossaire, par Louis Perceau, Paris, Au Cabinet du livre (Dijon, impr. de Darantière), 3 vol., 1928-1932).

13 Voir la contribution de Miriam Speyer au présent volume, ainsi que, de la même, « Briller par la diversité ». Les recueils collectifs de poésie au xviie siècle (1597-1671), Paris, Classiques Garnier, « Lire le xviie siècle », série « Voix poétiques », à paraître en 2021.

14 J.-P. Chauveau, Anthologie de la poésie française du xviie siècle, op. cit., p. 21-22.

15 G. Mathieu-Castellani, Éros baroque, op. cit. (rééd. Paris, Champion, « Textes de la Renaissance », 2007).

16 G. Mathieu-Castellani, « La poésie amoureuse française à la fin du xvie siècle d’après les recueils collectifs (1597-1600) », RHLF, janvier-février 1976, 1, p. 13.

17 G. Mathieu-Castellani fera du reste de Jean de Sponde et Jacques Davy du Perron deux de ses « vingt poètes baroques et maniéristes » dans sa seconde anthologie (Anthologie de la poésie amoureuse de l’âge baroque (1570-1640). Vingt poètes baroques et maniéristes, Paris, Le Livre de Poche, « Bibliothèque classique », 1990) mais éliminera Bertaut. On peut en trouver la raison chez Fernand Mazade : « trop sage quant au style. La vérité est que Bertaut se garda autant qu’il le put du diminutif puéril, du néologisme orgueilleux, et essaye de se montrer simple, ouvert, abandonné, ce à quoi il ne réussit pas toujours. Madeleine de Scudéry, qui l’admirait beaucoup, disait qu’il a plus de clarté que Desportes et plus d’esprit que Desportes et Ronsard réunis. Cet esprit est le péché mignon de Bertaut dont les pointes, les jeux de mots fatiguent un peu, irritent parfois. Et néanmoins, dans l’ensemble de son œuvre, ce poète a du goût, de l’élégance et même une certaine élévation. Ce qui lui a manqué, c’est la diversité et la flamme », (Anthologie des poètes français des origines à nos jours, Paris, Librairie de France, t. II, 1927, p. 172).

18 G. Mathieu-Castellani, « La poésie amoureuse française à la fin du xvie siècle… », art. cité, p. 6.

19 Ibid., p. 5.

20 Ibid., p. 9.

21 Ibid.

22 « Les Baroques français, si leur œuvre marque une incontestable rupture avec la double tradition magistrale de Ronsard et de Desportes, dont ils subvertissent les schémas, partent pourtant tous, sans exception, d’une vision néo-pétrarquiste de l’amour » (G. Mathieu-Castellani, Éros baroque, op. cit., p. 10).

23 Alain Viala, « Qu’est-ce qu’un classique ? », Bulletin des bibliothèques de France (BBF), 1992, 1, p. 6-15, [en ligne] https://bbf.enssib.fr/consulter/bbf-1992-01-0006-001.

24 Terence Cave et Michel Jeanneret, Métamorphoses spirituelles. Anthologie de la poésie religieuse française (1570-1630), Paris, José Corti, 1972 ; La Muse sacrée. Anthologie de la poésie spirituelle française (1570-1630), Paris, José Corti, 2007.

25 Il « dépend d’une sélection préalable fondée sur des critères étrangers à l’époque en question » (ibid., p. 17).

26 Ibid., p. 17.

27 Ibid., p. 18.

28 Ibid., p. 17-18.

29 Ibid., p. 18.

30 Ibid., p. 23.

31 « Discussion », dans Alain Niderst (dir.), Fontenelle, Paris, PUF, 1989, p. 163. Un colloque récent a permis de remettre en question l’attribution du recueil Barbin au seul Fontenelle : Mathilde Bombart, Maxime Cartron et Michèle Rosellini (dir.), Le recueil Barbin (1692). Une « histoire de la poésie, par les ouvrages mêmes des poètes » ?, Formes et pratiques littéraires 16-18. Cahiers du GADGES, 16, 2019, [en ligne] https://publications-prairial.fr/pratiques-et-formes-litteraires/index.php?id=74.

32 « Discussion », art. cité, p. 163.

33 Voir Delphine Reguig, compte-rendu de « Jean-Pierre Chauveau, Poètes et poésie au xviie siècle », xviie siècle, 2015/1, 266, § 37, [en ligne] https://www.cairn.info/revue-dix-septieme-siecle-2015-1-page-157.htm.

34 Voir M. Cartron, « Comment remotiver un cliché historiographique ? Poésie du xviiie siècle et baroque des anthologies », Montréal, Lumen, 40, à paraître en 2021.

35 Sur cette question, je me permets de renvoyer à mon article : « Autoportraits de l’anthologiste en Protée », dans Giovanni Berjola, Dominique Brancher et Gaëlle Burg (dir.), L’Éditeur à l’œuvre : reconsidérer l’auctorialité ?, actes du colloque de Bâle, Universitätsbibliothek Basel (Open Publishing), 2020, p. 136-143, [en ligne] https://emono.unibas.ch/catalog/book/61.

36 A. Niderst, La Poésie à l’âge baroque, op. cit., p. xv-xvi.

37 Ibid.

38 Ibid., p. vii.

39 Autre témoin de cette inflexion stratégique, Michel Jeanneret, qui note, après avoir cité plusieurs recueils collectifs d’importance pour la diffusion de la poésie satyrique : « cet inventaire n’est pas complet. Il n’omet pas seulement des titres, mais le détail des réimpressions, qui se comptent par dizaines, et les collections manuscrites, encore mal connues, qui rassemblent les poèmes les plus hardis. Tout cela atteint des proportions industrielles et donne des chiffres impressionnants. Le Cabinet satyrique de 1618 totalise 737 pages et 460 poèmes ; Les Délices satyriques de 1620 alignent 303 pièces en 472 pages, et ainsi de suite. La somme des poèmes grivois publiés en France entre 1600 et 1625 doit dépasser la barre des 1 500 » (M. Jeanneret, La Muse lascive. Anthologie de la poésie érotique et pornographique française (1560-1660), Paris, José Corti, 2007, p. 19). Sur les « effets de masse » de ces recueils, voir Guillaume Peureux, La Muse satyrique (1600-1622), Genève, Droz, « Les Seuils de la Modernité », 2014.

40 Didier Alexandre (dir.), L’Anthologie d’écrivain comme histoire littéraire, Berne et alii, Peter Lang, « Littératures de langue française », 2011, p. 12.

41 M. Jeanneret, La Muse lascive, op. cit., p. 18.

42 Roger Chartier, La Main de l’auteur et l’esprit de l’imprimeur. xvie-xviiie siècle, Paris, Gallimard, « Folio histoire », 2015, p. 280.

43 A. Niderst affirme : « l’anthologie serait […] une introduction (un peu sournoise et d’autant plus persuasive) à la personnalité de l’anthologiste » (La Poésie à l’âge baroque, op. cit., p. xv).

44 Naturellement, M. Jeanneret aborde ces recueils à travers le prisme de Frédéric Lachèvre, ce qui le conduit à opérer par avance une pré-sélection.

45 Pierre Nora (dir.), Les Lieux de mémoire. I. La République, Paris, NRF/Gallimard, « Bibliothèque illustrée des Histoires », 1984, p. x.

46 J.-P. Chauveau, Anthologie de la poésie française du xviie siècle, op. cit., p. 412.

47 On peut en effet lire dans ce recueil la volonté de constituer des « archives » galantes, au sens donné à ce terme par Delphine Denis, de mémoire d’un groupe social défini (voir Le Parnasse galant. Institution d’une catégorie littéraire au xviie siècle, Paris, Champion, « Lumière classique », 2001).

48 A. Blanchard suit en cela le mot de J. Rousset, qu’il cite dans sa préface : « La Préciosité est la pointe mondaine du Baroque » (Trésor de la poésie baroque et précieuse, op. cit., p. 18).

49 Raymond Picard, La Poésie française de 1640 à 1680. Poésie religieuse, épopée, lyrisme officiel, Paris, SEDES, 1964, p. 5, 6, 8 et 10.

50 « Il y a, nous affirme-t-on, du surréalisme dans Théophile, du Lamartine dans Rampalle, de l’Apollinaire dans Sarasin, du Nerval dans Gombaut [sic]. La meilleure anthologie de la poésie de cette époque se définit délibérément comme “un album d’illustrations” classées en fonction de catégories préfabriquées et destinées à vérifier une certaine thèse » (ibid., p. 6). La première phrase vise Th. Maulnier, la seconde égratigne J. Rousset, R. Picard citant ouvertement les deux anthologistes en note. Pour une étude des enjeux esthétiques et idéologiques de cette polémique, je prends la liberté de renvoyer à nouveau à M. Cartron, L’Invention du baroque, op. cit.

51 « Poésies choisies. Paris, Sercy (recueil Sercy), 1653 sqq., in-12, 5 vol. (rééditions avec des additions) » (R. Picard, La Poésie française de 1640 à 1680. Satire, épître, burlesque, poésie galante, Paris, SEDES, 1969, p. 216).

52 Ibid., p. 9.

53 Ibid., p. 198.

54 J.-P. Chauveau, Anthologie de la poésie française du xviie siècle, op. cit., p. 432.

55 Je remercie vivement Michèle Rosellini, à qui je dois cette réflexion.

56 Sur un corpus de trente-sept anthologies, treize le retiennent.

57 J.-P. Chauveau, Anthologie de la poésie française du xviie siècle, op. cit., p. 432.

58 Éric Méchoulan, La Culture de la mémoire ou comment se débarrasser du passé ?, Presses universitaires de Montréal, « Champ libre », 2008, p. 236.

Illustrations

  • Fig. 1. À gauche, Jean Rousset, Anthologie de la poésie baroque française, Paris, Armand Colin, 1961 ; à droite, Robert Kanters, Anthologie de la poésie française. Le xviie siècle, t. I, Lausanne, Éditions Rencontre, 1967.

    Fig. 1. À gauche, Jean Rousset, Anthologie de la poésie baroque française, Paris, Armand Colin, 1961 ; à droite, Robert Kanters, Anthologie de la poésie française. Le xviie siècle, t. I, Lausanne, Éditions Rencontre, 1967.

  • Fig. 2. André Blanchard, Trésors de la poésie baroque et précieuse (1550-1650), Paris, Seghers, 1969.

    Fig. 2. André Blanchard, Trésors de la poésie baroque et précieuse (1550-1650), Paris, Seghers, 1969.

Citer cet article

Référence électronique

Maxime Cartron, « Mémoire, oubli et invention historiographique des recueils collectifs du xviie siècle dans l’anthologie poétique française », Pratiques et formes littéraires [En ligne], 17 | 2020, mis en ligne le 20 janvier 2021, consulté le 17 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/pratiques-et-formes-litteraires/index.php?id=232

Auteur

Maxime Cartron

IHRIM-Lyon 3 / GEMCA, UC Louvain

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