Recension : François David (dir.), Pouvoir et puissance en francophonie, Chambéry, Presses Universitaires Savoie Mont Blanc, 2020

DOI : 10.35562/rif.1317

Notes de la rédaction

NDLR : Le comité éditorial de la Revue Internationale des Francophonies tient à préciser que l’ouvrage qui fait l’objet de cette recension fait suite à la première journée (26 septembre 2012) portant sur « Francophonie - Rapports de puissance, rapports de pouvoir » des 12es Entretiens de la Francophonie organisés à Lyon par l’Institut international pour la Francophonie (2IF), alors Institut pour l’Étude de la Francophonie et de la Mondialisation (IFRAMOND).

Texte

Marginalisée à la fin de la Deuxième Guerre mondiale par les écoles de pensée libérale et marxiste pour qui un ordre naturel régulait le monde hors de la volonté humaine, le marché pour la première, la lutte des classes pour la seconde, ce déterminisme excluait en toute logique la notion d’institution. Aujourd’hui, dans les sciences sociales est revenue en force le concept d’institution. Ce sont bien les institutions qui construisent la matière sociale analysée par ces sciences, matière sociale que les institutions font tenir et font évoluer dans l’Histoire. Il faut le voir, la notion d’institution a un sens dynamique : elle provient du verbe actif installer. Ce verbe renvoie à un mouvement pour une finalité. L’institution se veut l’appareil nécessaire pour un développement, une action continue fondatrice d’un ordre. Elle se veut la mise en œuvre d’une idée pour lui donner une forme1. La création d’une institution vise toujours à donner corps à une finalité : maintenir la paix et la sécurité dans le monde pour l’ONU, sauvegarder la liberté et la sécurité de ses membres pour l’OTAN, instaurer la coopération internationale pour l’UNESCO, pour ne prendre que ces exemples. C’est ici que l’ouvrage collectif dirigé par l’historien François David, Pouvoir et puissance en Francophonie2, prend tout son sens : de quelles idées la Francophonie pourrait-elle être la mise en œuvre et à l’aide de quels moyens ?

Ce collectif poursuit quatre objectifs : 1) analyser le rapport qui existe entre la langue française et le pouvoir politique ; 2) en faisant émerger des outils conceptuels capables d’expliquer l’influence internationale de cette langue ; 3) et esquisser des perspectives fécondes ; 4) en mettant à jour les obstacles qui pourraient entraver le développement de l’institution. La perspective analytique adoptée par les politologues, les historiens et les sociologues collaborant à ce livre s’articule autour de la mondialisation galopante que connaît notre monde. David la résume ainsi : « la mondialisation est d’abord ce qu’on en fait … localement. » Aussi chercheront-ils à sonder l’hypothèse d’une mondialisation accélératrice d’identités plutôt que réductrice et niveleuse de l’humanité trop souvent décrite.

L’ouvrage se divise en trois parties. Un premier groupe de chercheurs analysera la persistance partielle en certains domaines de l’impérialisme qu’exerça autrefois la France en certaines régions du monde. Suivra un deuxième groupe de textes explorant les enjeux de sécurité sur le continent africain. Enfin, l’ouvrage se termine par un troisième groupe de contributions plus prospectif s’efforçant de trouver pour la Francophonie, entre politique et culture, des outils permettant à cette dernière d’influencer l’évolution de l’humanité.

Sous le titre « Réminicence impériale », les chercheurs regroupés dans cette première partie prendront les exemples du Cameroun, du Vietnam, de Madagascar, du Tchad ou de l’influence de certaines personnalités jouissant d’indéniables habiletés manipulatrices, comme Jacques Foccart, pour démontrer le caractère proprement expansionniste de la politique étrangère française d’une certaine époque. Impériale, elle se cherche un argumentaire pour justifier sa politique coloniale d’exploitation des populations et des richesses de leur territoire.

Gilles Ferragu, par exemple, dans « La pacification, l’école Gallieni et l’héritage Lyautey » (p. 27-40) trouvera dans l’analyse d’un discours prononcé en 1899 par le lieutenant-colonel Hubert Lyautey les thèses du « fardeau civilisateur de l’homme blanc » et de son but ultime, celui de la « pacification », qui modélisaient et légitimaient un républicanisme colonisateur renvoyant tous ceux qui s’opposaient à cette subordination au caractère de factieux guidés principalement par leurs intérêts personnels. Et aux indigènes qui se soumettaient, on octroyait des charges administratives de prestige pour s’assurer de leur loyauté. Il y avait donc un plan, ou si l’on veut une idéologie qui soutenait l’action impériale française.

C’est l’absence d’un tel plan accompagné d’une carence idéologique qui, selon François David, dans « La rivalité entre influence française et américaine au Vietnam, entre 1954 et 1960 » (p. 41-70) ont fait perdre à la France le Vietnam. Selon l’historien, la France n’y nourrissait aucun projet. Celui de refouler le communisme ne motivait pas l’opinion française. Puis, prenant la langue comme dénominateur pour comparer l’occupation française à l’occupation étatsunienne, alors que celle-ci se substituait à celle-là, David démontre que les Étatsuniens ont, eux, commis l’erreur de se servir de la langue comme d’un outil de domination, anglicisant les élites vietnamiennes sans viser l’intellect ni la spiritualité de leur présence sur le territoire. Ils n’ont fait que se servir de la langue anglaise comme un moyen d’informer et comme vecteur technique sans chercher à comprendre la culture vietnamienne, ignorance de la culture des gens du pays qui les a conduits à la défaite que l’on sait.

Propos que le politologue Nguyen Khanh Toan attrape au vol, pourrait-on dire, dans « Les valeurs culturelles traditionnelles comme source de puissance pendant la guerre du Vietnam (1954-1973) » (p. 71-85). Sa démonstration s’articulera précisément autour de la culture « comme source de puissance » (p. 71). Il conteste que les seules sources de puissance pour un pays reposeraient sur la richesse économique, la force militaire ou son nombre d’habitants. La puissance d’un pays reposerait aussi sur un concept, écrit-il, développé par le politologue américain Joseph Nye, celui du soft power3 composé, entre autres, de sa culture, de ses valeurs politiques, de ses politiques étrangères, etc. Dans cette veine, l’auteur soutiendra que les valeurs culturelles traditionnelles vietnamiennes ont joué un rôle déterminant dans la victoire du Vietnam du Nord. Le peuple vietnamien est un peuple de résistance, fera-t-il remarquer, rappelant qu’au cours de ses vingt-deux siècles d’histoire, il a résisté à quatorze grandes invasions. Au cœur de cette résistance victorieuse se trouve le village, structure culturelle de base de ce pays parce qu’il y règne une grande solidarité et que cette dernière se reporte sur tout le pays lorsque celui-ci est envahi.

Dans une deuxième partie intitulée « Les enjeux africains de sécurité, défi pour le XXIe siècle », la réflexion des chercheurs portera plus spécifiquement sur le continent africain et sur ses problèmes de sécurité. La France jouissant d’une grande influence sur ce continent, les auteurs souhaiteraient que cette dernière entraîne davantage l’Union européenne à s’investir en Afrique pour pacifier le continent. L’analyse du phénomène d’instabilité du continent africain viendrait de ce que les armées nationales africaines sont instrumentalisées par le politique, souvent corrompu, et dominant des populations analphabètes. Ce pouvoir politique corrompu utiliserait les armées nationales plus comme force de répression pour endiguer les oppositions et le pouvoir souverain du peuple que comme force pour protéger un idéal social. La France aurait un plan. Influente en Europe et en Afrique, elle voudrait que le premier collabore puissamment au développement économique du deuxième, prospérité économique qui, selon elle, garantirait la sécurité.

Anne Hamonic constate dans « Quelle place pour les opérations de gestion de crise de l’Union européenne en Afrique francophone ? » (p. 125-147) que des trente-cinq opérations de gestion de crise menées par l’UE, vingt-et-une concernent l’Afrique, douze spécifiquement en Afrique francophone. Il faut y voir l’influence de la France, estime-t-elle. En Afrique francophone, note-t-elle, les mises en place d’opérations de gestion de crise par l’UE sont préférées à celles d’opérations de l’OTAN. Le poids de la France dans l’UE qui toujours milite pour une Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) plus autonome et plus ambitieuse n’y est pas étranger. L’auteure remarque que la place de l’UE est excellente en Afrique francophone passant juste après les organisations africaines propres et l’ONU, mais bien avant l’OTAN.

Cette place enviable de l’UE en Afrique francophone provient sûrement de ce qu’affirme Sandrine Cortembert dans « La participation de la France aux opérations de maintien de la paix (OMP) de l’Union européenne » (p. 149-179), à savoir que l’État français est profondément attaché à l’Afrique francophone. Il s’y investit énormément pour aider cette dernière à relever le défi de la mondialisation en engageant avec lui l’UE à collaborer au développement économique de tout le continent et à y établir la sécurité.

Lien entre développement économique et sécurité qu’établissent Charlène Ongotha et Arsene Nene Bi dans « Le rôle des forces africaines dans la gestion des crises » (p. 197-214) relevant que les crises africaines découlent pour la majorité d’entre elles d’une condition de pauvreté aggravée par une démographie galopante et des institutions étatiques fragiles. Portant leur réflexion sur la conséquence de cette faiblesse étatique, ils notent que l’insécurité africaine provient des armées nationales qui sont incapables d’instaurer une paix intérieure et extérieure parce qu’elles sont instrumentalisées par le pouvoir politique. Elles ne peuvent donc pas répondre adéquatement à ce qu’elles devraient être, l’expression souveraine du corps social dans le but de protéger et de défendre son idéal social, ses membres, ses ressources, ses valeurs et le bien commun. Comme ces armées nationales se sont développées en dehors de structures étatiques fortes, elles se sont substituées à l’État et sont entrées dans la logique de police répressive. Pour corriger ce pli, ces auteurs suggèrent une éducation civique, pouvant nous rappeler les travaux d’Ernest Gellener4 sur la construction de la nation, pour que ces forces militaires se conçoivent comme émanation de la volonté du peuple sans être partie prenante du jeu politique, et deviennent garantes des droits de l’homme et de la démocratie.

Enfin, dans une troisième et dernière partie intitulée « Entre politique et culture : vers un soft power francophone ? », les chercheurs regroupés sous ce thème font de la prospective et explorent certaines finalités que la Francophonie pourrait adopter et, pour leur donner forme, trouver un outil conceptuel capable de concrétiser ces finalités. Ils s’arrêteront sur ce combat qu’ont mené des membres de la Francophonie au profit de la « diversité culturelle ». À ce combat, ils y grefferont la défense et la promotion de la paix et de la démocratie en exerçant un soft power, concept que plusieurs auteurs adoptent comme moyen de donner corps à une Francophonie efficace. Comme le soulignent ces chercheurs, si, comme l’affirme le président Emmanuel Macron, la langue française s’est détachée de la France pour devenir « la langue du monde », l’action des membres de cette Francophonie peut-elle se détacher relativement de leurs intérêts respectifs pour défendre un bien commun, un bien utile à toute l’humanité, un bien universel ? C’est à cette question que ce dernier groupe de chercheurs tente de répondre.

Le politologue Frédéric Ramel, par exemple, dans « De l’influence francophone » (p. 247-253) fera remarquer le nouveau répertoire d’actions de la Francophonie dans la déclaration de Montreux de 2010. Elle veut, note-t-il, développer la place de la Francophonie dans la gouvernance mondiale en adoptant des mesures pour façonner les orientations de l’information et des idées, principalement dans la promotion de la diversité des expressions culturelles, dans le respect des droits de l’Homme, de la priorité du contrôle parlementaire des acteurs de la sécurité et dans des actions favorisant la paix et la démocratie. L’auteur est donc pour cela très favorable à une Francophonie institutionnelle pour exprimer cette ambition d’influence mondiale afin de contribuer à renforcer l’accueil de cette pluralité. Combat pour la pluralité auquel s’associe Antonios Vlassis qui dans son analyse de « La diversité culturelle : ressource de la puissance douce de l’espace francophone ? » (p. 255-271) fait de la promotion de la diversité culturelle par la Francophonie le principal champ de bataille de celle-ci, l’assimilant à une composante de la puissance douce francophone à l’échelle internationale.

Cette ambition d’influence internationale que manifeste la Francophonie décrite et souhaitée par Ramel et Vlassis a besoin d’une base théorique. C’est ce à quoi semble s’attaquer à énoncer le politologue Thomas Meszaros dans « Un chapitre de la politique étrangère de la France à l’heure de la mondialisation : Agir par et pour la Francophonie » (p. 291-320). Comme point de départ à sa réflexion, Meszaros se demande si un destin commun est possible entre la France et la Francophonie si elles s’inscrivent dans la défense de principes communs pour donner du sens à un monde en transformation rapide et donc en quête de repères. L’influence d’un État dépendra de son prestige, note-t-il, et celui-ci des valeurs qu’il véhicule, aspects non-matériels de sa puissance. Des valeurs trop étroites, fera-t-il remarquer, n’attireront pas, alors que des valeurs universelles séduiront. La France promeut, selon ce chercheur, un monde multipolaire reposant sur l’importance des institutions internationales, la concertation que peut exercer la communauté internationale et le respect du droit pour contrebalancer la vision d’un « monde plat, unifié par l’américano-globalisation et l’économie de marché dominé par l’hyper-puissance américaine » (p. 295). La France plaiderait pour réguler la mondialisation en s’inspirant des idéaux humanistes qui renvoient à une conception universelle de l’homme, libre et responsable, et qui trouve ses racines dans le triomphe de la Raison, idéaux humanistes qui véhiculent les valeurs de liberté, de justice, de dignité humaine, de tolérance, de solidarité et de respect. C’est de ces valeurs que la France pétrirait sa politique étrangère et présenterait une diplomatie — deuxième plus important réseau diplomatique au monde après celui des États-Unis, précise l’auteur — basée sur la défense de la solidarité humaine, des droits humains, de la démocratie, de la coopération, de l’action humanitaire.

Sur cette base théorique, Meszaros présentera trois visions possibles de la Francophonie. La première correspondrait au rayonnement de la langue française dans le monde parce que médiatrice de l’héritage des Lumières, une « langue de culture » comme l’exprima un jour Léopold Sédar Senghor, langue française qui apparaît comme une alternative à un monolinguisme anglophone qui traduit une vision univoque du monde. Alternative de résistance s’opposant aux mouvements d’uniformisation du monde et à la pensée unique, ce produit du marché sacrifiant l’homme et se déclinant autour du seul profit.

La deuxième conception de la Francophonie se composerait d’histoire, de géographie et de stratégie. En ce sens que la France orientant son action internationale vers ses partenaires francophones, constituerait pour elle une réponse à cet enjeu mondial d’uniformisation du monde, surtout si la Francophonie concrétise son projet d’auto-institutionnalisation.

Enfin, une troisième conception de la Francophonie est possible. Elle concerne précisément son institutionnalisation. Pour accéder à une dimension politique et défendre les valeurs de démocratie, les droits de l’Homme, le développement durable et l’égalité hommes/femmes, la Francophonie serait, institutionnalisée, plus en mesure de défendre une mondialisation à visage humain et ferait de l’État français un « attracteur », c’est-à-dire un acteur international majeur auquel d’autres acteurs seraient portés à se rallier, dont l’UE qui pourrait en cela être enrichie de l’expérience et de l’expertise francophone et, abandonnant sa posture stratégique défensive, accéder à une Francophonie ambitieuse véhiculant le projet collectif d’un monde multipolaire et d’une mondialisation à visage humain.

Cet idéal d’une Francophonie plus ambitieuse n’échappe pas à la politologue Gwenaëlle Calcerrada dans « La Francophonie veut-elle réellement du soft power ? Réflexions autour d’un concept équivoque » (p. 321-354) : « La Francophonie sera appréhendée ici, écrit-elle, comme une communauté constituée par des peuples partageant des idéaux culturels et linguistiques, se donnant pour but de devenir un pôle géoculturel influent sur la scène internationale » (p. 321). C’est pour lui donner les moyens de ses ambitions que la chercheuse propose le soft power pour y parvenir : « Dans cette perspective, une recherche reliant le soft power à la Francophonie prend tout son sens » (p. 321).

Cette notion de soft power repose, selon Joseph Nye, sur des ressources intangibles comme la culture, les idées, les institutions. Ce moyen politique a pour objet de créer dans les esprits la solidarité, la bienveillance à l’égard d’un État, d’un groupe, d’une cause. Ce moyen politique d’action a une puissance non coercitive puisqu’il inciterait les acteurs à modifier leur orientation par la persuasion ou par la réussite de celui ou ceux qui proposent une nouvelle attitude à adopter. En adoptant cette puissance douce comme moyen d’action politique, Calcerrada pense que la Francophonie pourrait devenir un pôle d’influence international majeur.

Cet instrument politique d’influence donne un avantage certain aux États démocratiques, eux dont les institutions sont basées sur la souveraineté du peuple, ce qui leur confère une autorité morale et l’image prestigieuse de cultures et d’idéologies d’une vision du monde universelle. Le soft power serait, selon l’auteure, particulièrement appropriée pour l’influence que veut exercer la Francophonie dans le monde, elle qui défend un caractère universel à l’humanité en militant pour la paix, le rapprochement des peuples, la défense des droits de l’Homme, la promotion de la démocratie.

Cependant, l’auteure ne s’abuse pas sur l’idéal de sa proposition. Elle conçoit les limites de ce soft power et ses imperfections. Cette puissance douce peut et sans doute s’apparente à un « formatage ». Elle cite le sociologue Steven Lukes pour appuyer ses réserves. Pour Lukes, la forme insidieuse suprême du pouvoir est de façonner la perception des gens de telle sorte qu’ils n’aient aucune intention de changer l’ordre des choses. En somme, le danger du soft power est d’aveugler les consciences sur le fait qu’elles peuvent être manipulées et ne voient pas à leurs intérêts propres : « …si un État est capable de légitimer son pouvoir aux yeux des autres, a écrit Nye que cite Calcerrada, il rencontrera moins de résistance pour les faire plier à ses vœux » (p. 349). La chercheuse émettra cette réserve à l’endroit du concept de puissance douce se souvenant, peut-être, que Joseph Nye est un membre influent de la Commission Trilatérale, cette organisation privée créée par le groupe Bilderberg et réunissant quelque quatre cents personnalités influentes — hommes d’affaires, politiques, intellectuels — d’Europe, d’Amérique du Nord et d’Asie du Pacifique, dans le but de favoriser la globalisation de l’activité économique du monde.

Cet ouvrage répond-il aux objectifs qu’il s’est fixés, fournit-il des réponses aux questions qu’il soulève dans son introduction générale ?

La contribution de ces dix-sept textes nous met en face d’un groupement d’États, réunis par une langue et une culture, qui veut influencer le développement de l’humanité selon des valeurs autres que les seules valeurs liées au marché et uniquement guidées par la croissance économique. L’ouvrage démontre que la langue parlée n’est pas uniquement un moyen de communication, mais soutient aussi, et peut-être surtout, une vision du monde, comme l’a démontré au début du XIXe siècle le théoricien et linguiste allemand Guillaume von Humboldt.

Partant de ce principe, les chercheurs de ce collectif s’efforceront d’énumérer les valeurs fondamentales entretenant la vision du monde que la langue française diffuserait et qu’a généré l’époque des Lumières et du triomphe de la Raison et dont la langue française se serait fait le merveilleux véhicule. À commencer par la « diversité culturelle » qui, comme l’affirme l’UNESCO, serait aussi nécessaire pour l’existence de l’humanité que peut l’être la diversité biologique pour l’existence des espèces vivantes. Se grefferaient à ce tronc principal les valeurs de démocratie, de liberté, de justice, de dignité humaine, menu de valeurs qui rendrait la culture française apte à diffuser le projet collectif d’une mondialisation plus humaine.

Après ce constat, les chercheurs concluent logiquement que pour que la Francophonie réalise son projet d’influence humanitaire, elle doit s’auto-institutionnaliser afin de se donner les moyens de son ambition. L’instrument politique choisi, lucidement et sans tomber dans l’illusion, sera le soft power. En fait, si on généralise, le moyen privilégié sera la parole. Choix logique pour des valeurs d’humanité qui seraient intimement liées à cette langue et à cette culture.

Point faible peut-être de l’ouvrage, la trop vague description des obstacles que la Francophonie rencontrera pour concrétiser son rôle d’influence mondiale et, conséquemment, l’absence d’une proposition de programme politique pour réaliser cette ambition, programme politique que ne peut remplacer une liste de valeurs aussi fondamentale soient-elles. Il faut, pour concrétiser une finalité, que les valeurs s’articulent dans un plan d’action. Car dans les prochaines années, les défis afin de préserver les langues et les cultures seront de plus en plus nombreux. La Francophonie devra être active et devenir, par exemple, le porte-étendard d’une charte pour la protection et la promotion de la diversité linguistique. Bien que la diversité soit une richesse pour l’humanité, la langue et la culture sont aujourd’hui les premières victimes des dérives parfois incontrôlables de la mondialisation. Et face à ce phénomène, il faut agir !

Nous dirons donc que l’ouvrage est un apport précieux à la construction de la Francophonie et révèle la nécessité urgente, pour qu’elle atteigne la maturité institutionnelle, d’un programme politique, cet ensemble ordonné d’opérations nécessaires pour concrétiser la « vision du monde » qu’elle prétend véhiculer.

1 Les réflexions sur le concept d’institution sont largement inspirées par Alain Guéry, « Institution, histoire d’une notion et de ses utilisations

2 François David (dir.), Pouvoir et puissance en Francophonie, Chambéry, Presses Universitaires Savoie Mont Blanc, 2020.

3 Le soft power est compris comme étant la capacité d’un acteur à influencer le comportement, les décisions ou encore les orientations d’un autre

4 Ernest Gellner, Nation et nationalisme, Paris, Payot, 1989, p. 58.

Notes

1 Les réflexions sur le concept d’institution sont largement inspirées par Alain Guéry, « Institution, histoire d’une notion et de ses utilisations dans l’histoire avant les institutionnalismes », Cahiers d’économie politique, 2003/1, n° 44, p. 7-18.

2 François David (dir.), Pouvoir et puissance en Francophonie, Chambéry, Presses Universitaires Savoie Mont Blanc, 2020.

3 Le soft power est compris comme étant la capacité d’un acteur à influencer le comportement, les décisions ou encore les orientations d’un autre acteur. Voir Joseph Nye, The Future of Power, New York, Public Affair Press, 2011, p. 19.

4 Ernest Gellner, Nation et nationalisme, Paris, Payot, 1989, p. 58.

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Référence électronique

Jean-François Payette, « Recension : François David (dir.), Pouvoir et puissance en francophonie, Chambéry, Presses Universitaires Savoie Mont Blanc, 2020 », Revue internationale des francophonies [En ligne], 9 | 2021, mis en ligne le 07 juin 2021, consulté le 28 mars 2024. URL : https://publications-prairial.fr/rif/index.php?id=1317

Auteur

Jean-François Payette

Jean-François Payette, est titulaire d’un Ph. D., Directeur scientifique de l'Observatoire de la Politique et la Sécurité dans l'Arctique (OPSA) et Professeur-enseignant à l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal (ESG UQAM).

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