Recension : Hiên Do Benoit, Idées reçues sur le Viêt Nam, Paris, Le Cavalier Bleu, coll. « Idées reçues », 2021, 2e édition revue et augmentée

DOI : 10.35562/rif.1328

Texte

Maître de conférences en sciences politiques au Conservatoire national des Arts et Métiers, Hiên Do Benoit publie une nouvelle édition revue et augmentée d’un opuscule sur le Viêt Nam publié pour la première fois en 2011. Son format court – 141 pages – n’empêche pas une analyse riche, dynamique et utile à tout lecteur désireux de connaître un peu mieux ce pays en pleine mutation, au-delà des fantasmes et des clichés habituels souvent véhiculés en France par le passé colonial et militaire du Viêt Nam. Dans le cadre d’une collection qui a vocation à débattre d’une série d’idées reçues sur un pays, une région ou une thématique, Hiên Do Benoit interroge successivement l’identité, la société et l’économie vietnamiennes. Fondée sur des sources trop datées, l’histoire et la géopolitique n’y sont peut-être pas les thématiques les mieux traitées. Outre l’insuffisante valorisation de la bibliographie vietnamienne, on regrettera en particulier l’absence, dans la courte bibliographie finale, de plusieurs ouvrages français de référence tels que celui dirigé par Benoît de Tréglodé (Histoire du Viêt Nam de la colonisation à nos jours, Éditions de la Sorbonne, 2018) ou encore le numéro spécial consacré en 2015 par la revue Hérodote aux « enjeux géopolitiques du Viêt Nam ». La synthèse proposée en aurait gagné en précision sur plusieurs points tout en l’ouvrant à d’autres sujets importants pour comprendre le Vietnam actuel, comme la politique énergétique, les médias, les réseaux sociaux, la cybersécurité ou encore l’art contemporain.

Mais le défi consistant à nourrir une réflexion concise et pertinente sur des sujets parfois complexes est largement relevé. Qu’est-ce que le Viêt Nam ? Comment définir l’identité vietnamienne ? Quels défis prioritaires les Vietnamiens doivent-ils relever ? D’une plume alerte, l’auteure, sur ces sujets complexes, distille des éléments de réponse clairs, sans prétendre aux conclusions faciles et définitives. Longtemps marqué par l’héritage des guerres, le Viêt Nam a su s’en distancer en développant par étapes des politiques de réconciliations tant internationale que nationale. S’il apparaît comme « le seul pays essentiellement sinisé sur le plan de la civilisation qui se trouve en Asie du Sud-Est » (p. 27), au point de nourrir un complexe d’infériorité vis-à-vis de son gigantesque voisin, le Viêt Nam n’en a pas moins été précocement mis en contact avec les civilisations d’Asie du Sud-Est avant de découvrir le monde indianisé, au fil de sa longue « marche vers le Sud », puis le monde occidental, à l’épreuve de la colonisation française qui a accéléré son décrochage de l’orbite politique et culturelle chinoise. Aussi l’identité vietnamienne, fruit d’un syncrétisme constamment ajusté entre différentes influences étrangères, est-elle par essence pluraliste (p. 39). Elle a forgé cette prodigieuse adaptabilité des Vietnamiens. Parmi ces influences, poursuit l’auteure, il en est une à relativiser : l’importance de la langue française, dans un environnement linguistique qui lui est globalement défavorable, et de l’engagement francophone du Viêt Nam. Tout en souscrivant à cette appréciation générale, il faut néanmoins souligner que des marges de manœuvres existent bel et bien, notamment grâce aux milliers de Vietnamiens venus poursuivant chaque année leurs études en France, à la dynamique africaine de la francophonie et au volontarisme institutionnel du Vietnam au sein de l’OIF, en partie motivé par son désir de jouer un rôle économique et diplomatique à sa mesure en Afrique. Hiên Do Benoit conclut cette première partie sur le rôle de la géographie et de l’histoire dans la traditionnelle différenciation Nord-Sud, négligeant non seulement le Centre, mais aussi une différenciation Est-Ouest tout aussi pertinente.

La deuxième partie de l’ouvrage consacré à la société vietnamienne s’ouvre, sans en reprendre le néologisme forgé par Jean Lacouture, sur le « national-communisme » qui a été développé au Vietnam depuis les années 1980, celles des réformes du Doi Moi. La désidéologisation progressive de la diplomatie et de l’économie s’est accompagnée d’une réaffirmation de la fidélité au parti communiste au service de la sécurité, de l’indépendance et de l’identité nationales, pour mieux légitimer le régime en place (p. 59). La valorisation de l’esprit communautaire, au détriment de l’individualisme occidental, permet aux dirigeants de ne pas abandonner le discours sur les droits de l’Homme aux Occidentaux et de contrer leurs mises en accusation récurrentes du pays dans le domaine des libertés publiques fondamentales, tout en contrôlant l’émergence d’une société civile embryonnaire. De même, la lutte contre une corruption généralisée et persistante, assimilée par Ton Nu Thi Ninh à une véritable « humiliation nationale » (p. 72), doit servir à consolider le régime. Quant à la société elle-même, elle a été profondément transformée par les réformes économiques de ces dernières décennies. Bien qu’encore majoritairement rurale, elle s’est modernisée et profondément diversifiée, tant dans les campagnes que dans les grandes villes. À cet égard, l’évolution de la condition des femmes, encore fortement influencée par la tradition confucéenne, leur a permis de gagner en autonomie, d’occuper des fonctions politiques et économiques importantes, et de s’enrichir.

La troisième partie consacrée à l’économie débute sur l’histoire et le profond impact des formidables métamorphoses de l’économie vietnamienne depuis les années 1980. Elle incite toutefois, et à juste titre, à les relativiser à l’aune de l’évolution des autres pays de l’ASEAN – dont le Vietnam bénéficie de la dynamique collective autant qu’il souffre de leur concurrence –, du déficit de compétitivité des entreprises publiques, de la pénurie de main-d’œuvre qualifiée, et des difficultés administratives régulièrement rencontrées par les nombreux investisseurs étrangers. Certes, grâce au spectaculaire développement du tourisme ou de l’immobilier, la modernisation a permis à une petite minorité de Vietnamien(ne)s de s’enrichir considérablement, et au Parti de valoriser l’enrichissement personnel au sein des élites et de la société. Mais, elle se heurte à des défis redoutables : à court terme, les conséquences économiques et sociales de la Covid-19, et à plus long terme, celui du développement durable.

« Le vrai casse-tête pour Ha Noi », conclut l’auteure, « consiste dans une série de défis à relever : la modification de la qualité de la croissance, la redistribution des richesses, la gestion des risques, la maîtrise de la démographie, l’aménagement territorial, mais aussi l’éducation. Une simple loi ne suffit pas, disent certains experts économiques dans le pays. C’est toute une chaîne de réformes à mettre en œuvre de concert » (p. 124).

Sans doute, chacun de ces thèmes, à commencer par celui fondamental de l’éducation, aurait-il mérité plus qu’une ligne en fin d’ouvrage, mais on peut supposer que le format imposé par l’éditeur n’a pas permis de tels développements. En somme, malgré quelques carences inévitables dans une synthèse aussi courte, on ne peut que recommander chaleureusement l’ouvrage de Hiên Do Benoit.

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Référence électronique

Pierre Journoud, « Recension : Hiên Do Benoit, Idées reçues sur le Viêt Nam, Paris, Le Cavalier Bleu, coll. « Idées reçues », 2021, 2e édition revue et augmentée », Revue internationale des francophonies [En ligne], 9 | 2021, mis en ligne le 15 juin 2021, consulté le 19 avril 2024. URL : https://publications-prairial.fr/rif/index.php?id=1328

Auteur

Pierre Journoud

Pierre Journoud est professeur d’histoire contemporaine à l’Université Paul-Valéry Montpellier 3, directeur du D.U. « Tremplin pour le Vietnam », auteur de nombreux ouvrages et articles sur les relations franco-vietnamiennes, les conflits et processus de paix dans la péninsule indochinoise.

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